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A mon ami Théodore W.
Comme ils sont doux les chants de ton luth solitaire! -
Dans un rayon de l'aube, un génie à la terre
T'apporta, se voilant d'un lumineux faisceau;
Et, descendu du haut de la céleste voûte,
Un ange aux ailes d'or vint allumer sans doute
Une étoile sur ton berceau.
Comme ils sont doux les chants, les beaux chants de ta Muse,
Soit qu'aux monts de Slavande, où le ramier s'amuse
A promener son vol de débris en débris,
Dans la molle fraîcheur de la grotte attentive,
Tu soupires tout bas la ballade plaintive
A l'écho des sentiers fleuris;
Soit qu'aux rives du Jaar, où les peupliers sombres
Bercent sur le gazon leurs gigantesques ombres,
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Tu chantes la colombe errante dans les cieux,
Ou les saules ployant sur l'onde leurs ramures,
Comme s'ils écoutaient dans ses vagues murmures
Parler un bruit mystérieux.
Là, quant le sylphe, ouvrant son aile diaphane,
Va porter la rosée à l'iris qui se fane
Et rafraîchir sa tige au souffle du matin;
Ou, sur les clochers gris de la ville qui fume,
Quand le soir gris regarde en un cercle de brume
S'enfermer l'horizon lointain,
Quel beau songe t'enivre? En quelle rêverie,
En quel monde riant d'amour et de féerie
S'égare ton essor radieux? Cherches-tu
Navarin où hennit le coursier du Tartare?
Cythère où les échos, aux sons de la guitare,
Gémissent, quand le jour s'est tu?
Hydra qui, s'élevant, hautaine citadelle,
Sent à ses pieds noircis bondir sa mer fidèle,
Et semble au front d'un roc une aire de vautours?
Les mers de l'Archipel, où l'oeil du Palikare
Voit les flots se jouer sous les plumes d'Icare?
Corinthe avec ses vieilles tours?
Sunium dont Platon hanta le promontoire?
Egine fière encor d'un grand nom de victoire?
Athène où le passé répond de l'avenir,
Athène qui revit dans les chants des poètes,
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Grande, avec ses héros, ses combats et ses fêtes
Et trois mille ans de souvenir?
Ou les bords enchantés que l'Eurotas arrose?
L'Eurotas ombragé de touffes de laurose,
Beau fleuve que le ciel bleuit plus mollement,
Et dont l'azur lava les cygnes d'Amathonte
Et la pâle Léda se cachant dans sa honte
Aux yeux de son céleste amant?
A Tempé poursuis-tu quelque douce chimère?
Du berceau de Pindare à la tombe d'Homère
La poésie en pleurs conduit-elle tes pas?
Ou bien à ces rochers groupés en noires piles,
Où les trois cents, debout comme leurs Thermopyles,
Mouraient et ne se rendaient pas?
O poète! aujourd'hui, dans un plus beau délire,
Que la Grèce à son tour fasse parler ta lyre,
Cette Grèce si belle encor dans ses revers,
Comme si, se voilant de fleurs toujours écloses,
Elle voulait, hélas! dérober sous des roses
La meurtrissure de ses fers!
La flamme et le poignard parcourent la Morée;
Sous les coups des boulets tombe Athène éplorée,
Athènes que Byron ranimait dans ses vers;
Et, sous les pas errans de ses coursiers agiles,
L'Arabe, dispersant la poussière des villes,
Dit: ‘C'est le sable des déserts.’
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L'aube de Navarin de brume s'est voilée.
La liberté vers nous recule refoulée;
Et, comme des vaincus, châtiant ses guerriers,
L'Anglais de ses drapeaux a renié la gloire,
Et voit un jour de honte en un jour de victoire
Et des cyprès dans ses lauriers.
En vain, battant des mains, en leurs chants d'allégresse,
Les peuples ont crié: ‘Courage, noble Grèce!
Dieu te relèvera par la main de nos rois.
L'Europe de l'Asie est la vieille adversaire;
L'aigle russe qui tient le monde d'une serre,
De l'autre gardera ta croix!’
La croix des saints autels tombe; la tyrannie
Déchire à plus grands coups la Grèce à l'agonie,
Pâle et le front courbé sous le fer inhumain;
Ses fils ont épuisé leur sang; mais leur courage
Entre la tombe obscure et l'obscur esclavage,
N'a pu se frayer un chemin.
Et leurs pleurs sont aux yeux de nos rois un outrage.
Les rois laissent dormir leur glaive et leur courage,
Quand, d'un peuple qui meurt, il faut sauver les droits.
Que ta lyre du moins ne reste pas muette;
A défaut de vengeurs, que ta voix, ô poète!
Le venge de l'oubli des rois!
Juin 1828.
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