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La Pologne.
Postquam crucifixerunt eum, diviscrunt vestimenta ejus, sortem mittentes.
St-Matthieu, chap. XXVII. v. 35.
Oh! quand la voix d'Urbain, comme un coup de tonnerre,
Éclata, réveillant L'Europe dans son aire;
Quand Rome, de la foi rallumant le flambeau
Et du Christ insulté prête à venger l'offense,
Convoquait nations et rois à la défense
De quelques pierres d'un tombeau;
La France avec son oriflamme,
L'Anglais avec ses léopards,
Le Belge qui porte une flamme
Dans les plis de ses étendards,
La Suisse aux villes fédérales,
L'Espagne dont les cathédrales
Font dans leurs clochers à spirales
Chanter mille cloches d'airain,
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L'Allemagne qui la première
S'écria: ‘Voici la lumière!’
Tout vint, le palais, la chaumière,
Au cri du pape souverain.
Les barons descendaient leurs roches escarpées;
Les rois faisaient forger leurs sceptres en épées;
Toute l'Europe en bloc s'arma, chefs et vassaux.
Au fond du nord s'ouvrait leur marche d'une année;
Et leurs flottes couvraient la Méditerranée,
Comme un pont jeté sur ses eaux.
Et la croisade, orage immense,
Se déroulait vers l'Orient.
‘Où vont ces peuples en démence?’
Dit le vieux Nil en souriant.
Et toutes ces ombres-momies
Qui, sous les ailes des Lamies,
Depuis trois mille ans endormies,
Au tombeau n'ont pu se glacer,
Pâles dans leurs linceuls humides,
Sur les degrés des Pyramides
Où se brisent les vents numides,
S'assirent pour la voir passer.
Et la croisade allait, ainsi qu'une rafale,
Poursuivant à grand bruit sa route triomphale,
Semoun d'hommes creusant au loin les sables gris,
Heurtant murs de granit et villes crénelées
Qui, par l'ouragan noir, en passant nivelées,
Peuplaient le désert de débris.
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?C'est ainsi trois fois sur l'Asie
Que déborda l'Europe à flots.
Tous les peuples l'avaient choisie
Pour cimetière ou pour champ clos.
L'Infidèle vit ses bannières,
Courbant leurs têtes prisonnières,
Souiller de fange leurs crinières,
Et l'ombre voiler le Croissant,
Et de Sion crouler les faîtes,
Et les Chrétiens, au bruit des fêtes,
Du Dieu prédit par les prophètes,
Laver la tombe avec du sang.
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II.
Mais nous ne sommes plus au temps des grandes choses.
A la voix du passé nos oreilles sont closes.
Nous ployons à tout vent le front comme un roseau.
L'air des camps userait nos poitrines débiles;
Le fer serait trop lourd à nos mains inhabiles,
A nos mains qui sauraient mieux tourner le fuseau.
Nous ne savons plus même avoir de bonne haine.
Lâches nous crions haut, mais la peur nous enchaîne.
Nos ames et nos coeurs sont des foyers éteints.
Nous reculons devant une lutte virile.
Si parfois la colère en notre sein fébrile
S'allume, c'est pour trois matins.
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Pourvu qu'un chaud printemps embaume notre voie;
Qu'une femme nous rie, enfant que nous envoie
Dieu, comme un ange saint, pour essuyer nos pleurs;
Qu'un ciel serein et pur illumine nos fêtes,
Et ne couve jamais l'orage sur nos têtes,
Et verse, chaque jour, la rosée à nos fleurs;
Nous voyons de sang-froid les peuples qu'on égorge
Sous le pied des bourreaux tordre, en râlant, la gorge;
La hache remplacer le sceptre au poing des rois,
Et nos frères pieds nus errer le long des fleuves,
Hélas! et la Pologne, en ses campagnes veuves,
Traîner, comme Jésus, sa croix;
Et (portant, comme lui, la couronne d'épine
Sur son front d'où le sang coule en rouge crépine)
Du Calvaire des rois gravir le noir coteau,
Et marcher en priant pour nous, sans qu'au passage
Vienne une main pieuse essuyer son visage
Ou lui rendre moins lourdles plis de son manteau.
Nous sommes des maudits, nous sommes des infâmes.
Nous avons moins de force aux veines que les femmes.
De nos pères en nous rien, hélas! n'est resté.
Pour qui donc, pour qui donc, en son aire profonde,
L'avenir couve-t-il, sous son aile féconde,
L'oeuf sacré de la liberté?
Septembre 1833.
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