Briefwisseling van Hugo Grotius. Deel 2
(1936)–Hugo de Groot– Auteursrecht onbekend620. 1621 Maart 17. Van B. Aubéry du MaurierGa naar voetnoot6.Monsieur. Je ne sçaurois assez exprimer combien je repute vous estre obligé pour le singulier tesmoignage que j'ay receu de vostre condoleance sur la playe dont il a pleu à Dieu me frapper, d'autant plus que pour cet effect vous avez mesmes en quelque sorte oublié la vostre pour vous souvenir de la mienne. Si ce n'est que pour nostre amitié, les joignant ensemble vous n'en faciez qu'une adjoustant mon déplaisir au vostre, puisqu'en verité je ne puis séparer le vostre du mien. J'apprens doncq en cette lugubre occasion, que vostre constance
non ignara mali miseris succurrere novitGa naar voetnoot7.
Et vous confesse aussi que ma douleur est encor si vive, qu'elle avoit grand besoin d'un tel baume, le temps ne l'ayant que bien peu ou du tout point dimi- | |
nuée. Quant au delay, outre qu'il n'y peut avoir de prescription de tels offices, nommément venant de si bonne part, le vostre en cet égard n'a pas tant besoin d'excuse comme j'ay d'inestimable regret qu'elle soit fondée sur tel empeschement que Dieu par sa puissance et bonté fera s'il luy plaist cesser pour un bien, dont j'espère que le publicq recevra quelque jour autant d'avantage, qu'en mon particulier je trouve de soulagement en l'usage de vos si Chrestiens remèdes. Vous confessant ingenuement, qu'apres six vingts jours escoulez, depuis ce coup receu, car desormais je les conte et ils me sont des années, mon ame s'est trouvée plus susceptible de vos raisons si solides, puisées de la source de verité, procédantes d'une si sçavante et industrieuse main que la vostre, d'un coeur si bon, et d'une si franche amitié. Pour la qualité de mon mal je voy que vous en faites un soigneux examen et véritable jugement, n'obmettant aucune circonstance d'iceluy qu'elle n'ayt son lénitif: ce qui me fera souvent recourir à la lecture de ceste excellente et rare pièce, laquelle je rendray beaucoup plus longue à force de la relire, que vous ne l'avez escrite. Et ce pendant supplieray celuy qui vous a mis au coeur de me donner cette assistance par si efficacieux arguments, me faire la grace d'en tirer les conclusions et recueillir des fruits proportionnez à mon grand besoin et à vostre sincere affection envers moy. Certainement j'avois tousjours appris et creu durant le cours de ma vie, qu'il faut posséder icy bas comme ne possédant point: et que les vies de ceux, ausquels Dieu nous associe par les plus estroits liens, ne sont pas mesurées en ce monde sur le pied de nos désirs et commoditez: mesmes qu'il prendroit mal aux familles, si ceux qui en sont les principaux appuys leurs estoient soustraits, en mesme instant, nos retraites de ce val de misères ayans esté bornées à divers jours par la providence de celuy qui nous y fait passer. Mais ie suis contraint de m'accuser de m'estre trouvé comme hors d'assiette et d'escrime, quand il m'a fallu venir à la praticque de ces maximes que l'expérience de tous les siècles a prouvées si véritables: soit que l'aage dont je devançois de beaucoup celle qui m'a précédé me persuadast qu'elle me survivroit, bien que ceste raison fust de foible estoffe, soit que je ne me fusse pas assez vivement représenté, que ce qui arrive tous les jours à tant d'autres pouvoit bien avenir à moy-mesme, ou bien que suivant nostre erreur trop ordinaire j'eusse plus esloigné que je ne devois de ma pensée l'accident qui seul pouvoit davantage troubler le contentement de ma vie. Bref j'avouë avec honte et regret que ce coup m'ayant surpris, bien qu'il ne le deut pas, m'a si fort estourdi, que je ne m'en puis encor remetre, et qu'en plusieurs autres tres fascheuses rencontres et traverses, ayant tasché de paroistre aussi fort qu'un homme, en celle cy je me suis trouvé presqu'au dessous de l'infirmité d'une femme. C'est pourquoy je reviens encor à vous dire que tant plus en cette espreuve si rude ay je eu besoing du conseil et support de mes vrays amys. De vous particulièrement qui m'avez tendu la main au point que les raisons, qu'elle me fournit, pouvoient aussi tant mieux opérer en moy, que le mal commençant à prendre son cours avec le temps a receu quelque peu de trefve, et par conséquent mes sens moins troublez sont devenus plus capables de donner audience à ce qui est de mon bien. C'est de quoy par celle cy je vous rends tres-affectionnées graces avec asseurance que tel secours produit tant meilleur effect sur mon affliction que vous la consolez par expérience et par affection. Des la naissance de mon mal la personne qui vous est la plus chère ayant fait à celle que je pleure, comme office de soeur, maintenant je vous suis doublement tenu de ce que vous adjoustez en mon endroit le vostre, si signalé | |
que je le reçoy comme d'un propre frère. Sur quoy pour la fin, je vous puis véritablement professer que l'un et l'autre vivront aussi long temps en moy, que moy-mesme, et que je nourriray dans mon ame un perpetuel désir de n'en estre mesconnoissant, mais de vous pouvoir justifier par tout ce qui sera en ma puissance le vif sentiment que j'ay de ceste preuve de vostre bien-veillance. Sur cette verité je prieray nostre Seigneur très ardemment, Monsieur, qu'il console vostre captivité et mon vefvage, nous donnant ce qu'il sçait convenir à sa gloire et à nostre commun salut. C'est le voeu, Monsieur, de Vostre tres-humble et tres-affectionné serviteur
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A la Haye ce 17. Mars 1621. |