Avalant des tranches de turbots, ces gens parlaient de leurs pêches, à mots rares et brefs, comme s'ils continuaient à donner des ordres aux mousses. Ils disaient leur avis sur le nouveau banc de sable de l'île d'Urk, sur la dernière tempête, sur la barque échouée à Stavoren. Leurs mains gourdes, habiles à empoigner les gouvernails, faisaient des gestes gauches et lents: d'habitude, elles ne quittaient les amarres que pour montrer un phare ou l'entrée d'un chenal. Et les marins habitués au tangage ne paraissaient pas à l'aise sur les bancs immobiles de l'auberge,
Ils parlèrent d'un combat naval.
- J'y ai perdu le pouce, d'un coup de hache. Voyez! dit l'un d'eux.
Il riait.
- Moi, j'ai été renversé par le vent d'un boulet, reprit un autre. Les boulets perforaient les voiles: elles claquaient comme des haillons!
Un vieux s'écria:
- Ah! les gredins qui venaient d'Espagne! Mais nous avons brûlé leurs navires! Une de leurs frégates a sauté, comme jadis la poudrière à Delft!
Kobus écoutait mal à l'aise. Dès qu'un marin fixait sur lui son regard clair, il eût donné le fond de sa bourse afin de pouvoir se cacher. Près de ces vaillants qui affrontaient la mort sous les pavillons haletants des navires de guerre, il se sentait dégradé, rougissait. Ah! la rude leçon de ces artisans des pêcheries au lâche amant de Siska, au vil batteur de cartes, au parasite de Roytema!
- Les gueules des canons n'ont pas de dents, dit un pêcheur, mais leurs crachats sont de salpêtre et de fer! Inutile de s'essuyer!
Tous se mirent à rire, silencieusement.
Mais peu à peu Kobus se rassura. Il se chauffait aux effluves des braves poitrines de ses voisins. Il osa parler aux gens