Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome I 1552-1565
(1841)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
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Chapitre III.
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§ I.
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qu'ils en viennent à exposer leur système, soutiennent avec ardeur et opiniâtreté des thèses diamétralement opposées. C'est ce qu'a remarqué M. Guizot lorsqu'il écrit, à l'égard des temps où chaçun a nécessairement placé les bases de son édifice: ‘L'époque du 5e au 10e siècle s'est prêtée à toutes les vicissitudes de la société, à tous les besoins de l'esprit de parti, à toutes les hypothèses de la science... Elle a été complètement et diversement méconnueGa naar voetnoot1:’ Se condamnant, se réfutant, s'entredétruisant, comme autrefois les soldats de Cadmus, nos adversaires nous épargnent presque, par cette espèce de suicide collectif, la peine de les combattre. En outre, la variété de leurs hypothèses correspond à leurs préjugés de caste ou de secte, et se ressent des opinions et des principes dominants de leur époque. ‘Lesvicissitudes,’ dit encore M. Guizot, ‘de l'opinion savante,’ lisez à demi-savante, ‘ont toujours correspondu aux vicissitudes politiques de la société mêmeGa naar voetnoot2:’ Cette conformité remarquable n'est assurément pas un indice d'un jugement impartial. Enfin leur adhésion unanime à la supposition d'une démocratie royale, aboutissant à une usurpation monarchique, repose sur des données fausses et en outre par fois ridicules. Les trois exemples suivants peuvent faire juger du reste. On affirme l'existence presque non-interrompue d'Assemblées nationales, décidant avec le Roi les affaires de l'Etat; des Champs de Mars ou de Mai législatifsGa naar voetnoot3; tandis | |
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qu'il n'y a rien, nous ne disons pas de moins avéré, mais de plus positivement faux. On soutient avec opiniâtreté que la Monarchie étoit élective; tandis qu'il est indubitable que, dès qu'elle eut acquis de la fixité, la Couronne fut considérée comme héréditaire et patrimoniale, et les Etats partagés, comme un commun héritage, entre les Princes du Sang. On répéte à satieté que le Roi et la Nation se partageoient le pouvoir législatif, et, pour preuve, on s'appuye sur un Capitulaire de Charles le Chauve qui n'a aucun rapport à l'objet auquel on le rattacheGa naar voetnoot1. | |
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Les écrivains les plus illustres sont tombés dans mille erreurs de ce genre. Il est bon d'en faire la remarque, afin de n'être pas entrainé par l'influence de leur renommée. Durant une longue suite d'années nulle autorité, en histoire et en politique, ne fut plus imposante que celle de Montesquieu. La parole du maître (ipse dixit!) ne souffroit pas de contradiction. Sans discuter ici la valeur de ses conceptions sociales et législatives, nous le récusons comme autorité historique. Moreau observe spirituellement: ‘il a trop plané au dessus de tous les Gouvernemens de l'Univers; il les voit de trop loin, et, pour défricher les premiers siècles de notre Histoire, il faut ramper à travers des broussaillesGa naar voetnoot1.’ De même M. Guizot, ayant spécialement en vue l'Esprit des Loix, écrit: ‘Un grand nombre d'écrivains, et des plus érudits, surtout dans les deux derniers siècles, sont souvent tombés dans cette erreur de prendre les documens et les témoignages historiques pêle-mêle, sans critique, sans en examiner l'authenticité, sans en bien établir la date et la valeur.... Delà néanmoins dépend toute la valeur des résultatsGa naar voetnoot2.’ M. de MablyGa naar voetnoot3, ‘proximus, sed longo proximus inter- | |
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vallo,’ a eu, de son temps, un grand nombre d'admirateurs. A une époque où l'on dédaignoit la science modeste, une manière tranchée et hautaine d'exprimer des idées jusqu'alorsinouïes sembloit un gage de pénétration et un signe de talent. Nous nous bornons à transcrire l'opinion de Mr de Châteaubriand, pas trop exigeant, croyons nous, quant à la profondeur des recherches: ‘Ses observations’ dit-il, ‘sont écrites d'un ton d'arrogance et de fatuité;... il a le désir de dire des choses immenses en quelques mots brefs; il y a peu de mots en effet et encore moins de chosesGa naar voetnoot1.’ Nous professons une haute admiration pour le rare génie de Mme de Stael; mais elle est un exemple de plus qu'en histoire le génie, sans de fortes études, est un don dangereux. On n'en bâtit que plus aisément des systèmes qui péchent par la base. Parcourez, dans les Considérations sur la Révolution, le chapitre sur l'Histoire de la France. Elle y cite avec approbation le passage d'un auteur renommé, M. de Boulainvilliers: ‘les Français étaient des peuples libres qui se choisissaient des Chefs sous le nom de rois, pour exécuter des loix qu'eux mêmes avaient établies.’ Elle ne craint pas d'affirmer ‘qu'il ne reste aucune Ordonnance des deux premières races de la monarchie qui ne soit caractérisée du consentement des assemblées générales des Champs de mars ou de mai.’ Elle déclare, sans aucun scrupule, que ‘les Rois de France, depuis Saint-Louis jusqu'à Louis XI, ne se sont point arrogé le droit de faire des loix sans le consentement des Etats-Généraux.’ En histoire cette femme illus- | |
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tre, malgré son indépendance d'esprit et de caractère, a été l'esclave des préjugés de son temps. La plupart des écrivains influents à une époque encore plus récente répètent, avec un redoublement de hardiesse, les assertions de leurs devanciers. Mr Mignet, par exemple, dans les premières pages de son Histoire de la Révolution Française, donne à plein dans les erreurs accréditées. Avec la concision et la netteté de style qui le distinguent, il a l'art de réunir un très-grand nombre d'assertions antihistoriques dans un très-petit nombre de lignes; son résumé de Droit Public est véritablement la quintessence des préjugés traditionnels. Il s'exprime ainsi: ‘Sous les premières races la Couronne était élective, la nation était souveraine, et le roi n'était qu'un simple chef militaire, dépendant des délibérations communes, sur les décisions à porter et les entreprises à faire. La nation élisait son chef; elle exerçait le pouvoir législatif dans les Champs de Mars, sous la présidence du roi, et le pouvoir judiciaire dans les plaids sous la direction d'un de ses officiersGa naar voetnoot1.’ On voit que cet écrivain n'est pas homme à biaiser et que, en ce qui regarde les commencements de la Monarchie Françoise, il a toute la hardiesse requise pour réformer l'histoire, disons mieux; pour mettre l'histoire à la réforme. Ici encore M. de Chateaubriand doit être nommé. Peu d'auteurs ont eu autant de crédit sur cette classe nombreuse de lecteurs auquel le travail de la réflexion répugne; aucun peut-être n'est, à un tel degré, à la fois superficiel et positif. Il se débarrasse fort lestement des problêmes les | |
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plus difficiles. Jamais il ne doute, toujours il affirme. Il dit, par ex.: ‘Le chef du gouvernement était électif sous les deux premières races...; des Conseils décidaient les affaires avec le RoiGa naar voetnoot1.... L'élection du Maire du Palais appartenait à la nation tout aussi bien que l'élection du roi,’ et, pour prouver cette double erreur, il cite un passage de Tacite relatif aux Germains vivant encore dans leurs antiques forêtsGa naar voetnoot2: Il parle de ‘liberté politique carlovingienne,’ et prétend qu'au 8e et 9e siècle existoient déjà les Etats ‘tels qu'ils reparurent sous Philippe le BelGa naar voetnoot3.’ Lui aussi copie d'anciennes erreurs; mais, par un bon nombre de suppositions hasardées, et surtout par les vives couleurs de l'imagination et du style, il leur prête du relief, et leur donne une apparence de nouveauté.
En regard de cette diversité d'opinions manifestées par les écrivains qui, recherchant les élégances du style et les beautés de la forme, désirant faire sensation dans le monde politique, n'eurent garde de descendre fort avant dans les profondeurs de la science, nous placerons le jugement constant et unanime des savants véritablement érudits et consciencieux, qui, peu occupés du présent, sevouèrent presqu'exclusivement à la méditation des siècles écoulés. M. de Châteaubriand a parfaitement raison, plus même qu'il ne croit ou ne désire, en disant: ‘Il n'y a pas | |
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de frère lai, déterrant dans un obituaire le diplôme poudreux que lui indiquait Don Bouquet ou Don Mabillon, qui ne fût mille fois plus instruit que la plupart de ceux qui s'avisent aujourd'hui, comme moi, d'écrire sur l'histoireGa naar voetnoot1.’ Pour connoître un pays, le simple témoignage d'un habitant est préférable aux descriptions pompeuses de cent hommes, d'esprit et de talent sans doute, mais qui donnent, par oui-dire et suppositions, leurs impressions de voyage sur une contrée où ils ne mirent jamais le pied. De même il est bon d'ajouter plus de crédit à un seul de ces Bénédictins ou autres, ornements de la France érudite, au plus obscur des infatigables travailleurs qui passèrent leur vie au milieu des diplômes et des chartes, qu'à tous ces écrivains brillants qui, sans avoir jamais sérieusement consulté les sources, mettent les intérêts de l'histoire au second rang et visent, en premier lieu, à la renommée littéraire ou au pouvoir politique. En effet, tandis que ceux-ci, à la lumière vacillante de quelques recherches vagues et incomplètes, s'égarent par mille sentiers, en courant après le feu follet d'une hypothèse, ceux-là, véritables contemporains du Moyen Age par leurs travaux et leurs veilles, marchent tous ensemble dans la même direction et se rencontrent au moins sur les principaux traits et les linéaments distinctifs de chaque époque. Les grandes questions que l'opinion dominante tranche souvent avec une admirable naïveté, sont depuis longtemps décidées par eux, dans un sens diamétralement opposé, et ces prétendus Gouvernements républicains placés en tête du Moyen Age n'existoient, à leur avis, | |
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que dans le cerveau des rêveurs philosophico-politiquesGa naar voetnoot1.
Si les Gouvernements, tels que l'Europe Moderne au seizième siècle nous les offre, n'ont pas été populaires et électifs à leur origine, de quelle autre manière ont-ils donc été formés? On ne s'attendra pas ici à une réponse détaillée à cette question. Nous ne pouvons que donner le résumé de ce qui eut lieu en France, faisant remarquer que, dans le développement de sa Constitution historique, il y a eu longtemps identité, plus longtemps encore analogie, entre ses destinées et celles des pays voisins. Et comme il est impossible de conduire le lecteur aux sources mêmes à moins de donner à une remarque faite en passant l'extension d'un volume, nous ferons appel au témoignage de deux écrivains, auxquels, pour la science des faits, aucun de ceux que nous venons de citer, ne sauroit être comparé; à Moreau dans ses Discours et à M. Guizot dans ses Essais sur l'Histoire de France. Le premier, historiographe de France du temps de Louis XVI, s'oc- | |
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cupoit, sous la protection du Gouvernement, de former une Collection générale des documents authentiques; dirigeant tous les efforts, il savoit en mettre à profit les résultats pour ses propres études et dans la composition de ses écritsGa naar voetnoot1. Quant à M. Guizot, nous n'oserions affirmer que, ramené chaque fois dans la sphère des intérêts du moment, il ait eu assez de loisir pour fouiller, à la manière des Bénédictins, dans les Archives et dans les vieilles Chroniques; nous avons avoué déjà qu'il a transporté par fois les souvenirs de son époque dans les événements des siècles passés et que ses espérances en ont coloré souvent le récit: toutefois il pénétre fort avant dans l'esprit du Moyen Age, et ne dédaigne pas les traditions de la science historique, pour mettre de vaines hypothèses à la place. On ne niera point sans doute qu'il surpasse de beaucoup la plupart de ses compatriotes par le travail de ses recherches, par la profondeur de ses vues, et par la rectitude de ses jugements. | |
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Gardons nous d'abord de chercher sous la première race, au milieu des désordres et des brigandages, conséquences inévitables de la corruption des Gaulois et de la barbarie des Germains, une Monarchie bien organisée; et toutefois ne perdons pas de vue, à travers cet assemblage confus d'éléments en fermentation, la tendance monarchique se faisant jour et prévalant, par les nécessités de la guerre, par les souvenirs des Césars, et par l'acquisition des domaines royaux. Pas d'assemblées populaires, pas de Princes électifs, pas de séparation des pouvoirs; la Royauté est une propriété de puissance, est transmissible, est un véritable patrimoine: ‘un pouvoir personnel, non un pouvoir public; une force en présence d'autres forces, non une magistrature au milieu de la sociétéGa naar voetnoot1.’ L'avènement de la seconde race ne change rien à cet état de choses; bien au contraire, la nécessité de maintenir le pouvoir royal contre les usurpations des grands fut le principe de la révolutionGa naar voetnoot2. Les Maires du Palais sauvent la Monarchie défaillante, en se mettant à la place du Souverain. Ici encore, dans ce retour au principe monarchique, il n'est question, ni ‘d'un peuple qui se gouverne lui-même en vertu d'institutions nationales, ni d'une aristocratie forte et constituée qui partage avec un Monarque le pouvoir SouverainGa naar voetnoot3.’ - Charlemagne sur- | |
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vient; singulier Chef d'une république: ‘il est le centre et l'âme de toutes choses;... en lui résident la volonté et l'impulsion; c'est de lui que tout émane pour revenir à luiGa naar voetnoot1:’ La Couronne est héréditaire et le génie est personnel. Charlemagne ne le transmit point à ses descendants. Dès lors, plus l'Empire avoit étendu ses limites, plus sa dissolution fut inévitable. Elle eut lieu par la nature des institutions même et par le développement de leurs germes vicieux. Les offices, c'est à dire, les hautes Magistratures, devinrent inamovibles; les bénéfices, c'est à dire, les terres dont le Monarque avoit cédé l'usufruit, furent conférés à vie; de là vers l'hérédité, et de l'hérédité à l'indépendance, il n'y eut qu'un pas. Le Roi fut dépouillé par le Clergé et la Noblesse. Les Grands traitèrent bientôt avec lui d'égal à égal; s'interposèrent entre le Souverain et le corps de la nation; et, n'étant plus sujets que de nom, se mettant au dessus des loix constitutives de l'Etat, rendirent leur protection nécessaire à tous ceux qui, après l'affoiblissement du pouvoir central, ne pouvant se défendre eux-mêmes, avoient besoin d'un appui. Il n'y a pas de confusion si affreuse qui ne tende à se régulariser. La société monarchique fut remplacee par une hiérarchie basée sur des pactes individuels. Le Souverain, quelque | |
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temps encore, fut le suzerain de ses vassaux; plus tard, en dehors d'un territoire fort restreint, le pouvoir royal fut entièrement annullé, oublié. Il y eut ‘une Confédération de petits despotesGa naar voetnoot1; une collection de despotismes individuels, exercés par des aristocrates isolés, dont chacun, souverain et législateur dans ses domaines, ne devoit compte à aucun autre et ne délibéroit avec personne de sa conduite envers ses sujetsGa naar voetnoot2:’ le peuple perdit son défenseur naturel et subit leur joug. A la fin, comme résultat, ‘un certain nombre d'hommes, sous le nom de seigneurs et de vassaux, établis chacun dans ses domaines, et liés entr'eux par les relations féodales, étaient les maîtres de la population et du solGa naar voetnoot3.’ Ce despotisme multiple, ce pouvoir d'autant plus violent qu'il étoit plus rapproché, devoit avoir un terme. Deux causes le battirent en brêche: la régénération de la Royauté et la naissance des Communes. Le nom de Roi, dévolu à Hugues-Capet, longtemps un vain titre, reprit une valeur réelle. A l'aide de ce titre, seul reste de son pouvoir, ‘le premier des Seigneurs féodaux travailla à se faire le maître de tous;’ et, par une révolution en sens inverse,’ à changer sa suzeraineté en souverainetéGa naar voetnoot4:’ ‘De son côté la masse du peuple essaya de reconquérir quelques libertés, quelques propriétés, quelques droits:’ | |
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Les Rois, par politique, par instinct, favorisèrent ces efforts; la Royauté et la liberté se prêtèrent un mutuel appui, et le Tiers-Etat naquit à l'ombre du pouvoir royal. ‘Au commencement du 14e siècle la royauté est à la tête de l'Etat, les communes sont le corps de la nation. Les deux forces sous lesquelles devait succomber le régime féodal ont atteint alors, non pas certes leur entier développement, mais une prépondérance décidéeGa naar voetnoot1.’ La Monarchie féodale, organisant la féodalité que plus tard elle devoit abattre, au lieu d'être la dégénération d'une République, fut la résurrection de la Royauté presqu'anéantie par les Officiers de la Couronne, par les Magistrats et le Clergé.
Après avoir tracé ces linéaments de l'histoire constitutionnelle et monarchique de la France, qui se retrouvent dans d'autres contrées avec des différences secondaires, montrons encore comment on en est venu à se tromper si généralement à cet égard. Les erreurs que nous venons de combattre, datent de loin, et il ne suffit donc pas pour les expliquer, d'avoir recours à l'influence des opinions révolutionnaires cherchant, depuis un siècle, des analogies, et, grâces à leur prisme trompeur, s'imaginant en faire une riche moisson. Sans exclure cette cause pour les publications de notre époque, nous ferons remarquer, en outre et en général, que si le Gouvernement, en France et ailleurs, n'a pas été Républicain, néanmoins, au 15e et au 16e siècle, il courut risque de le devenir et que c'est précisément cette | |
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dégénération de la Monarchie qui a faussé dès lors les doctrines politiques.
La tendance vers la République eut sa source entr'autres dans la convocation fréquente des Etats pour subvenir aux besoins du Monarque. Ces Assemblées n'avoient aucune influence directe sur le Gouvernement. En effet, qu'arrivoit-il? De simples sujets se réunissoient, par ordre du Monarque, pour subvenir à ses embarras financiers; comme toujours, ils lui devoient obéissance et respect; ils ne recevoient aucune parcelle du pouvoir. Leurs refus ne mettoient pas le Souverain aux abois; car celui-ci, sans leur concours, percevoit le revenu de ses domaines, les impôts et les droits régaliens; il étoit maitre de faire des emprunts; et l'adage ‘point de redressement de griefs, point de subsides’ ne pouvoit avoir la signification anarchique que l'organisation actuelle des Gouvernements constitutionnels lui donne. La réunion des Etats étoit quelque chose d'irrégulier, d'accidentel; une mesure extraordinaire et exceptionnelle; non pas un élément constitutif, non pas une autorité permanente dans le système gouvermental. Toutefois leur influence grandit bientôt; et cela s'explique aisément. Avant de satisfaire à la demande, il falloit, pour en examiner les motifs, entrer dans le détail et l'appréciation des actes du Souverain. Puis, dans l'occasion, on mettoit le consentement à prix; on formoit obstacle aux déterminations du Monarque; des Privilèges, qu'autrefois on eut reçus comme dons grâcieux, prenoient aisément l'apparence d'un contrat synallagmatique; et, à mesure que les Rois s'habituèrent à mettre la main qui | |
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reçoit au dessous de celle qui donne, les Etats, la Nation, et quelquefois jusqu'au Souverain lui-même, surtout au milieu de l'agitation des crises politiques et sociales, se méprirent sur le véritable caractère de ces assemblées, sur l'origine de leur droit, sur sa nature, et sur ses limites. D'autres causes encore vinrent, au 14e et au 15e siècle, donner aux tendances républicaines de la force et de l'essor. L'organisation démocratique ou aristocratique des communes, faisoit confondre la nature de l'Etat avec celle de la cité. Le retour fréquent des guerres nationales et des troubles civils contraignoit le Souverain à recourir sans cesse à la libéralité des sujets. Les rapports avec l'Italie, morcelée en Républiques, dont quelques unes avoient atteint un haut degré de splendeur, généralisèrent les doctrines de Machiavel. L'usage de la langue Latine introduisit des locutions républicaines, pour désigner des institutions monarchiques. L'autorité du Droit Romain mêloit aux souvenirs du Moyen-Age un autre ordre d'idées. L'enthousiasme pour les monuments impérissables du goût dans la littérature et dans les arts faisoit de la Grèce et de l'Italie une seconde patrie pour les savants; ils vivoient dans la Rome et dans l'Athènes des siècles passés; on désiroit imiter ces cités-modèles; les théories du Droit Public prirent l'organisation des communautés Grecques et Romaines pour base, et par là même devinrent hostiles aux Gouvernements et incompatibles avec la réalitéGa naar voetnoot1. Elles | |
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s'insinuèrent d'autant plus aisément qu'elles sembloient se prêter aussi bien aux exigences du pouvoir qu'à celles de la liberté. Les Jurisconsultes exploitèrent les souvenirs des Césars en faveur de l'autorité du Monarque. Ce fut un déplorable calcul et qui devoit aboutir à un résultat opposé. Tandis qu'ils s'imaginoient établir le pouvoir sur des fondements solides, ils en sapoient la base; car d'autres, s'appuyant sur les mêmes données, en tiroient des conséquences d'un genre tout différent. Oui, disoient-ils, le pouvoir des Empereurs ne connut pas de limites. Mais la situation de Rome alors, dans ces siècles de despotisme, étoit-elle un état normal? Au contraire; la liberté étoit anéantie, le droit du peuple méconnu, et les formes républicaines s'élevoient encore en témoignage contre l'usurpation d'une longue série de tyrans. - Les adversaires de l'autorité monarchique, profitant ainsi des faux pas de leurs antagonistes, se gardèrent de nier l'identité du pouvoir Impérial et de la Royauté moderne; ils acceptèrent la comparaison; mais ce fut pour attaquer le pouvoir dans son origine. D'analogie en analogie, on en vint à considérer la Royauté comme une oppression permanente des libertés populaires; et dès que diverses circonstances amenèrent des collisions, des griefs, on se persuada aisément que les Rois étoient des tyrans, des magistrats rebelles, des mandataires infidèles et coupables, et que les Assemblées des Etats étoient les organes légitimes d'un peuple souverain. | |
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Ainsi les Monarchies de l'Europe étoient essentiellement héréditaires et patrimoniales. L'autorité n'avoit, ni son origine, ni sa règle dans la volonté du peuple; mais, indivise et absolue, elle n'étoit cependant ni arbitraire, ni illimitéeGa naar voetnoot1; elle avoit pour loi suprême les préceptes de la justice et de l'équité et pour bornes les droits des vassaux et des sujets; par intérêt aussi bien que par devoir, elle tenoit compte des libertés et des privilèges des individus, des corporations, et des différents Ordres, des classes, des Etats de la Nation. Mais cette Constitution primitive étoit en effet fort dégénérée. Par les changements successifs des relations sociales, la plupart des institutions du Moyen Age avoient perdu leur signification et leur force. On avoit des formes surannées, sans esprit, sans vie; et le despotisme sembloit presque l'unique préservatif contre la dissolution. L'Angleterre étoit servilement soumise aux Tudor; la France avoit appris | |
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à fléchir sous la violence systématique et cruelle de Louìs XI; l'Allemagne étoit livrée, sous des chefs foibles par position ou par caractère, aux maux de l'anarchie et aux tiraillements des partis; là aussi on sentoit le besoin d'un pouvoir plus concentré et plus ferme. L'organisation historique, faussée par des abus et des empiétements divers, étoit en outre sourdement minée par les progrès de l'esprit républicain, manifestes dans les délibérations des Assemblées, dans les tendances des événements politiques, et dans les écrits des savants. Il y a de la réalité et de la force dans une opinion même erronée. Elle tend à maîtriser, à transformer ce qui existe. Partout à cette époque il étoit aisé d'appercevoir les commencements ou les signes précurseurs de l'agitation, du désordre, d'un bouleversement universel. On vit alors une situation qui devoit se reproduire, avec des symptômes semblables, mais d'après des principes bien autrement anarchiques, deux siècles plus tard. Heureusement au seizième siècle, au lieu de l'esprit impie de la Révolution pour élargir l'abyme, on eut l'esprit Evangélique de la Réforme pour le fermer. | |
§ II.
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durant 150 années, domina l'Histoire Moderne. Cette nécessité se fait doublement sentir à une époque où, d'un côté le Catholicisme-Romain, et de l'autre un Protestantisme bâtard et incrédule s'efforcent, comme à l'envi, de dénaturer et de rendre méconnoissables les principaux traits de cette régénération Chrétienne et d'en faire un simple mouvement politique ou social. C'est pourquoi nous résumerons briévement ce qu'il y a de constaté touchant les motifs, la nature, le point de départ, la marche, et les résultats de la Réforme.
Ses motifs. - Ce n'est pas surtout dans tel ou tel abus, c'est dans l'essence même du Papisme qu'on doit les chercher. La Réforme ne fut rendue inévitable, ni par le joug des cérémonies, ni par la corruption des moeurs, tant du Clergé que des laïques, ni par les prétentions de la hiérarchie, ni par les abominations des Couvents, ni par le culte des images, ni par la vente des indulgences, ni par le despotisme Papal, ni par les persécutions atroces contre ceux qu'on désignoit sous le nom d'hérétiques. Même sans commotion violente, il y eût eu moyen de s'entendre sur l'abolition d'horreurs et de scandales pareils. Beaucoup d'entre les Catholiques, sans vouloir toucher le moins du monde au dogme, déploroient ces énormités flagrantes; sentoient la nécessité et l'urgence d'un remède; déclaroient hautement qu'il falloit rétablir la discipline, veiller sur les moeurs, mettre fin à un honteux trafic, donner une autorité plus efficace aux Conciles, ne plus chercher dans les supplices une garantie de la foi. Mais, en admettant la possibilité de ces améliorations réelles, qu'en fût-il résulté? On eût ébranché | |
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l'arbre, mais sans couper le mal dans sa racine. Un prétendu vicaire du Christ s'arrogeoit insolemment l'autorité divine; l'oeuvre de l'Esprit par lequel le fidèle est sçellé pour la vie éternelle, n'étoit plus reconnue, si ce n'est par l'intermédiaire de l'Eglise visible, et sous le sceau du Vatican; les prêtres, par des traditions, souvent fausses et supposées, tordoient les S. Ecritures à leur perdition; la justification gratuite par le sang de Christ et le sacrifice vivant en actions de grâce faisoient place à l'observation des oeuvres cérémonielles et aux offrandes d'or et d'argent; un homme, pécheur et mortel, fermoit à volonté l'accès au trône des miséricordes ouvert par le Fils de Dieu. Une partie du Clergé ne connoissoit plus la Bible; le culte d'une foule d'idoles avoit remplacé celui du Seigneur; le pardon du crime étoit devenu vénal; l'incrédulité, quant au fond, étoit protégée, pourvu qu'il y eût hypocrisie dans les formes; on eût dit, sur le tombeau du Christianisme, la superstition, l'immoralité, et l'athéisme se tendant la main. Lors donc qu'il plut à Dieu de répandre son St. Esprit sur cette génération impie et perverse, tous ceux qui eurent faim et soif de la justice de Christ, éprouvèrent le besoin, non seulement de s'élever contre la manifestation extérieure et les conséquences funestes de l'erreur, mais avant tout de retremper les croyances de l'Eglise de Rome dans la Parole Sainte et dans les eaux vivantes de la foi.
La nature de la Réforme, devant correspondre à la nature du mal, fut un retour à l'Evangile. La lumière avoit été ôtée du chandelier, elle y fut replacée; on avoit obéi à | |
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l'homme, à son autorité, à sa parole, à ses commandements: on obéit de nouveau à l'autorité, à la Parole, aux commandements de l'Eternel; le Seigneur étoit enlevé, il fut retrouvé; le salut étoit obscurci, il fut remis en évidence; le Ciel étoit fermé: on entendit de nouveau la voix de Celui qui a les clefs de l'enfer et de la mort, qui est le chemin, la vérité, la vie, et la porte du Ciel.
A chaque réveil de l'Eglise Chrétienne il y a un point de départ; savoir un dogme Evangélique qui, pour ainsi dire, ouvre la marche; et, vû la liaison intime et l'unité admirable de toutes les croyances dont l'ensemble forme la voie du salut, ce dogme devient l'anneau par lequel on ressaisit la chaîne entière de la vérité. Comme l'abandon d'un seul article fondamental entraîne nécessairement l'abandon de tout le reste, de même le retour à un seul point essentiel, pour peu qu'on suive la voie à l'entrée duquel il est placé, conduit à une épuration complète et fait reconquérir l'ensemble de la doctrine par laquelle l'homme pécheur peut être sauvé. Ce point essentiel, cette vérité première fut, pour la Réforme au 16e siècle, la justification par la foi, le salut accompli, le pardon gratuit, au nom des mérites de notre Seigneur; pardon dont l'obéissance est le fruit, au lieu d'en être la condition et le moyenGa naar voetnoot1.
La marche de la Réforme fut successive et scripturaire. | |
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La Parole de Dieu fut le flambeau; on avança guidé par sa lumière: elle fut un glaive; avec cette arme flamboyante de l'Esprit, on renversa les ennemis, à mesure qu'ils se présentoient sur la route. A chaque erreur on opposa une vérité. On répondit à la doctrine des oeuvres: ‘vous êtes sauvés par grâce, par la foi; et cela ne vient point de vous; c'est le don de Dieu; non point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifieGa naar voetnoot1.’ Aux inepties sur la tendance qu'auroit le salut gratuit à rendre les Chrétiens inactifs, le verset par lequel cette déclaration sur la foi pure et simple est immédiatement suivie: ‘nous sommes créés en J.C. pour les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous marchions en elles.’ Au culte des images: ‘abstenez vous des idolesGa naar voetnoot2.’ A la messe: ‘nous sommes sanctifiés par l'oblation qui a été faite une seule fois du corps de J.C.Ga naar voetnoot3’ A la domination du Pape: ‘Paissez le troupeau de Christ, non point par contrainte, mais volontairement; non point pour un gain déshonnête, mais par un principe d'affection; et non point comme ayant domination sur les héritages du Seigneur, mais en telle manière que vous soyez pour modèle au troupeauGa naar voetnoot4.’ A l'invocation des Saints: ‘il y a un seul Médiateur entre Dieu et les hommes.Ga naar voetnoot5’ A l'exclusion des laïques: ‘il sembla bon aux Apôtres et aux anciens, avec toute l'égliseGa naar voetnoot6:’ ‘vous avez été oints par le St. Esprit et vous connoissez toutes chosesGa naar voetnoot7.’ A l'interdiction de la Bible: ‘que la Parole de Christ habite en vous | |
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abondammentGa naar voetnoot1.’ - En général les Réformateurs pouvoient dire: ‘Tu m'as rendu plus sage par tes commandements que ne sont mes ennemis, parceque tes commandements sont toujours avec moi. J'ai surpassé en prudence tous ceux qui m'avaient enseigné, parceque tes témoignages sont mon entretienGa naar voetnoot2.’
Au reste, durant le seizième siècle, on remarque dans l'histoire de la Réforme trois phases, assez distinctes en général, bien que différentes en divers pays, quant à leur durée; les temps du martyre, de la résistance, et de la sécurité. Epoque de souffrance. - Dans la sainte guerre commencée contre l'erreur de l'homme par la vérité divine, d'un côté on employoit le fer et le feu, de l'autre ‘le bouclier de la foi, le casque du salut; et l'épée de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu.’ L'Evangile se propagea rapidementGa naar voetnoot3; la prédication la plus éloquente, la plus efficace partit des bûchers. Epoque de lutte. - Après un demi-siècle les Chrétiens, las d'être martyrs, prirent les armes. Dieu lui-même sem- | |
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bloit préparer les voies et susciter des libérateurs; mais; par une conséquence inévitable de notre nature déchue, à une cause, si pure jusqu'alors, se mêlèrent bientôt les passions mondaines et les combinaisons politiques. La voix de l'Evangile, si pénétrante du milieu des tortures et du fond des cachots, fut moins persuasive sur les champs de bataille. Les Eglises se consolidèrent davantage, mais l'oeuvre se développa moins. Il y eut désormais rupture ouverte; il y eut deux camps à part et comme deux populations séparées; eette séparation mit des bornes au prosélytisme et arrêta les progrès et les conquêtes de la vérité. Epoque de repos. - Le Papisme ayant senti que la violence n'étoufferoit plus la Réforme, se résigna et posa les armes; la vérité Evangélique eut son terrain, comme aussi l'erreur eut le sien. La sécurité est souvent pour l'homme ce qu'il y a de plus fatal. N'ayant plus rien à craindre du dehors, les Protestants commencèrent à se disputer entr'eux; les Catholiques-Romains en profitèrent; dès lors il y eut une décadence marquée de la Réforme, jusqu'à ce que de nouvelles guerres de religion, amenant pour les Chrétiens une longue suite de désastres, ranimèrent les flammes languissantes de la foi.
Les résultats de la Réforme firent, depuis les thèses de Luther jusqu'à la paix de Westphalie, le fond de l'histoire Moderne. Sans entreprendre de les résumer, nous en dirons un mot sous le rapport religieux et politique. La foi vivante créa des Eglises dont le mot d'ordre fut le salut gratuit par le sang de la Croix. Prenant la Bible pour règle unique, elles formulèrent leurs croyan- | |
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ces dans ces Confessions si simples, si belles, si énergiques, dont le merveilleux accord est le témoignage le plus irrécusable de l'influence du St. Esprit qui conduit en toute vérité. Les disputes violentes qui formèrent souvent un déplorable contraste avec cette harmonie et cette unité, avoient leur source, non dans une différence de vues sur les vérités nécessaires au salut, mais dans la susceptibilité de l'orgueil humain, impatient de contradiction, voulant soumettre les vues de tous à ses vues particulières, et oubliant le précepte de St. Paul aux Philippiens: ‘Marchons suivant une même règle pour les choses auxquelles nous sommes parvenus, et ayons un même sentiment... Et, si en quelque chose vous avez un autre sentiment, Dieu vous le révèlera aussiGa naar voetnoot1.’ - Quoiqu'il en soit, la foi ne demeura point stérile; l'amendement des moeurs et le progrès des lumières manifestèrent l'influence des Eglises Evangéliques. La condition de l'Eglise de Rome devint meilleure sous un rapport et pire sous un autre. Meilleure; car cette Eglise, déchue si profondément, fut émue à jalousie et entra dans la carrière d'amélioration et de progrès: indirectement les Protestants eurent une influence très-salutaire, même sur le Papisme. Par contre le Concile de Trente fut un misérable replâtrage; il donna à des assertions erronées une sanction solennelle et irrévocable. En face des Eglises Protestantes, l'Eglise Romaine formula ces erreurs; et, après avoir, jusqu'à cette époque, gémi, comme le disoit Luther, dans la captivité de Babylone, elle devint dès lors positivement hérétique. | |
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La question religieuse domina les rapports politiques. On lui subordonna tout; organisation intérieure, guerres, alliances, traités. Les liens d'une foi commune eurent infiniment plus de force que ceux du patriotisme; et la lutte prit et garda longtemps le caractère d'une guerre, à la fois intestine et universelle. Dans le co-religionnaire étranger, on voyoit un frère; et dans le compatriote, un hérétique et trop souvent un réprouvé. L'unité de croyances devint le principe d'après lequel se formèrent les Etats. Ils furent désormais Protestants ou Catholiques-Romains. Leurs alliances eurent les sympathies Chrétiennes pour mobile et les intérêts religieux pour but. La Réforme opposa une digue à la superstition, à l'impiété, et au libertinage. Bref, la lumière reparut dans les ténèbres et l'esprit débrouilla encore une fois le chaos.
Examinons maintenant ce qu'en disent les Catholiques et ceux d'entre les Protestants qui n'ont du Protestantisme que le côté négatif. Nous avons à faire à des détracteurs fougueux et à de malencontreux panégyristes. Et d'abord renversons l'assertion première d'où les reproches des uns et les éloges des autres découlent: savoir que la Réforme a eu pour principe une liberté d'examen illimitée.
Oui sans doute, la Réforme a voulu la liberté de conscience. L'homme, vis-à-vis des autres hommes, est libre de repousser l'Evangile, libre de négliger un si grand salut, libre d'interpréter la largeur, la longueur, la hauteur, et la profondeur de la charité Divine d'après les proportions de son entendement borné et de sa raison déchue; il est | |
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libre de renier Christ, de renier Dieu; libre de méconnoître le sens, et des paroles de l'Apôtre: ‘lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres quant à la justiceGa naar voetnoot1;’ et des paroles du Seigneur lui-même: quiconque fait le péché est esclave du péché...; si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libresGa naar voetnoot2.’ Il est libre de rester dans la situation où se trouve tout homme irrégénéré; situation que l'Ecriture appelle la mort du péché et la servitude de Satan. Le Chrétien déplore cette liberté funeste: mais il sait que l'homme n'a, ni le droit, ni le pouvoir de contraindre son prochain à renoncer à l'incrédulité; que la foi est un don de Dieu, que la conviction ne cède point à la force, que le coeur doit être un sanctuaire inviolable au prêtre et au Souverain, et que tout fanatisme persécuteur est en abomination à l'Eternel. Si c'est là ce qu'on entend, l'on a raison; les martyrs Protestants ont prouvé, par la victoire de leur foi, l'insuffisance des bûchers, et la Réforme Evangélique a proclamé que les supplices ne sont pas un moyen de conversion à l'usage des Chrétiens. Mais on se trompe grossièrement, dès qu'on suppose que la Réforme ait exigé la tolérance pour la manifestation publique des croyances les plus diverses; en d'autres termes, qu'elle ait, pour ainsi dire, inauguré la souveraineté de la raison. Si les Protestants demandèrent, outre la liberté de conscience qu'ils jugeoient devoir être commune à tous, l'autorisation de leur culte, ce fut parceque ce culte étoit Chrétien, conforme aux principes et aux Confessions de | |
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la sainte Eglise Universelle, et nullement d'après un droit général, dont ils n'avoient aucune idée et dont ils eussent eux-mêmes contesté la légitimité. Les Protestants, car c'est des Chrétiens Protestants qu'il s'agit, prenoient pour guide, non pas la raison de l'homme, mais la Parole de Dieu. Toutes leurs Confessions sur ce point sont unanimes. ‘Tous les hommes d'eux mesmes sont menteurs et plus vains que la vanité mesme. Pourtant nous rejettons de tout nostre coeur tout ce qui ne s'accorde pas à ceste reigle infaillibleGa naar voetnoot1.’ Examiner, non pas si la Parole de Dieu est conforme aux idées des hommes, mais si les enseignements des hommes sont conformes à la Parole de Dieu, telle est la liberté d'examen que Rome avoit proscrite et que la Réforme revendiqua pour le Chrétien. Elle répudia l'autorité humaine, pour accepter l'autorité divine et pour amener toutes les pensées captives à l'obéissance de Christ. Les Protestants n'eurent garde de vouloir former une Eglise nouvelle, en se détachant de celle du Seigneur. Au contraire dans le maintien des vérités Evangéliques ils reconnurent l'oeuvre permanente du St. Esprit, et continuèrent la ligne des fidèles qui forme, à travers les siècles, la grande communauté des saints. Aussi leurs Confessions ne furent-elles, par rapport aux Confessions antérieures, qu'un travail complémentaire, une protestation contre des erreurs nouvelles, qui, de cette manière et comme | |
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toutes choses tournent en profit pour la vérité, ne firent que donner un développement nouveau à l'expression variée d'une foi toujours identique.
La Réforme, qui ne vouloit pas de la licence en religion, en voulut tout aussi peu en politique. Elle sanctifia l'obéissance en sanctifiant le pouvoir; elle rendit l'homme libre, non par le renversement de l'autorité, mais en lui faisant voir qu'en obéissant au souverain légitime, il obéissoit à Dieu, qui est le maître aussi du souverain. Les inégalités sociales furent à la fois maintenues et adoucies par ce sentiment d'égalité devant Celui par qui règnent les Rois et à qui tous rendront compte de leur administration. Les Principautés et les Trônes, ébranlés par les doctrines democratico-républicaines du 15e et du 16e siècle, furent replacés sur leurs véritables bases par le principe conservateur et par les doctrines anti-révolutionnaires du Protestantisme ChrétienGa naar voetnoot1. | |
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Il est incroyable jusqu'à quel point les premières illustrations de l'époque ont dénaturé ce qui se rapporte aux temps de la Réforme.
Les grands écrivains Catholiques ont multiplié des | |
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attaques, disons le hautement, indignes de leur talent et de leur juste renommée. | |
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M. de Chateaubriand, abuse du privilège qu'il a de faire lire tout ce qu'il écrit. Dans ses Etudes historiques il affirme gravement que le Protestantisme, qui cependant ne fit que tendre la main aux Pères de l'Eglise par dessus les superstitions du Moyen-Age, ‘se détacha du passé pour planter une société sans racines, et qu'il avoua pour père un moine allemand du 16e siècleGa naar voetnoot1.’ Puis il lui fait le procès dans quelques assertions dont la hardiesse va jusqu'à l'absurdité. Ainsi il prétend, par ex., que, ‘retranchant l'imagination des facultés de l'homme, le Protestantisme coupa les ailes au génie et le mit à pied; qu'il soulage l'infortune, mais n'y compâtit pas; que le pasteur protestant abandonne le nécessiteux sur son lit de mortGa naar voetnoot2; que la Réforme ébaucha Gustave-Adolphe, et n'aurait pas fait BonaparteGa naar voetnoot3:’ de toutes ces phrases étincelantes il forme un feu d'artifice, un acte d'accusation très-brillant, mais qui, dès qu'on veut le soumettre à l'analyse, s'évanouit. M. de Haller, si admirable ‘quand il foudroie et pulvérise les fausses et dangereuses doctrines d'un contrat social originaire et de la souveraineté du peupleGa naar voetnoot4:’ sembloit avoir gardé dans sa Restauration politique des | |
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ménagements envers la Réforme. On aimoit à croire que le petit-fils du fameux Albert de Haller, en qui le génie et l'érudition s'unirent à la simplicité et à la ferveur de la foi, qu'un homme élevé lui-même dans les doctrines de la Réforme et qui ne pouvoit ignorer son histoire, entraîné vers Rome par une fausse application de ses théories politiques, répugneroit toujours à se faire l'écho des outrages dont lui du moins devoit sentir l'injustice et le néant. Il a donné un éclatant démenti à cet espoir dans sa Réforme Protestante de la Suisse OccidentaleGa naar voetnoot1. L'ignorance et l'immoralité du Clergé, vers l'époque de la Réforme, est reconnue, même des plus zélés Catholiques; néanmoins M. de Haller, oubliant l'adage, ‘qui nimis probat, nihil probat,’ affirme qu'avant la révolution du 16e siècle, ‘la presque totalité des pontifes, des évêques, et des prêtres étaient irréprochablesGa naar voetnoot2.’ Répétant, sans hésiter, les invectives contre Luther, il l'appelle ‘un homme orgueilleux, impudique, qui se signale par un effronté libertinageGa naar voetnoot3:’ S'il eût consulté les sources, il n'eût pas copié les calomnies contre les RéformateursGa naar voetnoot4; il n'eût pas dit du Catéchisme de Heidelberg, où respire d'un bout à l'autre la foi et la charité, ‘qu'il ne consiste que dans une polémique sèche, haineuse et pleine de mauvaise foi contre les CatholiquesGa naar voetnoot5:’ il n'eût pas, après la lecture même d'une seule page des magnifiques commentaires de Luther sur l'Epitre aux Romains, ou sur celle aux Galates, écrit qu'il ‘fallait, selon lui, pécher beaucoup pour que la grâce abondâtGa naar voetnoot6:’ S'il eût lu et médité ce qu'il cite, il n'eut pas trouvé dans les Actes du Synode de Berne de 1532 (qu'il a, dit-il, attentivement | |
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examinés) que ‘toute la religion se réduit à une vague croyance en J.C...., sans s'embarrasser de ses commandementsGa naar voetnoot1:’ et, s'il eût voulu conserver quelqu'ombre d'impartialité, il n'eût pas cité aux Protestants Chrétiens, comme témoinsirrécusables de leur croyance, le sceptique Bayle et le rationaliste PaulusGa naar voetnoot2. | |
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M. de la Mennais, lorsqu'il prêchoit la fidélité à l'Eglise de Rome, lorsqu'il ne persifloitGa naar voetnoot1 pas encore le Pape, et qu'il avoit horreur des sophismes révolutionnaires, écrivoit que la Réforme ‘ne fut dès son origine, qu'un système de philosophie anarchique et un monstrueux attentat contre le pouvoir général qui régit la société des intelligences. Elle fit reculer l'esprit humain | |
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jusqu'au paganismeGa naar voetnoot1’ C'est là le thême qu'il a reproduit sans cesse avec la flexibilité et l'énergie de son style de feu. Une foule de passages tout aussi curieux et significatifs se trouve dans les écrits de M. de Bonald, Michelet, et autres que nous nous abstenons de citer.
Encore si nous n'avions à combattre que nos antagonistes Catholiques; mais il faut se défier en outre du secours de nos prétendus alliés Protestants. Prenons pour exemple, ‘ex uno disce omnes’, M. Guizot, si distingué par ses talents et son érudition, et dont on aime à supposer la foi plus vivante que ne sem blent l'indiquer plusieurs de ses écrits. Eh bien! en traitant la question dans son Cours d'Histoire moderne, il s'imagine pouvoir considérer la Réforme, ‘sans rien dire de son côté purement dogmatique, de ce qu'elle a fait dans la religion proprement dite, et quant aux rapports de l'âme avec Dieu et l'éternel avenirGa naar voetnoot2.’ C'est parler de la Réforme, sans parler de son principe, de son but, et de son essence. On comprend toutefois l'opinion de l'auteur, en lisant ensuite: ‘la Réforme a été un grand élan de liberté de l'esprit humain, un besoin nouveau de penser,... une grande tentative d'affranchissement de la pensée humaine, et, pour appeler les choses par leur nom, une insurrection de l'esprit humain contre le pouvoir absolu dans l'ordre spirituelGa naar voetnoot3:’ ‘La crise du 16e siècle n'était pas simplement réformatrice, elle était essentiellement révolutionaire. | |
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Il est impossible de lui enlever ce caractère, ses mérites et ses vicesGa naar voetnoot1.’ - En décrivant la Réforme d'une manière si opposée à sa nature, à sa règle, et à son but, on justifie complètement les assertions des Catholiques touchant les affinités entre elle et les aberrations les plus terribles de la Révolution. Ces idées se retrouvent chez une infinité de philosophes protestants et de théologiens rationalistesGa naar voetnoot2. Il y a plus. Ces reproches injustes et ces éloges non mérités, reparoissant partout chez les auteurs dont les études | |
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et la carrière sont en rapport direct avec la théologie, l'histoire, et la politique, ont été adoptés aveuglément et ardemment par ceux qui dans d'autres genres, en poésie, en littérature, exercent une grande influence sur l'opinion publique. On a répété, commenté, dépassé leurs bévues et leurs fausses hypothèses. Les Réformateurs et la Réforme ont été indignement travestis dans des tragédies et des romans soi-disant historiques, et dans mille et mille articles de Journaux. Chacun a lancé sa pierre ou apporté sa couronne; Voltaire et Robespierre, à n'en pouvoir douter, descendoient en droite ligne de LutherGa naar voetnoot1. Les moyens ne manquent point aujourd'hui pour rectifier de pareilles erreurs. M. Merle d'Aubigné publie son Histoire de la RéformeGa naar voetnoot2, si propre à dissiper les préjugés d'une ignorance, souvent presque complète, par la simplicité et les détails du récit. M. Ranke répand avec profusion les trésors de la science dans des Ouvrages où l'on trouve partout l'exposition consciencieuse des faitsGa naar voetnoot3. En Allemagne et ailleurs on se livre avec une | |
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ardeur nouvelle à l'étude des temps passés. Ayons donc confiance; un examen critique et de bonne foi nous suffit.
Nous n'avons qu'un mot à ajouter sur le Papisme et sur la Révolution. Le reproche de favoriser les tendances révolutionnaires, adressé à la Réforme, sied-il bien aux Catholiques? Ici encore remarquons d'abord qu'il est malaisé de saisir l'unité de la foi Romaine à travers ses transformations successives et ses contradictions manifestes. Nous ne prétendons pas nier que la Cour de Rome ait recommandé quelquefois l'obéissance au Souverain; bien au contraire, elle aussi invoquoit les principes de soumission, quand les circonstances rattachoient ses intérêts propres à l'affermissement des pouvoirs politiques. Mais, et voici ce qu'il est important de signaler, nous ne nous souvenons guère qu'à l'instar des Protestants, les Papistes persécutés ayent respecté les droits de l'autorité, à leur détriment, à leur péril, à leur perte. D'ailleurs l'obéissance au Monarque vient en seconde ligne, après celle qu'on doit au Pontife Romain. Rome semble établir dogmatiquement une suprématie complète de son Evêque sur l'Eglise et sur l'Etat. Rien de plus naturel. Le Chrétien reconnoit que toute Souveraineté temporelle, comme tout pouvoir spirituel, émane de Dieu, et qu'au Christ seul est donnée toute puissance dans le Ciel et sur la terre. Rome met le Pape à la place du Christ. Dès lors l'Evêque de Rome, s'arrogeant en tout point le Vicariat du Seigneur, se croit appelé à commander aux Empereurs et aux Rois, qu'il considère comme ses Ministres, soumis ou rebelles, | |
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auxquels il prête son appui ou qu'il destitue à volontéGa naar voetnoot1. Il domine par les Rois sur les peuples, ou par les peuples sur les Rois. Il se sert à cet effet de voies diverses. Tantôt il délie les sujets de leur serment de fidélité; tantôt il fait tourner à son profit les principes les plus dangereux. En outre il est digne de remarque que les sophismes anarchiques reproduits de nosjours et qu'on a complaisamment déduits des principes et des raisonnements qu'on supposoit avoir été ceux de Luther et de Calvin, forment au contraire la base des théories exposées, à différentes époques, avec l'assentiment formel ou tacite de la cour de Rome, dans les écrits des Auteurs Catholiques. On y prêche la souveraineté du Peuple, comme un dogme universel, applicable aux formes les plus diverses de la société; la permanence de ce pouvoir souverain; la légitimité du tyrannicide. Au dessus de tous, peuples et Rois, plane l'autorité du Pape; songer à lui désobéïr est un crime de lése-majesté divine: au reste c'est là l'unique différence d'avec les doctrines du contrat social et les dogmes du plus fougueux radicalismeGa naar voetnoot2. | |
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On parle souvent des analogies de la Révolution et de la Réforme; tàchons de les résumer. | |
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La Révolution part de la souveraineté de l'homme; la Réforme de la souveraineté de Dieu. L'une fait juger la révélation par la raison; l'autre soumet la raison aux vérités révélées. L'une débride les opinions individuelles; l'autre amène l'unité de la foi. L'une relàche les liens sociaux et jusqu'aux relations domestiques; l'autre les resserre et les sanctifie. Celle-ci triomphe par les martyres, celle-là se maintient par les massacres. L'une sort de l'abyme et l'autre descendit du Ciel. | |
§ III.
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sante du pouvoir Royal, et après que les longues guerres contre les Anglois, en ranimant la nationalité, en avoient fait sentir le prix et la force. Toutefois, à l'entrée de la carrière, elle rencontra un antagoniste; ce fut l'Autriche. Cette puissance, qui de longtemps n'eût pu se mesurer avec aucun Etat du premier ordre, décupla rapidement ses forces par la plus douce des combinaisons politiquesGa naar voetnoot1. Trois mariages lui valurent sa grandeur. Par Marie de Bourgogne, elle eut le riche domaine des Pays-Bas; par le Roi Louis, la Hongrie; par Jeanne d'Arragon, l'Espagne, Milan, Naples, et la Sicile. La France fut, de toutes parts enveloppée; surtout quand la Couronne Impériale, pomme de discorde que convoitoit François I, fut devenue le partage de son heureux rival. Dès lors, par nécessité de position non moins que par les inspirations de la jalousie, la guerre devint imminente, inévitable, interminable; jusqu'à cinq foisGa naar voetnoot2 elle éclata avec fureur; les Traités n'étoient que des Trèves, arrachées, par le besoin de réparer ses forces, à la lassitude des combattants. Les Pays-Bas et surtout l'Italie furent le théâtre de cette lutte. Le partage de l'Italie sembloit le seul moyen efficace pour concilier les antagonistesGa naar voetnoot3. Même après une tentative pareille, le résultat n'eût pas répondu à l'attente. Quand deux puissances formidables se rencon- | |
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trent partout; quand chacune d'elles aspire à une domination universelle; après s'être partagé le monde, elles redoubleroient d'acharnement pour le posséder en entier. Cette rivalité a eu de grands avantages; elle a été la sauvegarde des foibles et la garantie efficace de l'équilibre politique. Elle a préservé l'Europe du despotisme de Louis XIV; elle a rendu inutiles, à une époque antérieure, durant la guerre de 30 ans, les tentatives ambitieuses et fanatiques de l'Autriche; et l'on vit les Princes d'Allemagne, déjà au 16e siècle, recourir à la France et faire échouer, par son secours, les projets de Charles-QuintGa naar voetnoot1. Il n'y eut que la Réforme qui rapprocha plus d'une fois ces ennemis, par le triste lien d'une haine commune. En 1526, l'Empereur et le Roi s'allient pour des ‘expéditions tant contre les Turcs et infidèles que contre les hérétiques aliénés du grème de la St. EgliseGa naar voetnoot2’ En 1559, Philippe II traite avec Henri II une alliance d'extermination contre la RéformeGa naar voetnoot3. Et en 1563 Charles IX offre du secours pour le maintien de l'obéissance dans les Pays-BasGa naar voetnoot4. Néanmoins en France on étoit assez porté, par sagesse humaine, à ne pas entraver par des scrupules de religion le libre cours des intrigues politiques. La persécution des Huguenots n'empêchoit pas le Roi de former alliance avec les | |
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Protestants d'Allemagne. Dans cette complication d'intérêts divers l'Autriche suivoit une marche simple et facile; car, en combattant la France, elle réprimoit en même temps les entreprises des Princes Evangéliques. Au contraire les Princes de la Maison de Valois flottoient entre deux idées impossibles à concilier; l'extinction du Protestantisme, considéré par eux comme le germe fatal des discordes civiles, et l'abaissement de l'Espagne, dont ils voyoient avec déplaisir les formidables ressources. Tantôt, brûlant de se mettre en garde contre leur voisin, ils tâchent de le supplanter dans la succession au Trône Impérial; ils lui suscitent des difficultés dans les Pays-Bas, ils lui cherchent des ennemis jusque chez les Turcs. Tantôt, au contraire, ils craignent de nuire aux intérêts catholiques et de favoriser l'hérésie en s'alliant aux Chefs du parti de la RéformeGa naar voetnoot1.
Henri II régnoit en France depuis 1547. Ses fils lui succédèrent, François II en 1559, Charles IX en 1560. La Cour étoit livrée à la corruption et à la débaucheGa naar voetnoot2; le Royaume en proie aux troubles religieux qui prenoient de plus en plus une couleur politique. Longtemps les Protestants avoient pu dire ‘nous ne sommes pas beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles.... Eprouvés par des moqueries | |
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et par des coups, par des liens et par la prison; mis à mort par le tranchant de l'épée, errants çà et là, réduits à la misère, affligés, tourmentés, errants dans les déserts et dans les montagnes, dans les cavernes et dans les trous de la terreGa naar voetnoot1.’ Mais enfin l'Evangile avoit pénétré dans les hautes classes. Deux partis puissants s'étoient formés. D'un côté les Guise, de l'autre les Princes du sang et les Châtillon. La résignation eut un terme. On se groupa autour des hommes puissants, que Dieu sembloit appeler à être les défenseurs de la foi. Bientôt le choc des armées succéda au brûlement des hérétiques. Notre premier Tome est plein de détails sur les événements de la guerreGa naar voetnoot2, sur le caractère des personnagesGa naar voetnoot3, tant des zèlés défenseurs de Rome ou de la Réforme, que de la Reine Catherine de Médicis, longtemps contraire aux persécutions, abhorrant les guerres civilesGa naar voetnoot4, et dont Granvelle caractérise fort bien la politique, lorsqu'il écrit: ‘elle croit qu'en perpétuant la discorde entre les deux partis, elle avancera ses affaires et établira son | |
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pouvoirGa naar voetnoot1’ ‘Elle est longuement persuadée que, pour se maintenir en auctorité, il convient maintenir les deux parties, que, comme je tiens, sera la ruyne du Royaulme et du Roy son filzGa naar voetnoot2.’ Bien que des motifs particuliers se mêlassent de part et d'autre aux discordes civilesGa naar voetnoot3, chez plusieurs le zèle de la religion ne fut pas douteux; et, quoique les Calvinistes de France, après avoir saisi les armes, n'ayent pas toujours, dans la pratique, respecté scrupuleusement les droits du Souverain, ils étoient bien loin cependant de les méconnoître entièrement, même au plus fort de la lutteGa naar voetnoot4. Les événements de la France agirent puissamment sur les Pays-Bas. La foi est communicative; des émissaires et des émigrés François y prêchèrent l'Evangile, et le désir de suivre l'exemple des Huguenots se fortifioit à l'ouïe aussi bien de leurs souffrances que de leurs succès. La situation des partis, la nature des intérêts, étoit à peu près la mêmeGa naar voetnoot5. En 1560, Granvelle redoute une | |
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altération dans les Pays-Bas, si les mouvements de révolte en France continuentGa naar voetnoot1: en 1562, il craint que quelques uns ne soient à l'affût, désirant le succèsGa naar voetnoot2: en 1564, on se plaint ‘que les Franchois et même les Huguenotz de France mènent incessamment les practicques contre ces paysGa naar voetnoot3. Les Franchois se vantent de beaucoup d'intelligencesGa naar voetnoot4.’ La fraternité Chrétienne avoit ici des antipathies à surmonter. On n'aimoit pas les François dans les Pays-Bas, pas même dans les Provinces WallonnesGa naar voetnoot5. La déhance envers eux avoit de bons motifs. ‘Quand ils flattent,’ dit Granvelle, ‘ils ont desseing de tromperGa naar voetnoot6.’ De même Madame de Bréderode: ‘quand ils montrent bon visage, on est asseuré qu'ils couvent quelque chose de malGa naar voetnoot6.’
Nous allons considérer la Maison de Habsbourg dans ses relations avec l'Empire et avec ses Etats patrimoniaux. En 1555 eut lieu l'abdication de Charles-Quint. Son âge mûr fut l'époque de ses revers. Peu d'hommes furent, à un tel degré, le favoir et le jouet de la fortune. A sept ans, Seigneur des Pays-Bas; à quinze, Roi d'Espagne et de Naples, et Duc de Milan; à dix-huit, Chef de l'Empire; à vingt-quatre, maître, par la bataille de Pavie, de son rival captif; quelle destinée, quel avenir! Mais des événements divers | |
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interrompent le cours de ces prospérités: l'ennemi terrassé se relève, la guerre recommence, les difficultés se multiplient; l'Allemagne, divisée par la Réforme, augmente les embarras de tout genre; les Princes Allemands se coalisent, résistent, menacent. Toutefois ce n'est qu'une crise passagère. La France accepte la paix; Charles-Quint en profite; il écrase les Protestants d'Allemagne; tout tremble, tout obéit, et la guerre de Smalcalde, en 1547, semble mettre un terme à toutes les résistances. Jeux bizarres du sort, disons mieux, dispensations justes et sévères de l'Eternel! A son apogée, cet astre brillant pâlit et marche rapidement vers son déclin. AmisGa naar voetnoot1 et ennemis se réunissent, et le vainqueur superbe se sauve à peine par une fuite précipitée, poursuivi par ceux-mêmes qu'il avoit comblés de bienfaits. Après avoir acheté la paix par de grands sacrifices, il veut venger ses injures sur la France et ressaisir les districts envahis par elle: nouveau mécompte; il est forcé de lever le siège de Metz. Aux souffrances de l'âme se joignent celles du corps; des maladies l'assaillent, sa vigueur l'abandonne; et, tandis que les dangers redoublent, la force pour les affronter lui échappe. Ayant eu trois projets favoris, l'union de l'Empire avec l'Espagne, l'extirpation de la Réforme, et l'abaissement de la France, il désespère de leur réussite. Ferdinand son frère, jaloux de la Couronne Impériale, lui refuse ce qu'il désiroit, soit pour le bien de l'Empire, soit pour la grandeur de la Maison de Habsbourg; et les vicissitudes que l'Empereur éprouve, lui | |
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font craindre d'être forcé à ternir l'éclat de son règne en signant à la fois le triomphe de la France et celui des Protestants. Faut-il s'étonner qu'il ait senti les atteintes du découragement, qu'il ait déposé la couronne, qu'il ait cherché la solitude, le recueillement, et la mort; que, dégoûté des choses de la terre, il ait cherché peut-être celles du Ciel! L'opposition très-vive de FerdinandGa naar voetnoot1 fut un bonheur pour l'Allemagne et la Chrétienté: sans elle, la Maison de Habsbourg eût acquis une puissance presqu'irrésistibleGa naar voetnoot2. Au contraire, le souvenir d'une tentative pareille fut un germe de désaccord dont les ennemis de cette Dynastie surent tirer plus d'une fois parti. Philippe II semble | |
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avoir entièrement abandonné l'idée de fixer l'Empire dans sa FamilleGa naar voetnoot1; formant des relations en Allemagne, il évite tout ce qui pourroit alarmer Ferdinand: étant ‘d'intention de faire et dresser quelque ligue avec aulcungs Princes de l'Empire, sa M. n'a voulu mestre ce en train sans préalablement en avoir le bon avis du Roy des RomainsGa naar voetnoot2;’ et celui-ci de son côté répond avec une grâce et une obligeance parfaiteGa naar voetnoot3. Mais le trait avoit pénétré fort avant dans l'âme de MaximilienGa naar voetnoot4. Du même âge que Philippe, il y avoit entr'eux antipathie et contrasteGa naar voetnoot5. La défiance et la jalousie fortifièrent cette inimitié naturelle. Rival, adversaire du Roi d'Espagne dans tous les intérêts de famille, Maximilien, par là même, étoit l'espoir des mécontentsGa naar voetnoot6. Les forces de la Maison de Habsbourg perdirent l'unité | |
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qui les avoit doublées sous Charles-Quint. L'Autriche et l'Espagne furent des Puissances distinctes et quelquefois séparées.
La ligne Autrichienne eut Ferdinand I et Maximilien II pour Chefs. Tous deux se concilièrent, ce qui n'étoit pas alors chose facile, amour et respect. Maximilien II étoit partisan de la Réforme. Les Protestants attendoient de lui de vigoureuses résolutions. Il alloit, croyoit-on, marcher sur Rome et contraindre le Pape à se renfermer dans les limites de ses droits spirituelsGa naar voetnoot1. Mais il s'apperçut bientôt qu'il ne suffit pas de vouloir, qu'exécuter est moins facile que promettre, et | |
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que la position de Prince héréditaire n'est pas la même que celle de Souverain.
Le pouvoir Impérial étoit considérablement diminué. Au 15e siècle l'Empereur Fréderic III fut réduit par fois à un dénuement qui faisoit pitiéGa naar voetnoot1 et qui rendoit fort difficile le maintien de ses prérogatives. Maximilien I, son fils, eut à soutenir, de 1493 à 1517, une lutte presque non interrompue contre les Etats de l'Empire; ceux-ci formèrent avec persévérance une organisation, une opposition compacteGa naar voetnoot2, dont la résistance étoit redoutable et qui sut profiter aussi, d'abord de la jeunesseGa naar voetnoot3, et plus tard des embarras de Charles-Quint. Ce que nous avons dit de l'Europe en général, touchant le manque de fixité dans les rapports, s'applique particulièrement à l'Allemagne. Là surtout il y avoit cette agitation intérieureGa naar voetnoot4, ce balancement des esprits, inséparable de chaque époque où les institutions, ayant survécu à leur principe, ne possédent plus aucune garantie de leur | |
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durée. Chacun aspiroit à l'indépendance, et faisoit bon marché de celle d'autrui. L'affaissement du pouvoir légitime amenoit le règne de la violence et du désordreGa naar voetnoot1. On en étoit à cette alternative fatale où il n'y a de choix qu'entre l'anarchie et le despotisme. La Réforme (car c'est à elle qu'est dû ce service immense) remit au jour un principe d'obéissance et de liberté; toutefois elle ne mit l'ordre dans le chaos, qu'après un demi-siècle de déchirements affreux. Outre les luttes sans cesse renouvelées contre les Turcs et contre la France, il y eut la guerre des paysans, en 1525; les ligues et les contreligues des Catholiques et des Protestants; les excès criminels des Anabaptistes; le rétablissement du Duc de Wurtemberg à main armée, en 1534; l'expédition contre le Duc de Brunswick, en 1545; les triomphes de l'Empereur, en 1547, et ses défaites, en 1552. Et quelle fut, dans l'organisation politique, l'issue de cette série de guerres, de révolutions, et de désordres? La consolidation et l'accroissement du pouvoir des Princes; leur Souveraineté territoriale triomphaGa naar voetnoot2. Ils profitèrent aux dépens de l'Empereur et du PapeGa naar voetnoot3. | |
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La Réforme agrandit le cercle de leurs attributions. Le pouvoir Impérial fut de beaucoup restreint. L'Allemagne devint ainsi une espèce de République féderative et presque une association de SouverainsGa naar voetnoot1, présidée, d'après les loix d'un contrat réciproque, par un chef électif. La résistance, au lieu d'ébranler, vint encore consolider ce pouvoir. Les Comtes, les Chevaliers, les Villes, accoutumés aux rapports directs avec l'Empire, qui d'ordinaire mettoient peu d'entraves à leur liberté, redoutoient fort une suprématie souvent insolente et tracassière de la part de cette nouvelle classe de Seigneurs. La répugnance à plier sous un joug que plusieurs considéroient comme illégitime, le désir de conserver ou de reprendre une indépendance à laquelle on attachoit un si haut prix, causèrent une fermentation prolongéeGa naar voetnoot2, qui, par de sourdes menées et des commotions violentes, trou- | |
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bla le repos de l'Allemagne. Les projets vagues et gigantesques de Sickingen se rattachoient à cette opposition turbulenteGa naar voetnoot1; ceux de Grumbach, mis à mort comme brigand, mais dont les desseins avoient une haute portée, en furent, un demi siècle plus tard, pour ainsi dire, un dernier écho. Sa défaite fut pour la Noblesse moyenne un coup mortel.
L'Allemagne, plus qu'aucun autre pays, mérite le nom de patrie de la Reforme. Les destinées de la vérité Evangélique y sont le centre vers lequel tous les événements aboutissent. Le Protestantisme (nous parlons ici des armes, non de la chair, mais de l'Esprit) attaqua d'abord; il fut réduit à se défendre plus tard. Entre ces deux époques la Paix de Religion, en 1555, forme la limite. Le besoin impérieux de repos assura seul quelque durée à ce pacte; c'étoit du reste un singulier compromis; car, au lieu de résoudre les difficultés, il ne faisoit que constater, par des décisions et des réserves, les points sur lesquels devroit un jour recommencer la lutte. Après cette paix, l'incompatibilité entre Rome et la Réforme fut bientôt constatée. ‘Il n'y a pas d'accord possible,’ disoit un Prince Evangélique, ‘entre Christ et | |
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Bélial: les Papistes trouveront toujours moyen de faire condamner et de poursuivre les vrais ChrétiensGa naar voetnoot1.’ Aussi les Protestants n'étoient pas toujours dupes des prévenances Catholiques: on n'a qu'a lire la réception peu amicale des envoyés du Pape à la Conférence de NaumbourgGa naar voetnoot2. Bientôt la séparation devint complète; il dût en être ainsi, quand le Concile de Trente eut stéréotypé les erreurs de Rome, en les résumant sous la forme de dogmes irrévocablesGa naar voetnoot3. Il y eut réaction du Catholicisme-Romain, dans une grande partie de l'Europe et surtout en Allemagne; les Jésuites mirent à cette oeuvre de la suite, et y déployèrent une extrême persévérance et une grande habileté. Il y avoit une question bien importante, sur laquelle dans les Diètes les Protestants revenoient chaque fois à la charge. Ils prétendoient que les Evêques devoient rester Evêques, même après avoir embrassé la Réforme: Rome, au contraire, ayant le sentiment que, privée de l'appui des intérêts mondains, elle seroit perdue sans ressource, n'osant donc lutter à armes égales, écartoit chaque annéeGa naar voetnoot4 | |
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une solution qui lui eût, complétement et définitivement, enlevé l'Allemagne. Les liens de la communion Evangélique ne furent que trop souvent déchirés par les disputes entre les Luthériens et les Calvinistes; relatives à la signification de quelques dogmes, particulièrement au mode de la présence réelle du corps de notre Seigneur dans les signes Eucharistiques. On n'examina point ces questions subtiles avec la modération et la tolérance que l'Evangile prescrit à l'égard de tous et surtout envers des frères en Christ. Les passions s'en mêlèrent; la jalousie, l'ambition, l'orgueil, l'animosité, la haine; la science qui enfle, au lieu de la charité qui édifieGa naar voetnoot1. | |
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Ces différends, que le Landgrave de Hesse avoit bien raison de nommer une querelle mauditeGa naar voetnoot1, eurent une influence fatale sur les affaires de la Chrétienté. Les ennemis des Réformés de France endormoient les Princes Evangéliques d'outre-Rhin, en leur assurant que ce n'étoit pas le Protestantisme, mais l'exécrable Calvinisme qu'on vouloit extirperGa naar voetnoot2. Les Princes Luthériens ne vou- | |
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loient guère faire des sacrifices pour les Pays-Bas, à moins qu'on n'y abjurât les opinions calvinistesGa naar voetnoot1. | |
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Ce zèle outré, en soufflant la discorde parmi les Protestants, fut extrêmement favorable à la restauration du Papisme. L'influence de l'Allemagne au dehors fut long-temps neutralisée. Une stérile orthodoxie, remplaçant la foi, étouffa la charité. Les moeurs se relâchèrent; l'ardeur que donne l'esprit de parti, en tout ce qui a trait au dogme, s'allia fort bien à la tiédeur, l'indifférence, et l'égoïsme dans la pratique. - La religion de Rome poussa de nouveau des racines; s'étendit, s'affermit, répara ses pertes, refoula la Réforme vers le Nord, et l'Allemagne expia par une guerre de trente années sa négligence et son lâche abandonGa naar voetnoot1. Il y a peu de chose à dire sur les possessions patrimoniales de la Maison de Habsbourg en Allemagne; l'Autriche, la Bohême, et la Hongrie. La Réforme y avoit fait des progrès considérablesGa naar voetnoot2. Quant à la Hongrie, elle étoit continuellement assaillie par les Turcs.
Si maintenant nous feuilletons notre premier Tome pour y chercher ce qui concerne les différents Etats de l'Allemagne, nous n'y trouverons guère de détails sur les Princes Catholiques-Romains; pas même sur ces puissants Ducs de Bavière, qui, se concertant avec le Pape, profitèrent de la Réforme, et obtinrent, pour prix de leur fidélité intéressée, une espèce de suprématie sur le Clergé. Il y a exception pour les Ducs de Brunswick. Henri le | |
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Jeune, déjà vieux, étoit ami du Prince d'OrangeGa naar voetnoot1; amitié qui ne tint point contre le dévouement au Pape. Il étoit peu recommandableGa naar voetnoot2; ‘fort suspect à ses voisins à cause de la religionGa naar voetnoot3:’ ayant ‘le corps remply de sang Espagnol et mauvais François jusqu'à la gorgeGa naar voetnoot4.’ Son cousin, Eric II de Brunswick-Calenberg, né en 1528, abjura la Réforme et mourut en 1584. En 1563 il est ‘à Bruxelles, pour certaines grandes entreprises, more solitoGa naar voetnoot5;’ personnage turbulent, ne visitant ses Etats que pour les exploiter; courant le monde pour chercher des occasions de faire la guerre; et préférant la mort au repos. Les Protestants redoutoient sa présence dans les Pays-BasGa naar voetnoot6. Guillaume, Duc de Clèves et Juliers, ne fut ni décidément Protestant, ni décidément Catholique. Né en 1516, allié de la France, il fit valoir ses prétentions sur la Gueldre contre Charles-Quint. Défait, humilié en 1543, il devint en 1545 gendre de l'Empereur Ferdinand et demeura fidèle à l'Autriche. Il ne sut pas résister aux exigences des Papistes. Toutefois ses antecédents le rendoient suspect au Roi d'Espagne; d'autant plus qu'il entretint | |
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longtemps des rapports assez intimes avec les Chefs de l'opposition dans les Pays-BasGa naar voetnoot1. Parmi les Princes réellement Evangéliques, parmi les hommes qui se servirent de leurs biens, de leurs talents, de leur influence, pour l'avancement du règne de Christ, il faut compter le Duc Christophe de Wurtemberg, l'ami intime de l'Empereur Maximilien IIGa naar voetnoot2. Très-exclusif dans ses opinions ultra-Luthériennes, il étoít excellent Chrétien. L'Electeur PalatinGa naar voetnoot3, si distingué par une foi vivante, active, et ferme, et qui plus tard fit à la cause des Pays-Bas de si grands et de si douloureux sacrifices, y étoit, comme en AllemagneGa naar voetnoot4, mal vu de plusieurs, à cause de son attachement aux opinions qu'on décrioit sous le nom de doctrines CalvinistesGa naar voetnoot5. On admiroit néanmoins la fran- | |
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chise avec laquelle, au risque de perdre la dignité Electorale, il confessoit sa croyance; on attachoit du prix à ses conseilsGa naar voetnoot1. Dans le Brandebourg régnoit, depuis 1535, l'Electeur Joachim II, né en 1505, et qui avoit, en 1539, embrassé la Réforme; modéré, pacifique, ayant une influence considérable en AllemagneGa naar voetnoot2. Mais il fut loin de prendre aux grands événements de son époque une aussi large part que trois Princes dont le nom revient à chaque page des premiers Tomes de notre Recueil: savoir Auguste de Saxe et les Landgraves de Hesse.
L'Electeur de Saxe étoit frère et successeur de ce Maurice, dont Charles-Quint récompensa la fidélité, probablement pas tout-à-fait désintéresséeGa naar voetnoot3, en transférant l'Electorat | |
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de la branche Ernestine à la branche Albertine ou cadette; dont on a pu dire, en quelque sorte, que, par son secours nécessaire et par son intervention subite, il avoit deux fois changé la face de l'Empire, et qui périt en combattant, n'ayant encore atteint que sa 32e année. Auguste fut un des Princes les plus puissants de l'AllemagneGa naar voetnoot1, ami de Maximilien II, et beau-frère du Roi de Danemark, mais du reste distingué, à notre avisGa naar voetnoot2, ni par la grandeur de son âme, ni par la sagacité de son espritGa naar voetnoot3. | |
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Il se montra peu généreux envers son cousin le Duc Jean-Frédéric IIGa naar voetnoot1, devenu odieux par son ultra-LuthéranismeGa naar voetnoot2, suspect et dangereux par ses rapports avec GrumbachGa naar voetnoot3. Mis au ban de l'Empire, assiégé, saisi, jeté en prison, cet infortuné Prince mourut après une captivité de 28 années.
Philippe le Magnanime, Landgrave de Hesse, durant | |
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vingtcinq années chef des Princes Evangéliques, défenseur des libertés de l'Allemagne, antagoniste redoutable de Charles-Quint, avoit une grande habiletéGa naar voetnoot1; mais sa force consistoit moins encore dans ses talents que dans la bonté des principes et la fermeté du caractère. Franc et intrépide, sa hardiesse auroit pu dégénérer en imprudence, si elle n'eût été contenue et dirigée par les sentiments Evangéliques; elle avoit sa source dans un dévouement qui, dès que le devoir a clairement parlé, ne calcule, ni les sacrifices, ni les périls. Presque toutes les mesures de vigueur de la part des Protestants émanèrent de lui: leur attitude courageuse en 1530 à Augsbourg; la ligue de Smalcalde, qui manifesta la résolution de ne pas se renfermer dans un système passif; la réintégration du Duc Ulric de Würtemberg en 1534, qui enlevoit à l'Autriche un pays qu'elle avoit eu dessein de garder; l'envahissement subit du Duché de Brunswick, en 1542, qui mit hors de combat un des ennemis les plus acharnés de la Réforme; enfin la guerre de 1547 qui, après quelques années de revers, eut néanmoins l'abaissement de l'Em- | |
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pereur, la liberté de l'Allemagne, et la paix de Religion pour dernier résultat. Sans dissimuler ses écarts et ses chutes; sans atténuer le scandale et le désordre qui, par un second mariage, du vivant de sa femme, deshonorèrent, malgré les prétextes et les apologies, sa vie domestiqueGa naar voetnoot1, on auroit tort de révoquer en doute la sincérité de la foi d'un homme, qui non seulement avoit une connoissance très-approfondie de la véritéGa naar voetnoot2, mais dont l'esprit Chrétien se révèle dans ses écrits, ses discours, et ses actes, et qui, à la lueur de la Parole de Dieu, évita, presque toujours au milieu des orages, un grand nombre d'écueils. Il ne foiblit pas devant la sédition et le fanatisme, même | |
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quand ils prenoient le zèle religieux pour masque; il contribua puissamment à terminer la guerre des paysans et à délivrer la Westphalie des excès et des fureurs des Anabaptistes. Dans les disputes contre les Papistes, sa fermeté fut inébranlable, en tout ce qui se rapportoit aux bases de la foi, et sa condescendance extrême sur tout le resteGa naar voetnoot1. Enfin dans les dissidences des Protestants, il insista toujours sur l'obéissance au précepte Apostolique: ‘la vérité dans la charitéGa naar voetnoot2.’ Ses Lettres, par la naïveté et la fraicheur du style, semblent indiquer la droiture et la franchise de l'écrivainGa naar voetnoot3. Après s'être opposé au mariage du Prince | |
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d'Orange avec sa petite-fille Anne de Saxe, sans user de détoursGa naar voetnoot1 et pour de bons motifsGa naar voetnoot2, il ne garde pas rancuneGa naar voetnoot3; il montre un intérêt touchant pour le salut éternel de la jeune PrincesseGa naar voetnoot4, et le Prince d'Orange eut à se louer de la sagesse de ses conseilsGa naar voetnoot5.
Durant sa longue captivité, son fils Guillaume le Sage, très-jeune encore, fit preuve de cette prudence qui lui valut un si honorable surnom. Lors de la réaction des Protestants contre Charles-Quint, qui amena la paix de Passau, non seulement l'Electeur Maurice, par un calcul égoïste, inclinoit à accepter des conditions insuffisantes, mais en outre le Landgrave Philippe, captif et craignant que l'Empereur, poussé à bout, ne se vengeât en le faisant mourir, enjoignoit à son fils, dans les termes les plus formels et qui trahissoient la vivacité de ses angoisses, de ne pas se montrer trop difficileGa naar voetnoot6. Guillaume, dans ce conflit appa- | |
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rent de devoirs, sans oublier les intérêts de son père, n'oublia point aussi qu'on avoit commencé la lutte pour les intérêts de la liberté politique, et surtout pour ceux de la RéformeGa naar voetnoot1. Ce Tome contient dix-sept Lettres du Landgrave Guillaume, presque toutes au Prince d'Orange, ou à son frère Louis de Nassau. Il respectoit l'unGa naar voetnoot2; il chérissoit l'autreGa naar voetnoot3. Zèlé pour la cause de l'EvangileGa naar voetnoot4, il détestoit la polémique haineuse des théologiensGa naar voetnoot5. Marchant avec plus de précaution que son père, il marchoit néanmoins droit et ferme. Ses Lettres abondent en expressions qui dénotent l'énergie et la vivacitéGa naar voetnoot6. | |
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La Suède et le Danemark étoient unis à l'Allemagne par des affinités d'origine et de langage, par des sympathies religieuses et politiques. En Suède, au noble et brave Gustave-Wasa succède, en 1560, un fils très-peu digne de lui; Eric XIV, soupçonneux, vindicatif, et qui, pour prix de sa défiance et de sa cruauté, perdit le trône en 1568 et la vie en 1578. Sa légéreté et son étourderie se montrent dans une double négociation de mariage entamée, en Hesse avec une fille du Landgrave; en Angleterre avec la Reine ElizabethGa naar voetnoot1. Dans le Danemark Christiern II avoit été dépossédé en 1523 par le Duc de Holstein, Fréderic I, dont le petit-fils, Fréderic IIIGa naar voetnoot2, monta sur le trône en 1559. Le Roi déchu étant mort la même année, sa fille, la Duchesse de Lorraine, se flattoit de faire reconnoitre les droits du Duc de Lorraine son fils, et se donna des peines infinies pour exécuter ce projetGa naar voetnoot3. Mais elle avoit surtout compté sur l'appui de la Maison d'Autriche, l'épouse de Christiern ayant été soeur de Charles-Quint. Cet appui lui manqua: ni l'Empereur, ni le Roi d'Espagne ne profitèrent des embarras du DanemarkGa naar voetnoot4, et loin d'attaquer le Roi, on | |
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n'épargna rien pour gagner et conserver l'amitié d'un Monarque qui pouvoit nuire au commerce, en fermant à volonté le SondGa naar voetnoot1.
Venons à la ligne Espagnole. Jetons d'abord un coupd'oeil sur le caractère et les actes de celui qui en fut le Chef; pour considérer ensuite les différents Etats soumis à son pouvoir.
Le nom de Philippe II, mêlé comme celui de Charles-Quint, durant un demi-siècle à tous les grands intérêts de la Chrétienté, inspire sous quelques rapports, une hor- | |
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reur très-légitime; car la réprobation attachée aux doctrines, rejaillit inévitablement sur leurs défenseurs. Toutefois on a fait peser trop exclusivement sur lui une responsabilité commune à son époque. C'est pourquoi, désirant être juste envers tous, nous ajouterons à ce que nous avons dit ailleursGa naar voetnoot1, quelques remarques sur la tendance et les motifs de sa politique. On doit repousser les calomnies, admettre les excuses, et préciser les griefs. Il n'est point avéré que Don Carlos ait péri de mort violenteGa naar voetnoot2; il est hors de doute que ce jeune homme, doué, de par les romanciers et les poètes, de toutes les qualités imaginables du coeur et de l'esprit, étoit non seulement inhabile à règner, mais tout-à-fait incapable de se gouverner soi-même; que, loin d'avoir des relations intimes avec les grands Seigneurs des Pays Bas, on y faisoit peu de cas de sa personneGa naar voetnoot3; que sa mélancolie habituelle dégénéroit | |
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par fois en véritable fureur, et qu'il nourrissoit contre son père d'abominables desseins. Il est résulté d'un examen approfondi qu'il n'y a aucun motif de croire à l'empoisonnement de la Reine Isabelle; peut-être des recherches ultérieures réduiront d'autres accusations du même genre à néant. Apprécions ensuite les difficultés de la position de Philippe II. Pour lui autant d'ennemis que de voisins. La France étoit en état permanent d'hostilité ouverte ou cachée. Les Princes d'Allemagne, qui avoient souffert pour l'Evangile ou qui s'étoient crus lésés dans leurs droits politiques, haïssoient en lui le fils de Charles-Quint. Le Roi d'Espagne, malgré son zèle pour la religion Romaine, comptoit, chose incroyable! même le Pape parmi ses antagonistes. Puis il faut mettre en ligne de compte l'étendue et la variété de ses Etats: car la diversité et l'antipathie mutuelle de tant de nations dont il étoit le Souverain, lui causoit des soucis et des embarras continuels. Ensuite il voyoit le culte Catholique-Romain, dont l'organisation étoit entrelacée par une infinité de liens avec les institutions politiques, assailli de toutes parts par des croyances qui sembloient tendre au renversement de l'ordre social. Enfin il fut le successeur d'un Prince, dont le règne avoit eu un très-grand éclat, qui avoit su se concilier l'affection de ses sujetsGa naar voetnoot1, et il monta sur le trône, à une époque | |
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où Charles-Quint lui-même avoit quitté les grandeurs de la terre parcequ'ayant épuisé ses ressourcesGa naar voetnoot1, il reculoit devant une situation presque désespéréeGa naar voetnoot2. On reproche à Philippe II de s'être ingéré des affaires des autres, afin de parvenir à la domination universelle par l'intrigue et la discorde. Mais on n'a pas suffisamment remarqué peut être que, dans les grands intérêts de la Chrétienté, le maître de tant d'Etats avoit le droit et que même c'étoit son devoir d'exercer une influence considérable sur les délibérations communes. On a trop aisément ajouté foi à des inculpations hasardées; il auroit fallu s'en défier; car la puissance d'une Monarchie telle qu'étoit alors l'Espagne, excite nécessairement des craintes, des soupçons; qui, pour être chimériques, n'en acquièrent pas moins presque toujours un certain degré de consistance et de | |
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probabilitéGa naar voetnoot1. La conduite de Philippe II, durant tout le cours de son règne, a été en général pacifiqueGa naar voetnoot2; il a constamment désiré la paix; il n'a fait la guerre qu'avec répugnance, après de longs délais, et le plus souvent parceque ses adversaires l'y avoient contraint par leur perfidie et par leur astuceGa naar voetnoot3. On l'accuse d'avoir maintenu le Papisme, d'avoir obéi, | |
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en esclave, aux volontés du Pape, d'avoir persécuté la Réforme. - La première accusation n'en est pas une; les yeux fermés à la lumière, il confondoit l'Eglise de Rome avec la Sainte Eglise Universelle; il étoit donc tenu de la maintenir; devoir auquel, d'après un usage immémorial, il s'étoit obligé par sermentGa naar voetnoot1. Quant à son obéissance au Pape, elle ne fut jamais implicite; dévoué à la Religion Romaine, il veilloit néanmoins à l'indépendance de l'EtatGa naar voetnoot2. Enfin l'hérésie lui parut un crime digne de mort; mais cette opinion détestable est presque un dogme essentiel du Papisme. Avec des talents très-médiocres, Philippe II avoit une aptitude, disons mieux, une application extrême au travail; c'étoit peut-être le plus grand travailleur de ses | |
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EtatsGa naar voetnoot1. Absorbé dans les petites affaires, incapable, par là même, de s'éléver jusqu'aux grandes, il se faisoit illusion par son incroyable activité de cabinet. Il n'étoit pas exempt de cet orgueil, de cette morgue Castillane, si odieuse aux autres nationsGa naar voetnoot2; toutefois il s'efforçoit de surmonter ce penchant; peut-être même, par suite d'une timidité naturelle, l'embarras, le manque d'aplomb, le sentiment de ne pas être à sa place, contribuèrent-ils beaucoup à lui donner des apparences hautainesGa naar voetnoot3. | |
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On vantoit généralement sa bonté et sa douceurGa naar voetnoot1. Il avoit peu d'énergie; il étoit habituellement indécis, irrésoluGa naar voetnoot2. Quelquefois il s'est montré magnanimeGa naar voetnoot3. Il étoit religieux, non, comme son père, principalement par politiqueGa naar voetnoot4, mais avant tout par conviction sincère et avec un dévouement qui ne connoissoit ni exception, ni limite. Hors de l'Eglise de Rome il n'admettoit pas la possibilité du salut: donc il falloit contraindre à y entrer; il falloit sauver les âmes par le supplice du corps; il falloit être, en quelque sorte par charité, inexorable et cruelGa naar voetnoot5. Dès lors on ne sauroit être surpris, en examinant l'administration de ses Etats, de rencontrer partout des | |
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marques, disons mieux, des flots de sang, de ce sang innocent que rien n'efface; et c'est ainsi qu'on a pu donner le nom de Démon du Midi à un Roi qui cependant écrivoit à la Duchesse de Parme, sa soeur, dans une Lettre destinée à rester secrète: ‘Dieu sait que je n'évite rien plus volontiers que l'effusion du sang humain et tant moings de mes subjects de par delà, et je tiendrois bien pour un des plus heureux poincts de mon règne qu'il n'en fust jamais besoinGa naar voetnoot1.’
L'Angleterre est tout-à-fait en dehors du cercle de ses Etats. Il fut, pendant quelques années, le mari de la Reine, de cette Marie Tudor, dévote et sanguinaire, qui fit heureusement place à Elizabeth. Celle-ci, demandée en mariage par Philippe, se soucia fort peu de suivre l'exemple de sa soeurGa naar voetnoot2. Elle maintint son indépendance personnelle et celle de son Royaume et, loin d'entrer dans les vues du Roi d'Espagne, favorisa la RéformeGa naar voetnoot3.
Dans notre Correspondance il n'est guère fait mention de l'Italie; ni de Naples, ni du Duché de Milan.
Il y a plusieurs passages relatifs à l'Espagne. Une Lettre à Gonzalo PérezGa naar voetnoot4, une autre du Duc d'Albe; celle-ci est très-caractéristiqueGa naar voetnoot5. On voit souvent percer des sentiments de crainte et de jalousie envers les EspagnolsGa naar voetnoot6. | |
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Toute influence étrangère blesse partout et toujours l'amour propre national. En outre le caractère des habitants de Espagne avoit quelque chose de particulièrement offensant par sa hauteurGa naar voetnoot1. Race opiniâtre et passionnée, ils avoient contribué à étendre la domination de Charles-Quint et à établir son pouvoir: ils aspiroient à une suprématie que les autres nations n'étoient guère disposées à leur déférer. On les haïssoit en ItalieGa naar voetnoot2 et en Allemagne. Plusieurs parties de la Monarchie étoient des pays conquis. Les Espagnols le leur faisoient durement sentir. Même sans parler des horreurs commises en Amérique, leur domination, par exemple, à Naples et en Sicile étoit de nature à inspirer aux autres peuples un amour d'autant plus vif pour leur indépendance et leurs libertésGa naar voetnoot3. On frémissoit à l'idée de leurs institutions religieuses et politiques. Le Gouvernement en Espagne étoit trèsabsolu; surtout depuis la repression du mouvement des | |
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Communes en 1520. Une attaque qui échoue étant toujours doublement avantageuse au vainqueur, l'influence des Cortès fut depuis lors en grande partie annulléeGa naar voetnoot1: en Castille la Noblesse entouroit presque dévotement le trône et les Evêques étoient nommés par le RoiGa naar voetnoot2. Partout les libertés avoient grandement souffert, si du moins on peut parler de libertés dans un pays qui tolère les procédures atroces de l'Inquisition.
Les Pays-Bas étoient, depuis le 15 siècle, le centre du commerce, de l'industrie, et des richesses de la Chrétienté. La fertilité du sol dans les superbes plaines de la Belgique, l'accroissement rapide de la navigation, une position centrale offrant de tous côtés des débouchés et des ressources, la prospérité croissante de tant de populeuses cités, l'augmentation des fabriques, le courage des bourgeoisies et la valeur brillante de la Noblesse, le luxe et la civilisation importés par les Ducs de Bourgogne, une Cour distinguée par sa magnificence et par son éclat; surtout un peuple industrieux, entreprenant, actif en tout genre de négoce et de travail; tant d'avantages réunis faisoient de ces Provinces, bien que peu étendues, un des Etats les plus florissants et les plus remarquables, et dont | |
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l'influence n'étoit pas à dédaigner dans le balancement des intérêts politiquesGa naar voetnoot1. La Constitution y étoit Monarchique. Les Ducs et Comtes, ayant succédé aux droits de l'Empereur, par l'hérédité des bénéfices et par l'abandon successif des prérogatives du SuzerainGa naar voetnoot2, ne conservant avec l'Empire que des rapports vagues et insignifiants, étoient Seigneurs du territoireGa naar voetnoot3; vivant de leurs domaines, donnant des loix, faisant administrer la justice, déclarant la guerre ou concluant la paix, levant des tributs, exerçant les droits régaliens, accordant des faveurs et des Privilèges, et y | |
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ajoutant des conditions d'après leur bon plaisir; c'est-à-dire, non pas en violant les droits des autres, mais sans être tenus à demander, dans ce qui concernoit l'exercice de la Souveraineté, l'avis et le consentement de leurs sujets. Ce pouvoir absolu n'étoit donc, ni sans règles, ni sans limites. Maître de ses domaines, le Souverain des Pays-Bas étoit soumis aux loix de la justice et de l'équité; lié par les droits du Clergé, de la Noblesse, des Villes, des corporations, des particuliers, il avoit besoin, pour le plus léger subside extraordinaire, du consentement formel des Etats. Leurs Assemblées, où les différentes classes des habitants envoyoient des députés, inconnues dans les Pays-Bas avant le quatorzième siècle, se réunissoient par ordre du Prince, quand il le vouloit, aussi longtemps qu'il le jugeoit bon, pour délibérer sur les propositions qu'il leur faisoit soumettre. Malgré le nom générique de Pays-Bas, il n'y avoit ni fusion, ni amalgame. - Au contraire, chaque Province, par son existence propre et ses souvenirs particuliers, formoit une agrégation séparée. On remarque une opposition de races tranchée entre les Provinces Wallonnes et Germaniques. Il y avoit dans les Pays-Bas des idiômes, des peuples différents, des antipathies, des hostilités par tradition et presque par instinct. Les guerres entre Namur et l'Artois, entre la Flandre et le Brabant, entre la Hollande et la Frise, entre la Hol'ande et la Flandre, avoient laissé des traces presqu'ineffaçables dans la mémoire des habitants. A peine se fait-on une idée de la diversité des lois, des droits, et des coutumes que le Prince étoit tenu de respecter. Le droit public ne varioit pas avec le changement de Souverain. La Maison d'Autriche avoit acquis ces | |
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provinces successivement et à différents titres, comme Duchés, Comtés, Seigneuries; les nouveaux sujets stipuloient presque toujours le maintien et l'inviolabilité de leurs droits spéciaux; et même il n'étoit pas besoin de le stipuler expressément. Les Ducs de Bourgogne et les Princes de la Maison d'Autriche s'étudièrent à délier les liens de suzeraineté qui unissoient ces Provinces, soit à l'EmpireGa naar voetnoot1, soit à la France, à les ranger peu à peu sous des lois communes, et à faire de tant de Principautés diverses, sans effaroucher l'esprit de localité, des parties intégrantes d'un seul et même EtatGa naar voetnoot2. Ils restèrent en deçà du but de leurs efforts. L'union plus intime des Provinces devoit naître plus tard de la résistance au SouverainGa naar voetnoot3.
Durant le Moyen Age l'histoire des Pays-Bas est le récit presque non-interrompu de séditions et de révoltesGa naar voetnoot4. Les villes puissantes, où se concentroient les travaux et les trésors de l'industrie et du commerce, étoient le plus souvent en proie au luxe, aux passions, et au désordre. Leur administration, d'abord très-populaire, avoit pris, de degré en degré, un caractère très-aristocratique. A des émeutes contre le pouvoir souvent oppressif des Ma- | |
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gistrats, succédoient des rebellions contre le Souverain. Toutefois, depuis l'avènement de Philippe le Bon, l'autorité du Prince, malgré des réactions funestes sous Charles le Téméraire et durant la régence de l'Archiduc Maximilien, avoit triomphé enfin de ces soulèvements du peuple; et Charles-Quint, en chàtiant l'insolence des Gantois, réprima, pour le reste de son règne, les velléités d'indépendance et les tentatives de l'esprit républicainGa naar voetnoot1. - Le | |
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Brabant avoit sa Joyeuse Entrée. En cas de violation des libertés du pays, on n'étoit pas tenu d'obéir avant que les torts fussent réparés; mais ce refus d'obéissance étoit temporaire et tout-à-fait exceptionnel. La Réforme, nonobstant les placards sévères de Charles-Quint, avoit jeté dans les Pays-Bas de profondes racines. L'Evangile y pénétroit de tous côtés, à la faveur des rapports de commerce multipliés et continuels avec la France et l'Allemagne; puis il y avoit parmi les troupes beaucoup de Suisses et d'Allemands, qu'on ne pouvoit priver entièrement de l'exercice de leur culte; en outre des milliers d'Anglois, proscrits par le fanatisme de la Reine Marie, s'étoient réfugiés en BelgiqueGa naar voetnoot1; et, quoiqu'ils ne pussent professer ouvertement leur croyance, ils faisoient beaucoup de prosélytes. La persécution opposoit inutilement des digues au torrent. - L'exemple de la France, où le Roi étoit contraint de pactiser avec les Protestants, donnoit du courage et de l'espoir: du reste, malgré les affinités | |
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de langue et d'origine, on n'aimoit pas les François, même dans les Provinces WallonnesGa naar voetnoot1. Les Pays-Bas fournirent des sommes considérables au Roi d'Espagne: ils supportèrent la plus grande partie des frais de la guerre de 1552 à 1559Ga naar voetnoot2. - Les Villes, dont les trésors étoient incessamment alimentés par le commerce, avoient peu souffert et promptement réparé leurs pertes. La Noblesse au contraire étoit fort appauvrieGa naar voetnoot3, par les dépenses des camps et surtout par celles de la Cour, où régnoit souvent un luxe effréné. Le Roi avoit dans les Pays-Bas trois Conseils; celui des Finances, pour l'administration de ses domaines et de ses revenus; le Conseil Privé, pour les affaires de la Justice; le Conseil d'Etat, pour le Gouvernement. Mais ce Conseil, comme les autres, n'avoit que des avis à donner, obéissant du reste au SouverainGa naar voetnoot4. Il y avoit en outre dans les Pays-Bas l'Ordre de la Toison d'Or, crée par Philippe le Bon et dont les Chevaliers avoient sur les affaires importantes une influence au moins indirecteGa naar voetnoot5. | |
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Revenons encore un instant à Philippe, pour examiner sa conduite particulièrement envers les Pays-Bas. D'après l'opinion universellement admise il vouloit y conquérir un pouvoir sans limites; y établir la domination des Espagnols, y extirper la Réforme par l'inquisition d'Espagne; et il tendoit à ce triple but sans modération, sans concession quelconque. Considérons chacun de ces reproches séparément. On prouveroit difficilement, croyons nous, que Philippe II ait eu dessein de mettre les libertés du pays à néant. Au commencement de son règne rien ne justifie cette suppositionGa naar voetnoot1. Puis, dans la question des privilèges, il ne faut jamais perdre de vue que le maintien de la religion Romaine étoit précisément un des privilèges les mieux établis, que la violation des libertés et des coutumes fut plutôt une conséquence de la guerre qu'elle n'en fut la causeGa naar voetnoot2, et que l'administration violente du Duc d'Albe fut, on peut le dire, une anomalie dans le règne de Philippe II. En effet, ce ne fut qu'après de longues hésitations que le Roi se décida à envoyer ce général, étant poussé à bout par les excès, à son avis, sacrilèges des iconoclastesGa naar voetnoot3. D'ailleurs, | |
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tout ne se fit pas d'après ses ordres. Puis, quelqu'horrible que fut la réalité durant ces années d'extermination et de massacre, le pinceau des historiens en a encore surchargé le tableau. Enfin, il seroit en tout cas, injuste de vouloir apprécier la vie entière et le gouvernement du Roi d'après cet affreux épisode. Espagnol, il donnoit la préférence aux Espagnols; il aimoit à s'en entourer; il en formoit sa Cour, son ConseilGa naar voetnoot1. Il n'avoit pas le talent de faire oublier aux autres nations le tort de son origine. Mais on prétend sans motif qu'il donna à ses compatriotes une autorité excessive dans les Pays Bas. La Gouvernante étoit née en BelgiqueGa naar voetnoot2; dans les Conseils il n'y avoit, parmi les adhérents du Roi, que Granvelle auquel on pût donner le nom d'étranger; encore étoit-il Bourguignon. Le nombre des soldats Espagnols, dont la présence, après le départ du Roi, fit jeter de si hauts cris, n'étoit certes pas tel qu'on put fonder sur eux des projets d'arbitraire et de despotisme. En voulant déraciner la Réforme, il ne fit que suivre l'exemple et les conseils de Charles-QuintGa naar voetnoot3. Sous le règne | |
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de celui-ci on avoit fait les Placards contre les hérétiques, et l'Empereur en avoit recommandé l'exécution à son fils. En refusant d'admettre l'exercice d'une autre religion que la sienne, le Roi agissoit conformément au droit public de cette époqueGa naar voetnoot1. Un tel refus étoit son droit. La publicité des prêches eut été une concession énormeGa naar voetnoot2: on n'en trouve guères d'exemple, si ce n'est en France en 1561, et encore ce fut le signal de la guerre civile. Tolérance envers les Réformés étoit un motif de rebellion pour les Papistes. Eux aussi approuvoient, exigeoient la repression de ce qu'ils nommoient l'hérésie; s'il y eut des excep- | |
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tions, ce fut lorsqu'ils eurent besoin des Protestants, pour des intérêts, soit de commerce, soit de liberté. Philippe II n'eut jamais l'intention d'établir dans les Pays-Bas l'Inquisition d'Espagne. Il faut, afin de s'abstenir d'une accusation gratuite, distinguer trois espèces d'Inquisition: celle des Evêques dans leur diocèse, celle du Pape qui envoyoit des Commissions extraordinaires dans des cas particuliers; enfin le régime inquisitorial introduit en Espagne et tout-à-fait exceptionnelGa naar voetnoot1. On ne pouvoit s'élever contre la première, conséquence nécessaire et attribut naturel du ministère épiscopal. On voyoit de mauvais oeilGa naar voetnoot2 les juges délégués extraordinairement par le Siège soi-disant Apostolique, soit pour remédier à la nonchalance des Evêques, soit pour soutenir leurs efforts; mais le but de ces Commissions spéciales, nullement inusitées dans les Pays-BasGa naar voetnoot3 devoit en grande partie cesser précisément par l'augmentation des Evêques, projetée par PhilippeGa naar voetnoot4. En tout cas il étoit déraisonnable de confon- | |
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dre ces Commissions avec l'Inquisition d'Espagne, dont le Roi, pour plus d'un motifGa naar voetnoot1, ne pouvoit guères désirer l'introduction; tribunal perpétuel, terrible par son activité secrète, par les raffinement des tortures, par l'absence de toute garantie pour les accusés, et par sa tendance à affermir l'autorité du Clergé Romain et le despotisme royal. Enfin il est complètement faux que le Roi se soit refusé opiniâtrement à toute espèce de modération. Bien au contraire, excepté sur un seul point, à l'égard duquel toute transaction lui paroissoit illicite, il inclinoit constamment à temporiser. Il y eut de 1561 à 1567, comme on peut le voir ci-dessus, une série de concessions, qui semblent quelquefois à peine compatibles avec la dignité du | |
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Souverain. La venue du Duc d'Albe, il est vrai, y mit un terme; mais bientôt on s'apperçoit que le Roi revient à un systême de pacification. On en trouve des preuves sensibles dans la nomination du Duc de Médina-Céli et de RequesensGa naar voetnoot1, dans la délégation du pouvoir au Conseil d'Etat, dans l'envoi de Don-JuanGa naar voetnoot2, dans celui du Duc de Parme, et dans le retour de sa mère pour gouverner les Pays-Bas. Les Provinces qui se rallièrent à l'Eglise de Rome obtinrent la paix à des conditions extrêmement avantageusesGa naar voetnoot3.
Avant de terminer nos Prolégomènes, il convient d'énumérer encore les principaux personnages qui, par leur position, leurs talents, leur caractère, eurent de l'influence sur la marche des affaires au commencement des troubles dans les Pays-Bas.
D'abord le Comte d'Egmont, Prince de Gavres; fameux par les victoires de St. Quentin et de Gravelines. Son mariage avec Sabine de Bavière et l'amitié de l'Empereur Maximilien IIGa naar voetnoot4 lui procuroient beaucoup de relations en Allemagne.aant. Il avoit, à un trop haut degré, peut-être, la | |
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conscience de ses mérites, il savouroit sa renommée; il avoit de la fierté, il n'étoit pas sans orgueilGa naar voetnoot1. Toutefois, si, d'après le témoignage de plusieurs de ses contemporains, il étoit altier, présomptueux, irascibleGa naar voetnoot2, on convient qu'il ignoroit la dissimulation, l'intrigue, et les arrière-pensées. FrancGa naar voetnoot3 jusqu'à l'imprudenceGa naar voetnoot4, accessible à la flatterie, et se laissant mener par de plus habiles que lui, il fut plus grand capitaine que politique. Son esprit flottoit souvent entre les opinions diversesGa naar voetnoot5. Philippe de Montmorency, Comte de Hornes, AmiralGa naar voetnoot6. Le Prince d'Orange se servit de son nom et de son crédit: du reste il semble devoir être rangé parmi ces hommes que les révolutions mettent en évidence, parceque leur position les grandit malgré leur médiocrité. Son frère, Florent de Montmorency, Baron de Montigny, étoit plus habile que lui; zélé pour la religion | |
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Romaine; mais pas disposé à obéir aveuglément au SouverainGa naar voetnoot1. Antoine de Lalaing, Comte de Hoogstraten, leur beaufrèreGa naar voetnoot2; homme de grand mérite, distingué par son courage militaire et politiqueGa naar voetnoot3. Jean de Glymes, Marquis de Berghes; fort populaire, ayant des talents et de la hardiesse, mais ingrat et intéresséGa naar voetnoot4. Philippe de Croy, Duc d'Aerschot, Prince de Chimay. Le souvenir de ses ayeux, riches, puissants, comblés d'honneurs et de grâces par leurs Souverains, servoit de nourriture à son orgueil et de fondement à des prétentions démésuréesGa naar voetnoot5. Attaché au Roi et à la Religion de RomeGa naar voetnoot6, il avoit une ambition extrême, et sa fidélité à ses | |
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intérêts le rendoit parfois inconstant dans ses opinions et dans ses actesGa naar voetnoot1. Le Comte de Berlaymont, distingué par ses talents, sa fermeté, son zèle pour les intérêts du Roi. Avec sa nombreuse famille il étoit un des plus fermes soutiens du pouvoir monarchiqueGa naar voetnoot2. Puis le Comte d'Aremberg et le Comte de Megen; le Seigneur de GlajonGa naar voetnoot3 Pierre Ernest, Comte de Mansfeldt, capitaine vieux et expérimenté, Gouverneur du Luxembourg; Allemand, mais depuis un grand nombre d'années demeurant dans les Pays-Bas; compagnon d'armes de Charles-Quint; brave et vaillantGa naar voetnoot4.
Parmi ces Seigneurs (dont aucun n'eût favorisé les Espagnols) quelques uns refusoient décidément d'entrer dans la voie des innovations. Le Comte de Berlaymont, sans être ami de GranvelleGa naar voetnoot5, résistoit à toutes les sollicitations des Seigneurs ligués. Il étoit en mauvaise grâce | |
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auprès d'euxGa naar voetnoot1. On tâchoit de les réconcilierGa naar voetnoot2; mais lui, qui pénétroit leurs desseins, répondoit toujours ‘qu'il tiendroit la ligue du maître, demandant s'il y pouvoit estre meilleure ligue que celle qu'il portoit, monstrant son ordre; qu'il tiendroit le parti du Roy et point d'aultreGa naar voetnoot3.’ Aerschot suivoit cet exempleGa naar voetnoot4; Mansfeldt, au contraire, se rangeoit du côté des mécontentsGa naar voetnoot5. Aremberg et Megen de même: ils reprochent amèrement à Montigny d'avoir fait mettre à mort des hérétiquesGa naar voetnoot6: toutefois Aremberg ne persista pas longtemps dans sa résistanceGa naar voetnoot7. Quant à Montigny, Hoogstraten, et Berghes, leur marche étoit plus franche et plus décidée. Toutefois les véritables chefs de l'opposition étoient le Prince d'O range, les Comtes d'Egmont et de Hornes, espèce de | |
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triumvirat qui, comme d'ordinaire, se résumoit dans la direction et la suprématie d'un seul. Ces trois Seigneurs étoient à la tête de la plus grande partie de la NoblesseGa naar voetnoot1. Cependant il y avoit déjà plusieurs personnes dont les voeux et les espérances dépassoient de beaucoup les projets du Prince d'Orange et des siens.
Le Comte Henri de Bréderode, issu de la Maison des Comtes de Hollande, mais dont les sentiments répondoient mal à la noblesse de son origine. Il ne méritoit les éloges que l'esprit de parti lui a prodigués, ni par son caractère peu recommandable, ni par ses moeurs très-dissolues, ni par ses talents fort médiocres: les circonstances le portèrent en avant; sa prééminence apparente et passagère ne fut due qu'à son nom illustre et peut-être à cette étourderie qui l'emportoit au delà des limites que prescrivoit la raison. Ce jugement, bien que sévère, est pleinement justifié par les détails que l'histoire a transmis à son égard et surtout par les Lettres de notre Recueil. L'écriture même est caractéristique; souvent presqu'inlisible, tant les mots sont tracés avec négligence et désordre. Le style aussi retrace l'écrivain par le décousu des idées, par l'inconvenance des expressions, quelquefois telle que nous avons dû les omettre. Plusieurs passages respirent le vin et la débaucheGa naar voetnoot2; d'autres abondent en locutions triviales et | |
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déplacéesGa naar voetnoot1. La violence et la forfanterie semblent lui avoir été habituellesGa naar voetnoot2. Ses vues politiques n'avoient pas une haute portée: fougueux, irréfléchi, écervelé, il vouloit une rupture, sans en calculer les suitesGa naar voetnoot3; il amenoit les dangers, faute de les prévoir. Il compromettoit ses amis, en donnant l'éveil à ses antagonistes. Il mourut misérablementGa naar voetnoot4. Le Conseiller Renard, natif de Bourgogne, créature des Granvelle, paya très-mal leurs bienfaitsGa naar voetnoot5. Son ambi- | |
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tion n'étant pas satisfaite, il voulut se venger de ses mécomptes en suscitant des embarras au GouvernementGa naar voetnoot1. Le Duc d'Albe écrit qu'il cause les troubles, qu'il en est le levainGa naar voetnoot2. ‘Grand remueur de mesnageGa naar voetnoot3,’ d'après l'Ambassadeur d'Espagne en Angleterre. Il s'entendoit parfaitement avec les Seigneurs de la ligueGa naar voetnoot4, et ne quitta les Pays-Bas que lorsqu'il y fut contraint par l'ordre du RoiGa naar voetnoot5. Lazare de Schwendy, capitaine Allemand, servit avec distinction, sous Charles Quint et Philippe II, et acquit une très-grande renommée par son habileté dans les guerres contre les TurcsGa naar voetnoot6. En prudence et en expérience de l'art | |
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militaire il n'avoit guères d'égalGa naar voetnoot1. Le Prince d'Orange avoit en lui beaucoup de confianceGa naar voetnoot2. Dans les Pays-Bas il fut lié avec ceux qui vouloient marcher en avantGa naar voetnoot3; mais son séjour auprès de l'Empereur Maximilien II, qui le prit à son service, semble avoir modifié sensiblement ses opinionsGa naar voetnoot4. Il étoit pour la Réforme; du moins la liberté de conscience lui paroissoit devoir être accordéeGa naar voetnoot5. Ses Lettres sont pour la plupart, très-intéressantesGa naar voetnoot6; mais son amitié pour le Prince d'Orange ne fut pas toujours la même dans les revers et dans les succèsGa naar voetnoot7. Günther, Comte de SchwartzbourgGa naar voetnoot8, surnommé le Belliqueux, beau-frère du Prince d'OrangeGa naar voetnoot9. Il servit le Danemark contre la Suède; il étoit poussé aux combats par le désir de la gloire et par les ennuis du désoeuvre- | |
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mentGa naar voetnoot1. Il avoit de l'habileté et de la finesseGa naar voetnoot2. Le ton de ses Lettres est légerGa naar voetnoot3. Se souciant assez peu des disputes sur la ReligionGa naar voetnoot4, il étoit enclin à favoriser l'opposition contre le Cardinal. Le frère du Prince, le Comte Louis de Nassau, né en 1538Ga naar voetnoot5, fit des études à Strasbourg et à Genève, vint de bonne heure dans les Pays-Bas, à la Cour et à l'armée; et prit part à la bataille de St. QuentinGa naar voetnoot6. Ce jeune héros dont la valeur jeta un si vif éclat, qui fut l'âme de la Confédération des Nobles et le bras droit du Prince d'Orange dans la délivrance des Pays-BasGa naar voetnoot7, s'étoit voué, de bonne | |
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heure, au service de son frèreGa naar voetnoot1. Il lui étoit d'une grande utilité, par ses relations en France et en AllemagneGa naar voetnoot2. Ses Lettres sont écrites d'un ton éveillé, gai, jovialGa naar voetnoot3. Il ne semble pas s'être astreint à un genre de vie extrêmement sévèreGa naar voetnoot4; toutefois, en lisant sa correspondance, on s'apperçoit bientôt que l'exemple et les enseignements de ses parents, la pieuse tendresse de sa mère, et les fréquentes discussions sur les grandes vérités Evangéliques n'avoient pas été sans fruit pour son âmeGa naar voetnoot5; il avoit de la foi et du | |
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lèze; son exemple et ses exhortations ont été bénies pour plusieurs et pour le Prince d'Orange en particulier.
Le Gouvernement des Pays-Bas étoit confié à Marguerite, Duchesse de Parme, fille naturelle de Charles Quint, née à Gand, en 1522; fort habile, très-attachée au PapismeGa naar voetnoot1. S'il y eut une époque à laquelle, intimidée par les dangers et les menaces, ou gagnée par les flatteries et les promesses, elle laissa presque flotter les rênes au gré de l'opposition, elle reprit bientôt courage, et sut, en 1566, parfaitement profiter des fautes et des excès de ses antagonistes. A son départ elle fut généralement regrettée; surtout quand l'administration sanglante de son successeur eut mis les Pays-Bas au régime de la potence et du feu. Granvelle, qui avoit à se plaindre d'elle, faisoit en 1578 son éloge et désiroit son retourGa naar voetnoot2; mais l'honneur de réconcilier une partie des Pays-Bas avec le Roi étoit réservé au fameux Alexandre de Parme, son filsGa naar voetnoot3. | |
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Dans un poste aussi difficile Marguerite avoit besoin de conseils. Probablement le Roi comptoit le plus sur les talents et le dévouement d'Antoine de Perrenot, Evêque d'Arras, ensuite Cardinal de Granvelle, né à Besançon en 1517, et fils de Nicolas de Perrenot, qui fut Chancelier sous Charles-Quint et l'un des hommes les plus remarquables de cette époqueGa naar voetnoot1. Personne n'a contesté les talents de Granvelle et son étonnante habileté; au dire de tous, il étoit actif, infatigable, clairvoyant dans les desseins des autres, persévérant dans ses voies, fécond en moyensGa naar voetnoot2. Mais on le haïssoit, et cette haine datoit de loin. Les Princes d'Allemagne imputoient à son père et à lui les mesures les plus odieuses de Charles-Quint; les empiétements sur la Constitution Germanique, les violences con- | |
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tre les Protestants, la détention du Landgrave de Hesse et de l'Electeur de SaxeGa naar voetnoot1. Cette haine redoubla de violence dans les Pays-Bas. On détestoit en lui un étranger, un ami des Espagnols, un ennemi des libertés publiques, un conseiller astucieux et perfide, auteur de tous les griefsGa naar voetnoot2, tâchant de garder des troupes Espagnoles dans le pays, désirant faire augmenter le nombre des Evêques, poussant à la violence, perdant les Seigneurs dans l'esprit du Roi, homme faux, vindicatif, n'ayant pour but que son intérêt personnel. - Examinons le fondement de ces griefs. Un étranger? - Mais, né à Besançon et par conséquent dans le Cercle de Bourgogne, Granvelle observoit avec raison: ‘le Comte de Mansfelt se peult dire estrangier, largement plus que moy, qui suis, moy et les miens, vassal et subject de sa M.Ga naar voetnoot3 Un ami des Espagnols? Mais il les juge sévèrementGa naar voetnoot4; il attribue à leurs excès tous les malheurs qui affligèrent les | |
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Pays-BasGa naar voetnoot1; il se justifie, sur ce point par, plusieurs faits, d'où il résulte qu'au commencement du règne de Philippe II il écarta les troupes EspagnolesGa naar voetnoot2, que jamais il ne favorisa ceux de cette nationGa naar voetnoot3; qu'il hâta en 1560 le départ des soldatsGa naar voetnoot4, que lorsqu'il étoit question de la venue du Roi, il l'engagea à mener avec lui peu d'EspagnolsGa naar voetnoot5. Ennemi des libertés publiques? - Mais il ne vouloit pas la violation des privilèges et des libertésGa naar voetnoot6: même dans un | |
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écrit où il semble déposer sa pensée intime, il justifie le zèle des habitants des Pays-Bas pour la conservation de leurs droitsGa naar voetnoot1. L'augmentation des Evêques fut décidée par le Roi à son insuGa naar voetnoot2. Loin de conseiller des mesures violentes, il engagea constamment à revenir aux voies de modération et de douceurGa naar voetnoot3. Au reproche d'avoir desserviles Seigneurs auprès du Roi, d'avoir dénaturé leurs intentions et leurs actes, il oppose la dénégation la plus expliciteGa naar voetnoot4, et nous avons la preuve en main que ce témoignage est conforme à la véritéGa naar voetnoot5. - | |
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Profond politique, il avoit de la réserve, il ne dévoiloit pas les secrets du Souverain, il n'épanchoit pas ses craintes, ses espérances, ses projets dans le sein de ses antagonistes; toutefois il n'y a guères de motif pour l'accuser, du moins quant aux Pays-Bas, de fausseté et de perfidie. Loin d'être un courtisan empressé, adulateur, et servile, il exhortoit la Duchesse de Parme avec beaucoup de libertéGa naar voetnoot1, et ne craignoit pas de dire souvent et, sans détours, de dures vérités au Roi lui-mêmeGa naar voetnoot2. | |
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On auroit tort de lui attribuer un caractère vindicatif. Au contraire, il juge et traite ses adversaires les plus violents avec une modération peu communeGa naar voetnoot1; il étoit fort disposé à pardonner les injuresGa naar voetnoot2; il savoit rendre le bien pour le malGa naar voetnoot3. | |
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I lne se distinguoit, ni par la ferveur de sa pieté, ni par la régularité de sa conduite. Il aimoit le luxe, la magnificence; l'orgueil de la vieGa naar voetnoot1. Il n'avoit pas renoncé aux convoitises mondaines, pour vivre dans le présent siècle sobrementGa naar voetnoot2. Quels que puissent avoir été ses défauts et ses travers, il servoit le Roi avec zèle et fidélité. Il croyoit devoir s'opposer aux entreprises de la NoblesseGa naar voetnoot3. | |
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Il redoutoit fort la réunion des Etats-Généraux, qu'il considéroit comme une anomalie dans la constitution du paysGa naar voetnoot1. Il vouloit le maintien de l'autorité royale et de la religion Romaine; et, pour leur défense, il faisoit preuve de courage, de fermeté, et de dévouementGa naar voetnoot2. Ses ennemis eux-mêmes lui rendirent témoignage après son départGa naar voetnoot3; l'administration des affaires s'en ressentit. | |
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Il fut bientôt question de son retourGa naar voetnoot1; plusieurs de ceux qui avoient contribué à le faire partir, eussent été charmés de le revoir. Le principal grief de ses antagonistes étoit qu'il avoit l'oeil trop ouvert sur leurs desseinsGa naar voetnoot2. | |
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Nous publions trois lettresGa naar voetnoot1 intéressantes du Seigneur de ChantonayGa naar voetnoot2, frère de Granvelle. Il étoit assez bien avec les SeigneursGa naar voetnoot3, qui le trouvoient franc, ouvert, et libre, moyennant que son frère ne le gàtaGa naar voetnoot4. Impatient, frondeur, mettant de l'impétuosité dans ses discours et dans ses démarches, il n'aimoit pas les EspagnolsGa naar voetnoot5, il avoit coutume de se plaindre assez vivement du RoiGa naar voetnoot6: de là des sympathies. Mais d'un autre côté il n'abandonnoit pas son frèreGa naar voetnoot7 et il étoit extrêmement zélé pour la religion | |
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RomaineGa naar voetnoot1: de là des soupçons et des dissentimentsGa naar voetnoot2.
Viglius ab Aytta, Président du Conseil Privé, joignoit à une grande érudition et à une prudence consommée beaucoup de fermeté dans le caractère. Il étoit entièrement dans les principes et dans les idées de GranvelleGa naar voetnoot3. Avancé en âge, incapable d'opposer aux Grands une résistance efficace, découragé surtout par la connivence de la Gouvernante, qui voyoit de fort mauvais oeil les amis du Cardinal, Viglius aspiroit à quitter les affairesGa naar voetnoot4, mais Granvelle l'animoit toujours et fortement à resterGa naar voetnoot5. Aussi se laissa-t'il persuaderGa naar voetnoot6; et, malgré une santé délabréeGa naar voetnoot7, il | |
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vécut assez longtemps pour montrer sous le Duc d'Albe une constance admirable à repousser ses mesures oppressives et illégitimes.
Il nous reste à parler du Prince d'Orange. Fils aîné du Comte Guillaume, il naquit à Dillenbourg, le 25 avril 1533. On sait peu de chose de son enfance. Son éducation fut soignéeGa naar voetnoot1 et surtout très-religieuse. Son père savoit que craindre Dieu et garder Ses commandements est le tout de l'homme; sa pieuse mère l'aura élevé dans la crainte du SeigneurGa naar voetnoot2. Il devint un personnage important par les dispositions testamentaires du Prince René. Ces dispositions n'avoient rien que de fort naturel. Le jeune Comte de Nassau, proche parent du testateur, alloit être un jour le chef de la Famille, et Charles Quint devoit souhaiter ne pas voir s'éteindre dans les Pays-Bas une Maison à laquelle sa Dynastie, et lui en particulier, avoit eu, durant une longue suite d'années, de grandes obligations. A l'âge de onze ans Guillaume se trouvoit avoir une existence des plus brillantes. Héritier de la succession de Châlons et de celle de Bréda, il étoit le réprésentant de ces Princes d'Orange, qui avoient illustré l'Italie par leurs faits glorieux; le réprésentant de ces Comtes de Nassau, | |
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soutiens de la Bourgogne et de l'Autriche, respectés depuis un siècle, par leur richesse, leurs dignités et leurs talents. Les Pays-Bas revendiquoient à juste titre le rejeton de cette noble race. S'il étoit né ailleurs, là néanmoins devoit être la patrie de son choix; son éducation devoit y être achevée. Aussi vint-il à Bruxelles peu de semaines après la mort du Prince RenéGa naar voetnoot1. On en a fait un reproche à ses parents; on est allé jusqu'à prétendre que, pour des intérêts terrestres, ils avoient fait changer de religion à leur fils. Ce reproche provient d'une fausse supposition. On a confondu les époques. La scission des Protestants d'avec Rome n'étoit pas consommée. Ils admettoient encore qu'une réconciliation étoit possible; d'autre part on vouloit une réforme des abus; on ne se refusoit point à examiner de commun accord dans des Conciles la valeur réelle des doctrines accréditéesGa naar voetnoot2. Les Protestants ne désespéroient pas de Charles-Quint. Malgré la sévérité des Placards dans ses Etats héréditaires, l'Empereur sembloit par fois, dans ses relations avec les Princes d'Allemagne, s'adoucir envers les Luthériens. L'inimitié du PapeGa naar voetnoot3 devoit lui faire rechercher leur | |
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appuiGa naar voetnoot1; il faisoit des tentatives pour opérer un rapprochement de doctrines; ses espérances, loin de paroître chimériques, avoient été presque réalisées dans les Conférences de Ratisbonne, en 1541Ga naar voetnoot2. L'on ne craignoit pas de proposer à Charles-Quint des résolutions très énergiques à l'égard du PapeGa naar voetnoot3. Remarquons aussi que, même en 1548, après que l'Empereur eut remporté sur eux un triomphe complet, il se garde de montrer un dévouement servile aux intérêts de la Cour de Rome. On n'a qu'à se rappeler l'Interim qui ne satisfit guères aux prétentions des PapistesGa naar voetnoot4. | |
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Précisément en 1544, c'est-à-dire, à l'époque où le jeune Guillaume quitta ses parents, l'Empereur montroit de fort bonnes intentionsGa naar voetnoot1. En effet il avoit des motifs pour désirer la paix de l'Allemagne; il refusoit de prêter l'oreille aux exhortations du fanatismeGa naar voetnoot2. Enfin la confirmation même du Testament de René, malgré ceux qui ne vouloient pas laisser succéder le fils d'un hérétiqueGa naar voetnoot3, étoit une preuve de modération. Le départ du jeune Prince n'entraînoit nullement une abjuration de sa foiGa naar voetnoot4. Des parents Chrétiens pouvoient consentir à un éloignement que les circonstances rendoient naturel et inévitable; puis ils virent avec plaisir sans doute que leur fils alloit être élevé à la Cour de la Reine Marie, veuve du Roi de Hongrie et Gouvernante des | |
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Pays-BasGa naar voetnoot1, qu'on savoit pencher vers les croyances EvangéliquesGa naar voetnoot2. Le jeune Prince étoit d'ordinaire à BruxellesGa naar voetnoot3. Le soin de son éducation fut confié à un des fils du Chancelier de Granvelle, à Jérome,aant. frère cadet du CardinalGa naar voetnoot4. | |
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L'Empereur lui témoigna toujours une bonté et une confiance extrêmesGa naar voetnoot1. | |
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En 1551 il épousa Anne d'Egmont, Comtesse de BurenGa naar voetnoot1. Ses talents étoient extraordinaires; les charges qui lui furent confiées, en font suffisamment foiGa naar voetnoot2. Ses opinions et sa conduite étoient à peu près semblables à celles des autres jeunes Seigneurs à une Cour où le luxe et la prodigalité étoient extrêmes et les moeurs assez relâchées. Il vivoit magnifiquement, sa table étoit somptueuseGa naar voetnoot3, son hospitalité sans bornesGa naar voetnoot4. Il menoit une vie joyeuse et dissipée; la religion n'étoit alors pour lui qu'une affaire de bienséance et de routineGa naar voetnoot5. Son premier mariage semble avoir été médiocrement heureux. Les Lettres à son épouse contiennent des expressions de tendresse tout-à-fait charmantesGa naar voetnoot6, mais qui | |
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peut-être n'étoient pas superflues pour écarter de tristes soupçons; il paroît du moins, par d'autres indices, qu'on avoit une opinion peu favorable du Prince sur ce pointGa naar voetnoot1, et qu'également plus tard durant son mariage avec Anne de Saxe, dont la conduite fut d'abord si bizarreGa naar voetnoot2 et ensuite si scandaleuse, il y eut matière à récriminationGa naar voetnoot3. Il ne se piquoit ni de sévéritéGa naar voetnoot4, ni d'une fort gran- | |
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de économieGa naar voetnoot1. Il étoit dominé par l'ambition et par l'égoïsmeGa naar voetnoot2. A l'Electeur de Saxe il fait affirmer qu'il a des sentiments très-favorables à la Réforme. Il promet que son épouse ne sera nullement gênée dans l'exercice de sa religionGa naar voetnoot3. Il s'exprimoit sur les intérêts de la Réforme de | |
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manière à ne donner nul ombrage aux Princes EvangéliquesGa naar voetnoot1. En même temps il avoit garde de trop effaroucher PhilippeGa naar voetnoot2. Quelquefois il affectoit un beau zèle pour le maintien du Papisme: Granvelle lui-même y fut trompéGa naar voetnoot3. Le Prince ne songeoit pas encore sérieusement aux intérêts de son âmeGa naar voetnoot4; il étoit beaucoup plus occupé des | |
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jouissances et des grandeurs du monde que de son salut éternel. N'ayant aucune idée de l'importance réelle des questions agitées par la Réforme, il devoit, vû la liaison intime entre les rapports politiques et les institutions religieuses, considérer avec défaveur les ébranlements d'une foi traditionelle, dont le renversement alloit, selon l'opinion de plusieurs, amener inévitablement le désordre, l'anarchie, et la ruine des Etats. D'un autre côté les souvenirs d'enfance ne s'étoient pas complètement effacés; les relations de famille et de parenté agissoient sur lui; il prévoyoit d'ailleurs que l'amitié des Protestants pourroit lui être utile, et, même avant de s'être pénétré des vérités Evangéliques, il sentoit la nécessité de mettre un terme à une foule d'abusGa naar voetnoot1. Il s'indignoit, en voyant, à cause d'une différence en matière de foi, livrer aux plus affreux supplices un grand nombre de Chrétiens, et ces horreurs avoir lieu au nom de Celui qui a dit: ‘vous ne savez de quel esprit vous êtes: car le Fils de l'homme n'est pas venu pour faire périr les âmes, mais pour les sauver’Ga naar voetnoot2. Il tâchoit d'être bien avec tous les partis, vivant en Catholique RomainGa naar voetnoot3, accueillant les Protestants, montrant, selon les circonstances, du zèle pour l'Eglise Romaine et de la commisération pour les hérétiques; trouvant dans le vague de ses convictionsGa naar voetnoot4 des facilités pour sauver les | |
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apparences, mais non pas pour se mettre à l'abri des soupçonsGa naar voetnoot1. Si depuis le départ du Roi, le Prince fit une opposition systématique; s'il voulut, d'abord, un gouvernement ou comme une espèce de contrôle national, pour garantie contre les empiétements des Espagnols; puis, le maintien et même l'extension des droits de la Noblesse, comme moyen de contenir le pouvoir du Monarque; enfin la révocation des Placards, pour mettre les consciences en liberté; si même, de temps à autre, il prévoyoit la possibilité d'un recours aux armesGa naar voetnoot2; ses arrière-pensées à cette époque n'alloient certes pas au delà d'une résistance à des ordres iniques et cruels; résistance que ses propres convictions et de nombreux exemples dans la Chrétienté lui faisoient considérer comme parfaitement légitime.Ga naar voetnoot3 | |
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Le Prince, par la mort de son père en 1559, devint le Chef d'une nombreuse famille. Ses frères, les Comtes AdolpheGa naar voetnoot1 et HenriGa naar voetnoot2 étoient fort jeunes encore; mais le Comte JeanGa naar voetnoot3, aîné du Comte Louis, et qui, distingué par sa prudence et sa pietéGa naar voetnoot4, rendit plus tard de grands services aux Pays-Bas par lui-même et par ses enfants, pouvoit l'assister déjà de ses utiles conseils. Parmi les beau-frères du | |
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PrinceGa naar voetnoot1, les Comtes de Nuenar et de Berghes étoient peu recommandables. Le dernier embrassa les croyances Calvinistes et joua d'abord un rôle assez considérable dans les troubles; mais la suite des événement dévoila son caractère et ses motifs: plus d'une fois, au moment du danger, il se rendit coupable de lâcheté et de trahison, et compromit gravement les intérêts de la cause qu'il avoit favorisée. Le Comte Gunther de Schwartzbourg fut parfois utile au Prince, pour autant qu'il pouvoit l'être sans nuire à ses propres intérêts.
Le Recueil commence au mois de juin 1552; c'est-à-dire, à la mémorable époque où l'Empereur Charles-Quint, surpris par l'Electeur Maurice de Saxe, attaqué par le | |
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Roi de France Henri II, alloit être forcé à constater son humiliation par le Traité de PassauGa naar voetnoot1. |
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