Primevères(1834)–André van Hasselt– Auteursrechtvrij Vorige Volgende [pagina 57] [p. 57] D'ecouragement. A mon ami L. Alvin. Veni in altiludinem maris et tempestas demersit me. Psaume lxviii, v. 3. Oui, le temps est mauvais; et ma barque égarée Vire et flotte au hasard, toute désemparée, Sur l'abîme mouvant. Sous ma quille la mer tourne comme une roue, La haute et large mer qui gronde, et qui s'enroue A crier dans le vent. Le ciel toujours plus sombre amasse ses nuées; Les vagues au-dessous se creusent remuées, Double gouffre béant; [pagina 58] [p. 58] Ma carène tantôt, tantôt ma voile y plonge; Et l'éclair dans la nuit se replie et s'alonge Comme un fouet flamboyant. En vain je me demande un espoir qui console; En vain mes yeux en pleurs fixés sur ma boussole Y cherchent le chemin; Plus rapide toujours la tempête m'entraîne; Ma nef, commeun coursier qui mord des dents sa rêne, Ne connaît plus ma main. Elle vogue, elle marche et se perd dans la brume. Et les flots, secouant leur crinière d'écume, Dressent, échevelés, Leurs poitrails à l'entour, et hurlent en fanfare; Et nul astre ne luit dans l'ombre, comme un phare, A mes mâts ébranlés. Pourtant hier, cinglant sur la mer calme et blonde, Je me laissais aller aux caprices de l'onde, Le coeur libre et joyeux; A tous les vents j'ouvrais le dôme de ma voile, Sans me chercher au ciel une propice étoile, Pilote insoucieux. Et, - comme l'alcyon dans son berceau de mousse, Balancé sur le sein de l'eau limpide et douce, Douce et tiède au soleil, - Heureux de fuir la terre et ses grandeurs serviles, Je regardais plonger le cercle de ses villes Sous l'horizon vermeil. [pagina 59] [p. 59] Et ma Muse rêvait ces zones inconnues, Iles aux bords fleuris ourlant, comme des nues, L'Océan spacieux, Oasis qu'ici bas sème la main des fées, Et d'où viennent, le soir, mille voix étouffées Comme un concert descieux; L'Amérique dormant dans ses fraîches savanes, Le Bengale qui voit marcher ses caravanes Au fleuve de Brama; Et tous ces beaux pays dont surgirent les cimes, Ainsi qu'une pensée, en vos têtes sublimes, O Colomb! ô Gama! Mais, - si le temps est noir, si l'aquilon m'emporte, Si l'onde se déchire en abîmes, - qu'importe Le vent, le flot amer? Car, hélas! je n'ai pas à sauver, dans l'orage, Ma Lusiade aussi de ce double naufrage, Les siècles et la mer! Mai 1832. Vorige Volgende