Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome II 1566
(1835)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
[pagina XLIII]
| |
1566. | |
[pagina 1]
| |
Ga naar margenoot+Les ordres sévères et intempestifs de Philippe II devoient bouleverser les Pays-Bas. ‘C'est chose incroyable quelles flammes jecta le feu, d'auparavant caché soubz les cendres, s'espanchant une voix et opinion non seulement entre la commune, mais aussy entre la Noblesse, et que plus est, entre beaucoup de grande autorité, et ceulx des Consaulx mesmes de Sa Mté, que son intention estoit d'establir et planter par force en ces Estats et pays l'Inquisition d'Espaigne, et de procéder en toute rigueur des Placarts contre les delinquans, quelques menus delicts ou contraventions que ce fussent.’ Hopper, Mém. 62. La Confédération des Nobles fut le premier résultat de cette crainte universelle.
L'histoire de la Confédération se divise en trois périodes très distinctement marquées par les événemens. La première se termine à la présentation de la requête en avril. Protestans et catholiques s'unissent en faveur de la tolérance et des libertés du pays. On espère obtenir la surchéance de l'Inquisition et l'adoucissement des Placards. La seconde dure jusqu'en août. La Confédération acquiert une très grande influence comme intermédiaire entre la Gouvernante et le peuple, de jour en jour plus difficile à contenir. Le Roi ratifie les concessions que la Duchesse a faites, et elle se montre assez disposée à céder de nouveau. | |
[pagina 2]
| |
Ga naar margenoot+La troisième jusqu'en mars ou avril 1567. La dévastation de temples et des monastères cause une réaction subite; là commence un période d'affoiblissement, de déclin et de dissolution. A la vue de tant d'excès la plupart des catholiques s'indignent, beaucoup de protestans eux-mêmes s'effrayent: la Gouvernante profite de ces dispositions; un accord avec les Confédérés prépare leur ruine; le découragement, l'intérêt, la trahison font le reste. On lève des troupes, on réduit les villes, on oblige ceux qui résistent encore, à quitter le pays, et pour tout fruit d'une ligue si menaçante, il ne reste que le choix entre l'exil et une soumission absolue aux volontés inflexibles du Roi.
Il est assez difficile de soulever entièrement le voile qui couvre les commencemens de la Confédération. Vraisemblablement ce fut dans la réunion d'une vingtaine de Nobles, qui se trouvoient à Bruxelles pour les noces du Seigneur de Montigny, que l'on convint de signer et de faire signer un acte par lequel on s'obligeoit à empêcher de tous ses efforts que l'Inquisition fut en aucune manière introduite aux Pays-Bas. De cet acte, appellé le Compromis, il y a deux exemplaires aux Archives; l'un signé par les Comtes de Brederode et Louis de Nassau, l'autre portant aussi la signature du Comte Charles de Mansfeldt: en outre une traduction en Allemand. Nous reproduisons ici le second de ces documens, avec les variantes qui se trouvent dans le premier. M. Dumont (Corps Dipl. V. i. 134.) a traduit une traduction donnée par Bor, et l'exemplaire le plus approchant des nôtres est consigné dans un livre très recommandable, mais peu connu des étrangers; savoir la monographie du Professeur te Water sur la Confédération. (Verbond der Edelen, IV. 331.)
Sachent tous qui ces présentes verrontGa naar voetnoot1, que nous icy soubszcriptz Avons esté deuement et suffisamment advertis et informés comment un tas de gens estrangiers et nullement affectionnés au salut et prospérité des | |
[pagina 3]
| |
Ga naar margenoot+pais de par deça, non obstant qu'ils n'eussent pas grand soing de la gloire et honneur de Dieu, ne mesmement du bien publicq, Ains seullement d'assovir leur propre ambition et avarice, voire et fust ce aux despens du Roy et de tous ses subjets, toutesfois pretexants faucement le grand zèle qu'ils ont à l'entretenement de la foy catholicque et de l'union du peuple, ont tant gaigné envers Sa Maté au moien de leurs belles remonstrances et faulx enseignemens, qu'il s'est laissé persuader de voloir contre son serment et contre l'espérance en laquelle il nous a tousiours entretenus, non seullement en riens adoulcir les placarts gia faicts pour le respect de la religion, mais aussy les renforcer davantaige et mesmement nous introduire à toutte force l'inquisition, laquelle est non seullement inique et contraire à toutes loix divines et humaines, surpassant la plus grande barbarie que oncques fut practiquée entre les tirans, mais aussy telle qu'elle ne polroit sinon redonder au grand deshonneur du nom de Dieu et à la totalle ruine et désolation de tous ces Pays-bas, d'autant que soubs ombre de fausse ypocrisie de quelques uns, elle anéantiroit tout ordre et police, aboliroit toutte droicture, affoibliroit du tout l'authorité et vertu des anciennes loix, coustumes et ordonnances, gia de toutte ancienneté observéesGa naar voetnoot1, osteroit toute liberté d'opiner aux estats du pays, aboliroit tous anciens privilèges, franchises, immunités, rendant non seullement les bourgeois et habitans du dit pays perpétuels et misérables esclaves des inquisiteurs, gens de néant, mais assujettissant mêsmes les magistrats, officiers et toutte la noblesse à la miséricorde de leurs recerches et visitations, et finalement | |
[pagina 4]
| |
Ga naar margenoot+exposeroit tous les bons et fidels sujets du Roi en évidens et continuels dangers de leurs corps et biens, Au moien de quoy non seullement l'honneur de Dieu et la sainte foy catholique (laquelleeulx prétendent de maintenir) seroit grandement intéressée, mais aussi la Maté du Roy nostre chef seroit amoindrie et luy en grand hasard de perdre tout son Estast, à cause que les trafficques accoustumées cesseroient, les métiers seroient abandonnés, les garnisons des villes frontières peu asseurées, le peuple incité à continuelles séditions; bref il n'en scauroit ensuivre sinon une horrible confusion et désordre de toutes choses. - Nous ayants toutes ces choses bien poisées et meurement considerées et prenant esgard à la vocation à laquelle nous sommes appelléz et au devoir auquel tous fidels vassaulx de Sa Maté et singulièrement gentilzhommes sont tenus (lesquels à cest effect sont assistans à Sa dite Maté pour par leurs prompts et volontaires services maintenir son authorité et grandeur en pourvoyant au bien et salut du païs), avons estimé et de faict nous estimons ne pouvoir satisfaire à nostre dit devoir, sinon en obviant aux dits inconvéniens et quant et quant taschants de pourveoir à la seurté de nos biens et personnes, affin de n'estre exposéz en proye à ceulx qui, soubs ombre de religion, voudroient s'enrichir aux despens de nostre sang et de nos biens. A raison de quoy avons advisé de faire une saincte et légitime confédération et alliance, promectans et nous obligeans l'un à l'autre par serment solemnel d'empescher de tout nostre effort que la dite inquisition ne soit receue, ny introduicte en aucune sorte, soit ouverte ou cachée, soubs quelque couleur ou couverture que se puisse estre, fust ce soubs nom et ombre d'inquisition, visitation, placarts ou aul- | |
[pagina 5]
| |
Ga naar margenoot+tre quelconque, mais du tout la extirper et desraciner comme mère et occasion de tout désordre et injustice. Ayants mesmement l'exemple de ceulx du royaume de Naples devant nos yeulx, lesquels l'ont bien rejettée au grand soulagement et repos de tout leur pays. Protestans toutesfois en bonne conscience devant Dieu et tous hommes, que n'entendons en sorte que se soit, d'atenter chose laquelle polroit tourner, ou au deshonneur de Dieu, ou à la diminution de la grandeur et majesté du Roy ou de ses Estats, Ains au contraire que notre intention n'est sinon de maintenir le dit Roy en son Estat et de conserver tout bon ordre et police, résistans, tant qu'en nous sera, à toutes séditions, tumultes populaires, monopoles, factions et partialités. Laquelle confédération et aliance nous avons promis et juré et dès maintenant promectons et jurons d'entretenirGa naar voetnoot1 sainctement et inviolablement à tout jamais et en tout tamps continuellement et interruptement tant que la vie nous durera. Prenans le Souverain Dieu pour tesmoing sur nos conscienses que, ne de faict ne de parolles, ne derectement ny indirectement de nostre sceu et volonté n'y contreviendrons en façon que ce soit. Et pour icelle dite alliance et confédération ratifier et rendre stable et ferme à jamais, nous avons promis et promectons l'un à l'autre toute assistance de corps et de biens comme frères et fidèles compaignons, tenant la main l'un à l'autre que nul d'entre nous ou nos confédérés ne soit recerché, vexé, tourmenté ou persécuté en manière quelconque, ny au corps ny aux biens, pour aucun respect ou procédant de la dite inquisition, ou fondé aucunement sur les placarts tendans à icelle ou bien à cause de ceste nostre dite confédéra- | |
[pagina 6]
| |
Ga naar margenoot+tion. Et en cas que aucune molestation ou persécution escheut à aulcun de nos dits frères et alliés de quiconque et en quelque manière que ce fust, nous avons promis et juré, promectons et jurons de luy assister en tel cas, tant de nos corps que de nos biens, voire et de tout ce que sera en nostre puissance, sans rien espargner et sans exception ou subterfuge quelconque, tout ainsi comme si c'estoit pour nos personnes propres, Entendans et spécifians bien expressément que ne servira de rien pour nous exempter ou absoudre de nostre dite confédération là où les dits molestateurs ou persécuteurs vouldroient couvrir leurs dites persécutions de quelque autre couleur ou prétexte (comme s'ils ne prétendoient sinon de punir la rebellion ou autre semblable couverture quelle qu'elle fust), Moyennant qu'il nous conste vraysemblablement que l'occasion est procédée des causes susdittes. D'autant que nous maintenons qu'en tels et semblables cas ne peut estre prétendu aucun crime de rebellion, veu que la source procède d'un sainct zèle et louable désir de maintenir la gloire de Dieu, la Majesté du Roy, le repos publicq et l'asseurance de nos corps et biens. Entendans toutesfois et promectans l'un à l'autre qu'un chacun de nous en tous semblables exploicts se rapportera au commun advis de tous les frères et alliés, ou de quelques uns qui à ce seront députés, affin que sainte union soit entre nous maintenue et que ce qui sera faict par commun accord soit tant plus ferme et stable. En tesmoignage et asseurance de laquelle confédération et alliance nous avons invoqué et invoquons le très sacré nom du Souverain Dieu, Créateur du ciel et de la terre, comme juge et scrutateur de nos consciences et pensées et comme celui qui cognoist que tel est nostre arrest et | |
[pagina 7]
| |
Ga naar margenoot+résolution, Le suppliant très humblement que par Sa vertu d'enhault Il nous maintienne en une ferme constance et nous doue tellement de l'esprit de prudence et discretion, que estans tousjours pourveus de bon et meur conseil, notre desseing soit acheminé à une bonne et heureuse issue, laquelle se rapporte à la gloire de Son nom, au service de la Maté du Roi et au bien et salut publicq. Amen.
H. de Brederode. Charles Louis de Nassau. Comte de Mansfeldt.
Il s'agissoit d'une alliance des Nobles. En cette qualité ils disent avoir le droit et même l'obligation de s'opposer à ce qui pourroit causer la perte du pays. ‘Prenans esgard à la vocation à laquelle nous sommes appelez et au devoir auquel tous fidèles Vassaux de S.M. et singulièrement Gentilshommes sont tenus.’
C'est à un tas de gens estrangers qu'on reproche d'avoir ‘tant gaigné envers S.M. qu'il s'est laissé persuader d'introduire à toute force l'Inquisition.’ Il se peut qu'on entend ici en premier lieu le Cardinal de Granvelle; mais, en général, il ne faut pas oublier que la jalousie de l'influence trop exclusive des Espagnols est une des causes secondaires qui ont le plus contribué aux troubles des Pays-Bas. Les craintes pour l'indépendance du pays n'étoient nullement chimériques. ‘Rien ne touche le Roi que l'Espagne,’ écrivoit à Granvelle le Seigneur de Chantonay son frère, le 7 nov. 1564 (V. Raumer, hist. Br. I. 165). Philippe II paroissoit vouloir tout soumettre à la suprématie des Espagnols et particulièrement des Castillans. Pour s'en convaincre il faut surtout observer la composition du Conseil où le Roi mettoit en délibération les affaires de ses différens Etats. M. Ranke dit avec beaucoup de raison: | |
[pagina 8]
| |
Ga naar margenoot+‘Wie sehr musz es uns erstaunen, wenn wir sehen dasz Philipp fast durchaus aus Castilianern einen Staatsrath zusammensetzt, der die gemeinschaftlichen Geschäfte der ganzen Monarchie zu leiten beauftragt wird. Alba, Toledo, Ruy-Gomez, Feria sind sämmtlich darin. Zwey andere Spanier, Maurique de Lara und der Herzog von Francavilla werden ihnen zugesellt. Dagegen sind weder die Siege Emanuels von Savoyen, noch die Bande des Bluts, die den König mit Ottavio Farnese verknüpfen, weder die alten Dienste Ferrante Gonzaga's, noch die neuen und ausgezeichneten Egmonts stark genug ihnen darin einen Platz zu verschaffen... Selbst dem jüngeren Granvella... begnügte man sich eine allerdings wichtige, doch mit seinen frühern Verhältnissen nicht zu vergleichende Stellung in den Niederlanden zu geben. Die Uebrigen schien man nur darum zu achten, damit sie sich keinem fremden Fürsten überliefern möchten, damit sie einigermaszen bei gutem Willen blieben.’ F. und Völker, I. 153. Cette composition du Conseil royal (‘dies Verschwinden des algemeinen Regierungsrathes, dies Umgestalten des Staatsrathes in eine völlig castilianische Form,’ Ranke, l.l. 154.) étoit peut-être ce qui aigrissoit le plus, quoiqu'il fallut que les choses en vinssent aux extrêmités, avant qu'on osat se plaindre ouvertement de ce choix singulier, mais libre du Roi. Après la présentation de la requête les Seigneurs déclarèrent par le Marquis de Bergen et le Baron de Montigny ‘qu'ilz estoient résoluz de se détenir chascun en sa maison, se voyans desestimez ou pour mieux dire opprimez par les Seigneurs Espaignolz, qui chassants les aultres hors du Conseil du Roy, participent seulz avecq iceluy, et présument de commander aux Seigneurs et Chevaliers des Pays d'embas: ny plus ny moins qu'ilz font à aultres de Milan, Naples, et Sicille; ce que eulx ne veuillans souffrir en manière que ce soit, a esté et est la vraye ou du moins la principale cause de ces maulx et altérations.’ Hopper, Mémor. 79. Philippe étoit jaloux de son autorité. On pouvoit prévoir, on s'appercevoit déjà que les libertés et les droits de ses sujets, surtout lorsqu'il s'agissoit de la Foi, n'étoient pas une barrière inviolable pour lui. Parmi les indices de ses projets par rapport aux Pays-Bas il faut ranger en première ligne un Mémoire, dans lequel | |
[pagina 9]
| |
Ga naar margenoot+on propose d'ériger ces provinces en royaume, de faire une loi pour la conservation de la Foi en évitant le nom d'Inquisition, d'augmenter le nombre des Evêques, de changer les constitutions municipales, de bâtir des citadelles, etc. Ce Mémoire, communiqué par Pontanus, Hist. Gelricae, XIV. p. 895, 896 et publié déjà en 1567, a été considéré par Languet comme apocryphe. ‘Circumfertur hic scriptum de mutatione quam decreverunt facere Hispani in Inferiore Germania, hoc est, de conjungendis provinciis quae fuerunt domus Burgundicae et constituendo ex illis regno. Scriptum mihi videtur satis ineptum.’ Epist. secr. I. 41. Sa pénétration ordinaire est ici en défaut; le même projet a été trouvé dans les papiers de Granvelle, parmi les Mémoires de l'année 1559. (V. Raumer, Hist. Br. I. 159.) |
|