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Le carreau de vitre.
C'était dans ces beaux jours où croire c'était vivre,
Où la vérité pure ouvrait à tous son livre,
Où la mort n'était pas onoore le néant,
Où l'homme dans la tombe entrait en souriant
Sans craindre de laisser après soi l'espérance
Comme au seuil de l'enfer du chantre de Florence,
Où la croix sainte, enfin, ce céleste palmier,
Jetait de loin son ombre à Job sur son fumier.
Or, le peuple au Seigneur veut bâtir une église
Où l'image du coeur de tous so réalise.
Dans la tâche commune on voit se réunir
Au vieillard, ce passé, l'enfant, cet avenir.
Le riche offre son or, le pauvre, sa main-d'oeuvre;
Car ton temple doit être, ô Seigneur, un chef-d'oeuvre,
Et dans cet idéal composé de réel
Ton oeil doit retrouver quelque chose du Ciel,
Afin que ton esprit chaque jour le visite.
Pour l'élever, on a choisi le plus beau site,
Une colline en fleur, qu'au matin le soleil
Revêt de la splendeur de son manteau vermeil
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Et qu'à l'heure où sa course entière est révolue,
De ses derniers rayons, la dernière il salue.
L'architecte longtemps en silence mùrit
Ce cantique de pierre au fond de son esprit.
Et, détail par détail, assise par assise
Arrête les contours de la forme indécise,
Pour compléter enfin, nouveau Bézaléel,
L'hymne monumental qu'on veut chanter au Ciel.
Puis il trace son plan: c'est une croix latine.
Et, comme toute abeille en toute fleur butine,
Du grand-jardin de l'art, qu'il parcourt tout entier,
Il explore à loisir jusqu'au moindre sentier.
Il prend aux Goths l'ogive et le trèfle aux Moresques,
Au nord ses entrelacs, au sud ses arabesques.
Dans la flore des champs et dans celle des bois
D'emblèmes végétaux il fait un ample clioix;
Et, feuilletant la Bible et ses pages obscures,
De l'histoire du Christ y cueille les figures.
De son poëme enfin tout l'édifice est là,
Tel que l'eùt dessiné saint Paulin de Nola;
Car il est comme un livre éclatant et suprême
Où chacun puisse lire, aussi bien qu'en soi-même,
Toutes les vérités que le Sauveur un jour
Fit sortir de l'écrin vivant de son amour,
Pour les donner, ainsi qu'un trésor de lumière,
A l'homme qui, sorti de sa route première,
Avait même oublié, dans ses doutes railleurs,
Que l'aube du vrai jour doit commencer ailleurs.
A l'oeuvre maintenant, vous que le Ciel bénit,
Ciseleurs de la pierre, orfévres du granit.
A l'oeuvre, serruriers dont la lime façonne
En fer toutes les fleurs que le printemps moissonne;
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Argentiers et fondeurs, vous dont l'art diligent
Met une âme dans l'or, dans le cuivre ou l'argent;
Et vous, peintres, qui, grâce à vos brosses savantes,
Créez l'illusion des images vivantes;
Et vous, enfin, sculpteurs, qui donnez à la fois
La pensée et la forme au liais comme au bois.
Et sur ses fondements l'èdifice s'élève.
Il monte vers le ciel, réalisant le rêve
Dont l'architecte avait formé dans son esprit
Le symbole complet du corps de Jésus-Christ.
On dirait une châsse en granit ciselée,
Avec ses toits portant leur crêle dentelée,
Et son portail garni d'un double rang de saints
Que des anges sans corps entourent par essaims
Et qui semblent, ayant le mème air grave et calme,
L'un armé d'un gros livre et l'autre d'une palme,
Sous leurs dais composés de feuillages naissants,
Comme des bienvenus saluer les passants.
A l'est, une chapelle arrondit son abside,
Où, Vierge des douleurs, ton image réside;
Et du côté du soir deux clochers gracieux
Poussont, avec la croix, leurs flèches vers les cieux;
Comme des doigts levés pour montrer, dans l'espace,
Au monde où tout finit le monde où rien ne passé,
Ou comme les deux mâts d'un vaisseau solennel
Gréé pour accomplir le voyage éternel.
Mais au dedans quel calme et quel silence austère!
Là viennent expirer tous les bruits de la terre.
D'un saint frissonnement on s'y sent agité,
Comme si l'on touchait presque à l'éternité.
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Les nefs vers l'Orient, comme trois avenues.
S'avancent, d'un pilier par endroits soutenues,
Et, dans le demi-jour qui régne, on les prendrait
Pour les mystérieux arceaux d'une forêt.
Et celle du milieu vers le choeur s'achemine
Que l'autel d'un faisceau de clartés illumine,
Vrai Calvaire où l'agneau mystique de l'amour,
Le Christ, revient pour nous s'immoler chaque jour.
Parfois on croirait mème, éparses sur les pierres
Entendre chuchoter tout l'essaim des prières
Et, des esprits d'en haut qui viennent les chercher
Le groupe doucement sur les dalles marcher,
Tandis qu'ouvrant ses bras sanglants dans l'étendue,
A la clef de l'arceau triomphal suspendue
Une croix gigantesque appelle tous les yeux
Pour leur dire: - ‘Je suis le vrai chemin des cieux.’
Car tout parle en ce lieu, tout, jusqu'à la matière.
Une voix sort du bois, du métal, de la pierre,
Et même chaque forme a son langage obscur,
Mais que tous les croyants déchiffrent d'un oeil sùr.
Ici, c'est le rocher dont les sources fécondes
Des fleuves de l'Eden laissent jaillir les ondes,
Le Fison, l'Hiddekel, le Phrat et le Gihon;
Là, le griffon céleste, ennemi du lion.
Plus loin encor, le long des parois se déroule
Toute l'histoire sainte aux regards de la foule,
Texte vivant, écrit d'avance dans le ciel,
A gauche la figure, à droite le réel,
L'un s'expliquant par l'autre, et chaque prophétie
Jetant un jour de plus sur l'oeuvre du Messie.
Mais c'est dans ta chapelle, ô Vierge des douleurs,
Que surtout l'art du maître a prodigué ses fleurs.
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Là, symbole navrant d'angoisse, tu t'éièves
Ayant le sein percé des pointes de sept glaives
Et plein d'un deuil si grand que par moments tu crois
Éprouver dans ta chair tous les clous de la croix
Et sentir tes yeux pleins de ces larmes amères
Que du sang de leur coeur se composent les méres..
Cependant sur ton front quel calme résigné
Malgré ce que ton âme a souffert et saigné!
Quel doux rayonnement sur ton visage austère!
Tu sais combien il est d'épreuves sur la terre,
Mère consolatrice, et tu voudrais encor
De nos afflictions augmenter ton trésor,
Et, modèle éternel de la bonté chrétienne,
Nous prendre nos douleurs pour compléter la tienne,
Afin de les offrir quelque jour à Celui
Dont l'aube, dans tes bras, à Bethléem a lui.
Dans une niche blanche et de fleurs entourée
L'architecte a placé cette image adorée,
Son nimbe resplendit fait d'étoiles d'or pur,
Les longs et chastes plis de sa robe d'azur
L'embrassent tout entière en ne laissant qu'à peine
Voir son visage pâle aux sourcils noir d'ébéne
Et le bout de ses pieds par l'étoffe couverts.
Ses grands yeux à demi vers le ciel sont ouverts,
Comme pour y puiser les grâces souveraines
Qu'elle dispense au monde, étant reine des reines.
Autour d'elle on ne voit que lis immaculés
Multipliant partout leurs bouquets ciselés,
Et composant avec leurs girandoles blanches
Les piliers de son dais orné de roses franches.
Et ce double symbole est partout répété,
L'un, la beauté du coeur, l'autre, sa pureté.
Dans l'hémicyle entier dont l'abside est enclose
On dirait un printemps fait de lis et de rose;
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Et tout le long du mur, en panneaux divisé,
Le jour, par les arceaux des vitres tamisé,
N'éclaire que des fleurs, des rinceaux, des guirlandes,
Où des rubans sans nombre enlacent leurs légendes,
Chantant la litanie en son texte latin:
Porte du paradis! Étoile du matin!
Vase de pureté! Trône de la sagesse!
Maison d'or! Tour d'ivoire et Trésor de largesse!
Tous ces noms dont on aime, ô Vierge, à te nommer.
Car ce doux mot Marie est fait du mot aimer.
Une rose étoilée, illuminant l'enceinte,
Éclaire, au jour levant, toute l'image sainte,
A qui l'aube, on filtrant par les vitraux d'azur,
Compose un dais charmant de bleu céleste et pur.
Et toute la clarté sur elle se concentre,
Mais un petit carreau de vitre jaune, au centre
De l'étoile que fait la rose, luit, jetant,
Comme un nimbe vermeil, son rayon éclatant
Sur le front de la Vierge, et laissant, à mesure
Que son flot d'or descend sur l'autel qui s'azure,
Le jour se prosterner aux marches de granit,
Alors que le soleil va toucher au zénith.
Or, du Seigneur ainsi la maison étant faite,
L'artiste s'applaudit et, l'âme satisfaite,
Il se signe disant: - ‘Mon Dieu, tu peux venir.
Entre dans ta demeure, et daigne la bénir!’
Trois siècles tout entiers elle appelle et convie
Toute faim, toute soif à sa table de vie.
Asile où se refont les coeurs découragés,
Port de refuge ouvert à tous les naufragés,
Elle est pour tout esprit un phare, une boussole,
Un saint conseil qui parle, une voix qui console;
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Et, mettant la douceur où l'homme met le fiel,
Elle fait de son seuil le marchepied du ciel.
Surtout dans la cliapelle où ton image règne,
Mère des affligés, mère dont l'ame saigne,
Pas une angoisse, pas un deuil, pas un regret
Qui ne trouve toujours son dictame tout prêt;
Et, si navré qu'il soit, pas un coeur ne t'implore
Dans le rayon vivant que le soleil colore,
Sans que, de la douleur dont il pensait mourir
Au contact lumineux il se sente guérir.
Car le petit carreau de vitre que traverse
Ce rayon dont tout l'or devant tes pieds se verse,
Est le don liumble et saint d'un pauvre et d'un croyant.
L'aube joyeuse y met un rais plus flamboyant.
Le ciel y vient chanter son hymne de lumière,
Et l'ange des douleurs, à travers la verrière,
Quand son regard te cherche, ô Vierge de pitié,
A celui qui t'invoque en donne la moitié.
Mais, Jean l'a déjà vu dans son Apocalypse,
La vérité souvent a ses heures d'éclipse
Ainsi que le soleil lui-même dans les cieux.
L'homme sent le vrai jour s'affaiblir dans ses yeux
Et dans son coeur la foi, cette clarté de l'âme,
S'éteindre par degrés comme un foyer sans flamme.
Quand les convictions sont mortes, à quoi sert
L'autel abandonné dans le temple désert?
Léon l'Isaurien voit se rouvrir ses fastes,
Et le seizième siècle a ses iconoclastes.
L'église, où, trois cents ans, l'évangile divin
A vu se répéter son Calvaire sans tin
Et fait, avec largesse, à tant d'âmes ferventes
S'ouvrir tout le trésor de ses grâces vivantes;
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L'église, où tant d'amour à l'amour s'est uni
Et qui, par la prière, a tour à tour béni
L'enfant dans son berceau, le vieillard dans sa tombe,
Voilà qu'elle s'écroule et voilà qu'elle tombe.
Où fut l'autel? Où fut le toit aérien?
Du cadavre de pierre on ne trouve plus rien.
Des ruines que fait le temps ou que fait l'homme
Celles-ci sont toujours les plus tristes, en somme;
Car nos mains à détruire ont plus d'acharnement,
Et l'herbe de l'oubli croît plus rapidement
Sur les débris que font nos furours obstinées
Que sur ceux qu'entreprend le travail des années.
Donc l'édifice entier, sur le sol renversé,
A tous les vents du ciel le voilà dispersé,
Et l'oeil le cherche en vain sur la colline agreste.
Seul le petit carreau de vitre jaune reste,
Avec son pur rayon d'espérance et de foi.
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A Madame Nolet de Brauwere van Steeland.
Madame, laissez-moi vous en faire l'envoi.
Lorsque votre familie était encor complète,
Dans ce doux cercle où tout votre coeur se reflète,
Il était un esprit charmant et gracieux.
La splendeur de son âme éclatait dans ses yeux,
Et dans la jeune fille on entrevoyait l'ange.
De candeur et de joie ineffable mélange,
Elle avait la douceur, elle avait la beauté,
Et ce couronnement des femmes, la bonté.
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Mais voilà qu'à toujours elle s'en est allée,
Car le Ciel vous l'a prise, ô mère inconsolée,
Le Ciel étant jaloux et Dieu ne voulant pas
Que son ange restât plus longtemps ici-bas.
La terre à vous la rendre, hélas! est impuissante.
Vous n'en cherchez pas moins partout la chère absente.
Pour la revoir ainsi qu'elle était autrefois,
Par le petit carreau regardez quelquefois.
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