Primevères
(1834)–André van Hasselt– Auteursrechtvrij
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III.Mort puissant, animant et le marbre et la toile,
Sur l'horizon des arts il luit comme une étoile.
Tous les échos du monde ont retenu sa voix. -
Et nos songes, la nuit, comme une de ces ombres
Qu'Ossian évoquait du sein des brouillards sombres,
Parfois nous le rendent, parfois
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Comme un de ces héros d'Homère ou de Virgile,
Ajax aux bras de fer, ou l'indomptable Achille
Dont le grand bouclier aux orbes éclatans,
D'un homme de dix pieds couvrant toute la taille,
Ainsi qu'un astre d'or brillait dans la bataille;
Ou mieux comme un de ces Titans
Que ton génie, ô Wiertz! si fécond en merveilles
(Car l'ombre de Rubens te sourit dans tes veilles),
Tels que des rocs vivans, groupe sous tes crayons,
Pâles, tombant avec leurs montagnes croulantes,
Et, rois découronnés, sur leurs têtes sanglantes
Portant des flammes pour rayons.
Leur orgueil se croyait à l'étroit sur la terre.
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Et leurs puissantes mains entassent dans les nues
Séculaires granits, pics aux crêtes chenues,
Rochers où l'on entend l'avalanche crier;
D'Ossa sur Pélion ils exhaussent la cime,
Et placent, pour finir leur voyage sublime,
Cent collines en escalier;
Et, s'élevant plus haut, en leur ardeur frivole,
Que le soleil ne brûle et que l'aigle ne vole,
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Franchissent Orion au regard fauve et clair;
Et, monstre lumineux, la comète effrayante
Sous eux passe, agitant son aile flamboyante
Dont chaque plume est un éclair.
Mais, du chemin géant près d'atteindre le faîte,
Quand bondissent leurs coeurs en joyeux chants de fête,
Voilà qu'au-devant d'eux la foudre accourt et luit;
Et sur leur groupe noir la lune rouge éclate
D'en bas, comme une bombe au reflet écarlate
Teint les nuages de la nuit.
De rochers en rochers le torrent d'hommes roule
A grands flots, entraînant chaque débris qui croule;
L'écume sur la bouche et les regards ardens,
Leur visage se creuse en convulsives rides,
Et leur dernier cri meurt sur leurs lèvres arides
Avec des grincemens de dents.
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IV.Tel nos pères l'ont vu s'élever et descendre.
Loin du monde les rois ont exilé sa cendre;
Et, pour qu'il ne revienne, un jour, de son écueil
De nouveau conquérir la terre,
Ils ont donné, brisant son trône militaire,
L'Océan tout entier pour garde à son cercueil.
La mer fait sentinelle autour de Sainte-Hélène.
Du bruit de ses exploits l'Europe était trop pleine;
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Et tous ces nains qu'hier foulait son pied fatal,
Thersites qu'abritait l'ombre de sa bannière,
Insultent le tombeau d'Achille; pierre à pierre
Ils voudraient démolir l'homme monumental.
Ils ont beau fatiguer sur lui leur main débile;
L'Europe gardera sa trace indélébile.
Dans l'histoire à jamais règne son souvenir.
De sa gloire pyramidale
Les siècles ne pourront remuer une dalle.
Son nom est un défi qu'il laisse à l'avenir. -
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V.Ainsi, dans les jardins des hautes Tuileries,
Sous les frais marronniers aux coupoles fleuries,
Ami, je te disais par un jour de printemps;
Paris au loin mêlait soupirs et bruits de fêtes,
Et, dans l'air pur et bleu déployé sur nos têtes,
Un nuage passait aux reflets éclatans.
Et nos yeux regardaient, par le soleil dorée,
La masse vaporeuse, en sa route azurée,
Marcher, laissant aller au vent ses larges plis,
Et, comme une immense couronne,
S'arrêter un moment sur l'ardente Colonne
Par où montent au ciel les héros d'Austerlitz
Janvier 1831. |
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