Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome III 1567-1572
(1836)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij† LETTRE CCCXI.
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Ga naar margenoot+ceste avecq la plus grande tristesse et fâcherie que je ne fiz oncques lettre, et ne vous scauroys mon marrissement assez exprimer ny par escript ny de bouche. Et ce que le ressentis tant, n'est pas seullement pour mon particulier, ny pour la perte que ont fait tant de gens de bien et d'honneur, mais principallement aussi pour le service du Roy d'Espaigne et de la Majesté Impérialle, et surtout pour le povre Pays-Bas, comme ne fais doubte que cognoissez l'estat du dit pays, le povez bien discourrir et considérer de par vous, la grande perte qu'ilz auront faict. J'ay ceste ferme confidence en ce bon Dieu qu'il ne permectra une si grande et injuste cruaulté sans estre chastiée et vengée, en quoy véritablement tous gens d'honneur et de valeur et mesmes ceulx qui ont eu aucune cognoissance et amitié des Seigneurs du Pays-Bas, se doibvent tant par conseil, comme de faict, ayder à venger une telle tyrannie. De tant plus que je vous puis jurer sur la foy que je doibz à Dieu et sur mon honneur, que l'on leur a faict tort devant Dieu et le monde, comme vous mesmes en povez juger faillement, comme celluy qui at tousjours veu et cognu avecq quel zèle et affection ilz ont cherché le service du Roy et du pays, exposant pour ce tant de fois si libérallement la vie et le bien, ne desirantz rien plus que par ce moyen pourchasser la grandeur et réputation du Roy. Et pour vous raconter ceste mienne grande tristesse et fascherie et inhumaine tragédie, il faut que vous saichez que le Duc d'Alve, non content de si grandes et non ouyes cruaultez jà faictz et opéréez depuis sa venue contre plusieurs inhabitans du dit pays, at le premier jour de ce mois commanché à exécuter à Bruxelles publycquement grand | |
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Ga naar margenoot+nombre de personnes, tant nobles que aultres gens de bien et de qualité, ayant duré ceste exécution et tyrannie trois jours enthiers, en dedans lesquelz trois jours il y doibt avoir exécutez le nombre de soixante gentilzhommes et gens de qualité, sans jamais avoir prins aucun regard aux grans services que eulx et leurs prédécesseurs ont tousjours faict, tant à l'Empereur Charles comme au Roy, en tout ce qu'on les a volu employer. Je ne feray icy mention des grandes exécutions advenues es aultres villes en ce mesme temps, passant le nombre de plusieurs cents personnes, pour ce que pourrez facillement comprendre, puisque leur intention est de extirper tous ceulx qui ont plus rendu peine de faire service à sa Majesté et à la patrie, qu'ilz en trouveront assez à tous costelz à quy en prendre. Et afin que povez tant mieulx entendre leur bonne affection et intention, ont mandé le 11e jour de ce dit mois Monsieur le Comte d'Egmont et Monsr le Conte de Hornes, estans prisonniers à Gand, pour venir à Bruxelles accompaignez de douze enseignes d'Espaignolz: et les ayant menez en une maison au grande marché de la ditte Ville, appellée het Broothuys, où l'on est accoustumé de tenir les festins des confrairies, et ayant eu bien mauvais tout ce jour là et toute ceste nuict, comme verrez bien amplement par le double cy-joinctGa naar voetnoot(1), les ont enfin le lendemain, la veille de la Pentecoste, exécutez publycquement en plein marché, ayant par après fiché leurs testes, pour plus grand mocquerie et deshonneur, sur deux fourches de bois, les laissant ainsi l'espace de quatre ou | |
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Ga naar margenoot+cinq heures. Je vous laisse penser s'yl y a coeur humain si dur qu'il soit, qui ne se laisse émollir et esmouvoir de ceste tyrannie, mesmes de gens qui ont cognu leur vertu, vaillance et tant d'aultres bonnes qualitez qui en eulx estoyent. Or, Monsieur Zwendy, hors de ce que dessus chacun pourrat facillement cognoistre en quel pitoyable estat les affaires d'un si fidel et florissant pays sont réduictz, et s'yl y at espérance que, par intercession de sa Majesté Impérialle ou aultres, les affaires puissiont estre par doulceur redreszées, et me semble certes que sa Majesté Impérialle doibt avoir juste occasion de ressentement, puisque icelle, comme elle l'at adverty à tous Princes, at donné quelque espoir que, sur l'intercession de sa dite Majesté, les affaires seroyent menées par plus de doulceur, raison et justice; et comme ceste espérance at esté cause que plusieurs n'ont faict les offices ny les remèdes requises au mal, ne peult estre aultrement que plusieurs penseront que le tout a esté faict par participation et advis de sa dite Majesté; de tant plus qu'icelle a monstré quelque mescontentement à ceulx qui, prévoyantz ce désastre, s'estoyent mis en debvoir pour selon leur povoir l'éviter et prévenir à leur possible; qui est cause que, pour les raisons susdits, sa Majesté ne peult moins que de le donner à entendre à ung chacun que tout ce qui at esté faict, at esté sans son sceu ny avecqGa naar voetnoot1, et par ainsi ne trouver mauvais que ceulx qui voudront entreprendre à venger ung si grand tort, ne leur soit reputé à désobéyszance ou contrevenant aux ordonnances et édictz Impériaulx, puisque l'on voyt ouvertement que ce qui se faict astheur par le Duc d'Alve | |
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Ga naar margenoot+au Pays-Bas, n'est pas seullement directement contre les constitutions et ordonnances du dit Empire, mais contre tout droict divin et humain; et d'avantaige si sa Majesté, comme je ne faiz nulle doubte, aurat par ses ambassadeurs et escriptz admonesté et requis à bon escient au Roy de vouloir guider ces affaires du Pays-Bas en toute doulceur et bénignité, et voyant que tout cela n'a rien aydé, ains aura au desestime et contemnementGa naar voetnoot1 du conseil et advis de sa dite Majesté Impérialle passé oultre en toute rigeur; ne voys auszi en vérité comme sa Majesté le peult délaisser sans s'en reszentir, point seullement pour le peu de respect et amitié que le Roy d'Espaigne démonstre à sa dicte Majesté Impérialle, mais aussi que ung pays si léal et abondant en toute richesse et bénéfices, et dont sa Majesté Impérialle, et Messeigneurs ses enffans sont si apparans d'avoir la succeszion, soit tellement destruict et ruyné, et privé de ceulx qui par leur grande léaulté, affection et debvoir, l'ont maintenu paszé tant de temps contre tant d'ennemiz et aszaultz, et par ainsi pas seullement maintenu le dits PaysBas, mais tous les aultres Royaulmes et pays du Roy et de ceulx qui après luy succéderont, et que maintenant il fault que tous ceulx-là soyent exécutez et deschaszez, seullement pour satisfaire à quelques ungs qui ne cerchent aultre chose que, par moyens violens et sanglantz, tant mieulx povoir parvenir à leur desseing de povoir gouverner absolutement, ostant et aboliszant toutes loix, privilèges et conventions, qui sont esté toutesfois les principaulx moyens de mettre le dit pays en telle prospérité que chacun l'at veu, et par ainsi le réduire en une | |
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Ga naar margenoot+désolation, ruyne et misère perpétuelle. Par où peult sa dite Majesté Impérialle estre aszeurée que venant à la succession, pour le mieulx qu'il peult aller, n'aurat q'ung pays par avant riche et opulent, et tant plein de fidelz et léaulx vaszaulx et subyectz tant nobles que ignobles, povre, deshabité, toute traffycque et marchandise retirée, les subjecz malvoluntaires, enfin une vraye proye au premier Potentat qui entreprendra quelque chose sur icelluy. Mais il faict bien à craindre que prenantz les Espaignolz une fois le pied au dit pays, que sa Majesté ne sera seullement privée de la succession du Pays-Bas, mais auszi de tous aultres Royaulmes, puisque, estans maîtres du Pays-Bas, scaivent bien que l'on ne leur peult faire nul mal d'aultre part. Il me déplaist qu'il faut que je vous donne advertance de ce grande désastre de ces deux Seigneurs, car scaiz fort bien que, pour vous avoir esté tant intrincéquesGa naar voetnoot1 et vrays amis, le reszentirez avecq moy comme la raison le veult, mais pour ce que n'ay sceu à qui mieulx me povoir addreszer pour luy donner à cognoistre ces piteulx affaires, vous en ay bien volu escripre ceste et vous prier bien affectueusement, pour la bonne affection que avez tousjours porté à moy et aultres Seigneurs du dit pays, me donner sur ce votre bon advis comment me pourroys en cecy reigler, car, considérant de plus prez ceste si grande cruaulté et tyrannie, ne pense qu'il y ait personne de sens et d'entendement qui les vouldroyt juger souffrables, sans les venger par tous moyens qu'il plaisrat au Seigneur Dieu octroyer, puisque l'on voyt si évidamment que raison ne justice n'y ont aucun lieu, mesmes que le fait | |
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Ga naar margenoot+tend à si grand desservice du Roy et à la totalle et enthiere ruyne des dit pays, à quoy me confie aussy entièrement que, selon vostre accoustumée vertu et prouesse, ne vouldriez faillir d'y ayder de corps et de biens en une cause si juste et raisonnable. D'aultre part, Monsieur Zwendy, vous prie bien affectueusement ne prendre de mauvaise part ce que je vous escrips si ouvertement de sa Majesté Impérialle, vous asseurant qu'il ne procède que de la vraie affection que j'ay au service d'icelle et pour l'impression que plusieurs pourroyent avoir de Sa dite Maté, de ce dont vous ay adverty par ceste: car n'eust esté l'espoir que les inhabitans du dict pays ont tousjours eu que sa Majesté intercéderoyt pour eulx envers le Roy d'Espaigne, comme aussi j'en ay eu ferme fiance, suyvant les promesses que sa Majesté en avoit faict aux Princes, jamais par avanture les affaires ne fussent venues si avant: parquoy si maintenant je suis avecq aultres Seigneurs du dict pays constrainst me mettre en debvoir de nous opposer contre ces barbares et inhumaines cruaultez et repousser avecq l'ayde de Dieu ces violences, je supplie très humblement sa Majesté Impérialle ne nous voulloir imputer cela à aucune faulte ou en prendre quelque mescontentement, ainsi plustost selon sa bénignité et clemence nayfve nous donner en ce ayde et assistence, pour tirer et délivrer le dict pays hors si énormes et indignes cruaultez, servitudes et misères, et le remetre en son anchienne liberté; à quoy vous prie tenir la main tant qu'il vous sera possible vers sa dicte Majesté. Et povez estre asseuré que, oultre le grand service et bien que ferez en cecy tant à la Majesté du Roy d'Espaigne qu'à la Majesté Impérialle et à tous ceulx du dict pays, | |
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Ga naar margenoot+moy et les aultres Seigneurs d'icelluy ne fauldront à tousjours le desservir où que nous pourrons employer pour vostre service. Que coignoist le souverain Créateur, auquel, Monsieur Zwendy, après mes bien affectueuses recommandations en vostre bonne grâce, je supplie vous octroyer en santé bonne vie et longue. De Dillenbourch, ce xix de juing 1568. |
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