La patrie
Patrie, chère et douce terre du Père... Et je revois la maison familiale, au bord de la route, au milieu des arbres et tapissée de lierre... O ma chère maison, où je vins tout enfant, où se sont écoulées les heures tristes et joyeuses de ma vie; où les miens ont vécu: ma mère si tendre, trop tôt partie, et à laquelle je ne puis penser sans me sentir l'âme toute parfumée de clémence et de bonté; mon pêre, aux allures sévères, mais si affectueux, d'une si grande culture d'esprit et d'une si belle droiture de coeur, si noblement compréhensif; ô ma chère maison, où les miens m'ont donné tout ce qu'il y eut de meilleur en moi-même, la pitié pour les faibles, l'amour du beau, la folie de la justice, où ces leçons augustes surgissent maintenant dans ma mémoire en images frémissantes, multiples, confuses, et auxquelles je n'ose m'arrêter, de peur de ne plus pouvoir poursuivre, où chaque dalle du corridor, chaque marche de l'escalier, chaque coin de chaque chambre, chaque meuble dans chaque chambre, chaque bibelot sur chaque meuble, a son histoire et sa vie et me parle de choses qu'il ne dira qu'à moi-même; ô ma chère maison, où j'ai aimé, où j'ai pleuré, où sont morts les miens!
Et je pense encore à ceux qui sont partis, à ce frère d'un esprit si ouvert, si délicat, entré par quelle soudaine surprise de la destinée dans l'ordre bénédictin! Batailles d'écoliers, escapades de gamins, folles et franches gaîtés de jouvenceaux, ferveurs d'art communes, qui eût dit, oui, qui eût prédit, quand souriaient nos vingt ans, que vous finiriez dans la gravité du froc noir!
Et nos vacances, au loin, dans le petit village d'Erbisoeul, où des parents avaient une maison de campagne grande comme un château et un jardin comme un parc! Il y avait, au fond du jardin à droite, un pommier dont les branches s'étendaient au-dessus du jardin du curé et dont les pommes blanches, frottées de rouge, avaient un petit goût acide