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Odes.
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Aux Polonais.
Quorum virtus maxima.
Caesar.
C'est bien! vous avez fait votre devoir, mes frères!
Quand la patrie errait en cent routes contraires,
Vous l'avez prise par la main,
Pour l'arracher des bras de ses guides funèbres,
Et lui montrer le jour au fond de ses ténèbres,
Et la conduire au vrai chemin.
Vous foulez un sol enfin libre.
Émondant l'arbre des pouvoirs,
Vous avez remis l'équilibre
Entre vos droits et vos devoirs.
La Pologne enfin se relève;
Elle a pour étai votre glaive.
Et vous vous êtes faits si grands,
Que les peuples, par ambassades,
Comme au temps des vieilles croisades,
Cherchent une place en vos rangs.
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On parlera de vous, qu'un siècle naisse ou tombe.
L'ombre de Kosciusko s'en émeut dans sa tombe.
Sorti de son sépulcre à vos chants de victoire,
Pour pouvoir de plus haut lire dans votre histoire,
A tout un mont pour piédestal.
Vous êtes dignes de notre âge,
Vous qui, plus forts que le danger,
Fîtes retomber chaque outrage
Sur la tête de l'étranger,
De l'étranger qui, plein de haine,
Rendait si lourde votre chaîne
Et qui, pour vous pousser à bout
Et mettre la charte en poussière,
La démolissait pierre à pierre
Sans en laisser une debout.
Vous avez reconquis en cinq mois quinze années,
Fait refleurir le tronc de vos gloires fanées,
Des oppresseurs par vous les lois sont disparues,
Et vous avez construit des pavés de vos rues
‘C'est un mot, disent les esclaves,
C'est un mot que la liberté.
(Et du bruit sourd de leurs entraves
Il couvrent le mot redouté.)
Quand, la hache en main, dans nos villes
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Marchaient les discordes civiles,
La liberté, créant nos lois,
Sur l'échafaud tenait ses fêtes,
Et n'apprit, en ployant nos têtes,
Qu'à ployer la tête des rois.’
C'est qu'ils ne savent pas, ô frères! que c'est elle,
L'ange des nations, la déesse immortelle,
Dont l'oeil plane sur l'univers,
Qui luit comme une étoile, ou comme un foudre tombe,
Et qui fait aux Nérons de leur trône une tombe,
Et brise avec son pied les fers;
Qui bénit de sa main et place
Sous la garde du même autel
L'auguste poignard de Wallace
Et l'auguste flèche de Tell;
Et dont la voix haute et féconde,
Résonnant aux deux bouts du monde,
Trouve un drapeau dans tous les camps,
Dans tous les seins de nobles flammes,
Un écho dans toutes les ames,
Et des ailes dans tous les vents!
O! quand la France enfin, dans tous ses voeux trompée,
Au sceptre des Bourbons mesura son épée,
Et que, séchant ses yeux en pleurs,
Elle eut vu dans Paris, sa sainte Babylone,
L'étendard d'Austerlitz ouvrir sur la Colonne
L'arc-en-ciel de ses trois couleurs,
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Vos coeurs en un sombre murmure
Se répandirent à la fois;
Chacun de vous prit son armure;
Ce ne fut partout qu'une voix.
Pour s'affranchir d'un joug infâme,
Tout s'arma, l'enfant et la femme,
Tout ceignit le glaive puissant;
Car le fer seul rompt le servage,
La poussière de l'esclavage
Ne se lave que dans le sang.
Alors ce fut fini. Le volcan populaire
De son lit bouillonnant sortit avec colère,
Noir Vésuve aux bruits éclatans.
Tout le sol brûle encor sous ses vagues taries;
Et sa lave, épandue en ardentes scories,
Restera chaude bien long-temps.
Cinq mois la tempête enflammée
Dans vos plaines en feu gronda;
Cinq mois votre héroïque armée
Sur les oppresseurs déborda.
Ce fut comme une grande houle
Où tournait l'orageuse foule,
Mer vivante aux courans confus,
D'où ne sortait, par intervalles,
Que la voix rauque des cavales
Ou des canons sur les affûts.
Pas un ne se sauva de ce naufrage immense.
Le flot fut sans pitié, la foudre sans clémence.
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Au râle sourd de vos tocsins,
Lanciers et dragons bleus bondissant sur leur selle,
Hussards et cuirassiers dont le buste étincelle,
Et cavaliers et fantassins,
Tout périt. - Vers la gémonie
L'étranger a vu ses guerriers
Marcher par cinq mois d'agonie,
Et voile de deuil ses lauriers.
Aussi vos lames étaient sûres;
De vos fers aux larges morsures
Nul coup en vain ne fut porté.
Chaque soldat eut son Calvaire;
Tout fut broyé comme du verre
Aussi l'Europe vous contemple,
Frères! vous dont le souvenir
En lettres d'or luit dans le temple,
Dans le temple de l'avenir;
Vous dont le passé se relève,
Et qui, du bout de votre glaive,
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Le but qui toujours nous échappe,
Mais où vous mène, à double étape,
Laissons les rois souffler aux voiles du navire,
Éoles impuissans; et crier: ‘Il chavire,
Le vaisseau de la liberté!’
Il restera debout. Sa nef impérissable
Suit sa route, bravant écueils, et bancs de sable,
Ses mâts plus fiers dans la tempête
Se redressent, laissant aux vents,
Comme les cheveux de leur tête,
Flotter les cordages mouvant.
Sur la vague aux bruyans murmures
Sa carène aux fortes amures
Navigue, et tonne des deux bords;
Et, que l'orage dorme ou gronde,
Elle fera le tour du monde
Pour jeter l'ancre en tous les ports.
Avril 1831.
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