Saül et Rembrandt
La Haye possède au bord de son ‘vyver’ un délicieux musée. Il est seulement gardé par des cygnes et un huissier qui a des façons polies pour dépouiller le visiteur de sa canne et de son pardessus. Le plancher ciré à l'excès, les cadres noirs et cette ombre chaude particulière aux maîtres Hollandais, donnent à l'atmosphère le luisant des eaux brunes de Delft.
Je m'y suis diverti souvent de la grivoiserie que Molenaer a su mettre dans une série de petits panneaux où il représente les cinq sens. Une si franche grimace de convoitise élargit la face du bonhomme plongeant la main sous les jupes d'une commère et récompensé d'un soufflet! Ces magots nous obligent à confesser des instincts inavouables et l'on comprend que leur vue couvre de confusion les gens austères. Puis, brusquement, le Saül de Rembrandt nous révèle jusqu' où peut atteindre une détresse humaine.
D'autres oeuvres du maître, Rembrandt peint par lui-même et l'admirable Homère, lui font un décor discret et fulgurant. Plus que les éclairs de la tunique jaune à la lumière plus profonde que l'or, les cassures du lourd manteau cramoisi et le turban gonflé de soie, sortent de l'ombre un morceau de nuque sous l'oreille et une pommette dont l'oeil cave et la joue ravagée accusent le relief. Avec un geste d'enfant craintif le vieux roi cache l'autre moitié de sa figure dans le pli d'un rideau. A-t-il peur d'une de ces pensées qui battent comme une aile de chouette dans la pénombre de ses veilles, ou bien du jeune homme qui joue de la harpe devant lui, David, petit employé juif qui guette le moment de prendre la place de son patron?
Rembrandt, peintre d'Homère, dans nul humain ne se mêla tant de génie et d'amertume. A la fin de sa vie, l'hostilité des hommes surpeupla de fantômes cette inquiétude qu'il avait toujours sentie errante autour de lui. Il la pénétra d'éclairs lucides, comparables aux somptuosités que son