Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome V 1574-1577
(1838)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij† Lettre DXV.
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Ga naar margenoot+Monsieur mon frère. Par vostre lettre du 3me jour de ce mois, j'ay veu le voiage que vous, accompaigné de Monsieur le Conte Albert de Nassauw, mon beau-frère, avez faict puis nagaires vers Monsieur le Conte Günther de Schwartzbourg, aussi mon beau-frère, lequel vous a faict bien ample récit de propos que le très hault, très puissant, et très illustre Empereur luy a tenu à l'endroict le faict de la pacification de ces païs, avec une singulière affection que Sa Majesté Impérialle démonstre pour, selon sa nayffve bonté, faire tous bons offices à ce que la chose puisse réussir à bonne et heureuse fin; dont je vous veux bien assurer qu'ay receu très grand plaisir, et suis esté fort bien aise d'entendre qu'il a pleu à Sa Majesté Impérialle interposer son authorité pour mettre ce païs en repos et tranquillité, et de ma part ne le sçauroie assé humblement remercier d'ung telle bénéfice, et peut sa dicte Majesté tenir pour tout certain qu'elle me trouvera, avec les Estats et tous les habitans de ce païs, tousjours bien prompts au mesme effect et appareillez, à nous soubmettre à toutes conditions justes et raisonnables, comme de cela et de la droite et sincère intention des Estats, sa dicte Majesté Impérialle pourra plus amplement estre esclarcie par la requesteGa naar voetnoot(1) puis quelques sepmaines ençà présentée à la Majesté du Roy d'Espaigne, de laquelle le double va joinctement ceste. Et quant à la résolution que Sa Majesté Impérialle attend sur cecy du Roy d'Espaigne, avec toute ample procuration pour traicter ce faict, je supplie de vouloir tellement illuminer le coeur de la Majesté du Roy, que les procurations que Sa | |
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Ga naar margenoot+Majesté envoyra, soient telles et si ample que, par le moyen d'icelles, ceste négociation puisse avoir tel succès, comme pour précaver et éviter la totalle ruyne de ce païs de par deçà il seroit bien requis et grandement à désirer; mais, veu de quelle façon l'on est accoustumé de procéder jusques icy avec nous, il faict fort à craindre que les procuration qui pourront venir d'Espaigne, seront si ambigues et pleines de pièges, que les Estats de ce païs ne sauront comment s'y fier, se souvenant tousjours des mots ewig und einig, qui fust faict cy-devant au contract de feu le Lantgrave de Hessen: veullant autrement bien assurer Sa Majesté Impérialle, comme desjà vous ay dict cy-dessus, que ne désirons par deçà rien plus que de veoir icy establie une bonne paix, tendant à la gloire de Dieu, service de la Majesté du Roy d'Espaigne, et au bien et repos de ses subjects. Et à ce regard supplions très humblement Sa Majesté Impérialle que, considérant le devoir de la dignité et préeminance en laquelle Dieu l'a constitué par dessus tous autres Roys et Princes de la terre, il luy plaise employer son bon crédit et authorité vers le Roy d'Espaigne, nostre Sire, affin qu'il veuille à bon escient mettre la main pour avoir bientost la fin des ces guerres intestines, et de bonne heure obvier l'entier ruyne de ces païs patrimoniaulx. A quoy aussi je me veux entièrement confier que la chose prendra tant meilleur progrès, puisqu'il a pleu à Sa Majesté Impérialle, pour encheminer cest affaire, choisir mon dict beau-frère, le Conte de Schwartzbourg, et ne m'eussent à la vérité peu venir meilleur nouvelles; comme aussi le dict Seigneur Conte sera icy plus que bien venu de tous, pour le cognoistre Seigneur sage et vertueux, | |
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Ga naar margenoot+nous assurans que comme tel il sçaura facillement juger sur l'équité et justice du différent que nous avons par deçà contre le gouvernement des estrangiers. Et touchant ce que le dict Conte de Schwartzbourg désire que, à son retour vers l'Empereur, les Estats veuillent envoyer quelques députez avec luy, se peut le dict Sieur Conte assurer qu'il n'y aura en cela difficulté, et suppliront à ce regard Sa Majesté Impérialle qu'il luy plaise faire pourveoir à leurs dicts deputez de sauve-conduict, pour aller et retourner librement, pour tant mieux estre assurez contre tout ce qu'en ung si loingtain voyage leur pourroit avenir du costel de leurs ennemis; car nous serions aultrement assez contents de la parole de Sa Majesté Impérialle, veu que ne nous sçaurions aucunement imaginer qu'ung si grand Prince et Monarche comme l'Empereur, vouldroit aller en cest affaire par dissimulation ou autrement que d'ung pied droict et condignement à sa Césarée Majesté, de tant plus que, faisant au contraire, n'y gagneroit autre chose que de livrer ung grand nombre de peuples entre les mains des bourreaux, et faire tomber le païs à jamais en une tyrannie et servitude pire Turquesque, ce qui redonderoit à ung déshonneur et disréputation éternelle pour Sa Majesté Impérialle et pour tout sa postérité; puis mesmes que les Païs de par deçà luy sont si proches. Qui est tout, Monsieur mon frère, ce que pour le présent je pourrois respondre à vostre lettre, vous priant le faire de ma part entendre à mon dit beaufrère, avec mes très affectueuses recommandations en sa bonne grâce, et remerciment de la peine qu'il luy plaist prendre tant pour mon regard, que pour le bien de ce pays, chose que luy tiendrons éternellement à obligation, | |
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Ga naar margenoot+Escript à Delft, ce 28me jour de septembre 1574. Vostre bien bon frère à vous faire service, Guillaume de Nassau. Le Prince, en manifestant sa défiance, fait allusion à la perfidie avec laquelle en 1547, on s'empara, par des propositions d'accommodement et le changement subtil d'une lettre (‘literulae unius inversa forma,’ écrit de Thou) du Landgrave Philippe. Charles-Quint lui avoit donné l'assurance qu'il n'auroit pas à subir le moindre (einige) emprisonnement; quand on fut maître de sa personne, on soutint ne lui avoir remis que la prison perpétuelle (ewige): V. Rommel, Philipp d. Grossmüth. I. 536-542. Quelques savants, entr'autres M. v. Raumer, Gesch. Eur. I. 548, ne veulent point admettre d'intention perfide, et se retranchent dans la supposition d'un simple malentendu. Sans doute il ne faut pas ajouter légèrement foi à des reproches de ce genre, même souvent répétés. Ils peuvent avoir leur origine dans des on-dits, des rapports incomplets, de faux récits, des apparences, des soupçons. Combien de fois, par exemple, n'a-t-on pas affirmé, même dans des documents contemporains, que durant les conférences de Bayonne, en 1565, Cathérine de Médicis avoit arrêté, de concert avec le Duc d'Albe, l'extermination des Protestants dans la France et aux Pays-Bas. Le Prince lui-même (III. 507), ainsi que Guillaume de Hesse (IV. 108), semble avoir partagé cette opinion. Et cependant le contraire résulte de la correspondance du Duc d'Albe avec Philippe II, du 15 juin au 4 juillet 1565, où il lui rend un compte très détaillé de cette entrevue et se plaint, amèrement et à diverses reprises, des dispositions favorables de la Reine-Mère envers les Huguenots (†MS B. Gr. xviii. p. 206-213. Esp.). Toutefois en craignant d'être crédule, on peut pousser trop loin l'incrédulité Icinous sommes de l'avis de M. v. Rommel (l.l. et N.G.v.H. I. 852, sqq.). D'ailleurs le témoignage du Prince nous semble d'un très grand poids, vu ses relations avec Charles-Quint et Granvelle, à quoi il faut ajouter que, de 1547 à 1552 (lorsque Philippe le Magnanime fut en prison, d'abord à Audenarde, ensuite à Malines), il se trouvoit d'ordinaire à Bruxelles à la Cour de la Reine de Hongrie, où l'on s'entretenoit sans doute souvent du sort malheureux du Landgrave et | |
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Ga naar margenoot+des circonstances qui avoient amené sa captivité. Le seul point douteux, dit M. v. Rommel, est la participation de l'Empereur; mais ceci paroit décidé également par quelques lignes que M. Duvernoy nous a fait remarquer dans une Lettre extrêmement intéressante du Cardinal de Granvelle, alors Evêque d'Arras, au Chancelier son père. Il lui écrit le 21 févr. 1547: ‘... Sa Majesté fait son compte de partir d'icy... pour aller en Saxen ou contre Francfort, faisant ici courir le bruyt que ce soit pour... aller là estonner l'ennemy et les villes qui luy adhèrent, estant aussy l'opinion de l'allée contre Francfort à propos tant pour esbranler les dites villes que pour presser le Lantgraff à passer plus avant en sa practicque qu'il mect en avant par le moyen du Duc Mauris de son jecter aux pieds de Sa Majesté.... Mais je ne vois que de ces mesmes conditions le Duc Maurîs soit fort asseuré... Je ne vois apparence de tant, et me semble que nostre maistre gouste la practicque si avan que une que Monsieur de Bure a mis en avant pour le prendre, [ne] vienne à effect, faisant son compte en tout cas le despouller de Cassenelbog, pour luy oster moyen de pouvoir nuyre...’ (MS B. Granv. IV). Cette phrase ne sauroit signifier autre chose sinon que l'Empereur goûte les propositions dressées par le Duc Maurice, pour autant qu'une ‘pratique que Monsieur de Buren a mis en avant pour prendre le Landgrave’ ne réussisse point. Il est plus que probable que cette pratique est la honteuse supercherie dont Philippe fut victime. M. de Buren (T. I. 1.) étoit père d'Anne d'Egmont, première épouse du Prince; celui-ci pouvoit donc, mieux que personne, être instruit de la chose et de ses détails. |
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