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† Lettre DXXII.
Le Comte Jean de Nassau au Docteur Beutterich. Sur une entreprise contre la Bourgogne.
*** Il paroit que le Prince de Condé et le Duc Jean-Casimir projetoient une invasion dans la Franche-Comté; ils comptoient sur du secours de la part des Cantons Rétormés de la Suisse, et surtout aussi sur les intelligences du Prince d'Orange à Besançon et ailleurs. Héritier de la Maison de Châlons, il avoit de grands biens en Bourgogne. ‘Das Haus Chalon besasz ansehnliche Güter und Herrschaften,... theils in Bourgogne, theils... in der Franche-Comté, oder Grafschaft Burgund. Die Zahl der letzteren belief sich an dreyszig, welche über 360 Orte enthielten, unter welchen die vorzüglichsten Nozeroy, Arlay, St. Agne, Bleterans, Montagne, Orgelet, Arguel, Lons le Sauniel, Châtel-Belin, und Salins mit seinen beträchtlichen Salzwerken, waren. Auch gehörte dem Hause Chalon die Vicomté und Meierei von Besançon.’ Arnoldi, Gesch. d.N. Or. L. II. 233. - On savoit en Espagne que le Duc avoit formé ce dessein: T. IV. p. 78*.
Pierre Beutterich, Conseiller de l'Electeur Palatin, natif de Montbéliard, étoit un homme de beaucoup de science et de talent, aussi pour la guerre. En 1568 il accompagna en France le Duc Casimir, et commanda, vers 1584, une expédition dans l'Archeveché de Cologne. Il mourut en 1587.
Monsieur le docteur Beutterich. J'ay receu le pacquet qu'attendions en si grande dévotion le lendemain que vous fustes parti, dont vous envoye les lettres et procuration, vous priant de communiquer le tout à ceux que sçavez, affin que pensiez de choisir homme propre à telle charge et surtout qui soit secret et entendu; quant à
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Ga naar margenoot+moy, vous sçavez que n'en peux fournir pour le présent. Je vous prie de tenir bonne main que le tout soit bien dressé, comme j'en ay la confiance en vous, m'asseurant que ne manquerez au devoir que devez à Dieu et à Son Eglise. - Advertissez moy en diligence de tout ce que se passera. De ma part je disposeray le tout par deçà pour vous assister principalement de cavallerie, si besoing est. Il faut haster les affaires le plus que possible sera, toutesfois avec prudence et discrétion, me raportant du surplus à ce qu'avons conclu par ensemble. - Quant aux nouvelles, il n'y a autre chose, sinon que le nombre des fidèles croistGa naar voetnoot(1) tous les jours, et nos affaires s'avancent de plus en plus. En tant prieray Dieu qu'Il vous maintienne en prospérité. De Tillembourg, ce 23 de novembre 1574.
Jean de Nassau.
Ne vous esbahisez de ce que la signature est en Allemant, car quant Mr le Prince est empêché, il n'y regarde de si près, et puis il m'a envoyé autres pièces pour l'Allemagne.
A Mr le Docteur Beutterich, Conseiller de Mr l'Electeur Palatin.
Du 20 oct. au 25 nov. il se passa dans l'Assemblée des Etats de Hollande des choses bien remarquables par rapport à l'autorité du Prince et sa position vis-à-vis des Etats.
Son pouvoir étoit mal défini et souvent peu respecté. Stadhouder du Roi, Magistrat en vertu de la Commission que le Roi lui avoit donnée, réunissant, par le fait même de l'opposition des Etats au Duc d'Albe et à Réquesens, les fonctions de Gouverneur- | |
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Ga naar margenoot+Général et de Gouverneur de Province, Guillaume de Nassau, afin d'interesser et de lier d'autant plus les Etats à la cause commune, s'étoit montré, déjà avant d'arriver en Hollande, disposé à demander leurs avis, et à défèrer souvent à leurs conseils (Tom. IV. p. 1). Il ne pouvoit agir autrement; mais ce fut pour lui la source de difficultés de tout genre.
D'abord il n'étoit pas facile d'obtenir d'eux de l'argent, même en cas d'absolue nécessité. Leur parcimonie désespéroit les Officiers. Tout en détestant les cruautés du Comte de la Marck et de Sonoy, on est obligé de reconnoître que leurs services étoient souvent mal recompensés et leurs plaintes contre les Etats pas toujours sans raison. ‘De Proviantmeester van Bartel Entes, Lieutenant van den Grave van der Mark binnen Delft, heeft geklaegt als dat de soldaten geen gelt en kregen, en dat bovendien de Staten haer geen proviande en sonden, scheldende deselve voor verraders des lands:’ Bor, 424a. Ernst de Mandeslo avoit quitté le service parcequ'il ‘voioit les Etats si mal résolus et affectionnés à condescendre aux demandes:’ Tom. IV. p. 314.
Ensuite ils empiétoient de toutes parts sur les droits d'autrui. Les Villes s'arrogeoient de plus en plus une autorité que le Prince et la Noblesse affoiblie pouvoient difficilement leur disputer. Tantôt on se permettoit de faire ce qui étoit manifestement dans les attributions du Stadhoudérat; tantôt on exerçoit une juridiction qui appartenoit à la Cour de Justice (Kluit, Hist. d. Holl. Staatsr. I. 113); tantôt on s'attaquoit aux privilèges du plat pays, sans tenir compte des réclamations de la Noblesse (l.l. 114). Quelquefois même on avoit la prétention, parcequ'on contribuoit aux frais des opérations militaires, de vouloir plus ou moins en diriger la marche. ‘De steden van N. Holland en Waterland hebben Sonoy naergeseid als dat hy den aenslag sonder haer-luider wete hadde begonnen, 't welk zij hemGa naar voetnoot1 lieten beduncken dat hy niet en vermochte, of immers dat hy sulx niet behoorde te doen, nadien zyluiden de kosten en lasten mosten furneren en dragen:’ Bor, 437b.
Enfin ces Messieurs étoient aisément découragés. Ce n'étoit pas
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Ga naar margenoot+du sein de leurs Assemblées qu'émanoient d'ordinaire les actes de vigueur; en se décidant à des mesures de ce genre on y étoit le plus souvent excité par le Prince, et quelquefois presque contraint par les sentiments que les bourgeoisies manifestoient.
Le Prince faisoit partout l'office de modérateur; il voyoit avec peine tous ces ferments de discorde et se consumoit en efforts pour en prévenir ou en atténuer les facheux résultats. Pour appaiser les différends entre les villes de la N. Hollande et Sonoy, il s'y prit adroitement en leur faisant proposer pour Gouverneur le Comte de Berges: ‘Die van het Noorderquartier waren hierin seer perplex en begaen; want den Grave van Bergen en begeerden sy in geender maniere tot een Gouverneur te hebben...; sy hebben ten laetste eendrachtelyk verklaert dat sy begeren dat Sonoy in 't Gouvernement soude willen continueren.’ Bor, 571b. Souvent le Prince, bien qu'il désapprouvât la conduite des Etats, étoit forcé de dissimuler. C'est ce qu'il donnoit à entendre à la Cour de Justice et à la Noblesse, tout en déclarant qu'il désiroit les protéger: ‘men behoort nu zoozeer niet te staen op onze autoriteit:’ Kluit, l.l. Mais ce qu'il ne pouvoit à la longue supporter, c'étoit d'avoir continuellement les mains liées par le peu de dévouement des Etats, par leur nonchalance à percevoir les contributions accordées, et par le désordre de leur gestion.
Déjà en juin à l'occasion d'une demande de subsides, envoyant, de commun accord avec les Etats, des Commissaires aux Magistrats et principaux habitants des villes (‘om den Officiers, Magistraten, en Capiteinen van de schutterye, en burgeryen te vermanen tot alle goede officie.’ Bor, 509a), il avoit fait remontrer que, faute d'une assistance plus zélée, il se verroit obligé de quitter le pays: (p. 9.)
En octobre, las des tergiversations, des lenteurs, et de la confusion inouie dans les affaires, tant du Gouvernement que des finances, il s'adressa à l'Assemblée des Etats, et leur ayant exposé comment plusieurs, en regardant à lui, oublioient que la cause dont il s'agissoit, étoit celle de tous, il proposa, pour remédier à ce mal et obvier à d'autres difficultés, que les Etats prissent euxmêmes en main les intérêts du pays, le déchargeant d'un fardeau
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Ga naar margenoot+qu'il ne voyoit plus moyen de porter: ‘dat de Staten selve het gantsche Gouvernement haer sullen aennemen.’ Resol. v. Holl. 1574. p. 177.
La réponse des Etats se fit attendre. Ce ne fut que le 12 nov. qu'ils le supplièrent d'abandonner ce dessein. Ils le conjurent de continuer à les régir: ‘sy bevinden hooghnoodigh een hoofd ende overigheydt te hebben, dat sy daeromme bidden syn Exc., in aller onderdanigheydt, dat haer gelieve syne gelucksalighe Regeringe te continueren:’ l.l. Puis, confirmant, autant qu'il est en eux, le pouvoir que la force des circonstances et leur opposition contre les mesures et les Ministres du Roi lui avoient donné, ils lui défèrent un pouvoir absolu et Souverain: ‘Het gelieve S. Exc. de Superintendentie, Overigheydt, ende Regeringe, onder den naem van Gouverneur of Regent, uyt goedtwillige collatie van de Staten, Vasallen, gemeene Ingesetenen en Geërfden des Graeffelyckheydts van Hollandt, aen te vaerden; confererende syluyden tot dien fine aen syn Exc. absolute macht, authoriteyt, ende souverain bevel, ter directie van alle des gemeene Lands saken, geene uytgesondert:’ l.l.
Le lendemain, 13 nov., il fit déclarer que les sommes accordées étoient insuffisantes, et présenta quelques autres observations.
Pas encore de réponse le 22 nov. Il envoya P. Buys pour insister sur une décision: ‘sonder langer vertreck, op dat daerdoor geen gemeen verloop ende confusie in den Lande op en ryse:’ p. 197.
Le 25, après de longues délibérations, les Etats conviennent de donner, au lieu de ƒ 45,000 par mois qu'il avoit exigés, ƒ 30,000.
Ils s'étoient trompés en croyant pouvoir ainsi persévérer dans leur système de demi-mesures, et marchander sur la somme que le Prince jugeoit indispensable pour résister avec espoir de succès. Le même jour, dans l'après-midi, les Membres chargés de communiquer la décision rapportent que S. Exc. ne s'y conforme nullement: bien au contraire il en est tellement ému et troublé (‘gemoveert ende ontroert’) qu'il se plaint avec force de la lenteur
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Ga naar margenoot+des Etats, de leur légèreté, de leur négligence dans l'accomplissement de ce qu'ils avoient solennellement promis; il n'entend pas se charger plus longtemps ainsi des affaires, mais, s'ils ne peuvent tenir leurs engagements, il juge être mieux, pour eux et pour lui, qu'il prenne congé et quitte le pays, ‘met haren danck ende conservatie van syne eer,’ avec ceux qui voudront le suivre; dès lors ils seront mâitres de tout diriger à aussi bon marché que possible; à quoi servira son départ, puisqu'ils n'auront ni son traitement, à payer, ni sa Garde à entretenir.
Les débats, qui sembloient interminables, furent immédiatément terminés. On accorda la dépense et on trouva les moyens.
Plusieurs supposent que ce fut ici une simple menace du Prince et non un projet arrêté. Il est probable en effet qu'il prévoyoit l'embarras et la consternation de gens pour la plûpart timides, irrésolus, incapables de se gouverner par eux-mêmes au milieu de tant de difficultés; mais il est certain qu'il eût de beaucoup préféré sortir du pays que d'y rester avec des moyens, à son avis, insuffisants pour le sauver. Les Etats eux-mêmes en ont ainsi jugé en déliant la bourse. Kluit écrit: ‘'t Land te ruimen zal denklyk het oogmerk van den schranderen en staatkundigen Vorst niet geweest zyn dan alleen by uitersten nood, die zekerlyk toen zeer groot was:’ l.l. I. 103. Observons que le dessein du Prince n'étoit nullement motivé par la grandeur du danger, mais par le manque de résolution et de vigueur chez les Etats pour y faire face. Les Etats reconnoissent eux-mêmes ‘dat alle saecken door Godes gratie als nu in sulcken staet en gestaltenisse gebracht zyn, dat er in korte tyden naer alle apparentie niet dan een goedt ende gewenscht eynde af is te verwachten:’ Resol. v. Holl., l.l. Pour le Prince le péril fut toujours une raison non de partir, mais de rester; ce qu'il craignoit, c'étoit de succomber honteusement et au préjudice de la cause à laquelle il s'étoit dévoué. ‘Hy soude in syne reputatie ofte eere verkort ofte vermindert worden, indien 't synder aansien ende Regeringe, de Lande in handen der vyanden souden geraken, hoewel t' synder Excellenties ontschult.’ l.l.
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