Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome VII 1579-1581
(1839)–G. Groen van Prinsterer– AuteursrechtvrijLettre CMLXVI.
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Ga naar margenoot+à Mr de Vilers et à moy, et depuis leu ce qu'elle escrit à Madame, désirant entendre là-dessus ce qu'on pourroit respondre à ces délicats théologiens. De ma part je m'asseure que v.Exc. est abondamment furnye de responce, et néantmoins, pour ne désobéir à icelle, je ne puis obmettre de dire que je m'estone fort de ce qu'ils prétendent maintenir. Car si ils disoyent que les subjects ne peuvent prendre les armes contre leur Prince pour le renger par voye de fait à la raison, on pourroit conférer les fondemens des raisons qu'ils allégeroient avec ce qu'on leur pourroit opposer, et veoir si Dieu a donné puissance absolute à un homme mortel pour faire sa volonté contre toutes loix et toute raison, et si, ny Escriture, ny exemples autenticques ne nous donnent pas quelque remède contre la tyrannye. S'ils disoyent que l'on ne peut du tout déposer son Roy naturel, ou bien que, pour le respect de la religion, on ne le peut déposer, encor y auroit-il à débattre et à balancer raisons contre raisons et exemples contre exemples; mais il semble qu'ils confessent qu'il nous soit loisible d'avoir prins les armes contre nostre Roy, et puis qu'après avoir essayé tous moyens possibles, il ne nous reste aucune voye pour nous asseurer de sa tyrannicque vengeance et pour maintenir les innocens serviteurs de Dieu contre son extrême cruauté, couverte du manteau de la religion Catholicque-Romaine, il nous soit permis de le destituer et prendre un autre Prince; mais ils nient que nous puissions prendre aucun Prince quy ne soit luymesme imbeu de la Religion et en face profession; de façon que la question vient à tomber sur ceste particularité, qui concerne plustost la personne de celuy que | |
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Ga naar margenoot+nous voudrions choisir, que non pas la question du droict; combien qu'il y ait quelque question de droict entreméslée, d'autant qu'ils disent n'estre licite de substituer au lien d'un Prince, ignorant la loy de Dieu, un autre qui en soit aussi bien ignorant, comme a esté le premier. Or en cecy je confesse qu'ils auroyent quelque droict, s'ils savoyent bien esgallement balancer l'antithèse des deux Princes; car, si nous voulions destituer nostre Roy, pour ce qu'il ne cognoit pas Dieu, et en choisir un autre qui en fust ignorant comme luy, je pense que nous aurions tort: mais il y a icy de l'abus, car nous ne destituons pas le Roy pour ce qu'il n'est pas de nostre Religion, mais pour ce que, premièrement il est tyran et oppresseur de nos loix et libertés par le ministère des estrangiers, auxquels il ne nous peut ny doit assubjettir, et puis pour ce qu'il est ennemy juré de la vraye Religion et de la parolle de Dieu, et ne veut en façon quelconque recevoir la maniance du pays, sinon à condition qu'il puisse extirper le règne de Jésus-Crist; et, par la ruine de ceux de la vraye Religion, se faire le chemin à l'oppression de toutes les libertés du pays; et que cela soit licite, je ne pense pas que nos parties le voudront nier. Que si doncques Mr le Ducq est de la mesme condicion et a le mesme desseing, j'estime qu'ils ont grande raison de le rejetter; car se seroit grande sottise à nous de changer un tyran et un persécuteur de l'Eglise, contre un autre de pareille condition et qualité; mais, s'il y a apparence et espoir qu'en lieu d'opprimer nos droicts et libertés, il les maintiendra, et, en lieu d'extirper ceux de la vraye religion, il les garentira, toutes leurs raisons et considérations sont sans vigeur. Car de dire qu'il nous faille nécessairement choisir un qui | |
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Ga naar margenoot+soit de la vraye Religion, y auroit des grandes absurdités; car si cela estoit vray, il seroit aussy vray que nous pourrions déposer un Roy ou Prince, simplement pour n'estre de la vraye Religion, car il est manifeste que pour les mesmes causes pour lesquelles il n'est licite d'accepter un Roy ou Prince qui aultrement vous est légitimement offert, pour les mesmes causes il sera loisible d'oster celuy que vous avés désjà, et si ceste reigle ne peut avoir par aventure lieu en toutes occurences ou instances que l'on pourroit alléguer, pour le moins il est vray ès poincts qui concernent le principal office des Roys, qui est le mainténement de la première et seconde table en général, c'est à dire de la piété et de la justice; car, si les Chrestiens, vivans jadis soubs les Empereurs payens, ne pouvoyent destituer leurs Princes, pour estre payens, aussi ne pouvoyent-ils refuser un Prince nouveau, qui eût esté eleu du Sénat ou légitimement appellé par les Estats, pour estre payen; et réciproquement, s'il leur eût esté loisible de refuser un Prince de nouvellement esleu, pour estre ou payen ou Spagnol, comme estoit Trajanus et Theodosius, ou pour estre persécuteur, ils eussent aussi eu légitime raison de le déboutter, après qu'il eust esté sacré, pour les mesmes raisons; et si le Sénat pouvoit rejetter l'élection de quelque Prince, pour estre, ou trop jeune, ou estranger, ou tyran, ou persécuteur, le mesme Sénat pouvoit aussi le destituer pour les mesmes considérations, après qu'il avoit esté esleu: et par ainsy ceux qui ont prins les armes contre Licinius, désjà sacré et enthronisé, en faveur de Constantin-le-grand, causants que Licinius estoit un persécuteur des Chrestiens et tyran, n'ont esté non plus blasmés que ceux qui ont | |
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Ga naar margenoot+prins les armes avec Vespasianus, pour empêcher lélection de Galba, de Otto et de Vitellius, qui n'estoient pas encore enthronizez. Or il est certain qu'en un Prince ce n'est pas la cause légitime de le destituer, de dire qu'il est d'autre religion que la vraye; il s'ensuit doncques que, quant il est question d'en eslire un nouveau par ceux qui à ce sont ordonnés, assavoir les Estats du pays, ce n'est pas cause légitime d'en refuser un, pour ce qu'il n'a la cognoissance de la vraye Religion, si on ne lui peut objetter autres tasches pour lesquelles un Prince mériteroit d'estre déposé par les mesmes Estats, si comme seroit tyrannie manifeste et injuste cruautté et oppression des gens de bien, et desseing d'extirper la vraye pieté, ou justice, ou autres choses semblables; et si l'on demande pourquoy doncques les anchiens Chrestiens n'ont la puissance de déposer les Empereurs tyrans et persécuteurs, la réponse est fort facile; assavoir, pour ce qu'ils estoyent tous personnes particulières, n'ayans puissance du glaive, ni authorité aux Estats ou membres de l'Empire, et par conséquent n'ayans nulle vocation de Dieu; mais depuis qu'ils eurent quelque authorité, comme du tamps de Constantin-le-grand, ils monstrèrent par effect que ils le pouvoyent faire, et aussi Dieu les hénit et feit prospérer contre le tyran Licinius. Mais que faut-il beaucoup de parolles, puisque l'Escriture nous monstre évidemment que Dieu pour la pluspart ayant suscité des Princes estrangiers pour délivrer Son peuple de tyrannie et de l'oppression, et mesme leur restaurer Son service, leur a donné des Roys payens et infidelles, se contentant que par leurs mandemens et édicts ils maintenoyent le peuple de Dieu en leur garde et protection. Ainsy a il esmeu le | |
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Ga naar margenoot+coeur du Roy Pharao d'Egypte, lorsque Joseph et après Jacob y descendit avec tous ses enfans; puis après le peuple d'Israel a esté maintenu soubs le Roy de Babilone, Nebucadnéser, et quelque temps après entièrement délivréGa naar margenoot+par Cyrus, Roi de Perse, et ses successeurs, Darius, Artaxerxes, et aultres. Voilà pourquoi Dieu appelle le Roy Cyrus Son serviteur, Son pasteur, Son oingt, et dit que c'est luy qu'Il a mis en poinct, qu'Il a prins par la dextre, qu'Il a nommé par son nom, combien que Cyrus, dit-Il, ne l'eut pas cogneu; aussy que nous voyons, en toute la prophétie de Daniel et de Malachie, que Dieu suscite ordinairement des Princes payens et infidèles pour garentir Son peuple, redresser Son service, et maintenir le règne de Jésus-Christ, et veut mesmes estre glorifié en cela, que les Princes qu'Il suscite pour la défence de Son peuple, ne Le cognoissent point et ne le font pas pour zèle qu'ils ont ou par conseil déterminé, mais pour ce qu'ils y sont poussés de Dieu, affin que à Dieu seul en soit rendue la gloire: car, quant Il parle de Cyrus, qu'Il le rendra victorieux par dessus ses ennemis et luy rendra subjects les gens devant sa face, Il ditGa naar margenoot+expressément qu'Il le fera pour l'amour de Son serviteur Jacob et d'Israel, Son esleu, afin que ceux qui sont vers le soleil levant et ceux qui sont vers Occident coignoissent qu'il n'y a point d'autre Dieu, sinon Luy, et qu'Il est le Seigneur et qu'il n'en y a point d'autre, formant la lumière et créant les tenèbres, faisant la paix et créant le mal ou l'adversité; bref que c'est Luy qui faict toutes ces choses. Or, si maintenant Dieu, pour monstrer Son bras puissant, nous sussite un Prince voisin, lequel soit touché en son coeur de prendre nostre protection et | |
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Ga naar margenoot+nous délivrer de la tyrannie, oppression, et calamité, auxquelles nous nous trouvons, et qu'ayant regardé tout à l'entour de nous, nous ne voyons nulle autre apparence de secours, ni autre moyen d'empescher que le sceptre de Jésus Christ n'aille renversé par terre, selon toutes apparences humaines, sera-il question d'aller tenter Dieu et, rejettant le moyen qu'Il nous donne, et nous voulant plustost conjoindre à un Baltazar, contempteur, voire ennemi juré de Dieu, pour ce qu'il a esté nostre Prince légitime, comme avoit esté Balthasar du peuple d'Israel, pour résister à Cyrus, afin qu'il ne nous délivre de la servitude Babylonicque? Car quand ils disent, ils nous faut remettre en la main de Dieu, après avoir fait tout ce que nous pouvons, ils se combattent eux-mesmes; car, si nous nous devons remettre à Dieu, il faut veoir en Sa parolle ce que Dieu est accoutumé de faire, et aux occurences qui se présentent en l'estat ce que Dieu nous offre. Il ne nous a pas promis de nous donner un Roy ou Prince qui soit de la vraye Religion, aussi n'est-Il pas tousjours accoutumé de le faire; ains, au contraire, pour maintenir tousjours Son peuple en exercise et le tenir plus vigilant, Il en use ordinairement du contraire, luy donnant quelque défenseur ou libérateur estranger, qui ne cognoisse pas du tout Dieu, voulant que Son peuple se contente de Sa grâce, en tant qu'Il lui donne un Prince équitable et qui ne persécute pas le peuple de Dieu, mais le maintient en sa protection, comme, par dessus les exemples cy-dessus allégués, il apert en Alexandrele-grand; après, préquesGa naar voetnoot1 en tous les Roys de Perse qui ont maintenu le peuple de Dieu en leur saulvegarde, et | |
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Ga naar margenoot+après aussy en Pompéje et quelques Princes Grecqs entre deux, qui ont esté, et libérateurs, et défenseurs de ce peuple, sans qu'ils ayent cogneu Dieu, comme il est liquide, par dessus le tesmoignage des histoires prophanes, hors desGa naar voetnoot1 prophéties de Daniel; et du temps de la Chrestienté, quand Dieu a voulu soulager Son peuple, Il luy a donné Princes qui fussent équitables et droituriers et ne souffrisent légèrement qu'on les persécuta à torts, sansGa naar margenoot+leur avoir toutesfois donné Princes imbeus de la vraye Religion, sinon trois-censGa naar voetnoot2 après la nativité de nostre Seigneur; et de fait St Paul nous commande de prier Dieu pour les Rois et pour tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que menions vie paisible et tranquille, en toute pieté et honesteté; ce qui est fort remarquable en ceste question, car par là il nous est monstré ce que nous faut principalement cercher aux Rois et Princes, à savoir que soubs leur protection nous puissions servir Dieu en repos et tranquillité. Il seroit bien grandement à soubhaitter que les Princes mesmes fussent illuminez en la cognoissance de Dieu, mais tant y-a que, si Dieu nous fait ceste grâce de pouvoir nous maintenir soubz eux, comme dit-est, tant s'en faut que nous les devions rejetter, pour ce qu'ils n'ont la parfaitte cognoissance de Dieu, que mesmes nous le devons tenir pour un singulier bénéfice, comme ayans obtenu le comble et le but de nos prières et prétensions; et de fait le mesme St Paul, parlant de l'obéissance que nous devons aux supériorités, allégue ce poinct pour le principal, que le glaive leur est donné pour meintenir les bons et chastier les pervers; que si doncques ils font cela, ores qu'en eux il y ait | |
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0.Ga naar margenoot+quelque faulte, ou qu'ils n'ayent parfaite cognoissance de Jésus-Christ, nous les devons tenir pour Magistrats légitimes et pour serviteurs et lieutenants de Dieu, Le prians qu'Il les vueille de plus en plus illuminer et conduire par Son Esprit. Tant s'en faut que nous puissions rejetter quelc'un, que, par les apparences de tous moyens extérieurs et des causes secondes, nous verrions nous estre offert et présenté de Dieu, pour estre nostre protecteur et mesmes pour estre nourrices de Son Eglise: car il est manifeste que, quand Il promet, par Son prophète Esaïe, que les Roys seront les nourrissiers, et les Roynes mères nourrissières de Son Eglise, Il ne parle pas seulement des fidelles qui ont Sa cognoissance, mais des payens idolâtres, comme estoit Cyrus, Darius, Artaxerxes, et autres qui ont délivré le peuple de Dieu de la tyrannie de Babylone, sans eux-mesmes cognoistre Dieu. Si donques nous voulons nous remettre à la main de Dieu, ainsi que ces théologiens disent qu'il faut faire et attendre secours de Sa dextre, il faut que nous acceptions Sa grâce, et s'Il nous présente quelque nourrisier de Son Eglise, que, par vilaine et détestable ingratitude, ou par curiosité trop chagrine et importune, nous ne nous rendions indignes d'un si grand bénéfice qu'Il nous offre; ou autrement, il est certain que, si nous mesprisons Sa gràce, Il nous abandonnera et nous laissera précipiter en l'abisme de nostre sotte sagesse, nous faisant tomber soubs le joug cruel de celuy qui nous foulera et opprimera du tout, et extirpera l'Eglise de Dieu, si aucunement il peut. Ce que eux-mesmes ne peuvent ignorer, s'ils vueillent faire comparaison de l'un à l'autre, et pourtant il faut nécessairement, ou qu'ils se condamnent eux- | |
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Ga naar margenoot+mesmes d'avoir prins les armes, par adveu et authorité des Estats-Généraulx du pays, qui en ont légitime vocation de Dieu, contre un oppresseur de la patrie et ennemy juré et irréconciliable de tous les serviteurs de Dieu et de leur chief Jésus-Christ; ou il faut qu'ils confessent que, s'ils rejettent un Prince qui leur est offert pour leur défence et mainténement contre la tyrannie et oppression, ils se rendent ingrats envers Dieu et regimbans contre Sa volonté, méritentGa naar voetnoot1 de venir soubs le joug d'une misérable vile servitude de Babylone, dont le Seigneur Dieu les vueille délivrer. Monseigneur, j'ay passé trop avant en ceste matière, et par aventure ay esté importun à v. Exc.; mais, plustost que de monstrer qu'au moindre poinct où elle m'honoreroit de ses commandemens, je ne seroye prest et prompt à luy obéir, j'ay mieux aymé pécher d'un costé que de l'autre; estimant que v. Exc. ne lira cecy qu'à son bon loisir et ne s'en servira que pour plus grande confirmation des raisons, dont je sçay que son esprit est très-abondant en ceste matière. Nostre bon Dieu vueille maintenir v. Exc. en Sa saincte et digne protection, et me donner part à ses bonnes grâces. Escrit à Anvers, ce 27 de mars 1580. De v. Exc. très-humble et très-obéissant serviteur, Philippe de Marnix.
Monseigneur. Je ne touche pas icy les autres poincts de vostre lettre en ce que concerne le fait d'Utrecht, à cause que j'estime que les circonstances sont celles que en doivent donner la sentence, et comme je ne les sçay | |
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Ga naar margenoot+particulièrement, n'en sauroye interposer jugement asseuré; aussy Mr. de Vilers en escrit bien amplement à v. Exc., auquel me conforme entièrement. Nous avons ce jourdhui député le Sr de la MouillerieGa naar voetnoot(1) avec l'auditeur général, pour prendre conformation sur le faict des Franchois et Anglois, et les appoincter s'il est possible. Datum ut s. |
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