Primevères(1834)–André van Hasselt– Auteursrechtvrij Vorige Volgende [pagina 229] [p. 229] A Madame **** O Dame misericordieuse qui tournes vos yeulx evers moy affin que je soye enluminé de toutes graces! Missel du XVIe siècle. Près d'atteindre souvent sa haute fantaisie, Ma Muse aux ailes d'or, de vertige saisie, (Comme un aigle planant aux limites du ciel Et que frappe soudain la foudre qui s'allume), Tournoie, et tombe, au loin éparpillant sa plume, De sou monde idéal dans le monde réel. Adieu le rêve alors où se baigne mon ame! Adieu mes frais vallons qu'embaume le cinname! Adieu mes chants d'amour, mes chants de liberté, L'Ode au vol radieux qui s'élance, et le Drame, Et l'Epopée ardente et large dont la trame Lie aux peuples les rois, au ciel l'humanité! [pagina 230] [p. 230] Adieu les doux loisirs, les molles rêveries, Les vertes oasis aux collines fleuries, Où se jouait ma vie, onde aux mille penchans! Et la haine en mon sein lève la voix et gronde, Et je me dis: - ‘Prenons, comme David, ma fronde; Brûlons l'iambe en feu sur la peau des méchans! Ceignons, pour le combat, le glaive d'Archiloque! Dans la lice à mon tour descendons; loque à loque Déchirons de mes mains le manteau des pervers! Ma colère deux ans a gardé le silence. Pour rendre l'équilibre à ta sainte balance, Liberté! Liberté! j'y jetterai mes vers! Remuons jusqu'au fond toute la boue humaine! Plaçons sur le trépied la Sybille romaine! Anathême à qui fait mentir la vérité, A celui dont le coeur à tous les vents s'émie, A qui traîne au grand jour ses titres d'infamie, A qui marche à deux pieds dans son iniquité! Anathême à qui vend son frère et sa patrie, A qui dresse, joyeux, une tête flétrie, A qui verse le fiel au vin de l'amitié, A qui va machinant le mal dans la nuit sombre, Au pilote qui rit quand le navire sombre!...’ - Mais la haine à quoi bon, puisqu'on a la pitié? Et le volcan s'arrête, et la lave écumante, Qui déjà s'épanchait en cascade fumante, [pagina 231] [p. 231] Dans le cratère éteint retombe en mugissant. Et l'oubli me revient, ô chaste et belle femme! De toute chose humaine et de ce monde infâme Où jette chaque main sa pierre au Tout-Puissant; L'oubli calme et serein; l'oubli, douce rosée Qui rafraîchit mon ame et lave ma pensée; L'oubli, souffle divin qui descend sur mes jours, Et qu'à chaque ouragan qui bat ma destinée, J'implore, en butte aux coups de l'onde mutinée, Pour ne me souvenir que de toi, mes amours! Car le bonheur me rit sur ta bouche vermeille. Ta voix a mille échos dans mon coeur qui sommeille. Par toi je me reprends aux espoirs d'ici bas. De tant d'illusions j'ai vu fuir les mensonges, Et c'est toi qui reviens dorer mes tristes songes, Comme un rayon d'en haut que je n'attendais pas! Aussi, femme aux yeux bleus, entre toutes bénie, Que le Seigneur te garde; et, comme un saint Génie, Qu'un ange dans tes nuits veille et passe toujours! Qu'un astre blanc et pur t'éclaire réjouie, O rose chaste et belle! ô fleur épanouie Au soleil du Très-Haut pour parfumer mes jours! Août 1833. Vorige Volgende