Brieven aan zijn broeder. Deel 3
(1914)–Vincent van Gogh– Auteursrecht onbekend
[pagina 315]
| |||||||||||||
St. Rémy
| |||||||||||||
[pagina 316]
| |||||||||||||
que vous avez déjà observé qu'il aime Paris et que cela vous étonne plus ou moins, vous qui ne l'aimez point ou plutot qui y aimez surtout les fleurs, tels que je suppose par exemple les glycines, qui probablement commencent à fleurir. Ne pourrait-il pas être le cas qu'en aimant une chose on la voit mieux et plus juste, qu'en ne l'aimant pas? Pour lui et pour moi Paris est certes déjà en quelque sorte un cimetière où ont péri bien des artistes que nous avons directement ou indirectement connus. Certes Millet que vous apprendrez à aimer beaucoup et avec lui bien d'autres, ont cherché à sortir hors de Paris. Mais Eugène Delacroix par exemple, difficilement on se le représente ‘comme homme’ autrement que Parisien. Tout ceci pour vous engager - sous toute reserve il est vrai - de croire à la possibilité qu'il y ait à Paris des maisons et non pas seulement des appartements. Enfin - heureusement vous êtes vous-même sa maison. Il est assez drôle peut-être que le résultat de cette terrible attaque est qu'il y ait dans mon esprit plus guère de désir ni d'espérance bien nets, et je me demande si c'est ainsi qu'on pense, alors que les passions un peu éteintes, on descend la montagne au lieu de la monter. Enfin ma soeur, si vous pouvez croire, ou à peu près, que tout va toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors vous pourrez croire peut-être également que Paris est la meilleure des villes là-dedans. Avez-vous déjà remarqué que les vieux cheveaux de fiacre y ont des grands beaux yeux navrés comme des chrétiens quelquefois? Quoiqu'il en soit, nous ne sommes pas des sauvages ni des paysans et nous avons peut-être même le devoir d'aimer la civilisation (ainsi nommée). Enfin ce serait probablement hypocrite de dire ou croire que Paris est mauvais alors qu'on y vit. La première fois que l'on voit Paris il se peut d'ailleurs que tout y semble contre nature, sale et triste. Enfin si vous n'aimez pas Paris, surtout n'aimez pas la peinture ni ceux qui directement ou indirectement s'en occupent, car ce n'est que trop dubieux que cela soit beau ou utile. Mais que voulez-vous, il y a des gens qui aiment la nature tout en étant toqués ou malades, voilà les peintres; puis il y en a qui aiment ce que fait la main d'homme et ceux-là vont même jusqu'à aimer les tableaux. Quoiqu'ici il y ait quelques malades fort graves, la | |||||||||||||
[pagina 317]
| |||||||||||||
peur, l'horreur que j'avais auparavant de la folie, s'est déjà beaucoup adoucie. Et quoique continuellement on entende ici des cris et des hurlements terribles comme des bêtes dans une ménagerie, malgré cela les gens d'ici se connaissent très bien entre eux et s'aident les uns les autres quand ils tombent dans des crises. En travaillant dans le jardin, ils viennent tous voir et je vous assure sont plus discrets et plus polis pour me laisser tranquille, que par exemple les bons citoyens d'Arles. Il se pourrait bien que je reste ici assez longtemps, jamais j'ai été si tranquille qu'ici et à l'hospice à Arles, pour pouvoir enfin peindre un peu. Tout près d'ici il y a des petites montagnes, grises ou bleues, ayant à leur pied des blés très, très verts et des pins. Je me compterai très heureux si j'arrive à travailler assez pour gagner ma vie, car cela me donne bien du souci, lorsque je me dis que j'ai fait tant de tableaux et de dessins sans jamais en vendre. Ne vous pressez pas trop de trouver que ce soit là une injustice, moi je n'en sais rien. En vous remerciant encore de m'avoir écrit et étant bien content de ce que je sache qu'à présent mon frère ne rentre plus dans un appartement vide quand il revient le soir, je vous serre la main en pensée et croyez moi, votre frère Vincent. | |||||||||||||
592Mon cher Theo, (25 Mei.) Ta lettre que je viens de recevoir me fait bien plaisir. Tu me dis que J.H. Weissenbruch a deux tableaux à l'exposition - mais je me figurais qu'il était mort - est-ce que je me trompe? Certes c'est un rude artiste et un brave homme à grand coeur aussi. Ce que tu dis de la Berceuse me fait plaisir; c'est très juste que les gens du peuple, qui se payent des chromos et écoutent avec sentimentalité les orgues de barbarie, sont vaguement dans le vrai et peut-être plus sincères que de certains boulevardiers qui vont au Salon. Gauguin, s'il veut l'accepter, tu lui donneras un exemplaire de la Berceuse qui n'était pas monté sur châssis, et à Bernard aussi, comme témoignage d'amitié. Mais si Gauguin veut des tournesols, ce n'est qu'absolument comme de juste qu'il te donne en échange quelque chose que tu aimes autant. | |||||||||||||
[pagina 318]
| |||||||||||||
Gauguin lui-même a surtout aimé les tournesols plus tard lorsqu'il les avait vus longtemps. Il faut encore savoir que si tu les mets dans ce sens-ci, soit la Berceuse au milieu et les deux toiles des tournesols à droite et à gauche, cela forme comme un triptique. Et alors les tons jaunes et orangés de la tête reprennent plus d'éclat par les voisinages des volets jaunes. Et alors tu comprendras ce que je t'en écrivais, que mon idée avait été de faire une décoration comme serait par exemple pour le fond d'un cabine dans un navire. Alors le format s'élargissant, la facture sommaire prend sa raison d'être. Le cadre du milieu est alors le rouge. Et les deux tournesols qui vont avec, sont ceux entourés de baguettes. Tu vois que cet encadrement de simples lattes fait assez bien et un cadre comme cela ne coûte que bien peu de chose. Ce serait peut-être bien d'en entourer les vignes vertes et rouges, le semeur et les sillons et l'intérieur de la chambre à coucher aussi. Voici une nouvelle toile de 30, encore banale comme un chromo de bazar, qui représente les éternels nids de verdure pour les amoureux. De gros troncs d'arbres couverts de lierre, le sol également couvert de lierre et de pervenche, un banc de pierre et un buisson de roses pâles à l'ombre froide. Sur l'avant-plan quelques plantes à calice blanc. C'est vert, violet et rose. | |||||||||||||
[pagina 319]
| |||||||||||||
Il ne s'agit - ce qui manque malheureusement aux chromos de bazar et aux orgues de barbarie - d'y mettre du style. Depuis que je suis ici, le jardin désolé, planté de grands pins sous lesquels croît haute et mal entretenue, une herbe entremêlée d'ivraies diverses, m'a suffi pour travailler et je ne suis pas encore sorti dehors. Cependant le paysage de St. Rémy est très beau et peu à peu je vais y faire des étapes probablement. Mais en restant ici, naturellement le médecin a mieux pu voir ce qui en était et sera, j'ose espérer, plus rassuré sur ce qu'il peut me laisser peindre. Je t'assure que je suis bien ici et que provisoirement je ne vois pas de raison du tout de venir en pension à Paris ou environs. J'ai une petite chambre à papier gris vert avec deux rideaux vert d'eau à dessins de roses très pâles, ravivie de minces traits de rouge sang. Ces rideaux, probablement des restes d'un riche ruiné et défunt, sont fort jolis de dessin. De la même source provient probablement | |||||||||||||
[pagina 320]
| |||||||||||||
un fauteuil très usé, recouvert d'une tapisserie tachetée à la Diaz ou à la Monticelli, brun, rouge, rose, blanc, crême, noir, bleu myosotys et vert bouteille; à travers la fenêtre barrée de fer j'aperçois un carré de blé dans un enclos, une perspective à la Van Goyen, au-dessus de laquelle le matin je vois le soleil se lever dans sa gloire. Avec cela - comme il y a plus de 30 chambres vides - j'ai une chambre encore pour travailler. Le manger est comme ci comme ça. Cela sent naturellement un peu le moisi, comme dans un restaurant à cafards de Paris ou un pensionnat. Ces malheureux ne faisant absolument rien (pas un livre, rien pour les distraire qu'un jeu de boules et un jeu de dames) n'ont d'autre distraction journalière que de se bourrer de pois chiches, d'haricots et lentilles et autres épiceries et denrées coloniales par des quantités réglées et à des heures fixes. La digestion de ces marchandises offrant de certaines difficultés, ils remplissent ainsi leur journées d'une façon aussi inoffensive que peu coûteuse. Mais sans blague, la peur de la folie me passe considérablement en voyant de près ceux qui en sont atteints, comme moi je peux dans la suite très facilement l'être. Auparavant j'avais de la répulsion pour ces êtres et cela m'était quelque chose de désolant de devoir y réfléchir que tant de gens de notre métier: Troyon, Marchal, Méryon, Jundt, M. Maris, Monticelli, un tas d'autres avaient fini comme cela. Je n'étais pas à même de me les représenter le moins du monde dans cet état-là. Eh bien à présent je pense à tout cela sans crainte, c. à. d. je ne le trouve pas plus atroce que si ces gens seraient crevés d'autre chose, de la phtysie ou de la siphilis par exemple. Ces artistes je les vois reprendre leur allure sereine et crois-tu que ce soit peu de chose que de retrouver des anciens du métier? C'est là sans blague ce dont je suis profondement reconnaissant. Car quoiqu'il y en ait qui hurlent ou d'habitude déraisonnent, il y a ici beaucoup de vraie amitié qu'on a les uns pour les autres, ils disent: il faut souffrir les autres pour que les autres nous souffrent, et autres raisonnements fort justes, qu'ils mettent ainsi en pratique. Et entre nous nous nous comprenons très bien, je peux par exemple causer quelquefois avec un, qui ne répond qu'en sons incohérents parce qu'il n'a pas peur de moi. Si quelqu'un tombe dans quelque crise les autres le gardent et interviennent pour qu'il ne se fasse pas de mal. | |||||||||||||
[pagina 321]
| |||||||||||||
La même chose pour ceux qui ont la manie de se fâcher souvent. Des vieux habitués de la ménagerie accourent et séparent les combattants, si combat il y ait.. Il est vrai qu'il y en a qui sont dans des cas plus graves, soit qu'ils sont malpropres, soit dangereux. Ceux-là sont dans une autre cour. Maintenant je prends 2 fois par semaine un bain ou je reste 2 heures, puis l'estomac va infiniment mieux qu'il y a un an, je n'ai donc qu'à continuer pour autant que je sache. Ici je dépenserai moins je crois qu'ailleurs, comptant qu'ici j'ai encore du travail sur la planche, car la nature est belle. Mon espérance serait qu'au bout d'une année je saurai mieux ce que je peux et ce que je veux que maintenant. Alors peu à peu une idée me viendra pour recommencer. Revenir à Paris ou n'importe où actuellement ne me sourit aucunement, je me trouve à ma place ici. Un avachissement extrême est ce dont souffrent à mon avis le plus ceux qui sont ici depuis des années. Or mon travail me préservera dans une certaine mesure de cela. La salle où l'on se tient les jours de pluie est comme une salle d'attente 3me classe dans quelque village stagnant, d'autant plus qu'il y en a d'honorables aliénés qui portent toujours un chapeau, des lunettes, une canne et une tenue de voyage, comme aux bains de mer à peu près, et qui y figurent les passagers. Je suis obligé de te demander encore quelques couleurs et surtout de la toile. Lorsque je t'enverrai les 4 toiles que j'ai en train du jardin, tu verras que comptant que la vie se passe surtout au jardin, ce n'est pas si triste. J'y ai dessiné hier un très grand papillon de nuit assez rare, qu'on appelle la tête de mort, d'une coloration d'un distingué étonnant, noir, gris, blanc nuancé et à reflets carminés ou vaguement tournant sur le vert olive; il est très grand. | |||||||||||||
[pagina 322]
| |||||||||||||
Pour la peindre il aurait fallu le tuer et c'était dommage, tellement la bête était belle. Je t'en enverrai le dessin avec quelques autres dessins de plantes. Tu pourrais ôter des châssis les toiles chez Tanguy ou chez toi, qui ont assez séché, et puis remettre sur les châssis les nouvelles que tu en jugerais digne. Gauguin doit pouvoir te dire l'adresse d'un rentoileur pour la chambre à coucher, qui sera pas cher. Cela, je me l'imagine, doit être une restauration de 5 francs; si c'est plus, alors ne le faites pas faire, je ne crois pas que Gauguin payait davantage lorsqu'assez souvent il a fait rentoiler des toiles de lui, de Cézanne ou de Pissarro. Je suis encore - parlant de mon état - si reconnaissant d'autre chose encore, j'observe chez d'autres qu'eux aussi ont entendu dans leurs crises des sons et des voix étranges comme moi, que devant eux aussi les choses paraîssaient changeantes. Et cela m'adoucit l'horreur que d'abord je gardais de la crise que j'ai eue, et que lorsque cela vous vient inopinément ne peut autrement faire que de vous effrayer outre mesure. Une fois qu'on sait que c'est dans la maladie, on prend ça comme autre chose. Je n'aurais pas vu d'autres aliénés de près que je n'aurais pu me débarrasser d'y songer toujours. Car les souffrances d'angoisse sont pas drôles lors qu'on est pris dans une crise. La plupart des épileptiques se mordent la langue et se la blessent. Rey me disait qu'il avait vu un cas ou quelqu'un s'était blessé ainsi que moi à l'oreille, et j'ai cru entendre dire un médecin d'ici, qui venait me voir avec le directeur, que lui aussi l'avait déjà vu. J'ose croire qu'une fois que l'on sait ce que c'est, une fois qu'on a conscience de son état et de pouvoir être sujet à des crises, qu'alors on y peut soi-même quelque chose pour ne pas être surpris tant que ça par l'angoisse ou l'effroi. Or voilà 5 mois que cela va en diminuant, j'ai bon espoir d'en remonter ou au moins de ne plus avoir des crises de pareille force. Il y en a un ici qui crie et parle toujours comme moi pendant une quinzaine de jours, il croit entendre des voix et des paroles dans l'écho des corridors, probablement parce que le nerf de l'ouïe est malade et trop sensible, et chez moi c'était à la fois et la vue et l'ouïe, ce qui est habituel à ce que disait Rey un jour, dans le commencement de l'épilepsie. Maintenant la secousse avait été telle, que cela me dégoûtait de faire un mouvement même, et rien ne m'eut été si agréable que de ne plus me réveiller. A présent cette horreur de la vie est moins prononcée déjà et la mélancolie | |||||||||||||
[pagina 323]
| |||||||||||||
moins aigue. Mais de la volonté je n'en ai encore aucune, des désirs guère ou pas, et tout ce qui est de la vie ordinaire, le désir par exemple de revoir les amis auxquels cependant je pense, presque nul. C'est pourquoi je ne suis pas encore au point de devoir sortir d'ici bientôt, j'aurais de la mélancolie partout encore. Et même ce n'est que de ces tous derniers jours qu' un peu radicalement la répulsion pour la vie s'est modifiée. De là à la volonté et à l'action il y a encore du chemin. C'est dommage que toi tu sois toujours condamné à Paris et que tu ne vois jamais la campagne autre que celle des environs de Paris encore. Je crois que pour moi il n'est pas plus malheureux d'être dans la compagnie où je suis, que pour toi toujours les fatalités Goupil & Cie. Sous ce point de vue là nous sommes assez égaux. Car toi ce n'est qu'en partie que tu peux faire selon tes idées. Puisque cependant nous avons une fois l'habitude de ces désagréments, cela devient une seconde nature. Je crois que quoique les tableaux coûtent la toile, la couleur, etc., cependant au bout du mois il est plus avantageux de dépenser ainsi un peu plus et d'en faire avec ce que j'ai appris en somme, que de les délaisser, alors que quand bien même il faudrait payer pour une pension. Et c'est pourquoi que j'en fais; ainsi ce mois-ci j'ai 4 toiles de 30 et deux ou trois dessins. Mais la question d'argent, quoi qu'on fasse, reste toujours là comme l'ennemi devant la troupe, et la nier ou l'oublier on ne saurait. Moi tout aussi bien que qui que ce soit, vis à vis de cela je garde mes devoirs. Et je serai peut-être encore à même de rendre tout ce que j'ai dépensé, car ce que j'ai dépensé, je le considère sinon pris à toi au moins pris à la famille, alors conséquemment j'ai produit des tableaux et j'en ferai encore. Cela c'est agir comme tu agis toi-même aussi. Si j'étais rentier peut-être aurais-je la tête plus libre pour faire de l'art pour l'art, maintenant je me contente de croire qu'en travaillant avec assiduité, quand même sans y songer on fait peut-être quelque progrès. Voici les couleurs dont j'aurais besoin:
| |||||||||||||
[pagina 324]
| |||||||||||||
En te remerciant de ta bonne lettre, je te serre bien la main, ainsi qu'à ta femme. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
593Mon cher Theo, Il faut que je te prie encore de m'envoyer le plus tôt possible quelques brosses ordinaires, dont voici à peu près les grosseurs. Une demi douzaine de chaque s.v.p.; j'espère que tu vas bien ainsi que ta femme et que tu jouiras un peu du beau temps qu'il fait. Du moins ici nous avons un soleil splendide. Pour moi la santé va bien et pour la tête cela sera, espérons-le, une affaire de temps et de patience. Le directeur me disait un mot qu'il avait reçu de toi une lettre et qu'il t'avait écrit, à moi il ne me dit rien et je ne lui demande rien, ce qui est le plus simple. C'est un petit homme goutteux - veuf depuis quelques années, et qui a des lunettes très noirs. L'établissement étant un peu stagnant, l'homme ne paraît s'amuser à ce metier qu'assez médiocrement et d'ailleurs il y a de quoi. Il en est arrivé un nouveau, qui est agité à tel point qu'il casse tout et crie jour et nuit, il déchire aussi les camisoles de force et jusqu'à présent quoiqu'il soit tout le jour dans un bain, il ne se calme guère, il démolit son lit et tout le reste dans sa chambre, renverse son manger, etc. C'est très triste à voir, mais ils ont beaucoup de patience ici et finiront d'en venir cependant à bout. Les choses nouvelles deviennent vieilles si vite - je crois que si dans l'état d'âme où je suis actuellement je viendrais à Paris, je ne ferais aucune différence entre un tableau dit noir ou un tableau | |||||||||||||
[pagina 325]
| |||||||||||||
clair impressioniste, entre un tableau verni et à l'huile, et un tableau mat à l'essence. Je veux dire par là que réflexion se faisant à fur et mesure, je crois plus que jamais à l'éternelle jeunesse de l'école de Delacroix, Millet, Rousseau, Dupré, Daubigny, tout autant qu'à l'actuelle, ou à des artistes à venir même. Je ne crois guère que l'impressionisme fasse jamais davantage que par exemple les romantiques. De là à admirer des gens comme Léon Glaize ou Perrault, certes il y a de la marge. Ce matin j'ai vu la campagne de ma fenêtre longtemps avant le lever du soleil, avec rien que l'étoile du matin, laquelle paraîssait très grande. Daubigny et Rousseau ont fait ça cependant avec l'expression de toute l'intimité et toute la grande paix et majesté que cela a, en y ajoutant un sentiment si navrant, si personnel. Ces émotions-là je ne les déteste pas. J'ai toujours du remords et énormément, quand je pense à mon travail si peu en harmonie avec ce que j'aurais désiré faire. J'espère qu'à la longue cela me fera faire des choses meilleures, mais nous n'en sommes pas encore là. Je crois que les toiles qui sont bien bien sèches, tu feras bien de les laver avec de l'eau et un peu d'esprit de vin pour enlever l'huile et l'essence des pâtes. Ainsi le café de nuit et la vigne verte et surtout le paysage qui était dans le cadre en noyer. La Nuit aussi (mais là il y a des retouches récentes, qui pourraient couler par l'esprit de vin). Voilà tout un mois presque que je suis ici, pas une seule fois le moindre désir d'être ailleurs m'est venu, la volonté pour retravailler seule s'affermit un tantinet. Chez les autres je ne remarque pas non plus un bien net désir d'être ailleurs et cela peut très bien venir de ce qu'on se sente trop décidément cassé pour la vie au dehors. Ce que je ne comprends pas trop, c'est leur oisiveté absolue. Mais c'est le grand défaut du midi et sa ruine. Mais quel beau pays et quel beau bleu et quel soleil! Et encore je n'ai vu que le jardin et ce que j'aperçois à travers la fenêtre. As-tu lu le nouveau livre de Guy de Maupassant, ‘Fort comme la mort’, quel en est le motif? Ce que j'ai lu dans cette catégorie, c'était en dernier lieu le Rêve de Zola; je trouvais fort, fort belle la figure de femme, la brodeuse, et la description de la broderie toute en or. Justement parce que | |||||||||||||
[pagina 326]
| |||||||||||||
cela est comme une question de couleur des différents jaunes, entiers et rompus. Mais la figure d'homme me semblait peu vivante et la grande cathédrale aussi me foutait la mélancolie. Seulement ce repoussoir lilas et bleu noir fait, si on veut, ressortir la figure blonde. Mais enfin il y a déjà des choses de Lamartine comme cela. J'espère que tu détruiras un tas de choses trop mauvaises dans le tas que j'ai envoyé, ou du moins n'en montreras que ce qu'il y a de plus passable. Pour ce qui est de l'exposition des Indépendants, cela m'est absolument égal, fais comme si je n'y étais point. Pour ne pas être indifférent et ne pas exposer quelque chose de trop fou, peut-être la nuit étoilée et le paysage aux verdures jaunes, qui était dans le cadre en noyer. Puisque c'en sont deux de couleurs contraires et cela pourrait donner l'idée à d'autres de faire mieux que moi des effets de nuit. Enfin il faut absolument te tranquilliser à mon sujet maintenant. Lorsque j'aurai reçu la nouvelle toile et les couleurs je m'en vais un peu voir la campagne. Puisque c'est juste la saison où il y a beaucoup de fleurs et par conséquent des effets de couleur, il sera peut-être sage de m'envoyer encore 5 mètres de toile en plus. Car les fleurs seront passagers et seront remplacés par les blés jaunes. Ceux-là surtout je voudrais les attraper mieux qu'à Arles. Le mistral (puisqu'ici il y a quelques montagnes) me paraît bien moins gênant qu'à Arles où on l'a toujours de première main. Lorsque tu recevras les toiles que j'ai faites dans le jardin, tu verras que je ne suis pas trop mélancolique ici. A bientôt, bonne poignée de main en pensée à toi et à Jo t.à t. Vincent. | |||||||||||||
594Mon cher Theo, (9 Juni.) Merci beaucoup de l'envoi de toiles, couleurs, brosses, tabac et chocolat qui m'est parvenu en bon état. J'en ai été bien content, car je languissais un peu après le travail. Aussi est-il que depuis quelques jours je suis dehors pour travailler dans les environs. Ta dernière lettre était si j'ai bonne mémoire du 21 Mai, depuis je n'ai pas encore de tes nouvelles que seulement que M. Peyron me disait avoir reçu une lettre de toi. J'espère que ta santé va bien, ainsi que celle de ta femme. | |||||||||||||
[pagina 327]
| |||||||||||||
M. Peyron a l'intention d'aller à Paris voir l'exposition et alors te rendra une visite. Que te dirais-je de neuf, pas grand'chose. J'ai en train deux paysages (toiles de 30), de vues prises dans les collines, l'un est la campagne que j'aperçois de la fenêtre de ma chambre à coucher. Sur l'avant-plan un champ de blé ravagé et flanqué par terre après un orage. Un mur de clôture et au delà de la verdure grise de quelques oliviers, des cabanes et des collines. Enfin dans le haut de la toile un grand nuage blanc et gris noyé dans l'azur. C'est un paysage d'une simplicité extrême - aussi de coloration. Cela irait comme pendant à cette étude de chambre à coucher qui est endommagée. Lorsque la chose représentée en tant que style est absolument d'accord et un avec la façon de la représenter, n'est-ce pas là ce qui fait la tenue d'une chose d'art? C'est pourquoi un pain de ménage en fait de peinture est surtout bon lorsqu'il est peint par Chardin. Maintenant l'art égyptien par exemple, ce qui en fait l'extraordinaire, n'est-ce pas que ces sereins rois calmes, sages et doux, patients, bons, semblent ne pas pouvoir être autrement qu'ils ne sont, éternellement des agriculteurs adorateurs du soleil? Comme j'aurais voulu voir à l'exposition une maison égyptienne construite par Jules Garnier l'architecte - peinte en rouge, jaune et bleu, avec un jardin divisé régulièrement en parterres par des rangées de briques - l'habitation des êtres, que nous ne connaissons qu'à l'état de momies ou en granit. Mais voilà pour revenir à ces moutons, les artistes égyptiens donc, ayant une foi, travaillant de sentiment et d'instinct, expriment toutes ces choses insaisissables: la bonté, la patience infinie, la sagesse, la sérénité, par quelques courbes savantes et des proportions merveilleuses. C'est pour dire encore une fois, alors que la chose représentée et la façon de la représenter s'accordent, la chose a du style et de la tenue. Ainsi aussi la servante dans la grande fresque de Leys, lorsqu'elle est gravée par Braquemond devient une nouvelle oeuvre d'art - ou le petit liseur de Meissonnier, lorsque c'est Jacquemart qui le grave - puisque la façon de graver fait un avec la chose représentée. Désirant conserver cette étude de la chambre à coucher, si tu veux me la renvoyer lorsqu'on m'enverra de la toile, roulée, je vais la repeindre. J'avais d'abord voulu la faire rentoiler, parce que je ne croyais | |||||||||||||
[pagina 328]
| |||||||||||||
pas pouvoir la refaire. Cependant ma tête se calmant depuis, maintenant je peux bien la refaire. C'est que dans le nombre des choses qu'on fabrique, il y en a toujours qu'on a davantage senties ou voulues et qu'on veut quand même garder. Lorsque je vois un tableau qui m'intrigue, je me demande toujours involontairement ‘dans quelle maison, chambre, coin de chambre, chez quelle personne ferait-il bien, serait-il à sa place’? Ainsi les tableaux de Hals, de Rembrandt, de v.d. Meer ne sont chez eux que dans l'ancienne maison hollandaise. Or les impressionistes - c'est toujours encore que si un intérieur n'est pas complet sans oeuvre d'art, un tableau n'y est pas non plus s'il ne fait pas un avec un entourage original et résultant de l'époque dans laquelle il a été produit. Et je ne sais si les impressionistes valent mieux que leur temps ou plutôt ne le valent pas encore. En un mot: y a-t-il des âmes et des intérieurs de maison plus importants que ce qui a été exprimée par la peinture? Je suis porté à le croire. J'ai vu une annonce d'exposition prochaine d'impressionistes nommés Gauguin, Bernard, Anquetin et autres noms. Suis donc porté à croire qu'il s'est encore fait une nouvelle secte, pas moins infaillible que les autres déjà existantes. Etait-ce de cette exposition-là que tu me parlais? Quelles tempêtes dans des verres d'eau. La santé va bien, comme ci comme ça, je me sens avec mon travail plus heureux ici que je ne pourrais l'être dehors. En restant assez longtemps ici, j'aurai pris une conduite réglée et il en résultera à la longue plus d'ordre dans la vie et moins d'impressionabilité. Et ce serait autant de gagné. D'ailleurs je n'aurais pas le courage de recommencer dehors. Je suis une fois et encore accompagné allé dans le village, rien que la vue des gens et des choses me faisaient un effet comme si j'allais m'évanouir et je me trouvais fort mal. Devant la nature c'est le sentiment du travail qui me tient. Mais enfin c'est pour te dire qu'en dedans de moi il doit y avoir eu quelque émotion trop forte, qui m'a foutu cela et je ne sais pas du tout ce qui a pu l'occasionner. Je m'ennuie à mourir à des moments après le travail, et pourtant je n'ai aucune envie de recommencer. Le médecin qui vient de passer, dit qu'il n'ira à Paris que dans quelques semaines, n'attends donc pas encore sa visite. | |||||||||||||
[pagina 329]
| |||||||||||||
J'espère que tu m'écriras bientôt. Pendant ce mois-ci il me faudra bien encore:
C'est drôle que toutes les fois que j'essaye de me raisonner pour me rendre compte des choses pourquoi je suis venu ici et qu'en somme ce n'est qu'un accident comme un autre, un terrible effroi et horreur me saisit et m'empêche de réfléchir. Il est vrai que cela tend vaguement à diminuer, mais aussi cela me semble prouver qu'il y a effectivement je ne sais quoi de dérangé dans ma cervelle, mais c'est stupéfiant d'avoir peur ainsi de rien et de ne pas pouvoir se rappeler. Seulement tu peux y compter que je fais mon possible pour redevenir actif et peut-être utile dans ce sens au moins que je veux faire de meilleurs tableaux qu'auparavant. Dans le paysage d'ici bien des choses font souvent penser à Ruysdael, mais la figure des laboureurs manque. Chez nous partout et à tout temps de l'année on voit des hommes, des femmes, des enfants, des animaux au travail et ici pas le tiers de cela et encore ce n'est pas le travailleur franc du nord. Cela semble labourer d'une main gauche et lâche, sans entrain. Peutêtre est-ce là une idée que je m'en suis faite à tort, je l'espère au moins, n'étant pas du pays. Mais cela rend les choses plus froides, qu'on oserait croire en lisant Tartarin, qui peut-être a été expulsé déjà depuis de longues années avec toute sa famille. Ecris-moi surtout bientôt, car ta lettre tarde bien à venir, j'espère que tu te portes bien. C'est une grande consolation pour moi de savoir que tu ne vis plus seul. Si un mois ou un autre il te serait trop à charge de m'envoyer de la couleur, toile, etc. alors ne les envoie pas, car sache le bien qu'il vaut mieux vivre que de faire de l'art abstractement. Et avant tout il faut que la maison ne soit pas triste ni morte. Cela d'abord et la peinture ensuite. Puis je me sens tenté de recommencer avec les couleurs plus simples, les ocres par exemple. Est-ce qu'un van Goyen est laid parce que c'est peint en pleine huile avec fort peu de couleur neutre, ou un Michel? Mon sous-bois avec du lierre est complètement terminé, j'ai grande | |||||||||||||
[pagina 330]
| |||||||||||||
envie de te l'envoyer aussitôt sec assez pour être roulé. Avec une bien forte poignée de main à toi et à ta femme. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
595Mon cher Theo, (19 Juni.) Merci de ta lettre d'hier. Moi non plus je ne peux pas écrire comme je le voudrais, mais enfin nous vivons dans une époque si agitée, que d'avoir des opinions bien fermes assez pour juger des choses, il ne saurait être question. J'aurais bien voulu savoir si maintenant tu manges encore ensemble au restaurant ou que tu vis davantage chez toi j'espère, car à la longue cela doit être le meilleur. Pour moi cela va bien, tu comprends qu'après maintenant bientôt un demi-an de sobriété absolue de manger, boire, fumer, avec dans ces derniers temps deux bains de deux heures par semaine, il est évident que cela doive beaucoup calmer. Cela va donc fort bien et pour ce qui est du travail, cela m'occupe et me distrait - ce dont j'ai grand besoin - bien loin de m'éreinter. Cela me fait grand plaisir qu'Isaäcson ait trouvé des choses dans mon envoi qui lui plaisent. Lui et de Haan paraîssent bien fidèles, ce qui est rare assez par le temps qui court, pour qu'il soit juste de l'apprécier. Et que, ainsi que tu dis, il s'en est trouvé un autre qui avait trouvé quelque chose dans la figure de femme jaune et noir. Cela ne m'étonne pas, quoique je crois que le mérite en est au modèle et non pas à ma peinture. Je désespère de jamais trouver des modèles, ah si j'en avais de temps en temps de comme cela ou comme la femme qui a posé pour la Berceuse, je ferais bien autre chose. Je trouve que tu aies bien fait de ne pas exposer des tableaux de moi à l'exposition de Gauguin et autres, il y a une raison suffisante que je m'en abstienne sans les offenser, tant que je ne suis pas moi-même guéri. Il est indubitable pour moi que Gauguin et Bernard ont du grand et réel mérite. Qu'à des êtres comme eux, bien vivants et jeunes, et qui doivent vivre et chercher à se frayer leur sentier, il soit impossible de retourner toutes leurs toiles contre un mur, jusqu'à ce qu'il plaise aux gens de les admettre dans quelque chose, dans le vinaigre officiel, demeure pourtant fort compréhensible. En exposant dans | |||||||||||||
[pagina 331]
| |||||||||||||
les cafés, on est cause de bruit, qu'il est, je ne dis pas non, de mauvais goût de faire, mais moi, et jusqu'à deux fois j'ai ce crime-là sur la conscience, ayant exposé au Tambourin et à l'Avenue de Clichy, sans compter le dérangement causé à 81 vertueux antropophages de la bonne ville d'Arles et à leur excellent maire. Donc dans tous les cas je suis pire et plus blâmable qu'eux, en tant que quant à cela, causer du bruit, ma foi, bien involontairement. Le petit Bernard - pour moi - a déjà fait quelques toiles absolument étonnantes où il y a une douceur et quelque chose d'essentiellement français et candide de qualité rare. Enfin ni lui ni Gauguin sont des artistes qui puissent avoir l'air de chercher à aller à l'exposition universelle par des escaliers de service. Rassure-toi là-dessus. Qu'eux ils n'ont pas pu se taire, c'est compréhensible. Que le mouvement des impressionistes n'a pas eu d'ensemble, c'est ce qui prouve qu'ils savent moins bien batailler que d'autres artistes, tels Delacroix et Courbet. Enfin j'ai un paysage avec des oliviers et aussi une nouvelle étude de ciel étoilé. Tout en n'ayant pas vu les dernières toiles ni de Gauguin ni de Bernard, je suis assez persuadé que ces deux études, que je te cite, sont dans un sentiment parallèle. Lorsque pendant quelque temps tu auras vu ces deux études, ainsi que celle du lierre, mieux que par des paroles je pourrai peut-être te donner une idée des choses dont Gauguin, Bernard et moi ont quelquefois causé et qui nous ont préoccupé; ce n'est pas un retour au romantique ou à des idées religieuses, non. Cependant en passant par le Delacroix, davantage que cela paraîsse, par la couleur et un dessin plus volontaire que l'exactitude trompe-l'oeil, on exprimerait une nature de campagne plus pure que labanlieue, les cabarets de Paris. On chercherait à peindre des êtres humains également plus sereins et plus purs que Daumier n'en avait sous les yeux, mais bien entendu en suivant Daumier pour le dessin de cela. Que cela existe ou n'existe pas, nous le laissons de côté, mais nous croyons que la nature s'étend au dela de St. Ouen. Peut-être tout en lisant Zola, nous sommes émus par le son du pur français de Renan par exemple. Et enfin alors que le Chat Noir nous dessine des femmes à sa façon et surtout Forain magistralement, on fait des siennes, moins pari- | |||||||||||||
[pagina 332]
| |||||||||||||
siens mais n'aimant pas moins Paris et ses élégances, nous cherchons à prouver qu'il y a alors encore tout autre chose. Gauguin, Bernard ou moi, nous y resterons tous peut-être et ne vaincrons pas, mais pas non plus serons-nous vaincus, nous sommes peut-être pas là pour l'un ou pour l'autre, étant là pour consoler ou pour préparer de la peinture plus consolante. Isaäcson et de Haan réussiront pas non plus peut-être, mais en Hollande ils ont senti le besoin d'affirmer que Rembrandt faisait de la grande peinture et non pas du trompe-l'oeil, eux aussi sentaient autre chose. Si tu peux faire rentoiler la chambre à coucher, il vaut mieux le faire avant de me l'envoyer. Je n'ai plus de blanc du tout du tout. Tu me feras bien du plaisir en m'écrivant de nouveau bientôt. J'y pense si souvent qu'au bout de quelque temps j'espère que dans le mariage tu trouveras à te retremper et que d'ici un an tu auras gagné en santé. Ce qu'il me serait fort agréable d'avoir ici pour lire de temps en temps, ce serait un Shakespeare. Il y en a à un shilling, Dicks shilling Shakespeare, qui est complet. Les éditions ne manquent pas et je crois que celles à bon marché ne sont moins changées que celles plus chères. Dans tous les cas je n'en veux pas qui coûteraient plus de trois francs. Maintenant ce qui dans l'envoi est trop mauvais, mets-le de côté tout-à-fait, inutile d'en avoir de comme cela; cela peut me servir plus tard pour me rappeler des choses. Ce qu'il y a de bon se verra mieux en étant en plus petit nombre de toiles. Le reste, si tu le mets à plat entre deux feuilles de carton avec des vieux journaux entre les études dans un coin, c'est tout ce que cela vaut. Je t'envoie un rouleau de dessins. Poignées de main à toi, à Jo et aux amis. t.à.t. Vincent.
Les dessins: hospice d'Arles - l'arbre pleureur dans l'herbe - les champs et les oliviers font suite à ceux de Montmajour de dans le temps, les autres sont des études hâtives prises dans le jardin. Le Shakespeare ne presse pas, si on n'a pas une édition comme cela, cela ne prendra pas une éternité pour la faire venir. Ne crains pas que jamais de ma propre volonté je me risquerais | |||||||||||||
[pagina 333]
| |||||||||||||
sur des hauteurs vertigineuses, malheureusement nous sommes sujet aux circonstances et aux maladies de notre époque, bon gré mal gré. Mais avec tant de précautions que maintenant je prends, je retomberai difficilement, et j'espère que les attaques ne reprendront plus. | |||||||||||||
596Mon cher Theo, (25 Juni.) Ci-inclus tu trouveras une commande de couleurs, qui remplacerait celle dans ma lettre précédente. Nous avons eu des journées de belle chaleur et j'ai mis encore d'autres toiles en train, de sorte qu'il y en a 12 de toiles de 30 sur le chantier. Deux études de cyprès de cette difficile nuance vert bouteille, j'en ai travaillé les avantplans par des empâtements de blanc de céruse, ce qui donne de la fermeté aux terrains. Je crois que très souvent les Monticelli étaient préparés ainsi. Là-dessus on passe alors d'autres couleurs. Mais je ne sais si les toiles sont fortes assez pour ce travail-là. En parlant de Gauguin, de Bernard, et de ce qu'ils pourraient bien nous faire de la peinture plus consolante, je dois pourtant ajouter ce que d'ailleurs j'ai souvent dit à Gauguin lui-même, qu'alors il ne faut pas oublier que d'autres en ont déjà fait. Mais quoiqu'il en soit, hors Paris on oublie vite Paris, en se jetant en pleine campagne on change d'idée, mais moi pour un je ne saurais oublier toutes ces belles toiles de Barbizon alors, et faire mieux que ça me parait peu probable et d'ailleurs pas nécessaire. Que fait André Bonger, dans les deux ou trois dernières lettres tu ne parles pas de lui. Pour moi la santé va toujours fort bien et le travail me distrait. J'ai reçu d'une des soeurs probablement un livre de Rod, qui est pas mal, mais dont le titre ‘Le Sens de la vie’ est bien un peu prétentieux pour le contenu à ce qui me paraîtrait. Surtout c'est peu réjouissant. L'auteur me paraît devoir beaucoup souffrir des poumons et conséquemment un peu de tout. Enfin il en convient qu'il trouve des consolations dans la compagnie de sa femme, ce qui est très bien vu, mais enfin pour mon propre usage il ne m'apprend absolument rien sur le sens de la vie, dans n'importe quel sens. De mon côté je pourrais le trouver un peu blasé et m'étonner de ce qu'il ait fait imprimer de ces jours-ci un livre comme cela et qu'il vende cela à raison de fr 3.50. | |||||||||||||
[pagina 334]
| |||||||||||||
Enfin je préfère Alphonse Karr, Souvestre, Droz, parce que c'est un peu plus vivant encore que ceci. Il est vrai que je suis peut-être ingrat, n'appréciant même pas l'Abbé Constantin et autres productions littéraires, qui illuminent le doux règne du naïf Carnot. Il parait que ce livre a fait grande impression sur nos bonnes soeurs. Wil m'en avait du moins parlé, mais les bonnes femmes et les livres cela fait deux. J'ai relu avec bien du plaisir Zadig ou la destinée, de Voltaire. C'est comme Candide. Là au moins le puissant auteur fait entrevoir qu'il y reste une possibilité que la vie ait un sens ‘quoiqu'on convint dans la conversation que les choses de ce monde n'allaient pas toujours au gré des plus sages.’ Pour moi je ne sais que désirer, travailler ici ou ailleurs me paraît d'abord à peu près la même chose et étantici, y rester le plus simple. Seulement des nouvelles à t'écrire cela manque, car les jours sont tous les mêmes, des idées je n'en ai pas d'autres que de penser qu'un champ de blé ou un cyprès valent bien la peine de les regarder de près et ainsi de suite. J'ai un champ de blé très jaune et très clair, peut-être la toile la plus claire que j'aie faite. Les cyprès me préoccupent toujours, je voudrais en faire une chose comme les toiles des tournesols, parce que cela m'étonne qu'on ne les ait pas encore fait comme je les vois. C'est beau comme lignes et comme proportions comme une obélisque égyptienne. Et le vert est d'une qualité si distinguée. C'est la tâche noire dans un paysage ensoleillé, mais elle est une des notes noires les plus intéressantes, les plus difficiles à taper juste, que je puisse imaginer. Or il faut les voir ici contre le bleu, dans le bleu pour mieux dire. Pour faire la nature ici, comme partout il faut bien y être longtemps. Ainsi un Monthénard ne me donne pas la note vraie et intime, car la lumière est mystérieuse et Monticelli et Delacroix sentaient cela. Alors Pissarro en parlait très bien dans le temps et je suis encore bien loin de pouvoir faire comme il disait qu'il le faudrait. Tu me feras naturellement plaisir en m'envoyant les couleurs, si c'est possible, bientôt, mais fais surtout là-dedans comme tu peux sans que cela t'éreinte trop. Ainsi si tu préfères me l'envoyer en deux fois cela est bon aussi. | |||||||||||||
[pagina 335]
| |||||||||||||
Je crois que des deux toiles de cyprès, celle dont je fais le croquis, sera la meilleure. Les arbres y sont très grands et massifs. L'avantplan très bas des ronces et broussailles. Derrière des collines violettes un ciel vert et rose avec un croissant de lune. L'avantplan surtout est très empâté, des touffes de ronces à reflets jaunes, violets, verts. Je t'en enverrai des dessins avec deux autres dessins que j'ai encore faits. Cela me prendra ces jours-ci. Trouver de l'occupation pour la journée c'est la grande question ici. Quel dommage qu'on ne puisse pas déplacer le bâtiment ici. Ce serait magnifique pour y faire uneexposition, toutes les chambres vides, les grands corridors. J'aurais bien voulu voir ce tableau de Rembrandt, dont tu parlais dans ta dernière lettre. J'ai vu dans le temps chez Braun dans sa vitrine une photo d'après un tableau qui doit être de la belle dernière période (probablement dans la série de l'Ermitage), là il y avait des figures d'anges importantes, c'était le repas d'Abraham, 5 figures je crois. Cela aussi était extraordinaire. Aussi touchant que par exemple les Pèlerins d'Emmaus. Si jamais il serait question de donner quelque chose à M. Salles - pour les peines qu'il s'est données - plus tard il faudrait lui donner les Pèlerins de Rembrandt. Est-ce que la santé va bien? Poignée de main à toi et à ta femme, j'espère semaine prochaine t'envoyer des nouveaux dessins. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
597Mon cher Theo, Ci-inclus je t'envoie une lettre de la mère, naturellement tu sais toutes les nouvelles y contenues. Je trouve que CorGa naar voetnoot*) est très conséquent en allant là. Ce que cela a de différent avec rester en Europe, c'est que là-bas on ne saurait comme ici être obligé de subir l'influence de nos | |||||||||||||
[pagina 336]
| |||||||||||||
grandes villes si vieilles que tout y semble radoter et à l'état vaccillant. Alors au lieu de voir ses forces vitales et l'énergie native et naturelle s'évaporer dans la circumlocution, possible que loin de notre société on soit davantage heureux. Il en serait autrement que cela n'empêcherait pas que se soit agir avec droiture et conséquent à son éducation pour lui, de ne pas hésiter à accepter cette situation. Maintenant ce n'est donc pas pour te faire part de toutes ces nouvelles, que tu sais, que je t'envoie la lettre. Mais c'est pour que tu en observes un peu combien l'écriture en est d'un ferme et d'une régularité assez remarquable lorsqu'on y songerait que ce soit vrai ce qu'elle dit, qu'elle est une mère de presque 70 ans. Et ainsi que tu me l'as déjà écrit, et la soeur aussi, qu'elle semblait rajeunie, je le vois moi-même à cette écriture si claire et à sa logique plus serrée dans ce qu'elle écrit, et la simplicité avec laquelle elle apprécie les faits. Je crois maintenant que ce rajeunissement lui vient décidément de ce qu'elle est contente que tu te sois marié, ce qu'elle avait depuis si longtemps désiré; et moi je t'en félicite de ce que ton mariage peut vous donner à toi et à Jo le plaisir assez rare de voir rajeunir votre mère. C'est bien pour cela que je t'envoie cette lettre. Car mon cher frère, il est quelquefois nécessaire plus tard de se souvenir - et cela tombe si bien que juste au moment ou elle aura la grosse douleur de se séparer de Cor - et ce sera raide cela - elle soit consolée en te sachant marié. Si la chose était possible, il ne faudrait pas attendre tout à fait un an entier avant de retourner en Hollande, car elle languira de te revoir, toi et ta femme. En même temps ayant marié une Hollandaise; cela pourrait dans quelques années plus tôt ou plus tard réchauffer les relations d'affaires avec Amsterdam ou la Haye. Enfin encore une fois, je n'ai pas vu moi une lettre de la mère dénotant autant de sérénité intérieure et de calme contentement que celle-ci - pas depuis bien des années. Et je suis sûr que cela vient de ton mariage. On dit que cela porte longue vie de contenter ses parents. Je te remercie maintenant beaucoup de l'envoi de couleurs, déduisles de la commande faite depuis, mais si toutefois cela se peut, pas pour la quantité de blanc. Je te remercie également bien cordialement du Shakespeare. Cela va m'aider à ne pas oublier le peu d'anglais que je sais, mais surtout c'est si beau. | |||||||||||||
[pagina 337]
| |||||||||||||
J'ai commencé à lire la série que j'ignore le plus, qu'autrefois, étant distrait par autre chose ou n'ayant pas le temps, il m'était impossible de lire: la série des rois; j'ai déjà lu Richard II, Henry IV et la moitié de Henry V. Je lis sans réfléchir si les idées des gens de ce temps-là sont les mêmes que les nôtres, ou ce qui en devient lorsqu'on les met face en face avec des croyances républicaines, socialistes, etc. Mais ce qui m'y touche, comme dans de certains romanciers de notre temps, c'est que les voix de ces gens, qui dans ce cas de Shakespeare nous parviennent d'une distance de plusieurs siècles, ne nous paraîssent pas inconnues. C'est tellement vivant qu'on croit les connaître et voir cela. Ainsi ce que seul ou presque seul Rembrandt a parmi les peintres, cette tendresse dans des regards d'êtres, que nous voyons soit dans les pèlerins d'Emmaus, soit dans la fiancée juive, soit dans telle figure étrange d'ange ainsi que le tableau que tu as eu la chance de voir - cette tendresse navrée, cet infini surhumain entr'ouvert et qui alors paraît si nature, à maint endroit on le rencontre dans Shakespeare. Et puis des portraits graves ou gais, tels le Six et tel le Voyageur, tel la Saskia, c'est surtout cela dont c'est plein. Quelle bonne idée le fils de Victor Hugo a eu de traduire tout cela en Français, de façon à ce que cela soit ainsi à la portée de tous. Lorsque je songe aux impressionistes et à toutes les questions d'art d'à présent, comme il y a justement pour nous autres des leçons là-dedans. Ainsi de ce que je viens de lire l'idée me vient que les impressionistes aient mille fois raison, alors même ils doivent y réfléchir longtemps et toujours s'il suit de là qu'ils aient le droit ou le devoir de se faire justice à eux-mêmes. Et s'ils osent se dire primitifs, certes ils feraient bien d'apprendre à être primitifs comme gens un peu aussi, avant de prononcer le mot primitif comme un titre, qui leur donnerait des droits à quoi que ce soit. Mais ceux qui seraient cause de ce que les impressionistes soient malheureux, eh bien naturellement le cas pour eux est grave aussi lorsqu'ils s'en moquent. Et puis livrer une bataille sept fois par semaine paraitrait ne pas devoir pouvoir durer. C'est épatant comme l'abbesse de Jouarre, lorsqu'on y songe, se tient cependant même à côté de Shakespeare. Je crois que Renan s'est payé cela, afin de pouvoir une fois dire | |||||||||||||
[pagina 338]
| |||||||||||||
de belles paroles en plein et à son aise, parce que c'est des belles paroles. Afin que tu aies une idée de ce que j'ai en train, je t'envoie aujourd'hui une dizaine de dessins, tous d'après des toiles en train. La dernière commencée est le champ de blé où il y a un petit moissonneur et un grand soleil. La toile est toute jaune à l'exception du mur et du fond de collines violacés. La toile qui comme motif est presque pareille est différente comme coloration, étant d'un vert grisâtre et un ciel blanc et bleu. Que je songe à Reid en lisant Shakespeare et comme j'ai plusieurs fois songé à lui, étant plus malade qu'à présent. Trouvant que j'avais été infiniment trop dur et peut-être décourageant pour lui, avec ce que je prétendais qu'il valait mieux aimer les peintres que les tableaux. Il n'est pas de ma compétence de faire ainsi des distinctions, même pas devant le problème que nous voyons nos amis vivants tant souffrir du manque d'argent assez pour se nourrir et payer leur couleur, et d'autre part les grands prix qu'on paye les toiles de peintres morts. Dans un journal je lisais une lettre d'un amateur de choses grecques à un de ses amis, où se trouvait cette phrase, ‘toi qui aimes la nature, moi qui aime tout ce qu'a fait la main de l'homme, cette différence dans nos goûts au fond en fait l'unité.’ Et je trouvais cela mieux que mon raisonnement. J'ai une toile de cyprès avec quelques épis de blé, des coquelicots, un ciel bleu qui est comme une étoffe bariolée écossaise; celle-là qui est empâtée comme les Monticelli et le champ de blé avec le soleil, qui représente l'extrême chaleur, très empâté aussi, je crois que cela lui expliquerait plus ou moins cependant qu'en étant amis avec nous il ne pouvait pas y perdre beaucoup. Mais cela est vrai de notre côté aussi et justement parcequ'on avait peut-etre raison de désapprouver son procès, il faudrait de notre côté faire une démarche de rapprochement. Enfin je n'ose pas encore écrire maintenant de peur de dire trop de bêtises, mais plus sûr de ma plume, j'aurais grande envie de lui écrire un jour. J'ai encore à Arles des toiles qui n'étaient pas sèches lorsque je partis, j'ai grande envie d'aller les prendre de ces jours-ci pour te les envoyer; il y a une demi-douzaine. Les dessins me paraîssent avoir peu de couleur cette fois-ci et pour un peu le papier trop lisse en est bien cause. | |||||||||||||
[pagina 339]
| |||||||||||||
Enfin l'arbre pleureur et la cour de l'hospice d'Arles sont plus colorés, mais cela te donnera pourtant une idée de ce que j'ai en train. La toile du faucheur deviendra quelque chose comme le semeur de l'autre année. Comme plus tard les livres de Zola demeureront beau, justement parce que cela a de la vie. Ce qui a vie aussi c'est que la mère est contente que tu sois marié, et je trouve que cela à vous-mêmes, toi et Jo, ne saurait être désagréable. Mais la séparation de Cor sera pour elle d'un dur difficile à concevoir. Apprendre à souffrir sans se plaindre, apprendre à considérer la douleur sans répugnance, c'est justement un peu là qu'on risque le vertige, et cependant se pourrait-il, cependant entrevoit-on même une vague probabilité que dans l'autre côté de la vie nous nous apercevrons des bonnes raisons d'être de la douleur, qui vu d'ici occupe parfois tellement tout l'horizon qu'elle prend des proportions de déluge désespérante. De cela nous en savons fort peu, des proportions et mieux vaut regarder un champ de blé, même à l'état de tableau. Je vous serre bien les mains et à bientôt de vos nouvelles, j'espère. Bonne santé à tous deux. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
598Beste moeder, Als U zegt dat U een moeder van bijna 70 jaar zijt, dan is dat wel waar, maar aan Uw schrift zou men dat zeker niet merken, want het viel me op dat dat al bizonder ferm is. Overigens schreven Theo en Wil me dat U opnieuw jong schijnt te worden en dat vind ik erg best en is in het leven wel eens meer noodig. Het nieuws betreffende Cor, geen wonder U er mede vervuld zijt en het zal van weerskanten bar zijn om te moeten scheiden. Hij heeft mijns inziens echter groot gelijk niet te aarzelen die plaats maar aan te nemen, daar het schijnt men op een afstand van die groote steden, Parijs niet alleen, maar Amsterdam, Rotterdam en zooveel anderen in Europa, beter en gelukkiger door de wereld kan komen dan in hun nabijheid. Er is nog meer natuurlijks in de wereld en goeds dan men hier in ons werelddeel veronderstellen zou. Wel niet precies over de Transvaal maar b.v. over Australië heb ik dikwijls hooren spreken door wie er vandaan waren en er altijd weer naar terugverlangden. Zoo b.v. ook over Haïti, over la Martinique, waar Gauguin die met me te Arles was, geweest was. | |||||||||||||
[pagina 340]
| |||||||||||||
En dat de Transvaal met Australië nog al een en ander gemeen zal hebben, durf ik wel veronderstellen. Enfin men heeft er kans zich beter te kunnen ontwikkelen en zijn werkkracht te kunnen gebruiken dan in de Europeesche circumlocutie. Wat nu betreft beste moeder het verdriet dat wij hebben en houden over scheiding en verlies, mij dunkt het is instinctmatig dat wij zonder dat in scheidingen niet zouden kunnen berusten, en het zal ons waarschijnlijk dienen om bij latere gelegenheden er elkaar aan te herkennen en terug te vinden. De dingen kunnen nu eenmaal niet op hun plaats blijven. En toch vallen de appels niet ver van den stam en zullen uit hun pitten vooreerst nog geen brandnetels oprijzen. Verder weet ik er echter niet van. Van Theo en Jo heb ik goede berichten, intusschen verwondert het mij minder dan iemand dat hij hoest enz. Soms wenschte ik wel, zij buiten Parijs woonden en niet op een een 4de of 5de verdieping enz., en toch er op aandringen te veranderen, zou ik niet op mij durven nemen, omdat Theo een zekere behoefte heeft aan beweging, zaken en vrienden te Parijs zelf. Laat zijn vrouw zorgen hij zooveel mogelijk zijn ouden hollandschen kost terugvinde, daar hij een jaar of tien aan één stuk verstoken is geweest daarvan en met restauratie eten gevoed, zonder eenig familieleven. Ik heb alle hoop zij dit wel vatten zal en misschien reeds gevat heeft. Het voornaamste is mogelijk dit: herinnert U zich nog van een historie in dat boek ‘de Pruuvers’ waarin verhaald wordt van een zieke, die iederen morgen naar de meid keek, die den vloer veegde, en vond dat zij ‘iets geruststellends’ had? Dat is het voornaamste waar in de meest verschillende en 't verst uiteenloopende ziektegevallen, de beterschap voor een vrij aanmerkelijk deel aan kan worden toegeschreven. Ik zou dus hoe wreed dit zij, de ongerustheid over het al dan niet sterk zijn van het gestel van Theo maar aan haar overlaten, en haar een jaartje laten tobben en scharrelen er aan, vóór wij er ons over bekommeren, en het komt mij voor, dan ons er niet in 't minst ongerust over schijnen, zou kunnen blijken een bewijs van ons eigen vertrouwen en ‘iets geruststellends’ in de natuur in het algemeen. Het komt mij voor, dat het hier in den zomer niet heel veel warmer is dan bij ons, wat betreft er hinder van hebben, daar de lucht hier helderder en zuiverder is. Verder hebben we zeer dikwijls veel wind | |||||||||||||
[pagina 341]
| |||||||||||||
le mistral. Ik heb op 't heetst van den dag in de korenvelden geschilderd zonder dat het me veel hinderde. Doch aan het snel geel worden van het koren ziet men soms wel de zon zoo tamelijk kracht hebben kan, maar de velden zijn bij ons oneindig mooier bebouwd, regelmatiger dan hier waar de grond door de rotsachtigheid van veel plekken niet voor alles geschikt is. Er zijn hier zeer mooie velden olijfboomen, die grijs-zilverachtig van groen zijn als knotwilgen. Dan verveelt de blauwe lucht mij niet. Boekweit ot koolzaad ziet men hier nooit en is er in 't algemeen misschien wat minder afwisseling dan bij ons. En juist zou ik zoo graag eens een boekweitveld in bloei schilderen, of het oliezaad in bloei, of vlas, maar daar vind ik licht later in Normandië of Bretagne de gelegenheid toe. Dan ziet men hier ook nooit die bemoste boerendaken op de schuren of hutten van bij ons, ook geen eikenhakhout, en geen spurrie, en geen beukenheggen met hun roodbruine blaren en witachtige gekruiste oude stammen. Ook geen eigenlijke hei en geen berken, die in Nuenen zoo mooi waren. Maar wat in 't Zuiden mooi is, zijn de wijngaarden, maar die zijn in 't vlakke land of tegen de heuvels aan. Ik heb er gezien en trouwens aan Theo een schilderij van gestuurd, waar een wijngaard geheel paars, vuurrood en geel en groen en violet is, als de wilde wingerd in Holland. Ik zie net zoo graag een wijngaard als een korenveld. Dan zijn de heuvels vol thijm en andere geurige planten hier zeer mooi, en door de helderheid van de lucht ziet men zooveel verder dan bij ons van af de hoogten. Nu ik eindig met U te zeggen, dat ik geloof U in Uw schik zijt uw zoon Theo eindelijk tot trouwen gekomen is. Ik zou als ik U was maar niet gaan tobben over zijn gezondheid, maar wel zou ik zorgen in Uw plaats, dat ik het van hem gedaan kreeg zijn vrouw en hij U tweemaal 's jaars kwamen bezoeken in plaats van ééns. Vooral nu Cor vertrekt ware dit voor U en hen wel goed. Voor zijn zaken kan 't hem volstrekt geen kwaad dat zijn gedachten eens afleiding hebben, en zijn vrouw, wees er van verzekerd, zal het U niet kwalijk nemen indien U de lust om nu en dan met haar naar Holland te komen bij hem opwekt. Vergeet het niet dat wij evenveel redenen tot ondankbaarheid als tot dankbaarheid hebben jegens de Parijsche zaken en in Uw kwaliteit van moeder van bijna 70 jaar moogt U dat wel eens laten gelden. | |||||||||||||
[pagina 342]
| |||||||||||||
In gedachten omhels ik U en met een handdruk voor Cor wensch ik hem recht goeden moed toe in zijn onderneming. Geloof me steeds Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
599Cher frère et soeur, (5 Juli.) La lettre de Jo m'apprend ce matin une bien grosse nouvelle, je vous en félicite et suis très content de l'apprendre. J'ai été bien touché de votre raisonnement, alors que vous dites qu'étant ni l'un ni l'autre en aussi bonne santé que paraîsse désirable à pareille occasion, vous ayez éprouvé comme un doute, et en tous cas un sentiment de pitié pour l'enfant à venir a traversé votre âme. Cet enfant dans ce cas-là a-t-il même avant sa naissance été moins aimé que l'enfant de parents très sains, desquels le premier mouvement eut été une joie vive? Certes non. Nous connaissons si peu la vie, qu'il est si peu de notre compétence de juger du bon et du mauvais, du juste ou de l'injuste, et dire que l'on soit malheureux parce que l'on souffre, n'est pas prouvé. Sachez que l'enfant de Roulin leur est venu souriant et très bien portant, alors que les parents étaient aux abois. Donc prenez cela comme cela est, attendez avec confiance et possédez votre âme avec une longue patience, ainsi que le dit une bien vieille parole, et avec bonne volonté. Laissez faire la nature. Pour ce que vous dites de la santé de Theo, tout en partageant de tout mon coeur, ma chère soeur, vos inquiétudes, je dois pourtant vous rassurer, précisément parce que j'ai vu que sa santé est, comme d'ailleurs la mienne, plutôt changeante et inégale, que faible. J'aime beaucoup à croire que les maladies nous guérissent parfois, c.à.d. qu'alors que la malaise sort en crise, c'est une chose nécessaire au recouvrement d'un état de corps normal. Non, dans la suite du mariage il reprendra ses forces, ayant encore de la réserve de jeunesse et de puissance de se refaire. J'en suis bien content de ce qu'il ne soit pas seul, et vraiment je n'en doute pas que dans la suite il reprenne son tempérament d'autrefois. Et puis surtout lorsqu'il sera père et que le sentiment de paternité lui viendra, ce sera autant de gagné. Dans ma vie de peintre et surtout lorsque je suis à la campagne, il m'est moins difficile à moi d'être seul, parce qu'à la campagne on sent plus aisément les liens qui nous unissent tous. Mais en | |||||||||||||
[pagina 343]
| |||||||||||||
ville comme lui y a fait ses dix ans de suite chez les Goupil à Paris, c'est pas possible d'exister seul. Ainsi avec de la patience cela reviendra. Je vais demain à Arles chercher des toiles qui sont encore par là, que je vous enverrai sous peu. Et je vais vous en envoyer aussitôt que possible pour essayer de vous faire avoir, tout en étant en ville, des idées de paysan. J'ai causé ce matin un peu avec le médecin d'ici - il me dit ce qui était absolument ce que j'avais déjà pensé - qu'il faut attendre un an avant de se croire guéri, puisqu'un rien pourrait faire revenir une attaque. Alors il m'a offert de prendre ici mes meubles pourque nous n'ayons pas doubles frais. Demain j'irai causer de cela à Arles avec M. Salles. Lorsque je suis venu ici, j'ai laissé à M. Salles 50 francs pour régler l'hospice à Arles, il est certain qu'il en aura de reste. Mais ayant encore assez souvent eu besoin de différentes choses ici, le surplus qu'avait M. Peyron est épuisé. Je suis un peu surpris, moi, qu'en vivant avec la plus grande sobriété possible et régularité depuis 6 mois, sans avoir mon atelier libre, je ne dépense pas moins ni ne produis davantage que l'année précédente relativement moins sobre, et intérieurement je ne me sens ni plus ni moins de remords etc. si on veut. Suffit pour dire que tout ce qu'on appelle bien et mal est pourtant - à ce qui me paraît - assez relatif. Je vis sobre ici, parce que j'ai la possibilité de le faire, je buvais autrefois parce que je ne savais plus comment faire autrement. Enfin cela m'est d'un égal!!! La sobriété très calculée - c'est vrai - mène cependant à un état d'être où la pensée, si on en a, va plus couramment. Enfin c'est une différence comme de peindre gris ou coloré. Je vais en effet peindre plus gris. Seulement au lieu de payer de l'argent à un propriétaire, on le donne à l'asile, je ne vois pas la différence - et ce n'est guère meilleur marché. Le travail est en dehors et m'a toujours coûté beaucoup. Je te remercie beaucoup de l'envoi de couleurs et de toile, dont je suis très content. J'espère aller refaire des oliviers. Des vignes il y en a malheureusement très peu ici. La santé va pourtant bien et j'ai un sentiment assez pareil à ce que j'ai eu étant beaucoup plus jeune, alors que j'étais aussi très sobre, on disait alors trop, je crois. Mais c'est égal, je chercherai à me débrouiller. | |||||||||||||
[pagina 344]
| |||||||||||||
Pour ce qui est d'être le parrain d'un fils de toi, alors que d'abord cela peut être une fille, vrai, dans les circonstances je préférerais attendre jusqu'à ce que je ne sois plus ici. Puis la mère certes y tiendrait un peu qu'on l'appelle après notre père, moi pour un trouverais cela plus logique dans les circonstances. Je me suis beaucoup amusé hier en lisant Measure for measure. Puis j'ai lu Henry VIII, où il y a de si beaux passages, ainsi celui de Buckingham et les paroles de Wolsey après sa chute. Je trouve que j'ai de la chance de pouvoir lire ou relire cela à mon aise et puis j'espère bien lire enfin Homère. Dehors les cigales chantent à tue tête, un cri strident, dix fois plus fort que celui des grillons, et l'herbe toute brûlée prend des beaux tons de vieil or. Et les belles villes du midi sont à l'état de nos villes mortes le long de la Zuyderzee, autrefois animées. Alors que dans la chute et la décadence des choses, les cigales chères au bon Socrate sont restés. Et ici certes ils chantent encore du vieux grec. Si notre ami Isaacson les entendait, il s'épanouirait. Ce que Jo écrit de ce que vous mangiez toujours à la maison, c'est parfait. Enfin je trouve que cela va fort bien, et encore une fois, tout en partageant de tout mon coeur toutes les inquiétudes qu'on voudra sur la santé de Theo, chez moi l'espoir prédomine que dans ce cas un état plus ou moins maladif n'est que le résultat des efforts de la nature pour se redresser. Patience. Mauve prétendait toujours que la nature était bonne et même bien davantage que d'habitude on croyait; y-a-t-il quelque chose dans son histoire qui prouve qu'il se soit trompé? Ses mélancolies des derniers temps, croiriezvous? Je serais moi porté à croire autre chose. A bientôt, mais j'ai voulu tout de suite vous écrire que cette nouvelle de ce matin me fait bien plaisir. Poignée de main et t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
600Mon cher Theo, Demain je t'enverrai petite vitesse un rouleau de toiles. Il y en a quatre, c.à.d. les suivantes:
| |||||||||||||
[pagina 345]
| |||||||||||||
qui se tiendront avec les autres que tu as déjà, tels que la vigne rouge et verte, le jardin, la moisson, le ciel étoilé. J'y joins encore études qui sont sèches, mais qui sont plutôt des études d'après nature que des motifs de tableaux. Et ainsi est-il toujours, il faut en faire plusieurs avant qu'on trouve un ensemble ayant de la tenue. Maintenant voici les sujets de ces 7 études; Les iris.- Vue de la maison de santé à St. Rémy, toiles de 30. - Pêchers en fleur (Arles), Prairies (Arles), Oliviers (St. Rémy), Vieux Saules (Arles), Verger en fleur. Maintenant le prochain envoi qui suivra sous peu sera composé surtout de champs de blé et de vergers d'oliviers. Ainsi que tu vois j'ai été prendre à Arles ces toiles, le surveillant d'ici m'a accompagné. Nous avons été chez M. Salles, qui était parti en vacances pour deux mois, puis à l'hospice pour voir M. Rey, que je n'ai pas trouvé non plus. Alors nous avons passé la journée avec mes ci-devant voisins ainsi que ma femme de ménage de dans le temps et quelques autres. On s'attache beaucoup aux gens qu'on a vus étant malade et cela m'a fait un monde de bien de revoir de certaines personnes qui ont été bons et indulgents pour moi alors. Quelqu'un m'a dit que M. Rey avait passé un examen et avait été à Paris, mais le concierge de l'hospice disait ne pas le savoir. Je suis curieux de savoir si tu l'aurais vu, car il avait projeté aller voir l'exposition et te rendre visite alors. Le médecin d'ici n'ira peut-être pas à Paris, il souffre beaucoup de sa goutte. J'ai encore reçu le second envoi de toiles et de couleurs et je t'en remercie beaucoup. La dernière toile que j'ai faite est une vue de montagnes avec en bas une cabane noirâtre dans des oliviers. Je m'imagine que tu seras bien absorbé par la pensée à l'enfant à venir; je suis bien content que le cas soit tel, avec le temps j'ose croire que tu trouveras ainsi beaucoup de sérénité intérieure. Qu'à Paris on prend comme une seconde nature, qui en outre des préoccupations d'affaires et d'art fait qu'on soit moins fort que des paysans, n'empêche pas que par les liens d'avoir femme et enfant, on se rattache quand même à cette nature plus simple et plus vraie, dont l'idéal nous hante parfois. Quelle histoire cette vente Sécretan! Cela me fait toujours plaisir que les Millet se tiennent. Mais combien désirerais-je voir davan- | |||||||||||||
[pagina 346]
| |||||||||||||
tage de bonnes reproductions de Millet, pour que cela aille au peuple. L'oeuvre est surtout sublime considérée dans son ensemble et de plus en plus cela deviendra difficile de s'en faire une idée, alors que les tableaux se dispersent. Je regrette de ne pas pouvoir ajouter le champ de blé avec le faucheur à cet envoi. Ecris-moi bientôt un mot. Poignée de main à toi et à Jo. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
601Mon cher Theo, Je remercie Jo beaucoup de m'avoir écrit et sachant que tu désires que je t'écrive un mot, je te fais savoir qu'il m'est fort difficile d'écrire, tant j'ai la tête dérangée. Donc je profite d'un intervalle. Monsieur le Dr. Peyron est bien bon pour moi et bien patient. Tu conçois que j'en suis affligé très profondément de ce que les attaques sont revenues, alors que je commençais déjà à espérer que cela ne reviendrait pas. Tu feras peut-être bien d'écrire un mot à Mr. le Dr. Peyron pour dire que le travail à mes tableaux m'est un peu nécessaire pour me remettre, car ces journées sans rien faire et sans pouvoir aller dans la chambre qu'il m'avait désignée pour y faire ma peinture, me sont presqu'intolérables. L'ami Roulin m'a écrit aussi. J'ai reçu catalogue de l'exposition Gauguin, Bernard, Schuffenecker, etc. que je trouve intéressant. Gauguin m'a aussi écrit une bonne lettre, toujours un peu vague et obscure, mais enfin je dois dire que je leur donne bien raison d'avoir exposé entre eux. Durant bien des jours j'ai été absolument égaré comme à Arles, tout autant sinon pire, et il est à présumer que ces crises reviendront encore dans la suite, c'est abominable. Depuis 4 jours je n'ai pas pu manger ayant la gorge enflée. Ce n'est pas pour trop m'en plaindre j'espère, que je te dis ces détails, mais pour te prouver que je ne suis pas encore en état d'aller à Paris ou à Pont-Aven, à moins que ce serait à Charenton. Je ne vois plus de possibilité d'avoir courage ou bon espoir, mais enfin ce n'est pas d'hier que nous sachions que le métier n'est pas gai. | |||||||||||||
[pagina 347]
| |||||||||||||
Quand même cela me fait plaisir que tu aies reçu cet envoi d'ici: les paysages. Merci surtout de cette eau-forte d'après Rembrandt.Ga naar voetnoot*) C'est surprenant, et pourtant cela me fait encore penser à l'homme au bâton de la galerie Lacaze. Veux-tu me faire un très, très grand plaisir, alors envois en un exemplaire à Gauguin. Puis la brochure Rodin et Claude Monet est bien intéressante. Cette crise nouvelle, mon cher frère, m'a pris dans les champs et lorsque j'étais en train de peindre par une journée de vent. Je t'enverrai la toile, que j'ai achevée quand même. Et juste c'était un essai plus sobre, de couleur mate sans apparence, des verts rompus, des rouges et des jaunes ferrugineux d'ocre, ainsi que je te le disais que par moments je sentais envie de recommencer avec une palette comme dans le nord. Je t'enverrai cette toile dès que pourrai. Bonjour, merci de toutes tes bontés, bonne poignée de main à toi et à Jo et naturellement à Cor, s'il est encore là. Vincent.
La mère et Wil m'ont écrit également une lettre fort bien. Tout en n'aimant pas outre mesure le livre de Rod, j'ai pourtant fait une toile de ce passage où il parle des montagnes et cabanes noirâtres. | |||||||||||||
602Mon cher Theo, Augustus. Depuis que je t'ai écrit, je vais mieux, et tout en ne sachant pas si cela durera, je ne veux pas attendre plus longtemps pour t'écrire de nouveau. Merci encore une fois de cette belle eau-forte d'après Rembrandt, je voudrais bien connaître le tableau et savoir à quelle époque de sa vie il l'a peint. Tout cela rentre avec le portrait de Fabritius de Rotterdam, le Voyageur de la galerie Lacaze dans une catégorie spéciale où le portrait d'un être humain se transforme en je ne sais quoi de lumineux et de consolant. Et comme cela est très différent de Michel Ange ou de Giotto, quoique ce dernier s'en rapproche pourtant et qu'ainsi Giotto forme comme le trait d'union possible entre l'école de Rembrandt et les Italiens. J'ai hier recommencé à travailler un peu, - une chose que je vois | |||||||||||||
[pagina 348]
| |||||||||||||
de ma fenêtre - un champ de chaume jaune qu'on laboure, l'opposition de la terre labourée violacée avec les bandes de chaume jaune, fond de collines. Le travail me distrait infiniment mieux qu'autre chose et si je pouvais une fois bien me lancer là-dedans de toute mon énergie, ce serait possiblement le meilleur remède. L'impossibilité d'avoir des modèles, un tas d'autres choses empêchent de parvenir cependant. Enfin il faut bien que j'essaie de prendre les choses un peu passivement et patienter. Je pense bien souvent aux copains en Bretagne, qui certes sont en train de faire du meilleur travail que moi. Si avec l'expérience que j'en ai à présent il m'était possible de recommencer, je n'irais pas voir dans le midi. Etais-je indépendant et libre, j'aurais néanmoins conservé mon enthousiasme, car il y a de bien belles choses à faire. Ainsi les vignes, les champs d'oliviers. Si j'avais confiance dans l'administration d'ici, rien ne serait mieux et plus simple que de | |||||||||||||
[pagina 349]
| |||||||||||||
mettre tous mes meubles ici à l'hospice et de continuer tranquillement. En cas de guérison ou dans les intervalles je pourrais tôt ou tard revenir à Paris ou en Bretagne pour un temps. Mais d'abord ils sont ici très chers et puis à présent j'ai peur des autres malades. Enfin un tas de raisons font que je ne crois pas que j'ai eu de la chance pas ici non plus. J'exagère peut-être dans la chagrin que j'ai, d'être encore foutu en bas par la maladie - mais j'ai comme peur. Tu me diras - ce que je me dis aussi - que la faute doit être en dedans de moi et non aux circonstances ou à d'autres personnes. Enfin c'est pas gai. M. Peyron a été bon pour moi et il a une longue expérience, je ne mépriserai pas ce qu'il dit ou juge bon. Mais aurait-il une opinion arrêtée, t'a-t-il écrit quelque chose de clair? et de possible? Tu vois que je suis encore de bien mauvaise humeur, c'est que ça ne va pas. Puis je me trouve imbécile d'aller demander la permission de faire des tableaux à des médecins. Il est d'ailleurs à espérer que si tôt ou tard je guérisse jusqu'à un certain point, ce sera parce que je me serai guéri en travaillant, ce qui fortifie la volonté et conséquemment laisse moins de prise à ces faiblesses mentales. Mon cher frère, je voulais t'écrire mieux que ça, mais cela ne va pas fort. J'ai grand plaisir d'aller dans les montagnes peindre des journées entières, j'espère qu'ils me laisseront de ces jours-ci. Tu verras bientôt une toile d'une cabane dans les montagnes, que j'avais faite impressionné par ce livre de Rod. Ce serait bon pour moi de rester dans une ferme, pour un temps au moins y ferais-je peut-être du bon travail. Je dois écrire à la mère et à Wil de ces jours-ci. Qu'en dis-tu que la mère va habiter Leyden, je lui donne raison dans ce sens que je comprends qu'elle languisse d'après ses petitsenfants. Et puis il n'y aura plus guère personne de nous autres en Brabande. Parlant de cela - il n'y a pas très longtemps - à Arles je lisais je ne sais plus quel livre de Henri Conscience. Si tu veux c'est excessivement sentimental ses paysans, mais parlant d'impressionisme sais-tu qu'il y a là-dedans des descriptions de paysage avec des notes de couleur d'un juste, d'un senti, d'un primitif de premier ordre? Et c'est toujours comme cela. Ah mon cher frère, ces bruyères- | |||||||||||||
[pagina 350]
| |||||||||||||
là, de la Campine, c'était pourtant quelque chose. Mais enfin cela ne reviendra pas, et en avant. Il - Conscience - avait décrit une maisonnette toute neuve avec toit de toile tout rouge en plein soleil, un jardin avec de l'oseille et oignons, des pommes de terre à verdure sombre, une haie de hêtre, une vigne et plus loin les sapins, les genêts tout jaunes, n'aie pas peur, c'était pas du Cazine, mais du Claude Monet. Puis dans l'excès même de sentimentalité il y a de l'originalité. Et moi qui sens cela et ne peux rien foutre, nom d'un chien, n'est-ce pas emmerdant? Si tu rencontres des occasions pour les lithographies Delacroix, Rousseau, Diaz, etc. des artistes anciens et modernes, Galeries modernes, etc. je ne saurais trop te recommender d'en garder car tu verras que cela deviendra rare. C'était pourtant bien le moyen de populariser les belles choses, que ces feuilles à 1 franc dedans le temps, ces eaux-fortes etc. d'alors. Très intéressant la brochure Rodin, Claude Monet; que j'aurais voulu voir cela. Inutile de dire que néanmoins je suis pas d'accord lorsqu'il dit que Meissonnier n'est rien, et les Rousseau sont quelque chose de fort intéressant pour ceux qui les aiment et cherchent à savoir ce que sentait l'artiste. Que tous soient de cet avis n'est pas possible, parcequ'il faut en avoir vu et regardé, et c'est plus rare que des pavés. Or un Meissonnier, si on le regarde un an durant, il y a encore pour l'année prochaine à regarder, soyez tranquille. Sans compter que c'est un homme qui a eu ses jours de bonheur, de trouvailles parfaites. Certes je le sais, Daumier, Millet, Delacroix ont un autre dessin - mais cette facture de Meissonnier, ce quelque chose d'essentiellement français, surtout alors que les vieux Hollandais n'y trouveraient rien à redire, et pourtant c'est autre chose qu'eux et c'est moderne, faut-il être aveugle pour croire que Meissonnier ne soit pas un artiste et - de premier ordre. A-t-on fait beaucoup de choses donnant mieux la note du XIX sciècle que le portrait d'Hetzel? Lorsque Besnard faisait ces deux très beaux panneaux: l'homme primitif et l'homme moderne, que nous avons vus chez Petit, en faisant de l'homme moderne un liseur, il avait la même idée. Et toujours je regretterai que de nos jours on croit à l'incompatibilité de génération de mettons 48 et l'actuelle. Je crois moi que les deux se tiennent quand même, tout en ne pouvant le prouver. Tiens prends le bon Bodmer. Est-ce qu'il n'a pu étudié la nature | |||||||||||||
[pagina 351]
| |||||||||||||
en chasseur, en sauvage, ne l'a-t-il pas aimée et connue avec expérience d'une longue vie mâle entière - et crois-tu que le premier Parisien venu qui s'en aille à la banlieue en sache autant ou plus, parce qu'il fera un paysage avec des tons plus crus? Non pas que ce soit mal d'employer des tons purs et heurtés, non pas qu'au point de vue du coloris je sois toujours admirateur de Bodmer, mais j'admire et j'aime l'homme, qui connaissait toute la forêt de Fontainebleau à partir de l'insecte jusqu'au sanglier et du cerf jusqu'à l'alouette, du grand chêne et du bloc de rocher jusqu'à la fougère et du brin d'herbe. Or une chose comme ça ne la sent, ne la trouve pas qui veut. Et Brion - oh un faiseur de tableaux de genre alsaciens, me dirat-on, c'est bien, il a en effet fait le Repas des fiançailles, le Mariage protestant, etc. qui en effet sont alsaciens. Lorsque personne ne se trouve à même d'illustrer les Misérables, lui pourtant le fait d'une façon jusqu'à présent pas surpassée et il ne se trompe pas dans ses types. C'est-il peu de chose que de tellement bien connaître les gens, l'humanité de cette période-là, tellement bien qu'on ne se trompe guère d'expression et de type? Ah à nous autres il nous faudrait vieillir en travaillant dur et c'est pourquoi qu'alors nous nous morfondons lorsque cela ne va pas. Je crois que si un jour tu verras le musée Brias de Montpellier, je crois qu'alors rien ne t'émotionnera plus que Brias lui-même, alors qu'on se rend compte d'après ses achats de ce qu'il a cherché à être pour les artistes. C'est un peu désespérant lorsqu'on voit de certains portraits de lui, tellement le visage est navré et évidement contrarié. Si l'on ne réussit pas dans le midi, c'est que reste toujours celui-là qui a souffert toute sa vie pour cette cause-là. Les seuls portraits sereins sont le Delacroix et le Ricard. Par exemple par un grand hasard celui par Cabanel est juste et comme observation fort intéressant, au moins cela donne une idée de l'être. Cela me fait plaisir que la mère de Jo soit venue à Paris. L'année prochaine ce sera peut-être un peu différent et tu auras un enfant et cela apporte pas mal de petites misères de la vie humaine - mais de certaines grandes misères de spleen, etc. disparaîssant à tout jamais, c'est certes ainsi que cela doit aller. Bientôt je t'écris de nouveau, je ne t'écris pas comme j'aurais voulu. J'espère que tout va bien chez toi et continuera à aller bien. | |||||||||||||
[pagina 352]
| |||||||||||||
Suis fort fort content de ce que Rivet t'ait débarassé de la toux, ce qui m'inquiétait bien un peu aussi! Ce que j'avais dans la gorge tend à disparaitre, je mange encore avec quelque difficulté, mais enfin ça a repris. Bonne poignée de main à toi et à Jo. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
603Mon cher Theo, Si je t'écris encore une fois aujourd'hui, c'est que ci-inclus j'ai écrit quelques mots à l'ami Gauguin; me sentant le calme revenir de ces derniers jours, il m'a semblé suffisamment pour que ma lettre ne soit pas absolument absurde, d'ailleurs en subtilisant ses scrupules de respect ou de sentiment, il n'est pas prouvé qu'on y gagne de la respectuosité ou du bon sens. Cela étant, cela fait du bien de recauser avec les copains, soit ce à distance. Et toi mon brave - comment ça va, et écris-moi donc quelques mots de ces jours-ci - car je m'imagine que les émotions qui doivent remuer le prochain père de famille, émotions dont notre bon père aimait tant à parler, doivent chez toi comme chez lui être grandes et de bon aloi, mais momentanément te sont peu exprimables dans le mélange un peu incohérent des petites misères parisiennes. Les réalités de cette sorte ça doit être comme enfin un bon coup de mistral, peu flatteur mais assainissant; moi cela me fait un plaisir bien grand, je te l'assure, et contribuera beaucoup à me faire sortir de ma fatigue morale et peut-être de ma nonchalance. Enfin il y a de quoi reprendre un peu de goût à la vie, quand j'y songe que moi je vais passer à l'état d'oncle de ce garçon projeté par ta femme. Je trouve cela assez drôle qu'elle se fait si forte que ce soit un garçon, mais enfin cela se verra. Enfin en attendant je ne peux faire que tripoter un peu dans mes tableaux, j'en ai un en train d'un lever de lune sur le même champ du croquis dans la lettre de Gauguin, mais où des meules remplacent le blé. C'est jaune d'ocre sourd et violet. Enfin tu verras dans quelque temps d'ici. J'en ai aussi un nouveau en train avec du lierre. Surtout mon brave je t'en prie, ne te fais pas de mauvais sang, inquiétude ou mélancolie pour moi, l'idée que tu t'en ferais certes de cette quarantaine nécessaire et salutaire serait peu motivée alors qu'il nous faut un redressement lent et patient. Cela, si nous arrivons à le saisir, nous épargnons nos forces pour cet hiver. Ici je me figure que l'hiver | |||||||||||||
[pagina 353]
| |||||||||||||
doit être assez maussade, enfin faudra chercher à s'occuper pourtant. Je me figure souvent que je pourrais retoucher beaucoup d'études de l'année passée d'Arles cet hiver. Ainsi de ces jours-ci ayant encore retenu une grande étude de verger, qui avait été fort difficile (c'est le même verger dont tu trouveras une variation, mais bien vague, dans l'envoi) je me suis mis à la retravailler de tête et je m'y suis retrouvé pour exprimer mieux l'harmonie des tons. Dis-moi, as-tu reçu des dessins de moi, une fois je t'en ai envoyé collis postal une demi-douzaine et puis plus tard une dizaine. Si tu ne les as pas reçu par hasard, cela doit se trouver à la gare depuis des jours et des semaines. Le médecin me disait de Monticelli, qu'il l'avait toujours considéré comme excentrique, mais que pour fou il l'avait été un peu vers la fin seulement. Considérant toutes les misères des dernières années de Monticelli y a-t-il de quoi s'en étonner qu'il ait fléchi sous un poids trop lourd, et a-t-on raison lorsque de là on voudrait déduire qu'artistiquement parlant il ait manqué son oeuvre? J'ose croire que non, il y avait du calcul bien logique chez lui et une originalité de peintre, qu'il demeure regrettable qu'on n'ait pas pu soutenir de façon à en rendre l'éclosion plus complète! Je t'envoie ci-inclus un croquis de cigales d'ici. Leur chant dans les grandes chaleurs a pour moi le même charme que le grillon dans le foyer du paysan chez nous. Mon brave - n'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir. Si reprendre courage sur des fautes commises et à commettre, ce qui est ma guérison, m'est encore dur, n'oublions pas dès lors que soit nos spleens et mélancolies, soit nos sentiments de bonhomie et de bon sens, ne sont pas nos guides uniques et surtout pas nos gardes définitifs, et que si tu te trouves toi aussi devant de dures responsabilités à risquer, si non à prendre, ma foi ne nous occupons pas trop l'un de l'autre, alors que fortuitement les circonstances de vivre dans des états de choses si éloignés de nos conceptions de jeunesse de la vie d'artiste, nous rendraient frères quand même, comme étant à maint égard compagnons de sort. Les choses se tiennent tellement qu'ici on trouve des cafards dans le manger parfois comme si on était vraiment à Paris, par contre il se pourrait qu'à Paris tu aies parfois une vraie pensée des champs. C'est certes pas grand chose mais enfin c'est rassurant. Prends donc ta paternité comme la prendrait un bonhomme de nos | |||||||||||||
[pagina 354]
| |||||||||||||
vieilles bruyères, lesquelles à travers tout bruit, tumulte, brouillard, angoisse des villes nous demeurent - quelque timide que soit notre tendresse - ineffablement chères. C'est à dire prends la ta paternité dans ta qualité d'exilé et d'étranger et de pauvre, désormais se basant avec l'instinct du pauvre sur la probabilité d'existence vraie de patrie, d'existence vraie au moins du souvenir, alors même que tous les jours nous oublions. Tel tôt au tard nous trouvons notre sort, mais certes pour toi comme pour moi il serait un peu hypocrite d'oublier notre bonne humeur, notre laisser aller confiant de pauvres diables, tels que nous allions dans ce Paris si étrange à présent, tout à fait et de trop appesantir sur nos soucis. Vrai j'en suis si content de ce que si ici parfois il y a des cafards dans le manger, chez toi il y a femme et enfant. D'ailleurs c'est rassurant que par exemple Voltaire nous ait laissé libres de croire pas absolument tout de ce que nous nous imaginons. Ainsi tout en partageant les soucis de ta femme sur ta santé, je ne vais pas jusqu'à croire ce que momentanément je m'imaginais que des inquiétudes pour moi étaient cause de ton silence à mon égard relativement assez long, quoique cela s'explique si bien lorsqu'on y songe combien une grossesse doit nécessairement préoccuper. Mais c'est très bien et c'est le chemin où tout le monde marche dans l'existence. A bientôt et bonne poignée de main à toi et à Jo t.à.t. Vincent.
En hâte mais voulais ne pas tarder à envoyer la lettre pour l'ami Gauguin, tu dois avoir l'adresse. | |||||||||||||
604Mon cher frère, (September.) Tout en t'ayant déjà écrit, il reste bien des choses que tu m'as dites et auxquelles je n'ai pas encore répondu. D'abord que tu aies loué une chambre dans la maison de Tanguy et que mes toiles sont là, c'est fort intéressant - pourvu que ce ne soit pas cher que tu la payes - les frais continuant toujours et les toiles tardant toujours à rapporter, cela m'effraye souvent. Quoi qu'il en soit je trouve que c'est une très bonne mesure et je t'en remercie comme de tant d'autres choses. C'est curieux que Maus ait l'idée d'inviter le petit Bernard et moi pour prochaine expositon des vingtistes, je voudrais bien y exposer, tout en sentant | |||||||||||||
[pagina 355]
| |||||||||||||
mon infériorité à côté de tant de Belges, qui ont énormement du talent. Ainsi ce Mellery est un grand artiste. Et il se tient ainsi depuis déjà nombre d'années, mais je ferais de mon mieux pour tâcher de faire cet automne quelque chose de bon. Je travaille d'arrache pied dans ma chambre, ce qui me fait du bien et chasse, à ce que je m'imagine, ces idées abnormales. Ainsi j'ai refait la toile de la chambre à coucher. Cette étude-là est certes une des meilleures - tôt ou tard il faut carrément la rentoiler. Elle a été peinte si vite et a séché de façon que l'essence s'évaporant tout de suite, la peinture ne s'est pas du tout collé ferme sur la toile. Cela sera le cas pour d'autres études de moi aussi, qui ont été peintes très vite et en pleine pâte. D'ailleurs après quelque temps cette toile mince s'en va et ne peut supporter beaucoup de pâte. Tu as pris d'excellents châssis, sacrématin si j'en avais ici de comme ça pour travailler, ça vaudrait mieux que ces lattes d'ici qui se courbent au soleil. On dit - et je le crois fort volontiers - qu'il est difficile de se connaître soi-même - mais il n'est pas aisé non plus de se peindre soi-même. Ainsi je travaille à deux portraits de moi dans ce moment - faute d'autre modèle - parce qu'il est plus que temps que je fasse un peu de figure. L'un je l'ai commencé le premier jour que je me suis levé, j'étais maigre, pâle comme un diable. C'est bleu violet foncé et la tête blanchâtre avec des cheveux jaunes, donc un effet de couleur. Mais depuis j'en ai recommencé un de trois quarts sur fond clair. Puis je retouche des études de cet été - enfin je travaille du matin jusqu'au soir. Est-ce que tu vas bien - bigre je voudrais bien pour toi que tu fusses 2 ans plus loin et que ces premiers temps de mariage, quelque beau que ce soit par moments fussent derrière le dos. Je crois si fermement qu'un mariage devient surtout bon à la longue et qu'alors on se refait le tempérament. Prends donc les choses avec un certain flegme du nord, et soignezvous bien tous les deux. Cette sacré vie dans les beaux-arts est éreintante à ce qui paraît. Les forces me reviennent de jour en jour et il me paraît de nouveau que j'en ai déjà de trop presque. Car pour rester assidu au chevalet il n'est pas nécessaire d'être un hercule. | |||||||||||||
[pagina 356]
| |||||||||||||
Cela m'a fait beaucoup penser à des peintres belges de ces jours-ci et durant ma maladie, que tu me disais que Maus avait été voir mes toiles. Alors des souvenirs me viennent comme une avalanche et je cherche à me reconstruire toute cette école d'artistes modernes flamands, jusqu'à en avoir le mal du pays comme un Suisse. Ce qui n'est pas bien, car notre chemin est - en avant, et retourner sur ses pas c'est défendu et impossible, c.à. dire on pourrait y penser sans s'abimer dans le passé d'une nostalgie trop mélancolique. Enfin, Henri Conscience est un écrivain pas du tout parfait, mais par ci par là, un peu partout, quel peintre! et quelle bonté dans ce qu'il a dit et voulu. J'ai tout le temps dans la tête une préface - (celle du Conscrit) d'une de ses livres où il dit avoir été très malade et que dans sa maladie, malgré tous ses efforts, il avait senti s'évanouir son affection pour les hommes, et que par de longues promenades en plein champs ses sentiments d'amour lui étaient revenus. Cette fatalité de la souffrance et du désespoir - enfin me voilà encore remonté pour une période - j'en dis merci. Je t'écris cette lettre peu à peu dans des intervalles quand je suis las de peindre. Le travail va assez bien - je lutte avec une toile commencée quelques jours avant mon indisposition, un faucheur, l'étude est toute jaune, terriblement empâtée, mais le motif était beau et simple. J'y vis alors dans ce faucheur - vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne - j'y vis alors l'image de la mort, dans ce sens que l'humanité serait le blé qu'on fauche. C'est donc - si tu veux - l'opposition de ce semeur que j'avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d'une lumière d'or fin. Bon m'y revoilà, je ne lâche pourtant pas prise et sur une nouvelle toile je cherche de nouveau. Ah, je croirais presque que j'ai une nouvelle période de clair devant moi. Et que faire - continuer pendant ces mois-là ici, ou changer - je ne sais. C'est que les crises lorsqu'elles se présentent ne sont guère drôles et risquer d'avoir une attaque comme cela avec toi ou d'autres, c'est grave. Mon cher frère - c'est toujours entre temps du travail que je t'écris - je laboure comme un vrai possédé, j'ai une fureur sourde de travail plus que jamais. Et je crois que ça contribuera à me guérir. | |||||||||||||
[pagina 357]
| |||||||||||||
Peut-être m'arrivera-t-il une chose comme celle dont parle Eug. Delacroix ‘j'ai trouvé la peinture lorsque je n'avais plus ni dents ni souffle’ dans ce sens que ma triste maladie me fait travailler avec une fureur sourde - très lentement - mais du matin au soir sans lâcher - et - c'est probablement là le secret - travailler longtemps et lentement. Qu'en sais-je, mais je crois que j'ai une ou deux toiles en train pas trop mal, d'abord le faucheur dans les blés jaunes et le portrait sur fond clair, ce sera pour les vingtistes si toutefois ils se souviennent de moi au moment donné, or ce me serait absolument égal, si non préférable, qu'ils m'oublient. Puisque moi je n'oublie pas l'inspiration que cela me donne de me laisser aller aux souvenir de certains Belges. C'est là le positif, et le reste tellement secondaire. Et nous voilà déjà en Septembre, vite nous serons en plein automne et puis l'hiver. Je continuerai à travailler très raide et puis si vers Noël la crise revient nous verrons, et cela passé alors je n'y verrais pas d'inconvénient à envoyer à tous les diables l'administration d'ici et de revenir dans le nord pour plus ou moins longtemps. Quitter maintenant, alors que je juge probable une nouvelle crise en hiver c.à.d. dans 3 mois, serait peut-être trop imprudent. Il y a 6 semaines que je n'ai pas mis le pied dehors, même pas dans le jardin, semaine prochaine lorsque j'aurai fini les toiles en train, je vais cependant essayer. Mais encore quelques mois et je serai à tel point avachi et hébété, qu'un changement fera probablement beaucoup de bien. Cela c'est provisoirement mon idée là-dessus, bien entendu c'est pas une idée fixe. Mais suis d'avis qu'il ne faut pas plus se gêner avec les gens de cet établissement qu'avec des propriétaires d'hôtel. On leur a loué une chambre pour autant de temps et ils se font bien payer pour ce qu'ils donnent et voilà absolument tout. Sans compter que peut-être ils ne demanderaient pas mieux qu'un état chronique de la chose et on serait coupablement bête si on donnait là-dedans. Ils s'informent beaucoup trop à mon goût de ce que non seulement moi, mais toi gagnent, etc. Ainsi y poser un lapin - sans se brouiller. Je continue encore cette lettre entre temps. Hier j'ai commencé le portrait du surveillant en chef et peut-être je ferai aussi sa femme, | |||||||||||||
[pagina 358]
| |||||||||||||
car il est marié et demeure dans un petit mas à quelques pas de l'établissement. Une figure fort intéressante, il y a une belle eau-forte de Legros, représentant un vieux noble Espagnol, si tu t'en rappelles, cela te donnera une idée du type. Il a été à l'hospice de Marseille pendant 2 époques de cholera, enfin c'est un homme qui a énormement vu mourir et souffrir, et il y a dans son visage je ne sais quel receuillement, tel que la figure de Guizot - car il y a de cela dans cette tête, mais différent - me vient involontairement à la mémoire. Mais lui est du peuple et plus simple. Enfin tu verras si je le réussis et si j'en fais une répétition. Je lutte de toute mon énergie pour maîtriser mon travail, me disant que si je gagne, cela ce sera le meilleur paratonnerre pour la maladie. Je me ménage beaucoup en m'enfermant soigneusement, c'est égoiste si tu veux, de ne pas plutôt m'habituer à mes compagnons d'infortune ici et d'aller les voir, mais enfin je ne m'en trouve pas mal, car mon travail est en progrès et de cela nous en avons besoin, car il est plus que nécessaire que je fasse mieux qu'auparavant, ce qui n'était pas suffisant. Ne vaut-il pas mieux que si tôt ou tard je reviendrais encore d'ici, j'en revienne décidément capable de faire un portrait qui ait quelque caractère, que de revenir comme je suis parti? C'est grossièrement exprimé, car je sens bien qu'on ne peut pas dire ‘je sais faire un portrait’ sans dire un mensonge, parce que cela est infini. Mais enfin tu comprendras ce que je veux dire, qu'il faut que je fasse mieux qu'auparavant. Actuellement la pensée marche régulièrement et je me sens absolument normal et si je raisonne à présent de mon état avec l'espérance d'avoir en général entre les crises - si malheureusement il est à craindre que cela reviendra toujours de temps en temps - d'avoir entre temps des périodes de clarté et de travail, si je raisonne à présent de mon état, alors certes je me dis qu'il ne faut pas que j'aie idée fixe d'être malade. Mais qu'il faut continuer ma petite carrière de peintre fermement. Dès lors de rester dès maintenant pour de bon dans un asile serait probablement exagérer les choses. Je lisais encore dans le Figaro il y a quelques jours une histoire d'écrivain russe qui a vécu avec une maladie nerveuse dont il est mort tristement d'ailleurs, qui lui causait des attaques terribles de temps à autre. | |||||||||||||
[pagina 359]
| |||||||||||||
Et qu'y peut-on, il n'y a pas de rémède, ou s'il y en a c'est de travailler avec ardeur. Je m'appesantis là-dessus plus qu'il ne faut. Et j'aime en somme mieux avoir ainsi carrément une maladie, que d'être comme j'étais à Paris alors que cela couvait. Aussi tu verras ceci quand tu mettras le portrait sur fond clair que je viens de terminer, à côté de ceux que j'ai fait de moi à Paris, qu'à présent j'ai l'air plus sain qu'alors et même beaucoup. Je suis même porté à croire que le portrait te dira mieux que ma lettre comment je vais et que cela te rassurera - il m'a coûté du mal. Et puis le faucheur marche je crois aussi - c'est très très simple. Fin du mois tu peux compter sur 12 toiles de 30 j'ose dire, mais il y aura deux fois les mêmes à peu près, l'étude et le tableau définitif. Enfin plus tard - peut-être que mon voyage dans le midi portera des fruits pourtant, car la différence de la lumière plus forte, du ciel bleu, cela apprend à voir et alors surtout et seulement même quand on voit cela longtemps. Le nord me paraîtra certes tout à fait nouveau, mais j'ai tellement regardé les choses, que je m'y suis fortement attaché, et il m'en restera de la mélancolie longtemps. Je pense à une drôle de chose. Dans Manette Salomon on discute l'art moderne, et je ne sais quel artiste parlant de ‘ce que restera’ dit: ce qui restera c'est les paysagistes, - cela a été un peu vrai, car Corot, Daubigny, Dupré, Rousseau, Millet en tant que paysagiste, ça dure, et lorsque Corot dit sur son lit de mort: ‘j'ai vu en rêve des paysages avec des ciels tout rose,’ c'était charmant; alors - très bien - dans Monet, Pissarro, Renoir, nous les voyons ces ciels tout roses, ainsi les paysagistes, cela reste, très bien, cela a été bigrement vrai. Laissons de côté la figure de Delacroix, de Millet. Après actuellement qu'est-ce que nous commençons timidement à entrevoir d'original et de durable - le portrait, c'est du vieux ça peut-on dire, mais c'est aussi très-neuf. Nous causerons encore de cela - mais continuons toujours à rechercher des portraits surtout d'artistes tel le Guillaumin et le portrait de jeune fille de Guillaumin et garde bien mon portrait par Russell auquel je tiens tant.As-tu encadré le portrait de Laval, tu ne m'as pas dit ce qu'il t'en semblait je crois, je trouvais cela épatant, le regard à travers le lorgnon, regard si franc. | |||||||||||||
[pagina 360]
| |||||||||||||
La volonté que j'ai de faire du portrait de ces jours-ci est terriblement tendu, enfin Gauguin et moi nous causions de cela et d'autres questions analogues de façon à nous tendre les nerfs jusqu'à l'extinction de toute chaleur vitale. Mais de cela il doit pourtant surgir quelques bons tableaux, j'ose croire, et nous les cherchons. Et ils doivent à ce que je m'imagine faire du bon travail en Bretagne. J'ai reçu une lettre de Gauguin je crois déjà te l'avoir dit, et je suis très curieux de voir un jour ce qu'ils font. Je dois te demander les articles de peinture suivants:
Puis j'ai promis au surveillant d'ici un No du Monde Illustré No 1684, 6 Juillet 1889 où il y a une gravure très jolie d'après Dumont Breton. Ouf. - le faucheur est terminé, je crois que ça en sera un que tu mettras chez toi - c'est une image de la mort tel que nous en parle le grand livre de la nature - mais ce que j'ai cherché c'est le ‘presqu'en souriant.’ C'est tout jaune, sauf une ligne de collines violettes, d'un jaune pâle et blond. Je trouve ça drôle, moi, que j'ai vu ainsi à travers les barreaux de fer d'un cabanon. Eh bien, sais-tu ce que j'espère, une fois que je me mets à avoir de l'espoir, c'est que la famille soit pour toi ce qu'est pour moi la nature, les mottes de terre, l'herbe, le blé jaune, le paysan, c.à.d. que tu trouves dans ton amour pour les gens de quoi non seulement travailler mais de quoi te consoler et te refaire, alors qu'on en a besoin. Ainsi je t'en prie, ne te laisse pas trop éreinter par les affaires, mais soignez vous bien tous les deux - peut-être dans un avenir pas trop éloigné il y a encore du bon. J'ai bien envie de refaire le faucheur encore une fois pour la mère, sinon je lui ferai un autre tableau pour sa fête, cela viendra plus tard, car je l'enverrai avec le reste. Car je suis persuadé que la mère le comprendrait - car c'est en | |||||||||||||
[pagina 361]
| |||||||||||||
effet aussi simple qu'une de ces gravures sur bois grossières, qu'on trouve dans les almanachs de campagne. Envoi-moi la toile dès que tu pourras, car si je veux encore faire d'autres répétitions pour la soeur aussi et si j'entreprends de nouveaux effets d'automne, j'aurai de quoi remplir mon temps d'un bout à l'autre pour ce mois-ci. Je mange et je bois comme un loup à présent, je dois dire que le médecin est très bienveillant à mon égard. Oui, je crois que c'est une bonne idée d'aller faire quelques tableaux pour la Hollande, pour la mère et la soeur; ça fera trois, c.à.d. le faucheur, la chambre à coucher, les oliviers, champ de blé et cyprès, cela fera quatre même, car alors j'ai encore une autre personne pour qui j'en ferai un aussi, je travaillerai à cela avec autant de plaisir et plus de calme que pour les vingtistes, c'est entendu; puisque je me sens de la force, sois sûr que je vais chercher à en abattre du travail. Je prends les meilleurs qu'il y ait dans 12 motifs, donc ils auront toujours des choses un peu étudiées et choisies. Et puis il y a du bon de travailler pour les gens, qui ne savent pas ce que c'est qu'un tableau. Bonne poignée de main à toi et à Jo, t.à.t. Vincent.
J'ouvre encore une fois cette lettre pour te dire que je viens de voir M. Peyron, je ne l'avais pas vu depuis 6 jours. Il me dit que ce mois-ci il compte aller à Paris et qu'il te verra alors. Cela me fait plaisir, car il a - c'est incontestable - beaucoup d'expérience et je crois qu'il te dira ce qu'il en pense assez franchement. A moi il m'a seulement dit: ‘espérons que cela ne reviendra pas’ mais enfin moi je compte que cela reviendra pendant assez longtemps, au moins quelques années. Mais j'y compte aussi que le travail loin de m'être impossible entre temps peut aller son train et même est mon remède. Et alors je dis encore une fois - mettant le médecin M. Peyron hors de cause absolument - que vis à vis de l'administration d'ici il faut probablement être poli, mais qu'il faut se borner à cela, mais s'engager à rien. C'est très grave que partout ici où je demeurerais un peu longtemps, j'aurais peut-être à faire à des préjugés populaires - j'ignore même | |||||||||||||
[pagina 362]
| |||||||||||||
quels sont ces préjugés - qui me rendraient la vie avec eux insupportable. Mais enfin j'attends ce que M. Peyron te dira, je n'ai moi aucune idée de son opinion. J'ai travaillé cette après-midi au portrait du surveillant, qui avance. Si ce n'était très tempéré - tout-à-fait - par un regard intelligent et une expression de bonté, ce serait un vrai oiseau de proie. C'est bien un type du midi. Je suis curieux si cette fois-ci le voyage projeté de M. Peyron se réalisera en effet, je suis très curieux de savoir ce qui puisse en résulter. Avec encore une année de travail peut-être arriverai-je à une sûreté de moi au point de vue artistique. Et c'est toujours quelque chose qui vaut la peine de rechercher. Mais là il faut que j'aie de la chance. Ce que je rêve dans mes meilleurs moments, ce ne sont pas tant des effets de couleur éclatante, qu'encore une fois les demi-tons. Et certes la visite au musée de Montpellier a contribué à donner cette tournure à mes idées. Car ce qui me touchait là davantage que les magnifiques Courbet, qui sont des merveilles - les Demoiselles de village, la Fileuse endormie - c'étaient les portraits de Brias par Delacroix et par Ricard, puis le Daniel et les Odalisques de Delacroix, tous en demi-tons. Car ces Odalisques sont tout autre chose que celles du Louvre, c'est violacé surtout. Mais dans ces demi-tons, quel choix et quelle qualité! Il est temps que je fasse partir enfin cette lettre - je pourrais te dire en deux pages ce qu'elle contient, c.à.d. rien de neuf, mais enfin je n'ai pas le temps de la refaire. Bonne poignée de main encore une fois et si ça ne te dérange pas trop, fais moi avoir la toile aussitôt possible. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
605Mon cher Theo, (10 September.) Je trouve ta lettre bien bonne, ce que tu dis de Rousseau et d'artistes tel que Bodmer, que c'est des hommes en tout cas et de tels qu'on désirerait le monde peuplé de gens comme ça - oui certes c'est cela ce que moi je sens aussi. Et que J.H. Weissenbruch connaisse et fasse les chemins de halage boueux, les saules rabougris, les raccourcis et les perspectives sa- | |||||||||||||
[pagina 363]
| |||||||||||||
vantes et étranges des canaux comme Daumier les avocats, je trouve cela parfait. Tersteeg a bien fait de lui acheter de son travail; que des gens comme ça ne se vendent pas, cela vient selon moi parce qu'il y a trop de vendeurs qui cherchent à vendre autre chose, avec quoi ils trompent le public et le devoyent. Sais-tu qu'encore aujourd'hui, quand je lis par hasard l'histoire de quelqu'industriel énergique ou surtout d'un éditeur, qu'alors il me vient encore les mêmes indignations, les mêmes colères d'autrefois quand j'étais chez les Goupil & Cie. La vie se passe ainsi, le temps ne revient pas, mais je m'acharne à mon travail, à cause de cela même que je sais que les occasions de travailler ne reviennent pas. Surtout dans mon cas ou une crise plus violente peut détruire à tout jamais ma capacité de peindre. Je me sens dans les crises lâche devant l'angoisse et la souffrance - plus lâche que de juste et c'est peut-être cette lâcheté morale même qui alors qu'auparavant je n'avais aucun désir de guérir, à présent me fait manger comme deux, travailler fort, me ménager dans mes rapports avec les autres malades de peur de retomber - enfin je cherche à guérir à présent comme un qui aurait voulu se suicider trouvant l'eau trop froide, cherche à rattraper le bord. Mon cher frère, tu sais que je me suis rendu dans le midi et que je m'y suis lancé dans le travail pour mille raisons. Vouloir voir une autre lumière, croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonnais. Vouloir enfin voir ce soleil plus fort, parceque l'on sent que sans le connaître on ne saurait comprendre au point de vue de l'exécution, de la technique, les tableaux de Delacroix et parce que l'on sent que les couleurs du prisme sont voilées dans de la brume dans le nord. Tout cela reste un peu vrai. Puis lorsqu'à cela s'ajoute encore une inclinaison du coeur vers ce midi que Daudet a fait dans Tartarin, et que par ci par là moi j'ai trouvé aussi des amis et des choses que j'aime ici. Comprendras-tu alors que tout en trouvant horrible mon mal, je sens que quand même je me suis fait des attaches un peu trop fortes ici - attaches qui peuvent faire que plus tard l'envie me reprenne de travailler ici - quand bien même il peut se faire que sous relativement peu je revienne dans le nord. | |||||||||||||
[pagina 364]
| |||||||||||||
Oui, car je ne te cache pas que de même que je prends à présent de la nourriture avec avidité, j'ai un désir terrible qui me vient, de revoir les amis et de revoir la campagne du nord. Le travail va fort bien, je trouve des choses que j'ai en vain cherché pendant des années, et sentant cela je pense toujours à cette parole de Delacroix que tu sais, qu'il trouva la peinture n'ayant plus ni souffle ni dents. Eh bien moi avec la maladie mentale que j'ai, je pense à tant d'autres artistes moralement souffrants et je me dis que cela n'est pas un empêchement pour excercer l'état de peintre comme si rien n'était. Alors que je vois qu'ici les crises tendent à prendre une tournure religieuse absurde, j'oserais presque croire que cela nécessite même retour vers le nord. Ne parlez pas trop de cela avec le médecin quand tu le verras - mais je ne sais si cela ne vient pas de vivre tant de mois et à l'hospice d'Arles et ici dans ces vieux cloîtres. Enfin il ne faut pas que je vive dans un milieu comme cela, mieux vaut alors la rue. Je ne suis pas indifférent, et dans la souffrance même quelquefois des pensées religieuses me consolent beaucoup. Ainsi cette fois-ci pendant ma maladie il m'était arrivé un malheur - cette lithographie de Delacroix la Piéta avec d'autres feuilles était tombée dans de l'huile et de la peinture et s'était abîmée. J'en étais triste - alors entretemps je me suis occupé à la peindre et tu verras cela un jour, sur une toile de 5 ou 6 j'en ai fait une copie qui je crois est sentie. D'ailleurs ayant vu il n'y a pas longtemps le Daniel et les Odalisques et le portrait de Brias et la Mulâtresse à Montpellier, je suis encore sous l'impression que cela m'a produit. Voilà ce qui m'édifie, ainsi que de lire un beau livre comme de Beecher Stowe ou de Dickens, mais ce qui me gêne, c'est de voir à tout moment de ces bonnes femmes qui croient à la vierge de Lourdes et fabriquent des choses comme ça, et de se dire qu'on est prisonnier dans une administration comme ça, qui cultivent très volontiers ces aberrations religieuses maladives, alors qu'il s'agirait de les guérir. Alors je dis encore mieux vaudrait aller si non au bagne au moins au régiment. Je me reproche ma lâcheté, j'aurais mieux dû défendre mon atelier, eussé-je dû me battre avec ces gendarmes et voisins. D'autres à ma place se seraient servi d'un revolver et certes eut-on tué comme | |||||||||||||
[pagina 365]
| |||||||||||||
artiste des badauds comme cela, on aurait été acquitté. Là j'aurais mieux fait alors et maintenant j'ai été lâche et ivrogne. Malade aussi, mais je n'ai pas été brave. Alors devant la souffrance de ces crises je me sens très craintif aussi, et je ne sais donc si mon zèle soit autre chose que ce que je dis, c'est comme celui qui veut se suicider et trouvant l'eau trop froide, il lutte pour rattraper le rivage. Mais écoute, être en pension comme j'ai vu Braat dans le temps - heureusement ce temps est loin - non et encore une fois non. Autre chose serait si le père Pissarro ou Vignon par exemple voudraient me prendre chez eux. - Va je suis peintre moi, cela peut s'arranger et mieux vaut que l'argent aille pour nourrir des peintres qu'à les excellentes soeurs. Hier j'ai demandé à brûle pourpoint à M. Peyron: puisque vous allez à Paris, mais que diriez-vous si je vous proposais de vouloir bien me prendre avec vous alors? Il a répondu d'une façon évasive - que c'était trop vite, qu'il fallait t'écrire auparavant. Mais lui est très bon et très indulgent pour moi, et tout en n'étant pas le maître absolu ici, loin de là - je lui dois beaucoup de libertés. Enfin il ne faut pas seulement faire les tableaux, mais aussi faut-il voir des gens, et de temps en temps par la fréquentation d'autres aussi se refaire le tempérament et s'approvisionner d'idées. Je laisse de côté l'espérance que cela ne reviendrait pas - au contraire il faut se dire que de temps en temps j'aurai une crise. Mais alors on peut pour ce temps-là aller dans une maison de santé ou même à la prison communale ou d'habitude il y a un cabanon. Ne te fais pas de mauvais sang dans aucun cas - le travail va bien et tiens je ne saurais te dire combien ça me réchauffe parfois de dire: je vais encore faire ceci et cela, des champs de blé, etc. J'ai fait le portrait du surveillant et j'en ai une répétition pour toi. Cela fait un assez curieux contraste avec le portrait que j'ai fait de moi où le regard est vague et voilé, tandis que lui a quelque chose de militaire et des yeux noirs, petits et vifs. Je lui en ai fait cadeau et je ferai aussi sa femme si elle veut poser. C'est une femme fânée, une malheureuse bien résignée et bien pas grand'chose et si insignifiante que moi j'ai grande envie de faire ce brin d'herbe poudreux là. J'ai causé quelquefois avec elle lorsque je faisais des oliviers derrière leur petit mas et alors elle me disait qu'elle ne croyait pas que j'étais malade - enfin cela tu le dirais à présent aussi si tu me voyais travailler, la pensée claire et les | |||||||||||||
[pagina 366]
| |||||||||||||
doigts si sûrs, que j'ai dessiné sans prendre une seule mesure cette Piéta de Delacroix où pourtant il y a ces quatre mains et bras en avant - gestes et tournures de corps pas précisément commodes ou simples. Je t'en prie, envoie-moi bientôt la toile si cela est possible et puis je crois que j'aurai besoin de 10 tubes de blanc de zinc en plus. Cependant je sais bien que la guérison vient - si on est brave - d'en dedans par la grande résignation à la souffrance et à la mort, par l'abandon de sa volonté propre et de son amour propre. Mais cela ne me vaut pas, j'aime à peindre, à voir des gens et des choses, et tout ce qui fait notre vie - factice - si on veut. Oui la vraie vie serait dans autre chose, mais je ne crois pas que j'appartiens à cette catégorie d'âmes qui sont prêtes à vivre et aussi à tout moment prêtes à souffrir. Quelle drôle de chose que la touche, le coup de brosse. En plein air, exposé au vent, au soleil, à la curiosité des gens, on travaille comme on peut, on remplit sa toile à la diable. Alors pourtant on attrape le vrai et l'essentiel - le plus difficile c'est ça. Mais lorsqu'on reprend après un temps cette étude et qu'on arrange ses coups de brosse dans le sens des objets - certes c'est plus harmonieux et agréable à voir, et on y ajoute ce qu'on a de sérénité et de sourire. Ah, jamais je ne pourrai rendre mes impressions de certaines figures, que j'ai vues ici. Certes c'est la route où il y a du neuf, la route du midi, mais les hommes du nord ont du mal à pénétrer. Et je me vois déjà d'avance le jour où j'aurai quelque succès, regretter ma solitude et mon navrement d'ici, lorsque je vis à travers les barreaux de fer du cabanon, le faucheur dans le champ en bas. A quelque chose malheur est bon. Pour réussir, pour avoir prospérité qui dure, il faut avoir un autre tempérament que le mien, je ne ferai jamais ce que j'aurais pu et dû vouloir et poursuivre. Mais je ne peux vivre, ayant si souvent le vertige, que dans une situation de quatrième, cinquième rang. Alors que je sens bien la valeur et l'originalité et la supériorité de Delacroix, de Millet par exemple, alors je me fais fort de dire: oui je suis quelque chose, je peux quelque chose. Mais il me faut avoir une base dans ces artistes-là, et puis produire le peu dont je suis capable dans le même sens. | |||||||||||||
[pagina 367]
| |||||||||||||
Le père Pissarro est donc bien cruellement frappé par ces deux malheurs à la fois.Ga naar voetnoot*) Dès que j'ai lu cela, j'ai eu cette idée de le demander s'il y aurait moyen d'aller rester avec lui. Si tu lui payes la même chose d'ici, il y trouvera son compte, car j'ai pas besoin de grand chose - que de travailler. Fais-le donc carrément et s'il ne veut pas, j'irais bien chez Vignon. J'ai un peu peur de Pont Aven, il y a tant de monde, mais ce que tu dis de Gauguin m'intéresse beaucoup. Et je me dis toujours encore que Gauguin et moi travaillerons peut-être encore ensemble. Moi je sais que Gauguin peut des choses encore supérieures à ce qu'il a fait, mais de le mettre à l'aise celui-là! J'espère toujours faire son portrait. As-tu vu ce portrait qu'il avait fait de moi, peignant des tournesols? Ma figure s'est après tout bien éclairée depuis, mais c'était bien moi extrêmement fatigué et chargé d'electricité comme j'étais alors. Et pourtant pour voir le pays, il faut vivre avec le petit peuple et dans les petites maisons, les cabarets, etc. Aussi c'était ce que je disais à Bock, qui se plaignait de ne rien voir qui le tentât où lui causait une impression. Je me promène deux jours avec lui et je lui montre à faire trente tableaux aussi différents du nord que serait le Maroc. Je suis curieux de savoir ce qu'il fait dans ce moment. Et puis sais-tu pourquoi les tableaux d'Eug. Delacroix - les tableaux religieux et d'histoire, la Barque du Christ - la Piéta, les Croisés, ont cette allure? Parce que Eug. Delacroix lorsqu'il fait un Ghetsémané a été voir auparavant sur place ce que c'était qu'un verger d'oliviers, et ainsi pour la mer fouettée par un dur mistral, et parce qu'il s'est dû dire: ces gens desquels nous parle l'histoire: doges de Venise, croisés, apôtres, saintes femmes, étaient du même type et vivaient d'une façon analogue à ceux de leurs descendants actuels. Aussi dois-je te le dire - et tu le vois dans la Berceuse quelque manqué que soit cet essai et faible - eussé-je eu les forces pour continuer, j'aurais fait des portraits de saints et de saintes femmes d'après nature et qui auraient paru d'un autre siècle, et ce seraient des bourgeois d'à présent et pourtant auraient eu des rapports avec des chrétiens fort primitifs. Les émotions que cela cause sont cependant trop fortes, j'y resterais, | |||||||||||||
[pagina 368]
| |||||||||||||
mais plus tard, plus tard je ne dis pas que je ne reviendrai pas à la charge. Quel grand homme que Fromentin - lui pour ceux qui voudront voir l'orient restera toujours le guide. Lui le premier a établi des rapports entre Rembrandt et le Midi, entre Potter et ce que lui il voyait. Tu as raison mille et mille fois - il ne faut pas songer à tout cela - il faut faire - fut-ce des études de choux et de salade pour se calmer et après avoir été calmé, alors - ce dont on sera capable. Lorsque je les reverrai, je ferai des répétitions de cette étude de la diligence de Tarascon, de la vigne, de la moisson, et surtout du cabaret rouge, ce café de nuit qui est comme couleur ce qu'il y a de plus caractéristique. Mais la figure blanche au milieu juste comme couleur doit être refaite, mieux bâtie. Mais cela - j'ose le dire - c'est du Midi vrai et une combinaison calculée des verts avec les rouges. Mes forces ont été épuisées trop vite, mais je vois de loin la possibilité pour d'autres de faire une infinité de belles choses. Et encore et encore reste vrai cette idée, que pour faciliter le voyage des autres, il eut été bien de fonder un atelier quelque part dans ces environs. Faire d'un trait le voyage du nord en Espagne par exemple, c'est pas bien, on n'y verra pas ce qu'on doit y voir - il faut se faire les yeux d'abord et graduellement à l'autre lumière. Moi j'ai pas trop besoin de voir des Titien et des Velasquez dans les musées, j'ai vu certains types vivants qui font que je sais mieux ce que c'est qu'un tableau du Midi à présent, qu'avant mon petit voyage. Mon dieu, mon dieu, les bonnes personnes dans les artistes qui disent que Delacroix n'est pas de l'Orient vrai. Tiens l'Orient vrai c'est-il alors ce qu'on fait les Parisiens tel que Gérôme? Parce que vous peignez un bout de mur ensoleillé même sur nature et bien et vrai selon notre façon de voir du nord, cela prouve-t-il aussi que vous ayez vu les gens de l'Orient? Or voilà ce qu'y chercha Delacroix, ce qui ne l'a aucunement empêché de peindre des murs dans la Noce juive et les Odalisques. N'est-ce pas vrai cela - et alors Degas dit que c'est payer ça trop cher, de boire dans les cabarets en faisant des tableaux, je ne dis pas non, mais voudrait-il donc que j'aille dans les cloîtres ou les églises, là c'est moi qui ai peur. Ce pourquoi je fais un effort d'évasion par la présente; avec force poignées de main à toi et à Jo t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 369]
| |||||||||||||
Il faut encore que je te félicite à l'occasion du jour de naissance de la mère, je leur écrivais hier, mais la lettre n'est pas encore partie à cause de ce que j'ai pas eu la tête à moi pour l'achever. C'est drôle que déjà auparavant 2 ou 3 fois l'idée m'était venue d'aller chez Pissarro, cette fois-ci après que tu me racontes ses récents malheurs, je n'hésite pas pour te le demander. Oui il faudra en finir ici, je ne peux plus faire les deux choses à la fois, travailler et me donner mille peines pour vivre avec les drôles de malades d'ici - ça détraque. En vain je voudrais m'efforcer de descendre. Et voilà pourtant près de 2 mois que je n'ai pas été en plein air. A la longue ici je perdrais la faculté de travailler, or là commence mon halte-là et je les envoie alors - si tu es d'accord - promener. Et payer encore pour cela non, alors l'un ou l'autre dans le malheur parmi les artistes consentira à faire ménage avec moi. Heureusement que tu puisses écrire que tu te portes bien et Jo aussi et que sa soeur est avec vous. Je voudrais bien moi que lorsque ton enfant viendra, je fusse de retour - non pas avec vous autres, certes non, cela n'est pas possible, mais dans les environs de Paris avec un autre peintre. Je pourrais pour en citer un troisième aller chez les Jouve, qui ont beaucoup d'enfants et tout un ménage. Tu comprends que j'ai cherché à comparer la deuxième crise avec la première et je ne te dis que ceci, cela me paraît plutôt être je ne sais quelle influence du dehors, qu'une cause venant d'en dedans de moi-même. Je peux me tromper, mais quoi qu'il en soit, je crois que tu trouveras juste que j'aie un peu horreur de toute exagération religieuse. Le bon M. Peyron te racontera des tas de choses, de probabilités et possibilités, d'actes involontaires. Bon, mais s'il précise je n'en croirai rien. Et nous verrons alors ce qu'il précisera, si c'est précis. Le traitement des malades dans cet hospice est certes facile, à suivre même en voyage, car on n'y fait absolument rien, on les laisse végéter dans l'oisiveté et les nourrit de nourriture fade et un peu avariée. Et je te dirai maintenant que dès le premier jour j'ai refusé de prendre cette nourriture et jusqu'à ma crise je n'ai mangé que du pain et un peu de soupe, ce que tant que je resterai ici, je continuerai ainsi. Il est vrai que M. Peyron après cette crise m'a donné du vin et de la viande, que ces premiers jours j'accepte volontiers, mais ne voudrais pas faire exception au règlement longtemps, et il est juste de considérer l'établissemet | |||||||||||||
[pagina 370]
| |||||||||||||
d'après leur régime ordinaire. Je dois aussi dire que M. Peyron ne me donne pas beaucoup d'espoir pour l'avenir, ce que je trouve juste, il me fait bien sentir que tout est douteux, que rien ne peut être assuré d'avance. Mais moi même j'y compte que cela reviendra, mais seulement le travail me préoccupe tellement en plein, que je crois qu'avec le corps que j'ai, cela continuera longtemps ainsi. L'oisiveté où végètent ces pauvres malheureux est une peste et voilà c'est dans les villes et campagnes sous ce soleil plus fort un mal général et ayant appris autre chose, certes pour moi c'est un devoir d'y résister. Je finis cette lettre en te remerciant encore de la tienne en te priant de m'écrire de nouveau bientôt et force poignées de main en pensée. | |||||||||||||
606Beste moeder, Vooreerst wil ik U al is het laat nog gelukwenschen met Uw verjaardag. Reeds tweemaal begon ik een brief dien ik weer liet liggen, daar mijn hoofd niet naar schrijven stond. Wat geef ik U groot gelijk na Cor's vertrek maar eens voor een tijd een andere omgeving gezocht te hebben. Er stond heel wat nieuws in Uw laatste brieven, vooreerst de bizonderheden van Cor's vertrek en dan dat U met November verhuizen gaat; ik kan 't me wel begrijpen dat U gaarne meer in de nabijheid van Uw kleinkinderen zijn wilt. Maar het zal toch een vreemd gevoel zijn te denken er niemand van ons in Brabant gebleven is. Het is mijn plan U binnenkort een schilderij te sturen en aan Wil ook, ik heb ze onderhanden en tegen 't eind van de maand zeker klaar. Doch eer ze droog genoeg zijn om te verzenden kan een 14 dagen langer duren. Deze laatste weken gaat het me wat de gezondheid betreft volkomen goed, en ik werk van 's morgens tot 's avonds haast aan een stuk door, den eenen dag voor, den anderen dag na, en ik sluit me in 't atelier op om geen afleiding te hebben. Zoo blijft het me een groote troost dat het werk eer vóór dan achteruit gaat en ik het met volkomen kalmte doe en mijn gedachten in dat opzicht geheel helder en zelfbewust zijn. En zoo bij anderen vergeleken hier, die niets uitvoeren kunnen, heb ik bepaald geen reden tot klagen. Dezer dagen schreef ik aan Theo, dat ik wel lust zou hebben voor een tijd minder ver van Parijs te zijn en denkelijk zal daar wel van komen. Niet dat ik er mijn vrijheid niet voor over heb om anderen, | |||||||||||||
[pagina 371]
| |||||||||||||
als het te erg wordt, minder tot last te zijn, maar momenteel komt het nog tamelijk op 't zelfde neer. En onder de artisten zijn er zoo velen, die ondanks zenuwziekte of toevallen van tijd tot tijd - toch hun gang gaan en in 't schildersleven is het naar 't schijnt genoeg schilderijen te maken, maar moet men zijn relaties met andere schilders ook niet in 't niet laten loopen. Mijn gezondheid is in de tusschentijden zóó goed en mijn maag zooveel beter dan vroeger, dat ik geloof er nog jaren tusschen liggen kunnen eer ik geheel ongeschikt worde, 't geen ik aanvankelijk vreesde direct het geval zou zijn. Dat alle uitstel geen afstel is als men met ziekte te doen heeft, daar vrees ik nog wel meer van te merken in vervolg van tijd. Maar er schijnt geen regel op te zijn, en de dokter herhaalde mij al menigmaal dat men er niets vooruit van zeggen kan. Maar als men weet dat het een kwaal is, die blijft duren, zult U kunnen begrijpen dat men, al is men in 't begin absoluut verbijsterd, gaat wennen aan de gedachte en dan nadenkt aan wat men toch nog doen kan. En zulks zou nog kunnen meevallen. In 't begin was ik zoo mismoedig dat de lust me verging, zelfs om vrienden weer te zien en te werken, en nu tegenwoordig begint de behoefte aan die twee dingen te werken en daarbij komt dat in de tusschentijden eetlust en gezondheid volkomen goed zijn. En dus verlang ik erg naar Theo en zijn vrouw, die ik nog niet eens gezien heb, en stel belang in alles. En als ik er dan aan denk dat nieuwe vrienden zoeken nu niet noodig is, dan denk ik te meer aan tegenwoordige en vroegere vrienden. Toch begrijp ik dat ik hierin mij niet teveel mag verdiepen, daar het zoo heel anders kan blijken geschikt te moeten worden, dan ik wel eens verzin, en trouwens het een of ander bepaald verlangen voel ik me niet gestemd toe. Alleen ik ben zoo alles behalve dapper in het verdriet en alles behalve geduldig als ik niet wel ben, ofschoon ik een tamelijk solide dosis geduld heb om aan mijn werk te blijven. Maar dat is ook letterlijk alles. Zoo dikwijls ik er gelegenheid toe heb werk ik op portretten, waarvan ik zelf soms denk dat zij serieuser en beter zijn dan de rest van mijn werk. En als het zijn mocht dat mijn toestand toelaat om weer naar Parijs of in de buurt terug te gaan, zal dat wel hoofdzaak voor mij worden. En nu zeg ik U goeden dag voor heden, neem het mij niet kwalijk | |||||||||||||
[pagina 372]
| |||||||||||||
ik niet eer schreef en binnenkort hoop ik U de schilderijen te sturen, die ik voor U onderhanden heb. In gedachten omhelsd, Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
607Mon cher Theo, Merci beaucoup de ta lettre. Cela me fait fort grand plaisir d'abord que toi de ton côté avait déjà pensé aussi au père Pissarro. Tu verras qu'il y a encore des chances, si non là, alors d'ailleurs. Maintenant les affaires, sont les affaires et tu me demandes de répondre catégoriquement - et tu fais bien - à aller dans une maison à Paris en cas de déplacement immédiat pour cet hiver. Je réponds à cela oui, avec le même calme et pour les mêmes motifs que je suis entré dans celle-ci - quand bien même serait que cette maison de Paris fut un pis aller, ce qui pourrait être facilement le cas, car l'occasion pour travailler est pas mal ici et le travail ma distraction unique. Mais cela dit, je te ferai observer que dans ma lettre je donnais un motif fort grave comme raison de désirer changer. Et je tiens à le répéter. Je suis étonné qu'avec les idées modernes que j'ai, moi si ardent admirateur de Zola et de Concourt et des choses artistiques que je sens tellement, j'ai des crises comme en aurait un superstitieux et qu'il me vient des idées religieuses embrouillées et atroces telles que jamais je n'en ai eu dans ma tête dans le nord. Dans la supposition que très sensible aux entourages, le séjour déjà prolongé dans ces vieux cloîtres que sont l'hospice d'Arles et la maison ici, serait à soi seul suffisant pour expliquer ces crises. Alors - même pour un pis aller - pourrait-il être nécessaire à présent d'aller plutôt dans une maison de santé laïque. Néanmoins pour éviter de faire ou d'avoir l'air de faire un coup de tête, je te déclare après t'avoir ainsi averti de ce qu'à un moment donné je pourrais désirer - soit un changement - je te déclare que je me sens assez de calme et de confiance pour attendre encore une période pour voir si une nouvelle attaque se produira cet hiver. Mais si alors je t'écrirais: je veux sortir d'ici, tu n'hésiterais pas et ce serait arrangé d'avance, car tu saurais alors que j'aurais une raison grave ou même plusieurs pour aller dans une maison non dirigée comme celle-ci par les soeurs, quelqu'excellentes qu'elles fussent. | |||||||||||||
[pagina 373]
| |||||||||||||
Maintenant si par un arrangement ou un autre, plus tôt ou plus tard on changerait, alors commençons comme si presque rien était, tout en étant très prudent et prêt à écouter Rivet à la moindre des choses, mais ne nous mettons pas tout de suite à prendre des mesures trop officielles comme si c'était une cause perdue. Pour ce qui est de manger beaucoup je le fais - mais si j'étais mon médecin, je me le défendrais. Ne voyant aucun bien pour moi dans des forces physiques bien énormes, car si je m'absorbe dans l'idée de faire du bon travail et de vouloir être artiste et rien que cela, ce serait le plus logique. La mère et Wil chacune de son côté après le départ de Cor ont changé d'entourage - elles avaient bigrement raison. Il ne faut pas que le chagrin s'amasse dans notre âme comme l'eau d'un marécage. Mais c'est parfois et coûteux et impossible de changer. Wil écrivait fort bien, c'est un gros chagrin pour elles, le départ de Cor. C'est drôle juste au moment où je faisais cette copie de la Piéta de Delacroix, j'ai trouvé où est passée cette toile. Elle appartient à une reine de Hongrie ou d'un autre pays par là, qui a écrit des poésies sous le nom de Carmen Sylva. L'article qui parlait d'elle et du tableau était de Pierre Loti, qui faisait sentir que cette Carmen Sylva était comme personne encore plus touchante que ce qu'elle écrit - et elle écrit pourtant des choses comme ça: une femme sans enfant est comme une cloche sans battant - le son de l'airain serait peut-être fort beau, mais on ne l'entendra point. J'ai à présent 7 copies sur les dix des Travaux des champs de Millet. Je peux t'assurer que cela m'intéresse énormément de faire des copies et que n'ayant pour le moment pas des modèles, cela fera que pourtant je ne perdrai pas de vue la figure. En outre cela me fera une décoration d'atelier pour moi ou un autre. Je désirerais copier aussi le Semeur et les Bêcheurs. Il y a des Bêcheurs une photographe d'après le dessin. Et du Semeur chez Durand Ruel l'eau forte de Lerat. Dans ces mêmes eaux-fortes se trouve le champ sous la neige avec une herse. Puis les Quatre Heures de la journées; dans la collection de gravures sur bois il y en a des exemplaires. Je voudrais avoir tout cela, au moins les eaux-fortes et les gravures sur bois. C'est une étude dont j'ai besoin, car je veux apprendre. Quoique copier soit le vieux système, cela ne me fait absolument rien. Je vais copier le Bon Samaritain de Delacroix aussi. | |||||||||||||
[pagina 374]
| |||||||||||||
J'ai fait un portrait de femme - la femme du surveillant - que je crois que tu aimerais - j'en ai fait une répétition qui était moins bien que celui sur nature. Et je crains qu'ils prendront la dernière, j'aurais voulu que tu l'eusses. C'est rose et noir. Je t'envoie aujourd'hui mon portrait à moi, il faut le regarder pendant quelque temps - tu verras j'espère que ma physionomie s'est bien calmée, quoique le regard soit vague davantage qu'auparavant, à ce qui me paraît. J'en ai un autre qui est un essai de lorsque j'étais malade, mais celui-ci je crois te plaira mieux et j'ai cherché à faire simple, fais-le voir au père Pissarro si tu le vois. Tu seras surpris quel effet prennent les Travaux des champs par la couleur, c'est une série bien intime de lui. Ce que je cherche là-dedans et pourquoi il me semble bon de les copier, je vais tâcher de te le dire. On nous demande à nous autres peintres toujours de composer nous-mêmes et de n'être que compositeurs. Soit - mais dans la musique il n'en est pas ainsi - et si telle personne jouera du Beethoven elle y ajoutera son interprétation personelle - en musique et alors surtout pour le chant - l'interprétation d'un compositeur est quelque chose, et il n'est pas de rigueur qu'il n'y a que le compositeur qui joue ses propres compositions. Bon - moi surtout à présent étant malade, je cherche à faire quelque chose pour me consoler, pour mon propre plaisir. Je pose le blanc et noir de Delacroix ou de Millet ou d'après eux devant moi comme motif. Et puis j'improvise de la couleur là-dessus, mais bien entendu pas tout à fait étant moi, mais cherchant des souvenirs de leurs tableaux - mais le souvenir, la vague consonnance de couleurs qui sont dans le sentiment sinon justes - ça c'est une interprétation à moi. Un tas de gens ne copient pas, un tas d'autres copient - moi je m'y suis mis par hasard et je trouve que cela apprend et surtout parfois console. Aussi alors mon pinceau va entre mes doigts comme serait un archet sur le violon et absolument pour mon plaisir. Aujourd'hui j'ai essayé la Tondeuse de moutons dans une gamme allant du lilas au jaune. C'est des petites toiles de 5 à peu près. Je te remercie beaucoup de l'envoi de toiles et de couleurs. Par | |||||||||||||
[pagina 375]
| |||||||||||||
contre je t'envoie avec le portrait quelques toiles, les suivantes: Lever de lune (meules),
Les quatre premiers toiles sont des études où il n'y a pas l'effet d'ensemble des autres. Moi j'aime assez l'entrée d'une carrière, que je faisais quand j'ai senti cette attaque commencer, parce que les verts sombres vont à mon goût bien avec les tons d'ocre; il y a quelqe chose de triste dedans, qui est sain et c'est pourquoi elle ne m'embête pas. Cela est peutêtre aussi le cas pour la Montagne. On me dira que les montagnes ne sont pas comme ça et qu'il y a des contours noirs d'un doigt de largeur. Mais enfin il me semblait que cela rendait le passage du livre de Rod - un des bien rares passages de lui où je trouve du bon - sur un pays de montagnes sombres perdu dans lequel on apercevait des cabanes noirâtres de chevriers, où fleurissaient des tournesols. Les oliviers avec nuage blanc et fond de montagnes, ainsi que le lever de lune et l'effet de nuit, ce sont des exagérations au point de vue de l'arrangement, les lignes en sont contournées comme telles des bois anciens. Les oliviers sont davantage dans le caractère, ainsi que dans l'autre étude et j'ai cherché à rendre l'heure où on voit voler dans la chaleur les cétoines vertes et les cigales. Les autres toiles - le faucheur, etc. ne sont pas sèches. Et maintenant dans la mauvaise saison je vais faire beaucoup de copies, car réellement il faut que je fasse davantage de figure. C'est l'étude de la figure qui apprend à saisir l'essentiel et à simplifier. Lorsque tu dis dans ta lettre que je n'aurais jamais rien fait que travailler, non - cela n'est pas juste - je suis moi fort fort mécontent de mon travail, et la seule chose qui me console, c'est que les gens d'expérience disent il faut peindre pendant 10 ans pour rien. Mais ce que j'ai fait ce n'est que ces 10 ans-là d'études malheureuses et mal venues. A présent pourrait venir une meilleure | |||||||||||||
[pagina 376]
| |||||||||||||
période, mais il faudra fortifier la figure et il faut que je rafraîchisse ma mémoire par l'étude bien serrée de Delacroix, de Millet. Alors je chercherai à débrouiller mon dessin. Oui à quelque chose malheur est bon, on gagne du temps pour l'étude. J'ajoute encore au rouleau de toiles une étude de fleurs - pas grand'chose, mais enfin je ne veux pas la déchirer. En somme là-dedans je ne trouve un peu bien que le champ de blé, la montagne, le verger, les oliviers avec les collines bleues et le portrait et l'entrée de carrière, et le reste ne me dit rien, parce que cela manque de volonté personelle, de lignes senties. Là où ces lignes sont serrées et voulues commence le tableau, même si ce serait exagéré. C'est un peu ça que sentent Bernard et Gauguin, ils ne demanderont pas du tout la forme juste d'un arbre, mais ils veulent absolument qu'on dise si la forme est ronde ou carrée - et ma foi, ils ont raison, exasperés par la perfection photographique et niaise de certains. Ils ne demandreront pas le ton juste des montagnes, mais ils diront: nom de Dieu les montagnes étaientelles bleues, alors foutez-y du bleu et n'allez pas me dire que c'était un bleu un peu comme ci comme ça, c'était bleu n'est-ce pas? bon - faites les bleues et c'est assez! Gauguin est quelque fois génial lorsqu'il explique cela, mais le génie qu'a Gauguin, il est bien timide de le montrer et c'est touchant comme il aime à dire une chose vraiment utile à des jeunes. Quel drôle d'être tout de même. Cela me fait bien plaisir que Jo va bien et je crois que tu te sentiras bien plus dans ton élément en songeant à sa grossesse et en ayant naturellement les soucis aussi, que seul sans ces soucis de famille. Car tu te sentiras davantage dans la nature. Lorsqu'on pense à Millet et à Delacroix quelle opposition, Delacroix sans femme, sans enfants, Millet dans la famille en plein plus que qui que ce soit. Et comme pourtant il y a des égalités dans leur oeuvre. Alors Jouve a toujours conservé son grand atelier et il travaille à de la décoration. Celui-là il s'en est fallu bien peu qu'il ne fut un excellent peintre. C'est les malheurs d'argent chez lui, il est forcé pour manger de faire mille choses excepté la peinture, qui lui coûte plutôt de l'argent qu'elle n'en rapporte, s'il fait quelque chose de beau. Et il perd vite la main pour dessiner avec la brosse. Ça vient probablement de la vieille éducation qui est la même que l'actuelle | |||||||||||||
[pagina 377]
| |||||||||||||
dans les ateliers - ils remplissent des contours. Et Daumier peignait toujours son visage dans le miroir pour apprendre à dessiner. Sais-tu à quoi je songe assez souvent, à ce que je te disais déjà dans le temps, que si je ne réussissais pas, pourtant je croyais que ce à quoi j'avais travaillé serait continué. Non pas directement, mais on n'est pas seul à croire à des choses qui sont vraies. Et qu'importe-t-on personellement alors! Je sens tellement que l'histoire des gens est comme l'histoire du blé, si on n'est pas semé en terre pour y germer, qu'est-ce que ça fait, on est moulu pour devenir du pain. La différence du bonheur et du malheur! tous les deux sont nécessaires et utiles et la mort ou la disparition ...c'est tellement relatif - et la vie également. Même devant une maladie qui détraque ou inquiète, cette croyancelà ne s'ébranle point. J'aurais désiré voir ces Meunier! Eh bien, que ce soit entendu que si je t'écrivais encore exprès et tout court que je désirais venir à Paris, j'aurais une raison pour cela que je t'ai expliquée plus haut. Qu'en attendant rien n'est bien pressé, et j'ai confiance assez après t'avoir averti pour attendre l'hiver et la crise qui peut-être reviendra alors. Mais si j'ai encore une exaltation religieuse, alors pas de grâce, je voudrais sans donner raison partir sur le champ. Seulement il ne nous est pas loisible au moins ce serait indiscret, de se mêler de l'administration des soeurs ou même de les critiquer. Elles ont leur croyance et des façons de faire du bien aux autres à elles, quelquefois c'est très bien. Mais je ne t'avertis pas à la légère. Et ce n'est pas pour recouvrir plus de liberté ou autre chose que je n'en aie. Ainsi attendons avec beaucoup de calme qu'une occasion se présente pour se caser. C'est beaucoup gagné que l'estomac travaille bien et alors je ne crois pas que je serai autant sensible au froid. Puis je sais que faire quand il fait mauvais temps, ayant ce projet de copier plusieurs choses que j'aime. Je voudrais bien voir des reproductions de Millet dans les écoles, je crois qu'il y aurait des enfants qui deviendraient des peintres si seulement ils voyaient des bonnes choses. Dites bien le bonjour à Jo et poignée de main, à bientôt t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 378]
| |||||||||||||
608Mon cher Theo, Je t'écris encore un mot pour expliquer qu'il manque à l'envoi, que tu auras déjà de toiles, 3 études parce que le rouleau en les ôtant coutait fr 3.50 de moins de transport. Je les enverrai donc prochaine occasion - ou plutôt ils partent aujourd'hui avec d'autres toiles - les suivantes:
Bientôt je t'envoie quelques toiles plus petites avec les 4 ou 5 études que je voulais donner à la mère et la soeur. Ces études sèchent à présent, c'est des toiles de 10 et 12, réductions du champ de blé et cyprès, Oliviers, Faucheur et Chambre à coucher et un petit portrait de moi. Cela leur fera un bon commencement et je crois qu'à toi comme à moi cela nous donnera quelque plaisir de faire en sorte que la soeur ait une petite collection de tableaux. Je ferai à leur intention des réductions des meilleures toiles, ainsi je voulais aussi qu'elles eussent la vigne rouge et verte, les maronniers roses, l'effet de nuit que tu as exposé. Tu verras que je gagne un peu en patience et que perséverer sera une suite de ma maladie. Je me sens plus dégagé de bien de préoccupations. Tu m'enverras un jour - quand ça te conviendra - la vigne rouge et d'autres toiles dans ce but, lorsque tu auras vu les 5 que j'ai faites. A présent pour le faucheur, - d'abord je croyais que la répétition en grand format que je t'envoie n'était pas mal - mais ensuite lorsque les jour de mistral et de pluie sont venues, j'ai préféré la toile faite sur nature, qui me paraîssait un peu drôle. Mais non, quand il fait un temps froid et triste c'est précisément celle-là qui me fait ressouvenir de cette fournaise d'été sur les blés chauffés à blanc et donc l'exagération n'y est pas tant que ça. Le père Peyron est revenu et a causé avec moi de ce qu'il t'avait vu et disait que sans doute ta lettre m'apprendrait tous les détails de la conversation qu'il avait eue avec toi. Que dans tous les cas le résultat était qu'il serait sage d'attendre encore ici. Ce qui étant aussi mon avis, va sans dire. Néanmoins si une attaque revient, je persiste à vouloir essayer | |||||||||||||
[pagina 379]
| |||||||||||||
un changement de climat et retourner même pour un pis aller dans le nord. M. Peyron disait que tu avais l'air de te bien porter, ce qui me fait plaisir. J'ai reçu les 10 tubes de blanc, mais il m'en faudra aussitôt possible encore une douzaine blanc de zinc.
Car il y a de beaux effets d'automne à faire. Je me sens à présent tout à fait normal et ne me souviens plus du tout de ces mauvais jours. Avec le travail et une nourriture très régulière, cela durera probablement pendant assez longtemps comme ci comme ça, et quand même je ferai ainsi mon travail sans que cela paraîsse. Car fin du mois tu recevras encore une douzaine d'études. Est-ce que je me trompe, mais ta lettre me paraît tarder bien longtemps cette fois-ci. Malheureusement les vignes manquent ici, sans cela je m'étais promis de ne faire que ça cet automne. Il y en a bien, mais pour cela il aurait fallu aller loger dans un autre village. Par contre les oliviers sont fort caractéristiques et je lutte pour atrapper cela. C'est de l'argent tantôt plus bleu tantôt verdi, bronzé, blanchissant sur terrain jaune, rose, violacé ou orangeâtre, jusqu'à l'ocre rouge sourde. Mais fort difficile, fort difficile. Mais cela me va et m'attire de travailler en plein dans de l'or ou de l'argent. Et un jour peut-être en ferai-je une impression personelle comme le sont les tournesols pour les jaunes. Si j'en avais eu cet automne! Mais cette demi liberté empêche souvent de faire ce qu'on sent pouvoir cependant. Patience cependant me diras-tu et il le faut bien. Dis bien des choses à Jo et porte-toi bien et écris bientôt s.v.p. Poignées de main t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
609Mon cher Theo, Je languissais après ta lettre et donc j'ai été bien content de la | |||||||||||||
[pagina 380]
| |||||||||||||
recevoir et de voir par là que tu te portes bien, ainsi que Jo et les amis dont tu parles. J'ai à te prier d'envoyer le plustôt possible les blancs que j'avais demandé et d'y ajouter de la toile 5 mètres ou 10, comme ça tombe. Puis je dois commencer par t'apprendre une nouvelle assez contrariante à ce que je pense. C'est qu'il y a eu pendant le séjour ici quelques frais, que je croyais que M. Peyron t'avait communiqué à fur et à mesure, ce qu'il me disait l'autre jour ne pas avoir fait, de sorte que cela s'est amassé jusqu'à 125 francs environ en y déduisant les 10 que tu as envoyé par bon de poste. C'est pour de la couleur, de la toile, des cadres et châssis, mon voyage de l'autre jour à Arles, un vêtement de toile et réparations divers. J'use ici 2 couleurs, le blanc de céruse et du bleu ordinaire, mais en assez grande quantité, et la toile c'est lorsque je veux travailler sur de la toile non préparée et plus forte. Cela tombe mal juste à cette époque où volontiers j'aurais répété mon voyage à Arles, etc. Cela dit je te raconterai que nous avons quelques journées d'automne superbes et que j'en profite. J'ai quelques études, entre autre un mûrier tout jaune sur terrain pierreux, se détachant sur le bleu du ciel, dans laquelle étude je crois que tu verras que j'ai trouvé le trace de Monticelli. Tu auras reçu l'envoi de toiles que je t'ai expédiées samedi dernier. Cela me surprend beaucoup que M. Isaäcson veut faire un article sur des études de moi. Volontiers je l'engagerais à attendre encore, son article n'y perdrait absolument rien et avec encore une année de travail, je pourrais - j'espère - lui mettre sous les yeux des choses plus caractéristiques, avec d'avantage de volonté dans le dessin, davantage de connaissance de cause quant au midi provençal. M. Peyron a été bien bon de causer de mon affaire en ces termes-là - j'ai pas osé lui demander d'aller à Arles de ces jours-ci, ce dont j'aurais très grande envie, croyant qu'il désapprouverait. Non pas cependant que je soupçonnais que lui crut à un rapport entre mon voyage précédent et la crise qui la suivit de près. Le cas est, que par là il y a quelques personnes que je sentais et sens de nouveau le besoin de revoir. Tout en n'ayant pas ici dans le Midi comme le bon Prévot une | |||||||||||||
[pagina 381]
| |||||||||||||
maïtresse qui m'y enchaine, involontairement je me suis attaché aux gens et aux choses. Et à présent que provisoirement je reste encore ici et à ce qui est probable y passerai l'hiver - au printemps - à la belle saison n'y resterai-je pas aussi? - Cela dependra surtout de la santé. Ce que tu dis d'AuversGa naar voetnoot*) m'est néanmoins une perspective très agréable et soit plus tôt soit plus tard - sans chercher plus loin - il faudrait arrêter cela. Si je viens dans le nord, même en supposant que chez ce Docteur il n'y eut pas de place, il est probable que celuilà trouverait sur la recommandation du père Pissarro et de la tienne, soit un logement dans une famille, soit tout bonnement à l'auberge. La chose principale est de connaître le médecin, pour qu'on ne tombe pas en cas de crise dans les mains de la police, pour être transporté de force dans un asile. Et je t'assure que le nord m'intéressera comme un pays neuf. Mais enfin pour le moment il n'y a donc rien qui nous presse absolument. Je me reproche d'être tant en retard pour de la correspondance, je voudrais écrire à Isaäcson, à Gauguin et à Bernard, mais écrire ne va pas toujours et le travail presse d'ailleurs. Oui je voudrais dire à Isaäcson, qu'en attendant encore il ferait bien, il n'y a pas encore là-dedans ce que avec continuation de santé j'espère atteindre. C'est pas la peine de mentionner quoique ce soit de mon travail actuellement. Quand je serai de retour, à la rigueur cela formera une espèce d'ensemble ‘Impressions de la Provence’, mais que veut-il dire à présent, lorsqu'il faut encore accentuer les oliviers, les figuiers, les vignes, les cyprès, toutes choses caractéristiques, ainsi que les Alpines qui doivent atteindre davantage de caractère. Comme j'aimerais voir ce qu'ont rapporté Gauguin et Bernard. J'ai une étude de deux peupliers jaunis sur fond de montagnes et une vue du parc ici, effet d'automne, où il y a un peu de dessin plus naïf et plus - chez soi. Enfin il est difficile de quitter un pays avant de prouver par quelque chose qu'on l'a senti et aimé. Si je reviens dans le nord, je me propose de faire un tas d'études | |||||||||||||
[pagina 382]
| |||||||||||||
de grec, tu sais des études peintes avec du blanc et du bleu et un peu d'orangé seulement, comme en plein air. Il me faut dessiner et chercher du style. J'ai vu hier chez l'aumônier d'ici un tableau, qui me causait une impression, une dame provençale au visage intelligent et de race, en robe rouge. Une figure comme celles auxquelles pensait Monticelli. C'était pas sans grands défauts, mais il y avait de la simplicité et comme c'est triste à voir combien on en a dérogé ici, comme nous de la nôtre en Hollande. Je t'écris à la hâte pour ne pas attendre de répondre à ta bonne lettre, espérant que tu écriras de nouveau sans tarder longtemps. J'ai encore vu de fort beaux motifs pour demain - dans les montagnes. Bien des choses à Jo et aux amis, surtout remercie à l'occasion le père Pissarro de son renseignement, qui certes sera utile. Et en te serrant les deux mains, crois moi t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
610Mon cher Theo, Je viens de rentrer une toile à laquelle je travaille depuis quelque temps représentant encore le même champ du faucheur. A présent c'est des mottes de terre et le fond les terrains arides, puis les rochers des Alpines. Un bout de ciel bleu vert avec petite nuage blanc et violet. Sur l'avant-plan un chardon et des herbes sèches. Un paysan traînant une botte de paille au milieu. C'est encore une étude rude et au lieu d'être jaune presqu'entièrement, cela fait une toile violette presque tout à fait. Des violets rompus et neutres. Mais je t'écris cela parce que je crois que cela complètera le faucheur et fera mieux voir ce que c'est. Car le faucheur paraît fait au hasard et ceci avec le mettra d'aplomb. Aussitôt sèche je te l'envoie avec la répétition de la chambre à coucher. Je te prie beaucoup de les montrer, si l'un ou l'autre verra les études, ensemble à cause de l'opposition des complémentaires. Puis j'ai fait cette semaine l'entrée d'une carrière qui est comme une chose japonaise; tu te rappelles bien qu'il y a des dessins japonais de rochers où croîssent ci et là des herbes et de petits arbres. Il y a des moments entretemps ou la nature est superbe, des effets d'automne d'un glorieux comme couleur, des ciels verts contrastant avec des végétations jaunes, orangées, vertes, des | |||||||||||||
[pagina 383]
| |||||||||||||
terrains de tous les violets, l'herbe brûlée où les pluies ont néanmoins rendu une dernière vigueur à certaines plantes, qui se reprennent à produire des petites fleurs violettes, roses, bleues, jaunes. Des choses qu'on est tout mélancolique de ne pouvoir rendre. Et des ciels - comme nos ciels du nord, mais les couleurs des couchers et des levers de soleil sont plus variées et plus franches. Comme dans les Jules Dupré et les Ziem. J'ai aussi deux vues du parc et de la maison de santé, où ce lieu paraît fort agréable. J'ai cherché à reconstruire la chose comme cela a pu être, en simplifiant et en accentuant le caractère fier et inaltérable des pins et des buissons de cèdre contre le bleu. Enfin - si serait qu'ils se souviendraient de moi, ce à quoi je ne tiens pas - il y aura de quoi envoyer quelque chose de coloré aux vingtistes. Mais cela m'est indifférent. Ce qui ne m'est pas indifférent c'est qu'un homme qui m'est très supérieur, Meunier, ait peint les sclôneuses du Borinage, et le trait allant à fosse, et les usines, leurs toits rouges et leurs cheminées noires contre un ciel gris fin - toutes choses que j'ai rêvées de faire sentant que ce n'était pas fait et que cela devait être peint. Et encore il y a pour les artistes des sujets à l'infini par là et il faudrait descendre dans le fond et peindre les effets de lumière. Si tu n'as pas encore expédié la toile et les couleurs sache que je suis absolument sans toile à présent. Et j'allais te demander si serait le cas que tu trouverais difficulté à envoyer le montant de ce que je lui dois à M. Peyron tout de suite, s'il t'était possible de m'envoyer alors par bon de poste une quinzaine de francs, j'irais un de ces jours à Arles. Souvent il me semble que si Gauguin était resté ici il n'y aurait rien perdu, car je vois bien aussi dans la lettre qu'il m'a écrite qu'il n'est pas en plein dans son fort. Et je sais bien à quoi cela tient - ils sont trop gênés pour trouver les modèles, et vivre à si bon compte qu'il croyait possible dans le commencement, n'aura pas duré. Cependant avec sa patience l'année prochaine sera peutêtre épatante, mais alors il n'aura pas Bernard avec lui, si celui-là fait son service. Est-ce que tu sens combien les figures de Jules Breton et Billet et autres resteront. Ces gens-là ont vaincu la difficulté des modèles et c'est beaucoup cela. Et un tableau d'Otto Weber du bon temps (pas des anglais) comme cela doit se maintenir. Une hirondelle | |||||||||||||
[pagina 384]
| |||||||||||||
n'amène pas le printemps et une idée nouvelle n'abat point des oeuvres faites et parfaites. C'est là le terrible des impressionistes, que le développement de la chose cloche, et qu'ils restent des années devant des obstacles dont la génération précédente avait triomphé, la difficulté d'argent et de modèles. Et ainsi Breton, Billet et autres doivent bien s'en moquer et s'étonner et dire ‘mais voyons à quand vos paysans et vos paysannes’? Moi je me sens pour un honteux et défait. J'ai copié cette femme avec un enfant assise aupris d'un foyer de Mme. Dumont Breton presque tout violet, je vais certainement continuer à copier, cela me fera une collection à moi et lorsque ce sera important et complet assez, je donne le tout à une école. Je peux t'annoncer aussi que prochain envoi tu feras plus amplement connaissance avec les Alpines du bon Tartarin que jusqu'à présent. Sauf la toile des Montagnes tu ne les as encore vu se défiler que tout au fond des toiles. J'en ai une étude plus rude que la précédente des montagnes. Un ravin très sauvage ou se faufile un mince ruisseau dans son lit de rochers. C'est tout violet. De ces Alpines je pourrais certes faire toute une série, car les ayant vus à présent longtemps je me suis un peu fait à cela. Tu te rappelles ce beau paysage de Monticelli que nous avons vu chez Delarebeyrette, d'un arbre sur des rochers contre un couchant. Des effets comme cela il y en a beaucoup à présent, seulement je ne peux jamais être dehors à l'heure du coucher de soleil, sans quoi j'en aurais essayé. Est-ce que la santé de Jo continue à aller bien, je crois qu'en somme cette année est plus heureuse pour toi que les précédentes. Pour moi la santé va bien de ces jours-ci; je crois bien que M. Peyron a raison lorsqu'il dit que je ne suis pas fou proprement dit, car ma pensée est absolument normale et claire entretemps et même davantage qu'auparavant. Mais dans les crises c'est pourtant terrible et alors je perds connaissance de tout. Mais cela me pousse au travail et au serieux comme un charbonnier toujours en danger se dépêche dans ce qu'il fait. La mère et la soeur feront leurs préparatifs de déménagement. Je t'envoie ci-inclus un mot pour Isaäcson, Bernard et Gauguin. C'est naturellement pas pressé du tout de le leur remettre, la première fois qu'ils viendront te voir suffit. Le soir je m'embête à mourir, mon dieu la perspective de l'hiver n'est pas gaie. | |||||||||||||
[pagina 385]
| |||||||||||||
J'espère que tu auras reçu en bon ordre les toiles expédiées il y a une dizaine de jours. Je m'en vais faire une longue course dans les montagnes pour chercher des sites; à bientôt - surtout envoie la couleur et la toile, si c'est pas expédié, car je n'ai plus de toile du tout, ni de blanc de zinc. Bien des choses à Jo t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
611Mon cher Theo, Merci de ta lettre et des fr 150 que j'ai remis à M. Peyron, en lui demandant encore une fois de te le dire chaque mois s'il y aurait eu des frais oui ou non - pour que cela ne s'accumule pas. J'ai aussi à te remercier d'un envoi de couleurs et enfin hier soir est arrivée la toile et les reproductions Millet, dont je suis fort aise. M. Peyron m'a encore répété qu'il y a un mieux considérable et qu'il a bon espoir - et qu'il n'y voit aucun inconvénient à ce que j'aille à Arles de ces jours-ci. Cependant la mélancolie me prend fort souvent avec une grande force, et plus d'ailleurs la santé revient au normal, plus j'ai la tête capable à raisonner très froidement, plus faire de la peinture qui nous coûte tant et ne rapporte rien, même pas le prix de revient, me semble comme une folie, une chose tout à fait contre la raison. Alors je me sens tout triste et le mal est qu'il est à mon âge bigrement difficile de recommencer autre chose. Dans les quelques journaux hollandais que tu as ajoutés aux Millet - je remarque des lettres parisiennes que j'attribue à Isaäcson. C'est très subtil et on devine l'auteur un être douloureux, inquièt, d'une tendresse rare - tendresse qui me fait involontairement penser aux Reisebilder de H. Heine. Pas besoin de te dire que je trouve extrêmement exagéré ce qu'il dit de moi dans une note, et raison de plus pour que je préfère qu'il ne dise rien de moi. Et dans tous ces articles je trouve à côté de choses très fines, je ne sais quoi qui me paraît malade. Il est resté longtemps à Paris - je le suppose plus sage que moi, ne buvant pas, etc. mais j'y retrouve comme ma propre fatigue moral de Paris pourtant. Et je crois que sous peu son tempérament s'évanouirait de tristesse, fatigué d'une idée fixe de chercher du bien, s'il continuait beaucoup plus longtemps. On sent tellement | |||||||||||||
[pagina 386]
| |||||||||||||
dans ce qu'il dit que c'est un être très souffrant et très bon, content quand il peut admirer. J'ai commencé ce matin les Bêcheurs sur une toile de 30. Sais-tu que cela pourrait être intéressant de chercher à faire les dessins de Millet en peinture, ce serait une collection de copies toute spéciale, quelque chose comme les travaux de Prévot, qui copia les Goya et les Velasquez peu connus pour M. Doria. Peut-être moi je serais plus utile en faisant cela, que par ma propre peinture. La mère m'a écrit à moi aussi des nouvelles de Cor. J'ai travaillé à une étude de la salle des furieux à l'hospice d'Arles, et puis n'ayant pas de toile ces derniers jours, j'ai fait de longues courses en tout sens à travers le pays - je commence à sentir davantage l'ensemble de la nature dans laquelle je vis. Dans la suite je reviendrai peut-être aussi toujours sur les mêmes motifs de Provence. Ce que tu dis de Guillaumin est très vrai, il a trouvé une chose vraie et il se contente de ce qu'il a trouvé, sans aborder à tort et à travers des choses disparates, et comme cela il reste juste et devient plus fort toujours sur ces mêmes motifs fort simples. Il n'a ma foi pas tort et j'aime énormément cette sincérité qu'il a. Je me hâte de terminer cette lettre, j'avais déjà commencé quatre fois à t'écrire sans pouvoir achever. Ah, à présent certes tu es toi en plein dans la nature, puisque tu écris que Jo sent déjà vivre son enfant - c'est même bien plus intéressant que du paysage, et j'en suis bien aise que cela soit ainsi changé pour toi. Comme le Millet est beau, les premiers pas d'un enfant! Poignée de main à toi, à Isaäcson, bien mes compliments surtout à Jo. Je vais encore travailler aux Bêcheurs, les journées sont très courtes, à bientôt t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
612Beste Moeder, Nog een keer wilde ik U schrijven, terwijl U nog in het oude huis zijt, om U voor Uw laatsten brief en de tijding van Cor's goede reis te bedanken. Ik geloof dat hij er met animo zal werken en nu en dan wat pleizer in zijn leven hebben. Wat hij U schrijft doet mij denken aan wat mijn vriend Gauguin me vertelde van Panama en Brazilië. Dat Isaäcson ook naar de Transvaal gaat, wist ik nog niet. U weet dat | |||||||||||||
[pagina 387]
| |||||||||||||
ik hem nooit persoonlijk heb ontmoet - maar laatst heb ik hem eens geschreven, omdat hij min of meer van plan was in een Hollandsche courant over mijn werk te schrijven, wat ik hem verzocht niet te doen; doch tevens om hem voor zijn trouwe sympathie te bedanken, want van begin af aan dachten wij dikwijls aan elkaar's werk en hebben dezelfde idées betreffende onze oude Hollandsche en de tegenwoordige Fransche schilders. En het werk van de Haan houd ik ook veel van. Nu kan ik U mededeelen dat wat ik U beloofde geheel klaar is - de landschapstudies en een klein portret van me zelf en een studie van een interieur. Het zal U echter vrees ik tegenvallen en een en ander U onbelangrijk en leelijk lijken. Wil en U kunt er mee doen wat U wilt en indien U lust heeft er aan de andere zusters iets van geven - daarom stuur ik er een paar meer. Maar dat is iets wat mij niet aangaat - en tracht er alleen naar het een en ander een soort geheel vormen dat ik liever bijeen zag blijven, zoodat het met der tijd wat belangrijker wordt. Alleen ik kan me al vooruit begrijpen U geen plaats zult hebben voor alles, en dus doe er mede wat U wilt, maar ik raad U aan ze althans eenigen tijd bijeen te houden, daar U dan beter oordeelen kunt welke op den duur U het best bevallen. Zeker ben ik het met U eens dat het voor Theo zóó heel wat beter is dan vroeger, en hoop maar alles goed afloope met Jo's bevalling, dan zijn ze voor een heelen tijd er boven op. Het is altijd goed men het eens ondervinde hoe een mensch in de wereld komt, en dat brengt menig karakter tot meer rust en waarheid. De natuur is hier zeer mooi in den herfst en met de gele blaren. Het spijt mij alleen er hier niet meer wijngaarden zijn, ik ben er een gaan schilderen op een paar uur afstand echter. Het gebeurt dat een groot veld geheel purper en rood wordt zooals bij ons de wilde wingerd, en daar naast een vierkant geel en wat verder een plek die nog groen is. Dat alles onder een lucht van prachtig blauw en lila rotsen in het verschiet. Verleden jaar had ik beter gelegenheid om dat te schilderen dan nu. Ik had gaarne zoo iets gevoegd bij wat ik U stuur, maar dat blijf ik U schuldig voor een volgend jaar. Aan het portret van mezelf dat ik er bij voeg zult U zien dat ofschoon ik Parijs, Londen en zooveel andere groote steden zag en dat jaren lang, ik toch er zoo min of meer als een boer van Zundert b.v. | |||||||||||||
[pagina 388]
| |||||||||||||
Toon of Piet Prins uit ben blijven zien, en ik verbeeld me soms ik ook zoo gevoel en denk, alleen zijn de boeren van meer nut in de wereld. Eerst als men al de rest heeft, krijgen de menschen gevoel voor, behoefte aan, schilderijen, boeken enz. In mijn eigen schatting reken ik me dan ook bepaald beneden de boeren. Enfin ik ploeg op mijn doeken als zij op hun akkers. Het gaat anders in ons vak triest genoeg - dat is wel altijd zoo geweest eigenlijk - maar het is tegenwoordig al heel bar. En toch zijn er nooit zulke prijzen besteed voor schilderijen als heden ten dage. Wat maakt dat wij nog werken, is vriendschap onder elkander en liefde voor de natuur, en enfin als men zich al de moeite heeft getroost om meester van zijn penseel te worden kan men het schilderen niet laten. Ik behoor bij anderen vergeleken nog tot de gelukkigen, maar reken eens hoe het zijn moet als iemand het vak begint en het moet laten steken voor hij iets gedaan heeft, en zóó zijn er velen. Reken er 10 jaar noodig zijn om het vak te leeren, wie er nu 6 b.v. doormaakt en bekostigt en dan 't moet opgeven, als U wist hoe miserabel dat is en hoevelen er zoo zijn. En die hooge prijzen waarvan men hoort, betaald voor werk van schilders die dood zijn en bij hun leven zoo niet betaald werden, 't is een soort tulpenhandel, waarvan de levende schilders meer nadeel dan voordeel hebben. En als een tulpenhandel zal dat ook vergaan. Men kan echter redeneeren dat ofschoon de tulpenhandel al lang vergaan en vergeten is de bloemkweekers toch gebleven zijn en blijven zullen. En zóó beschouw ik het schilderen dan ook dat het blijvende er van een soort van bloemen kweeken is. En wat dat aangaat reken ik mij gelukkig er in te zijn. Maar de rest! Dit een en ander om U te bewijzen men zich geen illusies moet maken. Mijn brief moet weg - ik ben op 't oogenblik bezig aan een portret van een van de zieken hier. Het is zonderling dat als men een tijd lang met hen is en er aan gewend is, men er niet meer aan denkt dat zij gek zijn. In gedachten omhelsd van Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 389]
| |||||||||||||
613Mon cher Theo, Ci-inclus je t'envoie une liste de couleurs qu'il me faudrait encore le plus tôt possible. Tu m'as fait un bien grand plaisir en m'envoyant ces Millet, j'y travaille avec zèle. A force de ne jamais rien voir d'artistique, je m'avachissais et cela me ranime. J'ai fini la Veillée et ai en train les Bêcheurs et l'homme qui met sa veste, toiles de 30, et le Semeur plus petit. La Veillée est dans une gamme de violets et lilas tendres avec lumière de la lampe citron pâle, puis la lueur orangée du feu et l'homme en ocre rouge. Tu verras cela; il me semble que faire de la peinture d'après ces dessins de Millet, soit les traduire dans une autre langue bien plutôt que de les copier. A part cela j'ai un effet de pluie en train et un effet de soir avec des grands pins. Et aussi une chûte des feuilles. La santé va fort bien - sauf souvent beaucoup de mélancolie cependant, mais je me sens bien, bien mieux que cet été et même mieux que lorsque je venais ici, et même mieux qu'à Paris. Aussi pour le travail les idées deviennent - à ce qui me paraît - plus fermes. Mais alors je ne sais trop si tu aimeras ce que je fais maintenant. Car malgré ce que tu dis dans ta lettre précédente, que la recherche du style fait souvent du tort à d'autres qualités, le fait est que je me sens beaucoup poussé à chercher du style, si tu veux, mais j'entends par là un dessin plus mâle-et plus volontaire. Si cela me fera davantage ressembler à Bernard ou Gauguin je n'y pourrais rien. Mais suis porté à croire qu'à la longue tu t'y ferais. Car, oui, il faut sentir l'ensemble d'une contrée - n'est-ce pas là ce qui distingue un Cézanne d'autre chose? Et Guillaumin, que tu cites, lui en a tant de style et de dessin personnel. Enfin je ferai comme je pourrai. A présent que la plupart des feuilles sont tombées, le paysage ressemble davantage au nord, et alors je sens bien que si je revenais dans le nord, j'y verrais plus clair qu'auparavant. La santé est une grande chose et beaucoup dépend de là aussi, quant au travail. Heureusement les abominables cauchemars ne me tourmentent plus. J'espère aller à Arles de ces jours-ci. Je voudrais bien que Jo voie la Veillée; je crois que je te ferai un envoi sous peu, mais cela sèche fort mal à cause de l'humidité de | |||||||||||||
[pagina 390]
| |||||||||||||
l'atelier. Ici il n'y a guère de cave ou de fondements dans les maisons, et on sent l'humidité davantage que dans le nord. A la maison on aura démenagé, je joindrai au prochain envoi 6 toiles pour eux. Est-ce nécessaire de les faire encadrer, peutêtre pas, car cela n'en vaut pas la peine. Surtout ne fais pas encadrer les études que je t'envoie de temps en temps, on pourra le faire plus tard, inutile que cela prenne trop de place. J'ai aussi fait une toile pour M. Peyron: une vue de la maison avec un grand pin. J'espère que ta santé et celle de Jo contenuent à aller bien. J'en suis si heureux que tu ne sois plus seul et que tout soit plus normal qu'auparavant. Est-ce que Gauguin est de retour et que fait Bernard? à bientôt, je te serre bien la main à toi, à Jo, aux amis et crois moi t.à.t. Vincent.
Je cherche autant que possible à simplifier la liste des couleurs - ainsi c'est très souvent que j'emploie comme autrefois les ocres. Je sais bien que les études dessinées avec de grandes lignes si nueuses du dernier envoi, n'étaient pas ce que cela doit devenir, pourtant j'ose t'engager à croire que dans le paysage on continuera à chercher à masser les choses, par le moyen d'un dessin qui cherche à exprimer l'enchevêtrement des masses. Ainsi te rappellestu le paysage de Delacroix: la lutte de Jacob avec l'ange? Et il y en a d'autres de lui! par exemple les falaises et justement les fleurs dont tu parles quelquefois. Bernard a réellement trouvé des choses parfaites là-dedans. Enfin ne prends pas trop vite un parti pris contre. Enfin tu verras que dans un grand paysage avec des pins, des troncs ocre rouge arrêtés par un trait noir, il y a déjà davantage de caractère que dans les précédents. | |||||||||||||
614Mon cher Theo, (November.) Merci de ta lettre et suis bien aise que tu écris que Jo continue à aller bien. C'est maintenant là le grand événement; je pense bien souvent à vous autres. Pour toi lorsque tu écris voir tant de tableaux que tu désirerais pour un temps ne pas en voir, cela prouve bien que tu as des tracas d'affaires de trop. Et puis - oui, il y a dans l'existence autre chose que les tableaux, et ce reste on le | |||||||||||||
[pagina 391]
| |||||||||||||
néglige, et la nature paraît alors se venger et le sort s'acharne d'ailleurs à nous contrarier. Je crois qu'il faut dans ces circonstances tenir aux tableaux autant que le devoir l'exige, mais pas davantage. Pour les Vingtistes voici ce que j'aimerais à exposer: 1 et 2 les deux pendants de tournesols, 3 le lierre en hauteur, 4 verger en fleur (celui que Tanguy expose dans ce moment), avec des peupliers traversant la toile), 5 la vigne rouge. 6 champ de blé, soleil levant, auquel je travaille dans ce moment. Gauguin m'a écrit une très bonne lettre et parle avec animation de de Haan et de leur vie rude au bord de la mer. Bernard aussi m'a écrit, se plaignant d'un tas de choses, tout en se résignant en bon garçon qu'il est, mais pas heureux du tout avec tout son talent, tout son travail, toute sa sobriété; il paraît que la maison est souvent un enfer pour lui. La lettre d'I. me fait bien du plaisir, ci-inclus ma réponse que tu liras - les idées commencent à s'enchainer avec un peu plus de calme, mais comme tu l'y verras, je ne sais s'il faut continuer à peindre ou laisser là la peinture. Si je continue, certes je suis d'accord avec toi que peut-être il vaut mieux attaquer les choses avec simplicité, que de chercher les abstractions. Et je ne suis pas admirateur du Christ au jardin des oliviers de Gauguin par exemple, dont il m'envoit croquis. Puis celui de Bernard, il m'en promet une photographie, je ne sais mais je crains que ses compositions bibliques me feront désirer autre chose. Ces jours-ci j'ai vu les femmes cueillir et ramasser les olives, pas moyen pour moi d'avoir modèle, je n'en ai rien fait. Cependant faudrait pas dans ce moment me demander de trouver bien la composition de l'ami Ganguin, puis l'ami Bernard n'a probablement jamais vu un olivier. Or il évite donc de se faire la moindre idée du possible et de la réalité des choses, et ce n'est pas là le moyen de synthétiser - non de leurs interprétations bibliques jamais je ne m'en suis mêlé. J'ai dit que Rembrandt, que Delacroix, avaient fait cela admirablement, que j'aimais cela même mieux que les primitifs, mais puis halte là! Je ne veux pas recommencer sur ce chapitre. Si je reste ici, je ne chercherais pas à peindre un Christ au jardin des oliviers, mais enfin le grappillage des olives tel que l'on le voit encore et alors quand même donnant la proportion juste de la | |||||||||||||
[pagina 392]
| |||||||||||||
figure humaine là-dedans, ça y ferait peut-être songer. Avant d'en avoir fait des études plus sérieuses que jusqu'à présent, je n'ai pas le droit de m'en mêler. Et puis les Préraphaélites ont été fort loin dans cet ordre d'idéeslà. Lorsque Millais a peint son Light of the world, c'était autrement sérieux. Vraiment il n'y a pas de comparaison. Sans compter Holman Hunt et autres - Pinwell et Rossetti. Et puis ici il y a Puvis de Chavannes. A présent je te dirai que j'ai été à Arles et que j'ai vu M. Salles, qui m'a remis le reste de l'argent que tu lui avais envoyé et le reste de ce que je lui avais remis, soit 72 francs. Cependant il ne reste en caisse à M. Peyron qu'une vingtaine de francs actuellement, puisque je me suis là-bas approvisionné de couleurs et que j'ai payé la chambre où sont les meubles etc. Suis resté 2 jours là-bas, ne sachant pas encore que faire dans la suite; il est bon de s'y montrer de temps en temps, pour que la même histoire ne se renouvelle pas avec les gens. A présent personne là-bas ne m'en veut, à ce que je m'aperçoive, au contraire ils étaient très aimables et m'ont fait la fête même. Et si je restais dans le pays; peu à peu j'aurais chance de m'y acclimater, ce qui n'est guère commode pour les étrangers et aurait son intérêt pour y peindre. Mais nous verrons un peu d'abord si ce voyage provoquerait une autre crise, j'ose espérer presque que non. Il fait froid souvent ici aussi, cependant on est par les montagnes un peu davantage abrité contre le mistral. Et entretemps je travaille toujours. J'ai plusieurs choses à t'envoyer avec la toile pour les vingtistes - j'attends que celle-là soit sèche. Si j'avais su à temps qu'il y a eu des trains d'ici à Paris à 25 francs seulement, je serais certes venu. C'est allant à Arles seulement que j'ai vu cela, et c'est pour les frais que je ne l'ai pas fait - à présent il me semblerait qu'au printemps il serait pourtant bon de venir en tous les cas pour revoir un peu les gens et choses du nord. Car c'est terriblement abrutissant cette vie d'ici et j'y perdrais à la longue mon énergie. Je n'avais guère osé espérer que je me porterais encore si bien qu'est le cas. Cependant tout dépend de ce que cela te convienne ou pas et je crois qu'il est sage de ne pas presser. Peut-être en attendant un peu, n'aurons-nous même pas besoin du médecin à Auvers ni des Pissarro. Si la santé demeure stable, alors si tout en travaillant je me remets | |||||||||||||
[pagina 393]
| |||||||||||||
à chercher à vendre, à exposer, à faire des échanges, peut-être y aura-t-il quelque progrès pour t'être moins à charge d'un côté et de l'autre pour retrouver un peu plus d'entrain. Car je ne te cache pas que le séjour ici est bien fatiguant par sa monotonie et parce que la société de tous ces malheureux, qui ne font absolument rien, énerve. Mais que veux-tu, il ne faut pas avoir des prétentions dans mon cas, j'en ai encore trop tel que c'est. Gauguin dit qu'ils ont des modèles facilement. C'est cela qui me manque le plus ici. Bernard me parle d'un échange, tu es bien libre de traiter cela avec lui, s'il le désirerait et t'en parlerait. Je voudrais bien qu'en dehors du portrait de sa grand-mère tu eusses une bonne chose de lui. Paraît qu'il a envie de la Berceuse. Je crois que les 6 tableaux pour les Vingtistes seront comme cela un ensemble, le champ de blé fera fort bien pendant au verger. J'écris un mot à M. Maus pour lui donner titres, ainsi que dans sa lettre il les réclame. A présent bien le bonjour à Jo et bonne poignée de main. Tu liras la lettre à Isaäcson, cela complète celle-ci. à bientôt. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
615Mon cher Theo, J'ai à te remercier beaucoup d'un envoi de couleurs, qui était encore accompagné d'un veston de laine excellent. Que tu es bon pour moi, et comme je voudrais pouvoir faire quelque chose de bon, afin de te prouver que je voudrais être moins ingrat. Les couleurs m'arrivaient au bon moment, car ce que j'avais rapporté d'Arles est presqu'épuisé. C'est que j'ai travaillé ce mois-ci dans les vergers d'oliviers, car ils m'avaient fait enrager avec leurs Christs au jardin, où rien n'est observé. Bien entendu chez moi il n'est pas question de faire quelque chose de la Bible - et j'ai écrit à Bernard et aussi à Gauguin, que je croyais que la pensée et non le rêve était notre devoir, que donc j'étais étonné devant leur travail de ce qu'ils se laissent aller à cela. Car Bernard m'a envoyé photos d'après ses toiles. Ce que cela a, c'est que ce sont des espèces de rêves et cauchemars, qu'il y a de l'érudition - on voit que c'est quelqu'un qui raffole des primitifs - mais franchement les Préraphaélites anglais faisaient cela bien mieux, et puis Puvis et Delacroix, c'est bien plus sain que ces Préraphaélites. | |||||||||||||
[pagina 394]
| |||||||||||||
Donc cela me laisse pas froid, mais cela me cause un sentiment pénible de dégringolade au lieu de progrès. Eh bien pour secouer cela, matin et soir de ces jours clairs et froids, mais par un bien beau et franc soleil, je suis allé tripoter dans les vergers et il en est résulté 5 toiles de 30, qui avec les 3 études d'oliviers que tu as, constituent au moins une attaque de la difficulté. L'olivier est changeant comme notre saule ou têtard du Nord. Tu sais que les saules sont fort pittoresques, malgré que cela paraîsse monotone, c'est l'arbre dans le caractère du pays. Or ce qe le saule est chez nous, exactement la même importance a l'olivier et le cyprès ici. Ce que j'ai fait est un peu dur et grossier réalisme à côté de leurs abstractions, mais cela donnera pourtant la note agreste et sentira le terroir. Que je voudrais voir les études sur nature de Gauguin et de Bernard, le dernier me parle de portraits - qui sans doute me plairaient davantage. J'espère m'habituer à travailler dans le froid - le matin il y a des effets de gelée blanche et de brouillard fort intéressants, puis j'ai toujours le grand désir de faire pour les montagnes et pour les cyprès ce que je viens de faire pour les oliviers, donner un coup de collier. C'est que cela a rarement été peint, l'olivier et le cyprès, et au point de vue de placer les tableaux, cela doit aller en Angleterre, je sais assez ce qu'ils cherchent par là. Quoi qu'il en soit, de cela je suis presque sûr, de faire ainsi de temps à autre une chose passable. C'est réellement de plus en plus mon opinion, ainssi que je l'ai dit à Isaäcson en travaillant assidûment sur nature sans se dire d'avance: je veux faire ceci ou cela, travaillant comme si l'on faisait des souliers, sans préoccupations artistiques, on ne fera pas toujours bien, mais les jours où l'on y pense le moins on trouve un motif qui se tient avec le travail de ceux qui nous ont dévancés. On apprend à connaître un pays qui est au fond tout autre qu'il ne paraît à première vue. Au contraire on se dira: je veux achever mes tableaux davantage, je veux les faire avec soin, un tas d'idées comme cela devant les difficultés du temps, de l'effet changeant se trouve réduit à ne pas être praticable et je finis par me résigner en disant c'est l'expérience et le petit travail de chaque jour, qui à la longue seul mûrit et permet de faire plus complet ou plus juste. Alors le travail lent et long est la seule route, et toute ambition d'y tenir à bien faire, fausse. Car il faut tout aussi bien rater des toiles en montant à | |||||||||||||
[pagina 395]
| |||||||||||||
la brèche chaque matin, que d'en réussir. Pour peindre, l'existence tranquille réglée serait donc absolument nécessaire et au temps qui court, qu'y peut-on, lorsqu'on voit que par exemple Bernard est pressé, pressé, toujours pressé par ses parents. Il ne peut pas comme il veut et bien d'autres avec lui. Se dit-on je ne peindrai plus, mais que fera -t-on alors? Eh il faudrait inventer un procédé de peinture plus expéditif, moins coûteux que l'huile et pourtant durable. Un tableau ... ça finira par devenir banal comme un sermon, un peintre comme un être en retard d'un siècle. C'est pourtant dommage qu'il en soit ainsi. Or si les peintres eussent mieux compris Millet comme homme or de certains tel l'Hermitte et Roll l'ont saisi, les choses n'en seraient pas ainsi. Il faut travailler autant et avec aussi peu de prétentions qu'un paysan, si on veut durer. Et mieux aurait valu que de faire des expositions grandioses, s'adresser au peuple et travailler pourque chacun puisse avoir chez soi des tableaux ou des reproductions qui soient des leçons, comme l'oeuvre de Millet. Je suis tout à fait au bout de ma toile et lorsque tu pourras je te prie de m'envoyer 10 mètres. Alors je vais attaquer les cyprès et les montagnes. Je crois que cela doit être le centre du travail que j'ai fait ça et là en Provence, et alors nous pouvons conclure le séjour ici lorsque cela conviendra. Ce qui n'est pas pressé, car Paris ne fait en somme que distraire. Je ne sais pourtant pas - n'étant pas toujours pessimiste - je me dis toujours que j'ai encore au coeur de peindre un jour une librairie de romans avec l'étalage jaune, rose, le soir, et les passants noirs - c'est un motif si essentiellement moderne. Parce que ça parait aussi au figuré un tel foyer de lumière. Tenez, cela serait un motif qui ferait bien entre un verger d'oliviers et un champ de blé, les semailles des livres, des estampes. Cela je l'ai bien au coeur pour le faire tel qu'une lumière dans les ténèbres. Oui il y a moyen de voir Paris en beau. Mais enfin les librairies ne sont pas des lièvres et ça ne presse pas, et j'ai bonne volonté pour travailler encore ici un an, ce qui sera probablement plus sage. La mère doit depuis une bonne quinzaine être à Leyden, j'ai tardé à t'envoyer des toiles pour elle, parce que je les joindrai à la toile du champ de blé pour les Vingtistes. Bien des choses à Jo, elle est bien brave de continuer à se bien | |||||||||||||
[pagina 396]
| |||||||||||||
porter. Merci encore une fois des couleurs et du veston de laine, et bonne poignée de main en pensée t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
616Beste Moeder, Recht goed kan ik het me begrijpen dat U zegt in Uw schrijven dat het U goed deed ‘weer eens met zijn velen’ te zijn, toen de kinderen van A. bij U waren. Wil heeft mij de woning uitvoerig beschreven en erg blij ben ik dat het U in de bevinding blijkt dat de verandering gemotiveerd was. En zoo hoop ik dat U nog vele recht goede dagen zult beleven te Leiden - en wees er van verzekerd ik zeer dikwijls aan U denk, hier waar ik meer in mezelven gekeerd mijn dagen doorbreng dan bij wijlen mij wenschelijk toeschijnt. Toch heb ik bepaald geen reden hoegenaamd om te klagen, me sterker en gezonder en bedaarder gevoelende dan vroeger en bij verleden jaar om dezen tijd vergeleken, toen dacht ik bepaald er niet meer aan te herstellen. De schok van toen zal ik echter altijd blijven voelen en als ik me maar bepaal bij mijn werk zal 't beste zijn, de rest gansch overgevende als moeilijk vereenigbaar en als kunnende zorg over een en ander weinig toe of afdoen. Wat de tentoonstelling in Brussel betreft, daarom laat dat me niet onverschillig omdat ik er een paar schilderijen zal hebben van hier, die niettegenstaande ze in een heel andere streek zijn gemaakt, heel en al gebleven zijn als waren ze b.v. in Zundert of Calmpthout geschilderd, en geloof ik ook door menschen die geen wat men noemt verstand van schilderijen hebben, zouden kunnen worden begrepen. En zoo zal men kunnen zeggen 't misschien eenvoudiger ware geweest ik maar stillekens in Noord-Brabant ware gebleven - maar dat is al zoo als 't is, en wat zal een mensch er aan doen. Ik stel me voor een groot gedeelte van 't volgend jaar hier ook door te brengen, daar zulks al ware 't voor mijn gezondheid niet absoluut meer noodig, voor mijn werk - daar ik hier nu wat georiënteerd ben - het best zou uitkomen. Het is wel niet goedkoop voor wat men er voor heeft - doch met veranderen komt het schilderen steeds schadelijk uit en daarom denk ik er sterk over te blijven - aangezien ik hier in mijn werk zeer geregeld kan zijn. En overigens de streek niet of weinig door anderen geschilderd is nog. Want 't is hier een streek van 't Zuiden niet warmer dan bij ons, | |||||||||||||
[pagina 397]
| |||||||||||||
en de andere schilders gaan meest wat verder b.v. naar Nice. En nu zeg ik U voor heden goeden dag. Dank nog voor de berichten betreffende Cor - en in gedachten omhelsd door Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
617Mon cher Theo, Merci bien de ta dernière lettre, je suis bien aise que ta santé et celle de Jo vont bien et pense bien souvent à vous autres. C'est très intéressant ce que tu racontes d'une publication de lithographies coloriées avec un texte sur Monticelli, cela me fait franchement un plaisir très vif et je serais très curieux de les voir un jour. J'espère qu'il reproduira en couleur le bouquet que tu as, car cela est une chose de première ordre comme couleur. J'aimerais bien un jour faire une planche ou deux dans ce genre moi-même, d'après mes toiles. Ainsi je travaille à un tableau dans ce moment: des femmes cueillant des olives, qui s'y prêterait je crois. Voici les couleurs: le terrain est violet et plus loin ocre jaune, les oliviers aux troncs bronze ont un feuillage vert gris, le ciel est entièrement rose et 3 figurines rose aussi. Le tout dans une gamme fort discrète. C'est une toile que je travaille de tête d'après l'étude de même grandeur faite sur place, parce que je veux une chose lointaine comme un vague souvenir adouci par le temps. Il n'y a que deux notes rose et vert qui s'harmonisent, se neutralisent, se font opposition. J'en ferai probablement deux ou trois répétitions, car enfin c'est le résultat d'une demi-douzaine d'études d'oliviers. Je trouve probable que je ferai plus guère des choses empâtées, c'est le résultat de la vie calme de reclusion que je mène et je m'en trouve mieux. Au fond je ne suis pas si violent que cela, enfin je me sens davantage moi dans le calme. Tu le verras peut-être aussi dans la toile pour les vingtistes, que j'ai expédiée hier: le champ de blé au soleil levant. En même temps tu recevras la chambre à coucher. J'y ai encore joint deux dessins. Je suis curieux de savoir ce que tu diras du champ de blé, il faudra le regarder pendant quelque temps peut-être. Cependant j'espère que tu m'écriras bientôt si c'est arrivé en bon ordre, si tu trouves une demi-heure de loisir semaine prochaine. Je serais tout à fait résigné à rester ici encore l'année prochaine, parce que je crois que le travail marchera un peu. Et je sens le pays ici par le séjour prolongé autrement que le premier endroit venu - | |||||||||||||
[pagina 398]
| |||||||||||||
les bonnes idées germent maintenant un peu et faudra les laisser se développer. Et ainsi je me serais si peu écarté de l'idée d'aller chercher quelque chose dans le pays de Tartarin. J'ai grand désir de faire encore et les cyprès et les Alpines et faisant souvent de longues courses dans toutes les directions, j'ai noté bien des motifs et connais de bons endroits pour lorsque les beaux jours viendront. Puis en changeant, au point de vue des dépenses il n'y aurait guère davantage je crois, et la réussite du travail est encore plus douteuse en changeant. J'ai reçu une lettre de Gauguin, encore fort bien, une lettre bien impregnée du voisinage de la mer, je crois qu'il doit faire de belles choses, un peu sauvages. Tu me dis de ne pas me faire trop de soucis et que de meilleurs jours viendront encore pour moi. Je dirais que ces meilleurs jours ont déjà commencés pour moi, même lorsque j'entrevois la possibilité de compléter un peu le travail, de façon que tu aies une série d'études provençales un peu senties, qui se tiendront, voilà ce que j'espère avec nos lointains souvenirs de jeunesse en Hollande, et ainsi je me fais une fête de refaire encore les oliveuses pour la mère et la soeur. Et si je pouvais un jour prouver que je n'apauvrirais pas la famille, cela me soulagerait. Car à présent j'ai toujours beaucoup de remords de dépenser de l'argent, qui ne rentre pas. Mais comme tu dis, patience et travailler est la seule chance de sortir de là. Je me le dis cependant souvent que si j'avais fait comme toi, si j'étais resté chez les Goupil, si je m'étais borné à vendre des tableaux, j'aurais mieux fait. Car dans le commerce, si on ne produit pas soi-même, on fait produire les autres, à présent que tant d'artistes ont besoin de soutien dans les marchands et n'en trouvent que rarement. L'argent qui était chez M. Peyron est épuisé, et même il m'a il y a quelques jours donné 10 francs en avance, et dans le courant du mois il m'en faudra bien encore dix et je trouverais juste de donner à Nouvel an quelque chose aux garçons de service d'ici et au concierge, ce qui fera encore une dizaine de francs. Pour ce qui est des vêtements d'hiver, ce que j'ai n'est pas grand chose, comme tu comprendras, mais c'est chaud assez et donc nous pouvons attendre jusqu'au printemps avec cela. Si je sors, c'est pour travailler, donc alors je mets ce que j'ai de plus usé et j'ai un veston et pantalon en velours pour ici. Je compte au printemps, si je suis ici, aller faire quelques tableaux à Arles aussi et | |||||||||||||
[pagina 399]
| |||||||||||||
si vers cette époque-là je prends quelque chose de neuf, cela suffira. Je t'envoie ci-inclus une commande de toile et de couleurs, mais j'en ai encore et cela peut attendre le mois prochain, si celui-ci serait trop chargé déjà. Du tableau de Manet, dont tu parles, je me souviens. Un idéal de figure est pour moi toujours resté le portrait d'homme de Puvis de Chavannes, un vieillard lisant un roman jaune, ayant à côté de lui une rose et des pinceaux d'aquarelle dans un verre d'eau - et le portrait de dame qu'il avait à la même exposition, une femme déjà vieille, mais tout-à-fait telle que Michelet le sentait, qu'il n'y a pas de vieille femme. Ce sont là des choses consolantes, voir la vie moderne claire, malgré ses inévitables tristesses. L'année dernière vers cette époque je ne pensais certes pas que j'en reviendrais encore tant que cela. Dis bien des choses à Isaäcson, si tu le vois, et à Bernard. Je regrette de ne pas pouvoir de ces jours-ci envoyer les oliviers, mais cela sèche si mal qu'il faudra attendre. Je crois que ce serait une bonne mesure de faire venir la soeur en janvier. Ah si celle-là se mariait, ce serait une bonne chose. Je te serre bien la main en pensée, je vais encore travailler un peu dehors; il fait du mistral. Vers le moment du coucher du soleil cela se calme un peu d'habitude, alors il y a des effets superbes de ciels citron pâle et les pins désolés détachent leurs silhouettes là contre avec des effets de dentelle noire exquise. D'autrefois le ciel est rouge, d'autrefois d'un ton extrêmement fin neutre, de citron pâle encore, mais neutralisé par du lilas fin. J'ai un effet de soir d'un pin encore contre du rose et du jaune vert. Enfin sous peu tu verras ces toiles, dont la première - le champ de blé - vient de partir. A bientôt j'espère, bien des choses à Jo. t.à t. Vincent. | |||||||||||||
618Mon cher Theo, Hier j'ai expédié trois collis postaux, contenant des études, que j'espère que tu recevras en bon ordre. J'ai bien à te remercier des 10 mètres toile, qui viennent d'arriver. Tu trouveras dans les études, les suivantes qui sont pour la mère et la soeur: Oliviers, chambre à coucher, faucheur, labourage avec charrue, champ de blé avec cyprès, verger en fleur, portrait. Le reste c'est surtout des études d'automne et je crois que la | |||||||||||||
[pagina 400]
| |||||||||||||
meilleure c'est le mûrier jaune contre un ciel très bleu - puis l'étude de la maison et du parc, dont il y a deux variantes. Les études toiles de 30 n'étaient pas encore sèches et suivront plus tard. Elles me donnent bien du mal et tantôt je trouve que c'est très laid, tantôt cela me paraît bien, peut-être auras-tu la même impression quand tu les verras. Il y en a une douzaine, donc c'est plus important que ce que je viens d'envoyer. Malgré le froid je continue jusqu'à présent de travailler dehors et je crois que cela me fait du bien à moi et au travail. La dernière étude que j'ai faite, est une vue du village, où on était en train - sous des platanes énormes - à reparer les trottoirs. Il y a donc des amas de sable, des pierres et les troncs gigantesques - le feuillage jaunissant et par ci par là on entrevoit une façade et des petites figures. Je pense si souvent à toi et à Jo, mais avec un sentiment comme s'il y avait une distance énorme d'ici à Paris et des années que je ne t'avais pas vu. J'espère que la santé va bien chez toi, pour moi j'ai pas à me plaindre, je me sens pour ainsi dire absolument normal, mais sans idées pour l'avenir et vraiment je ne sais ce que cela doit devenir et j'évite peut-être de creuser cette question, sentant n'y rien pouvoir. J'ai fini ou à peu près la copie des Bêcheurs aussi. Tu verras que dans les grandes études il n'y a plus d'empâtements, je prépare la chose par des sortes de lavis à l'essence et puis procède par touches ou hâchures colorées et espacées entre elles. Cela donne de l'air et on use moins de couleur. Si je veux faire partir cette lettre aujourd'hui, il faut que je me dépêche, donc poignée de main en pensée et bien des chôses à Jo, t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
619Beste Moeder, Tegen het einde van het jaar kom ik U nog eens goeden dag zeggen - U zult zeggen dat ik dat menig keer vergeten heb. 't Is een jaar geleden ik ziek werd en 't is voor mij moeilijk me uit te drukken in hoever ik hersteld ben al dan niet. Dikwijls heb ik geducht zelfverwijt over dingen in 't verleden, als zijnde mijn ziekte me zoo tamelijk door mijn eigen schuld overkomen en in elk geval is 't me twijfelachtig of ik op eeniger wijze fouten kan goedmaken. | |||||||||||||
[pagina 401]
| |||||||||||||
Maar redeneeren of denken hierover is soms zoo moeilijk en meer dan vroeger overweldigt mijn gevoel mij soms. En dan kan ik zoo aan U denken en aan het verleden. U en Pa zijn voor mij zoo mogelijk nog meer dan voor de anderen zoo veel, zoo heel veel geweest en ik blijk geen gelukkig karakter gehad te hebben. Ik ben dat te Parijs gaan inzien, hoeveel meer dan ik, Theo zijn best heeft gedaan om Pa praktisch te helpen, zóó dat zijn eigen belangen er dikwijls bij inschoten. Daarom ben ik er nu tegenwoordig zoo dankbaar voor Theo eindelijk eene vrouw heeft gevonden en zijn kindje wacht. Enfin Theo had meer zelfverloochening dan ik en dat zit diep in zijn karakter. En toen Pa er niet meer was en ik bij hem te Parijs kwam toen hechtte hij zich zóó aan mij dat ik er van leerde begrijpen hoeveel hij van Pa had gehouden. En nu ik zeg dat aan U en niet aan hem, het is maar goed ik niet in Parijs ben gebleven want wij zouden, hij en ik, al te zeer ons in elkaar verdiept hebben. En daar is het leven niet voor, ik kan het U niet zeggen hoeveel beter ik het zóó voor hem vind als het nu is dan voorheen, hij had te veel vermoeiende zaken aan 't hoofd en daar leed zijn gezondheid onder. In 't begin dat ik ziek werd kon ik niet berusten in 't idee in een gesticht te moeten gaan. En nu tegenwoordig geef ik het gewonnen dat ik reeds vroeger had moeten behandeld worden, maar het is menschelijk zich daarin te vergissen. Een fransch schrijver zegt dat alle schilders zoo wat krankzinnig zijn, en al is daartegen heel wat in te brengen, 't is zeker dat men er te zeer afgetrokken door wordt. Wat hier ook van zij, hier waar ik voor niets te zorgen heb enz. verbeeld ik me ik vooruitga in gehalte van mijn werk. En dus ga ik met betrekkelijke kalmte voort en doe mijn best op mijn werk en reken me niet onder de ongelukkigen. Op 't oogenblik werk ik aan een schilderij van een pad tusschen de bergen en een kleine beek, die zich tusschen de steenen voortwerkt. De rotsen zijn effen lilas grijs of rose met hier en daar struiken palm en een soort brem, die door de herfst allerlei kleuren hebben, groen, geel, rood, bruin. En de beek op den voorgrond wit en schuimend als zeepsop en verderop weerspiegelend het blauw van de lucht. En nu is zeker het werk dat men tegenwoordig hier maakt heel | |||||||||||||
[pagina 402]
| |||||||||||||
anders - kleuriger en meer vierkant geteekend dan wat men vroeger in Holland deed in den tijd van b.v. Schelfhout. En toch het een is zoo zeer een gevolg van 't andere. Zoo b.v. U heeft nog gekend de oude van der Sande Bakhuyzen en Jules Bakhuyzen. Ik dacht aan hun werk onlangs nog, dat bij alle schijnbaar verschil er toch zoo weinig verandering in de gedachten der menschen is. Enfin ik geloof dat b.v. Jules Bakhuyzen heel best zou begrijpen wat ik dezer dagen schilder, die ravijn met de beek en een ander schilderij van het park van het gesticht - groote mastboomen tegen een avondlucht. Ik hoop Theo U mijn studies heeft gestuurd, maar ik heb opnieuw een nogal groot schilderij voor U onder handen van vrouwen die aan het oogsten van olijven zijn. De boomen grijsgroen met een rose lucht en paarsachtigen grond. Al de kleuren zachter dan gewoonlijk. Ik had gehoopt het dezer dagen te kunnen verzenden maar het droogt langzaam. Zooals ik U zeg ik betreur wel eens dat ik zoo afgetrokken soms ben, ik verzet er me tegen maar het maakt mij zoo ongeschikt om veel dingen te doen, die eigenlijk mijn plicht waren. Mijn gezondheid mankeert letterlijk niets, maar de schok van verleden jaar maakt ik er toch tegen op zou zien buiten een gesticht te gaan. Ik heb me soms verbeeld dat als ik het schilderen daar liet en een of ander hard leven had b.v. als soldaat naar de Oost, mij dat beter zou maken. Maar het is daar al wat laat voor en ik vrees men zou me afkeuren. Ik denk dit half in scherts, half in ernst. Voorloopig gaat het werk goed maar natuurlijk blijven mijn gedachten, steeds op de kleuren en teekenen gevestigd, in een nog al klein kringetje ronddraaien. Ik wil dus maar bij den dag leven - van den een op den ander zoeken te komen. En trouwens mijn kamaraads schilders klagen ook dikwijls er over dat het vak zoo machteloos maakt, of dat het machteloozen zijn die het uitoefenen. Wat zult U veel om Theo en Jo en de aanstaande gebeurtenis denken. Moge het goed afloopen hoop ik zoo van harte. Ik ben er blij om me te kunnen verbeelden hoe Uw woning is naar de beschrijving van Wil. Het weer is hier nogal zacht dezer dagen, toch ook veel dagen | |||||||||||||
[pagina 403]
| |||||||||||||
van vorst en wind, maar dan schijnt de zon krachtiger dan in Holland. Weet U nog dat Rappard eens zeide: ‘het frischt wel eens op’ toen hij typheuse koorts gehad had en later bij ons logeerde, ik denk daar wel eens aan als ik me veel sterker en bij tijden helderder voel dan verleden jaar. Nu ik wensch U prettige Kerstdagen toe en een goed Oud- en Nieuwjaar. In gedachten omhelsd door Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
620Mon cher frère, Merci beaucoup de ta lettre du 22 Dec., contenant un billet de 50 fr; d'abord je te souhaite à toi et à Jo une heureuse année et regrette de t'avoir peut-être, bien involontairement néanmoins, causé de l'inquiétude, car M. Peyron a dû t'écrire, que j'ai encore une fois eu la tête bien dérangée. A l'heure que je t'écris, je n'ai pas encore vu M. Peyron, donc je ne sais pas s'il t'a écrit quelque chose sur mes tableaux. Il est venu me parler pendant que j'étais malade, qu'il avait reçu de tes nouvelles et si je voulais exposer mes tableaux oui ou non. Alors je lui avais dit que j'aimais encore mieux ne pas les exposer. Ce qui n'avait pas de raison d'être et j'espère donc qu'ils sont partis quand même. Mais enfin je regrette de ne pas avoir pu aujourd'hui voir M. Peyron, pour savoir ce qu'il t'a écrit. Enfin, cela ne me paraît pas important en somme, puisque tu dis que ça part le 3 janvier seulement tu recevras celle-ci à temps encore. Quel malheur pour Gauguin cet enfant tombé de la fenêtre et lui ne pouvont pas être là, je pense souvent à lui, comme il a ses misères celui-là malgré son activité et tant de qualités hors ligne. Je trouve parfait que la soeur vienne t'assister lorsque Jo accouchera. Puisse cela marcher bien - je pense beaucoup à vous autres, je vous l'assure. Maintenant ce que tu dis de mon travail, certes cela m'est agréable, mais je pense toujours à ce sacré métier dans lequel on est pris comme dans un filet et où l'on devient moins pratique que les autres. Enfin inutile hélas de se faire du mauvais sang sur cela - et il faut faire comme on peut. | |||||||||||||
[pagina 404]
| |||||||||||||
Drôle que j'avais travaillé avec un calme parfait à des toiles que tu verras bientôt, et que tout à coup, sans raison aucune, l'égarement m'a encore repris. Je ne sais ce que va me conseiller M. Peyron, mais tout en tenant compte de ce qu'il me dira, je crois que lui, moins que jamais, osera se prononcer sur la possibilité pour moi de vivre comme auparavant. Il est à craindre que ces crises reviendront. Mais ce n'est pas du tout une raison pour ne pas essayer un peu de se distraire. Car l'entassement de tous ces aliénés dans ce vieux cloître, cela devient je crois une chose dangereuse où l'on risque de perdre tout ce qu'on pourrait encore avoir gardé de bon sens. Non pas que j'y tienne à ceci ou à cela de préférence, je me suis habitué à l'existence ici, mais faudra pas oublier d'essayer un peu le contraire. Quoi qu'il en soit, tu vois que je t'écris avec un calme relatif. Très intéressant ce que tu écris de la visite de M. Lauzet, je crois que lorsque je t'enverrai les toiles qui sont encore ici, il reviendra bien encore une fois et si j'étais là, je crois que je me mettrais aussi à lithographier. Peut-être ces toiles en question feraient l'affaire de Reid. Surtout il faut que je ne perde pas mon temps, je vais me remettre au travail aussitôt que M. Peyron le permettra et s'il ne le permet pas, alors je coupe net avec ici. C'est cela qui me tient encore relativement en équilibre, et j'ai encore un tas d'idées pour de nouveaux tableaux. Ah, pendant que j'étais malade il tombait de la neige humide et fondante, je me suis levé la nuit pour regarder le paysage. Jamais, jamais la nature m'a paru si touchante et si sensitive. Les idées relativement superstitieuses qu'on a ici sur la peinture, me rendent mélancoliques plus que je ne saurais te dire parfois, parce que c'est toujours au fond un peu vrai qu'un peintre comme homme est trop absorbé par ce que voient ses yeux et ne maîtrise pas assez le reste de sa vie. Si tu voyais la lettre que Gauguin m'a écrit la dernière fois, tu en serais touché comme il pense droit, et un homme si fort presque immobilisé, c'est malheureux ça. Et Pisarro aussi, Guillaumin de même. Quelle affaire, quelle affaire. Je viens de recevoir une lettre de la mère et de Wil aussi. Ces jours-ci tu auras avec Jo bien des angoisses par moments et | |||||||||||||
[pagina 405]
| |||||||||||||
un mauvais passage à passer, mais ce sont de ces choses sans quoi la vie ne serait pas la vie, et cela rend grave. C'est une bien bonne idée que Wil va être là. Pour ce qui me regarde, ne t'inquiètes pas trop, je me défends avec calme contre la maladie et je crois que de ces jours-ci je pourrai reprendre le travail. Et cela me sera encore une leçon de chercher à travailler avec droiture sans trop d'arrière-pensées, qui troublent la conscience. Un tableau, un livre, il ne faut pas les mépriser, et si c'est mon devoir de faire cela, il ne faut pas que je désire autre chose. Il est temps que cette lettre parte, encore une fois merci de la tienne et bonne poignée de main à toi et à Jo, crois moi tout à toi, Vincent. | |||||||||||||
621Mon cher Theo, Hier j'ai été agréablement surpris par la visite de M. Salles, qui je crois, avait eu une lettre de toi. J'étais tout à fait bien quand il est venu, donc nous avons pu causer avec calme. Mais j'en suis tout confus qu'il se soit dérangé pour moi, à plus forte raison parce que j'espère pour un temps avoir retrouvé ma présence d'esprit. Pour le moment il me semble que le mieux sera de continuer encore ici, je verrai ce que dira M. Peyron lorsque j'aurai occasion de lui parler; il dira probablement qu'il ne peut absolument rien garantir d'avance, ce qui me paraît assez juste. Aujourd'hui j'expédie quelques toiles, les suivantes: Champ labouré avec fond de montagnes - c'est le même champ du faucheur de cet été et peut y faire pendant; je crois que l'un fera valoir l'autre. Le ravin - c'est l'étude faite par une journée de mistral - j'avais calé mon chevalet avec des grosses pierres, le tableau de cela n'est pas sec, c'est d'un dessin plus serré et il y a davantage de passion contenue et il est plus coloré. Cela peut aller avec une autre étude de montagnes, effet d'été avec une route sur l'avant-plan et une baraque noire. Les oliveuses - j'avais destiné ce tableau-là à la mère et la soeur, pour qu'ils aient une chose un peu étudiée. J'en ai encore pour toi une répétition et l'étude (plus colorée avec des tons plus graves) sur nature. | |||||||||||||
[pagina 406]
| |||||||||||||
Les champs. Champs de jeune blé avec fond de montagnes lilas et ciel jaunâtre. Oliviers - ciel de couchant orangé et vert (il y en a encore ici une variante avec figures). idem. effet neutre. idem. effet neutre. Les grands patanes - la rue principale ou boulevard de St. Rémy, étude sur nature - j'en ai une répétition peut-être plus faite ici. Copie d'après Millet: Les Bêcheurs. idem. la Veilleé. j'oublie encore La pluie. Veuille ne pas les regarder sans les monter sur châssis et les encadrer de blanc, c'est à dire tu décloueras d'autres toiles et monteras ceux-ci sur les châssis, un à un - si tu veux - pour te rendre compte de l'effet. Car il faut aux colorations absolument le repoussoir du cadre blanc pour juger de l'ensemble. Ainsi la pluie, les oliviers gris, on ne peut guère les voir sans les cadre. Cela comblera un peu le vide des toiles parties pour les Vingtistes - tu demanderas à Tanguy de déclouer d'autres toiles et de monter celles-ci sur les châssis, pour que cela sèche bien à fond. Tu parles dans la lettre précédente des dessins de Hugo - je viens de voir un volume de l'Histoire de France (illustrée) de Michelet. Là j'ai vu des dessins de Vierge admirables, qui étaient tout à fait comme du Victor Hugo, des choses étonnantes. Connais-tu cela? Lorsque tu verras M. Lauzet, demande-lui un peu s'il les connait, cela ressemble aussi au talent de Hervier, mais plus complet, avec des figures, des effets plus dramatiques - cela ressemble aux illustrations pour la vie de Fréderic le Grand de Menzel encore. Bien curieux. Je crois que Vierge est aussi allé à Charenton, mais comme il a travaillé celui-là; Boggs dans le temps avait de lui une magnifique gravure sur bois, publiée probablement par l'Illustration: les Bains de mer - une foule d'hommes et de femmes - dessin à la Doré, qui un jour a très bien fait juste le même motif dans une page publiée aussi par l'Illustration - mais alors chez Vierge il y a en plein l'exécution grasse de Daumier. J'espère que la santé de Jo et la tienne vont bien et que tu n'aies plus aucune inquiétude à mon égard. Ecris-moi - si tu peux - bientôt, après avoir reçu les toiles. Bonne poignée de main à toi et ta femme en pensée, t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 407]
| |||||||||||||
622Mon cher Theo, (Januari 1890.) Merci de ta lettre, bien que je viens de t'écrire hier, je te réponds aussitôt. Il y a que je n'ai jamais travaillé avec plus de calme que dans mes dernières toiles - tu vas en recevoir quelques-unes en même temps j'espère que la présente. Momentanement un grand découragement m'a surpris. Mais puisqu'en une semaine cette attaque a été terminée, à quoi bon se dire qu'elle peut en effet encore revenir? D'abord on ne sait pas, ni ne peut prévoir, comment et sous quelle forme. Continuons donc le travail tant que cela se peut, comme si rien n'était. J'aurai bientôt occasion de sortir dehors quand il fera un temps pas trop froid, et alors j'y tiendrais un peu de chercher à terminer le travail entrepris ici. Pour donner une idée de la Provence il est indispensable de faire encore quelques toiles des cyprès et des montagnes. Le ravin et une autre toile des montagnes, avec chemin sur l'avantplan, en sont des types. Et surtout le ravin, que j'ai encore ici, parce qu'il n'est pas sec. Ainsi que la vue du parc aussi, avec les pins. Cela m'a pris tout le temps d'observer le caractère des pins, cyprès, etc., dans l'air pur d'ici, les lignes qui ne changent pas et qu'on retrouve à chaque pas. Il est parfaitement juste que l'année passée la crise est revenus à diverses époques - mais alors aussi c'était précisément en travaillent que l'état normal revenait peu à peu. Ainsi en sera-t-il probablement aussi à cette occasion. Fais donc comme ne rien n'était, car nous n'y pouvons absolument rien. Et ce qui serait infiniment pire, c'est de se laisser aller à l'état de mes compagnons d'infortune, qui ne font rien de toute la journée, semaine, mois, année, ainsi que mainte fois je te l'ai dit et l'ai encore répété à M. Salles, l'engageant bien à ne jamais recommander cet asile-ci. Le travail me fait encore garder un peu de présence d'esprit et rend possible que j'en sorte un jour. A présent j'ai les tableaux mûrs dans ma tête, je vois d'avance les endroits que je veux encore faire de ces mois-ci, pourquoi changerais-je de moyen d'expression? De retour d'ici - supposons - il faudra un peu voir si réellement il n'y a rien à faire de mes toiles, j'en aurais un certain nombre | |||||||||||||
[pagina 408]
| |||||||||||||
des miennes, un certain nombre des autres, et peut-être chercheraisje à faire un peu de commerce. Je ne le sais pas d'avance, mais je ne vois aucune raison de ne pas faire ici encore des toiles, qu'il me faudra alors que je sortirais d'ici. Encore une fois, je ne peux absolument rien prévoir, je ne vois pas d'issue, mais je vois aussi qu'indéfiniment le séjour ici ne pourra pas se prolonger. Alors pour ne rien hâter, brusquer, je désirerais continuer comme d'habitude tant que je suis ici. J'ai hier envoyé 2 toiles à Marseille, c.à.d. j'en ai fait cadeau à l'ami Roulin: un mas blanc dans les oliviers, et un champ de blé avec fond de montagnes lilas et un arbre noir, comme dans la grande toile que je t'ai envoyé. Et à M. Salles j'ai donné une petite toile avec des géraniums roses et rouges sur un fond tout noir, comme dans le temps j'en ai fait à Paris. Pour l'argent que tu as envoyé, il en revenait 10 francs à M. Peyron, qu'il m'avait avancé le mois dernier, j'ai donné 20 francs d'étrennes et j'en ai pris 10 pour l'affranchissement des toiles et autres dépenses, donc il reste en caisse encore 10 francs. A présent je viens de faire un petit portrait d'un des garçons d'ici, qu'il voulait envoyer à sa mère, c'est pour dire que j'ai déjà repris le travail et s'il y voyait obstacle, M. Peyron probablement ne m'aurait pas laissé faire. Ce qu'il m'a dit, c'est ‘espérons que cela ne se renouvelle pas’ - donc absolument la même chose que toujours; il m'a causé avec beaucoup de bonté, et pour lui ces choses-là ne l'étonnent guère, mais puisqu'il n'y a pas de remède tout prêt, c'est le temps et les circonstances qui seules peuvent influencer peut-être. J'aurais bien envie d'aller encore une fois à Arles, pas immédiatement, mais vers la fin de février par exemple, d'abord pour revoir les amis, ce qui me ranime toujours, et puis pour essayer si je suis capable de risquer le voyage à Paris. Suis fort content que la soeur soit venue. Bien le bonjour à elle et à Jo, et pour toi et pour moi ne nous faisons pas d'inquiétudes. Quoi qu'il en soit, cela n'a pas duré si longtemps que l'autre année et donc pouvons encore espérer que peu à peu le temps fera passer tout cela. Allons, bon courage et bonne poignée de main.
t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 409]
| |||||||||||||
623Mon cher Theo, Merci de ta dernière lettre, j'espère que Wil s'est remise de son indisposition et que cela n'ait pas été plus grave que tu le dis. Merci beaucoup aussi de l'envoi de toiles et de couleurs qui vient d'arriver. J'ai assez de motifs de tableaux en tête pour lorsque le temps permettra de travailler dehors. Cela m'a fait plaisir, ce que tu dis de la copie d'après Millet: la Veillée. Plus j'y réfléchis, plus je trouve que cela ait sa raison d'être de chercher à reproduire des choses de Millet, que celui-ci n'a pas eu le temps de peindre à l'huile. Alors travaillant soit sur ses dessins, soit sur les gravures sur bois, c'est pas copier pur et simple que l'on ferait. C'est plutôt traduire dans une autre langue - celle des couleurs - les impressions de clair-obscur en blanc et noir. Ainsi je viens de terminer les trois autres ‘Heures de la journée’ d'après les bois de Lavieille. Cela m'a coûté beaucoup de temps et beaucoup de peine. Car tu sais que cet été déjà j'ai fait les Travaux des champs. Or ces reproductions-là - tu les verras un jour - je ne les ai pas envoyées parce que c'était davantage que ceux-ci des tâtonnements, mais qui m'ont servi pourtant beaucoup pour les ‘Heures de la journée’. Plus tard, qui sait, peut-être pourrais-je en faire les lithographies. Je suis curieux ce qu'en dira M. Lauzet. Ils prendront bien encore un mois à sécher, les trois derniers, mais une fois que tu les auras, tu verras bien que c'est par une admiration bien profonde et sincère pour Millet, qu'ils ont été faits. Alors qu'on les critique un jour ou qu'on les méprise comme copies, il ne restera pas moins vrai que cela a sa raison d'être de chercher à rendre plus accessible au grand public ordinaire le travail de Millet. A présent je vais encore te parler de ce que je crois que pour l'avenir nous pourrions faire, de sorte à avoir moins de frais. A Montevergues il y a un asile où a été gardien un des employés d'ici. Celui-là me raconte que l'on n'y paye que 22 sous par jour, et qu'alors les malades sont même habillés par l'établissement. Puis on les fait travailler dans des terres qui appartiennent à la maison et il y a aussi une forge, une menuiserie, etc. Une fois un peu connu, je ne crois pas qu'on me défendrait de peindre, puis il y a toujours qu'on est moins à charge et d'un, et qu'on peut travailler à quelque chose, | |||||||||||||
[pagina 410]
| |||||||||||||
et de deux. Donc avec de la bonne volonté on n'y est pas malheureux, ni tant que ça à plaindre. Or même en laissant de côté Montevergues, en retournant en Hollande, n'y a-t-il pas chez nous des établissements où l'on travaille aussi et où c'est pas cher et dont on a le droit de profiter? alors que je ne sais trop si à Montevergues pour les étrangers, il n'y aurait pas un tarif un peu plus élevé et surtout des difficultés d'admission, qu'il vaut mieux éviter. Je dois te dire que cela me rassure un peu de me dire qu'au besoin nous pouvons simplifier les choses. Car à présent cela revient trop cher, et l'idée d'aller à Paris, puis à la campagne, n'ayant d'autre ressource pour combattre les frais que la peinture, c'est fabriquer des tableaux qui reviennent assez cher. J'ai encore vu M. Peyron ce matin, il dit qu'il me laisse toute liberté pour me distraire, et qu'il faut réagir contre la mélancolie tant que je peux, ce que je fais volontiers. Or c'est une bonne réaction de réfléchir ferme et c'est aussi un devoir. Or tu comprends que dans un établissement où les malades travaillent aux champs, moi je trouverais en plein des sujets pour des tableaux et dessins, et que je n'y serais nullement malheureux. Voilà, il faut réfléchir pendant qu'on a le temps de réfléchir. Je crois que si je venais à Paris, je ne ferais dans les premiers temps rien que de dessiner encore du grec sur les moulages, parce que il me faut encore étudier toujours. Pour le moment je me sens très bien et j'espère que cela restera comme cela. Et j'ai même espoir que cela se dissipera encore davantage, si je retourne dans le nord. Faut seulement pas oublier, qu'une cruche cassée est une cruche cassée et donc en aucun cas j'ai droit à entretenir des prétentions. Je me dis que chez nous en Hollande on estime toujours plus ou moins la peinture, qu'on ne ferait guère de difficulté dans un établissement de m'en laisser faire. Or ce serait pourtant beaucoup d'avoir encore en outre et en dehors de la peinture l'occasion de s'occuper et cela coûterait moins cher. Est-ce que la campagne et d'y travailler n'a pas toujours été dans nos goûts? Et est-ce que nous ne sommes pas un peu indifférents, toi autant que moi, à la vie d'une grande ville? Je dois te dire qu'à des moments je me sens trop bien encore pour être oisif, et à Paris je crains que je ne ferais rien de bon. Je peux et je veux bien gagner quelqu'argent avec ma peinture | |||||||||||||
[pagina 411]
| |||||||||||||
et il faudrait faire en sorte, que mes dépenses ne dépassent pas la valeur de cela, et même que l'argent dépensé rentre peu à peu. Pour causer d'autre chose, cela ne me réussit pas de voir le midi comme les bons Italiens: Fortuny, Jimenez, Tapiro et autres - comme cela me fait au contraire davantage voir avec mes yeux du nord! Ce n'est pas, crois-moi, que je n'aurais pas le désir de pouvoir vivre comme auparavant, sans cette préoccupation de santé. Enfin nous ferons une fois mais probablement pas deux fois l'essai au printemps, si cela se passe complètement. J'ai aujourd'hui pris les dix francs, qui étaient encore chez M. Peyron. Lorsque j'irai à Arles il me faudra payer 3 mois de loyer de la chambre où sont mes meubles, ce sera en février. Ces meubles - il me semble - serviront sinon à moi pourtant toujours à un autre peintre qui voudrait s'installer à la campagne. Ne serait il pas plus sage de les expédier en cas de départ d'ici à Gauguin, qui passera probablement encore du temps en Bretagne, qu'à toi, qui n'auras pas de place où les mettre? Voilà encore une chose à laquelle il faudra réfléchir à temps. Je crois qu'en cèdant deux très vieilles commodes lourdes à quelqu' un, je pourrais m'exempter de payer le reste du loyer et peut-être les frais d'emballage. Ils m'ont coûtés une trentaine de francs. J'écrirai un mot à Gauguin et de Haan pour demander s'ils comptent rester en Bretagne et s'ils ont envie que j'y envoie les meubles, et alors s'ils veulent que j'y vienne aussi. Je ne m'engagerai à rien, seulement dirai que très probablement je ne reste pas ici. Cette semaine je vais mettre en train le champ sous la neige et ‘les premiers pas’ de Millet, dans le même format que les autres. Alors il y aura 6 toiles qui se feront suite, et je t'assure que je les ai travaillé, ces trois dernières des Heures de la journée avec réflection pour calculer la couleur. Tenez dans ce temps-ci il y a tant de gens qui ne se sentent pas faits pour le public, mais qui soutiennent et affermissent ce que font d'autres. Ceux qui traduisent les livres par exemple. Les graveurs, les lithographes. Prenez Vernier par exemple et Lerat. Donc c'est pour dire que je n'hésite pas à faire des copies. Comme je voudrais, si j'eus le loisir de voyager, copier l'oeuvre de Giotto, ce peintre qui serait moderne comme Delacroix, s'il n'était pas primitif et qui est si différent des autres primitifs. Je n'en ai pas beaucoup vu pourtant, mais en voilà un qui est consolant. Ainsi ce que je médite à faire en peinture, c'est les Buveurs de | |||||||||||||
[pagina 412]
| |||||||||||||
Daumier et le Bagne de Regamey, tu les trouveras dans les gravures sur bois. Pour le moment j'en suis aux Millet, mais c'est pour dire que pour trouver de quoi travailler ne me fera pas défaut. Ainsi à moitié enfermé même, je pourrai pendant longtemps m'occuper. Ce que les impressionistes ont trouvé pour la couleur, cela viendra encore davantage, mais il y a un lien que beaucoup oublient, qui lie cela au passé et je m'éfforcerai de montrer que je ne crois guère à une séparation rigoureuse des impressionistes et des autres. Je trouve très heureux, que dans ce siècle il y ait eu des peintres comme Millet, Delacroix, Meissonnier, qu'on ne peut dépasser. Car quoique nous n'aimons pas autant Meissonnier que certaines personnes, il n'y a pas à tortiller lorsqu'on voit ses Liseurs, sa Halte et tant d'autres tableaux, c'est quelque chose, cela. Et alors on laisse de côté ce qui est son plus fort tout à fait, c.à.d. la peinture militaire, parce que nous aimons moins cela que les champs. Néanmoins pour être juste, il faut bien dire qu'on ne peut pas dépasser ce qu'il a fait ou le changer. Encore une fois j'espère que la soeur s'est remise. Bien le bonjour à tous, t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
624Beste Jo, (31 Januari.) Het treft mij zoo dat ge me schrijft en zoo kalm en U zelf meester in een van uw moeilijke nachten. Wat ben ik er verlangend naar te mogen vernemen, dat ge er behouden af zijt gekomen en dat Uw kind leeft. Wat zal Theo gelukkig zijn en hem een nieuw zonnetje van binnen opgaan, wanneer hij U herstellende zal zien. Vergeef me ik U mededeel dat mijns inziens herstellen lang duurt en niet makkelijker is dan ziek zijn. Dat wisten onze ouders ook wel en hen daarin te volgen is, geloof ik, wat men plicht noemt. Nu ik denk mijnerzijds ook aan ulieden dezer dagen. Ik ben beter, maar heb weer eenige dagen gehad als de andere n.l. dat ik niet precies wist hoe ik het had en van streek.Ga naar voetnoot*) Maar ge ziet, dat de bedaardheid aan 't terugkeeren is. Theo's brief met ingesloten 50 fr. las ik tegelijkertijd met Uw schrijven, hij schrijft me dingen, die mij recht veel plezier doen. En binnen- | |||||||||||||
[pagina 413]
| |||||||||||||
kort hoop ik hem een nieuwe zending van mijn werk te doen toekomen. Maar wat ben ik er verlangend naar de goede uitkomst van Uw strijd te mogen vernemen. Zeg hem dat ik een goeden brief van Gauguin heb. En als Wil nog bij U is, wat ik veronderstel, dat ik haar brief heb ontvangen en spoedig hoop te beantwoorden. Zij zal ook zoo gelukkig zijn als 't U en uw kindje voorspoedig gaat en 't is zoo erg best zulke gebeurtenissen eens bij te wonen. En Moe te Leiden zal er zich meer dan iemand anders in verheugen, want zij heeft geloof ik er zoo lang naar verlangd, dat het voor Theo wat gelukkiger werd. Nu ik zal blij zijn als ik hem en U mag gelukwenschen en wil hopen, het al zoo is. In gedachten zoo bij U en hem, Uw broer Vincent.
Ik schrijf niet meer daar ik ook nog niet geheel kalm ben. Tot spoedig. | |||||||||||||
625Mon cher Theo, (1 Februari.) Aujourd'hui je viens de recevoir ta bonne nouvelle que tu es père enfin, que le plus critique moment est passé pour Jo, qu'enfin le petit est bien portant. Cela me fait à moi aussi davantage de bien et de plaisir, que je ne saurais l'exprimer en paroles. Bravo - et comme la mère va être contente. D'elle aussi avant-hier j'ai reçu une lettre assez longue et très sereine. Enfin voilà ce que depuis longtemps certes j'ai tant souhaité. Pas besoin de te dire que de ces jours-ci souvent j'ai pensé à vous autres, et cela m'a beaucoup touché que Jo la nuit avant ait eu encore la bonté de m'écrire. Comme elle est brave et calme dans son danger, cela m'a beaucoup touché. Eh bien, cela contribue beaucoup à me faire oublier les derniers jours lorsque j'étais malade, alors je ne sais plus où j'en suis et ai la tête égarée. J'ai été extrèmement surpris de l'article sur mes tableaux que tu m'as envoyé,Ga naar voetnoot*) pas besoin de te dire que j'espère continuer à penser que je ne peins pas comme cela, mais j'y vois plutôt comment je devrais peindre. Car l'article est fort juste dans ce sens, qu'il indique la lancune à remplir, et je crois qu'au fond l'écrivain | |||||||||||||
[pagina 414]
| |||||||||||||
l'écrit plutôt pour guider non seulement moi, mais les autres impressionistes également, et même plutôt à faire la brêche au bon endroit. Il propose donc un moi collectif idéal aux autres tout autant qu'à moi, il me dit simplement que ça et là il y a du bon, si tu veux, aussi dans mon travail, si imparfait, et là est le côté consolant, que j'apprécie et duquel j'espère être reconnaissant. Seulement il doit être entendu, que je n'ai pas bon dos assez pour accomplir une affaire pareille et en concentrant sur moi l'article, pas besoin de te dire, combien je me sens logé dans le flatteur, et c'est à mon avis aussi exagéré que ce qu'un certain article d'Isaäcson disait sur ton compte à toi, qu'à présent les artistes déclinaient de se disputer et qu'un mouvement sérieux se faisait silencieusement dans le petit magasin du Boulevard Montmartre. J'admets qu'il est difficile de dire, de s'exprimer autrement - de même qu'on ne saurait peindre comme on voit - et c'est donc pas pour critiquer la hardiesse d'Isaäcson ou celle de l'autre critique, mais en tant que quant à nous, tenez, nous posons un peu pour le modèle et ma foi c'est là un devoir et un travail comme un autre. Donc si à toi et à moi il viendrait une réputation ou une autre, il s'agit de chercher à garder un certain calme et si possible présence d'esprit. Pourquoi ne pas dire à plus forte raison, ce qu'il dit de mes tournesols, des magnifiques et si complètes Roses trémières de Quost, et de ses iris jaunes, des splendides pivoines de Jeannin? Et tu prévois comme moi qu'avoir les louanges doit avoir son verso, son revers de médaille. Mais volontiers je suis fort reconnaissant de l'article ou plutôt ‘le coeur à l'aise’ comme dans la chanson de la Revue, puisque on peut en avoir besoin, comme on peut avoir vraiment besoin d'une médaille. Puis un article comme cela a son mérite propre d'oeuvre d'art critique, comme quoi je le trouve à respecter, et l'écrivain doit monter les tons, synthétiser ses conclusions, etc. Mais dès le commencement faudra y songer de ne pas trop mettre ta jeune famille dans le milieu artistique. Le vieux Goupil a bien mené son menage dans les broussailles parisiennes et je crois que tu penseras encore très souvent à lui. Les choses ont tant changées, pour aujourd'hui sa hauteur froide serait choquante, mais sa force de résister à tant de tempêtes, cela a pourtant été quelque chose. Gauguin proposait très vaguement il est vrai, de fonder un atelier en son nom, lui, de Haan et moi, mais disait qu'il poursuit d'abord | |||||||||||||
[pagina 415]
| |||||||||||||
à outrance son projet du Tonkin et paraît bien refroidi pour je ne sais pas au juste quel motif, pour continuer à peindre. Et il est homme à filer au Tonkin en effet, il a un certain besoin d'expansion et trouve mesquin - et il a un peu raison - la vie d'artiste. Avec ses expériences de plusieurs voyages, que lui dire? Donc j'espère qu'il sentira que toi et moi sommes en effet ses amis, sans trop compter sur nous, ce que d'ailleurs il ne fait point. Il écrit avec beaucoup de réserve, plus grave que l'autre année. Je viens d'écrire un mot à Russell encore une fois, pour lui rappeler un peu Gauguin, car je sais que Russell est très sérieux et fort comme homme. Gauguin et Russell c'est des gens à fond rustique; sauvage non, mais avec une certaine douceur des champs lointains innée probablement bien davantage que toi ou moi, voilà comment je les trouve. Il faut - il est vrai - parfois un peu y croire pour le voir. Si pour moi je voulais continuer à - appelons le traduire certaines pages de Millet, alors pour éviter qu'on puisse, non pas me critiquer, va pour cela, mais gêner ou empêcher prétextant que c'est fabriquer des copies - alors il me faut dans les artistes des gens comme Russell ou Gauguin pour mener cette besogne à bonne fin, pour en faire chose sérieuse. Pour faire les choses de Millet que tu envoyais par exemple, et desquels je trouve le choix tout à fait cela, j'ai des scrupules de conscience et j'ai pris le tas de photographies et je l'ai envoyé sans hésiter à Russell, pour que je ne les revoie pas sans réflexion faite. Je ne veux pas le faire avant d'avoir un peu entendu l'opinion d'abord de toi, puis aussi de certains autres, sur celles que tu vas sous peu recevoir. Sans cela j'aurais des scrupules de conscience, une crainte que cela ne soit du plagiat, Et non pas à présent, mais dans quelques mois je chercherai à avoir l'opinion franche précisément de Russell sur l'utilité de la chose. En tout cas Russell éclate, il se fâche, il dit quelque chose de vrai, et c'est de cela que parfois j'ai besoin. Tu sais je trouvais à tel point éblouissant la vierge, que je n'ai pas osé regarder. Tout de suite j'ai senti un ‘pas encore’. Maintenant la maladie me rend fort sensitif et je ne me sens pour le moment pas capable de continuer ces ‘traductions’, alors qu'il s'agirait de tels chefs-d'oeuvres. Je fais halte-là au semeur qui est en train, et ne vient pas comme cela serait désirable. Etant malade, pourtant j'ai songé beaucoup à continuer ce travail-là et que lorsque | |||||||||||||
[pagina 416]
| |||||||||||||
je le fais, je le fais avec calme, tu le verras bientôt quand j'enverrai les cinq ou six toiles terminées. J'espère que M. Lauzet viendra, j'ai grande envie de faire sa connaissance. J'ai confiance en son opinion quand il dit que c'est la Provence, là il touche la difficulté, et comme l'autre il indique plutôt une chose à faire qu'une de faite. Les paysages aux cyprès! ah, ce serait pas commode. Aurier le sent aussi, quand il dit que même le noir est une couleur, et de leur aspect de flamme - je le médite, mais n'ose pas non plus, et dis comme Isaäcson qui est prudent: je ne sens pas encore que nous en serions là. Il faut une certaine dose d'inspiration, de rayon d'en haut, qui n'est pas à nous pour faire les belles choses. Lorsque j'avais fait ces tournesols, je cherchais le contraire et pourtant l'équivalent et je disais: c'est le cyprès. Je m'arrête là - je suis un peu inquiet d'une amie qui est toujours paraît-il malade, et où je désirerais aller; c'est celle dont j'ai fait le portrait en jaune et noir et elle était tellement changée. C'est des crises nerveuses et complication de retour d'âge prématuré, enfin fort pénible. Elle ressemblait à un vieux grandpère la dernière fois, j'avais promis de revenir dans la quinzaine et ai été repris moi-même. Enfin pour moi la bonne nouvelle que tu m'as appris, et cet article et un tas de choses font que je me sens tout à fait bien personnellement aujourd'hui. Je regrette aussi que M. Salles ne t'ait pas trouvé. Je remercie encore une fois Wil de sa bonne lettre, j'aurais voulu répondre aujourd'hui, mais je le remets à quelques jours d'ici, dis-lui que la mère m'a écrit encore une longue lettre d'Amsterdam. Comme elle va être heureuse, celle-là aussi. Mainenant en pensée je reste avec vous autres, tout en terminant ma lettre. Puisse Jo demeurer longtemps pour nous ce qu'elle est. Maintenant pour le petit, pourquoi donc ne l'appelez vous pas Theo en mémoire de notre père, à moi certes cela me ferait tant de plaisir. Poignée de main t.à.t. Vincent.
Si tu le vois, remercie provisoirement beaucoup M. Aurier de son article, je t'enverrai naturellement un mot pour lui et une étude. | |||||||||||||
[pagina 417]
| |||||||||||||
lorsqu'arrive ta lettre. Suis très content de ce que Jo et le nouveauné vont bien et qu'elle compte pouvoir se lever d'ici quelques jours. Puis ce que tu écris de la soeur m'intéresse également beaucoup. Je trouve qu'elle a eu de la chance de voir Degas chez lui. Et ainsi Gauguin est revenu à Paris. Je vais copier ma réponse à M. Aurier pour la lui envoyer et toi tu lui feras lire l'article du Mercure, car vraiment je trouve qu'on devrait dire des choses comme cela de Gauguin, et de moi rien que très secondairement. Gauguin m'a écrit qu'il avait exposé en Danemark et que cette exposition avait eu beaucoup de succès. A moi cela me paraît dommage qu'il n'ait pas continué ici un peu plus longtemps. A nous deux nous eussions mieux travaillé que moi tout seul cette année. Et actuellement nous aurions un petit mas à nous pour y demeurer et travailler, et pourrions même en loger d'autres. As-tu remarqué dans ce journal que tu m'as envoyé, un article sur la fécondité de certains artistes, de Corot, Rousseau, Dupré, etc.? t'en rappelles-tu comment maintes fois, lorsque Reid était là, nous avons parlé de cela même - de la nécessité de produire beaucoup? Et que peu de temps après que je suis venu à Paris, je te disais, qu'avant que j'eusse deux cents toiles je ne pourrais rien faire, ce qui paraitrait à de certains travailler trop vite est en réalité tout à fait l'ordinaire, l'état normal de production régulière, considérant qu'un peintre doit travailler vraiment tout autant qu'un cordonnier par exemple. Ne serait-il pas bien d'envoyer à Reid et peut-être aussi à Tersteeg ou plutôt à C.M. un exemplaire de l'article d'Aurier? C'est qu'il me semble qu'il faut en profiter pour chercher à placer quelque chose en Ecosse, soit maintenant, soit plus tard. Je crois que tu aimeras la toile pour M. Aurier; c'est terriblement empâté et travaillé comme de certains Monticelli, je l'ai gardé presqu'un an. Mais je trouve qu'il faut chercher à lui donner quelque chose de bien pour cet article, qui en soi est une chose très artistique; et il nous rend réellement service pour le jour où nous serons bien comme tout le monde obligés de chercher à faire rentrer ce que les tableaux coûtent. L'au-delà de cela me laisse assez froid, mais que l'argent que cela coûte de produire, rentre, c'est la condition même de pouvoir continuer. J'espère pour l'exposition des Impressionistes en mars t'envoyer encore quelques toiles, qui sèchent dans ce moment; si elles | |||||||||||||
[pagina 418]
| |||||||||||||
n'arrivaient pas à temps, tu ferais un choix dans celles qui sont chez le père Tanguy. J'ai essayé de copier les Buveurs de Daumier et le Bagne de Doré, c'est très difficile. J'espère de ces jours-ci commencer le Bon Samaritain de Delacroix et le Bûcheron de Millet. L'article d'Aurier m'encouragerait, si j'osais m'y laisser aller, à risquer davantage à sortir de la réalité et à faire avec de la couleur comme une musique de tons, ainsi que sont certains Monticelli. Mais elle m'est si chère, la vérité, le chercher à faire vrai aussi, enfin je crois, je crois que je préfère encore être cordonnier à être musicien avec les couleurs. Dans tous les cas chercher à rester vrai est peut-être un remède pour combattre la maladie qui continue à m'inquiéter toujours. De ces jours-ci la santé va assez bien pourtant, et j'oserais croire que s'il arrivât que je passe quelque temps avec toi, cela me ferait beaucoup d'effet pour contrarier l'influence qu'excerce nécessairement la société que j'ai ici. Mais il me paraît que cela ne presse point et qu'il faut considérer avec sangfroid si c'est le moment de dépenser de l'argent pour le voyage; peut-être en sacrifiant le voyage pourrait-on être utile à Gauguin ou à Lauzet. De ces jours-ci j'ai pris un costume, qui me coûte 35 francs, je dois le payer en mars, vers la fin, avec cela j'en aurai pour l'année, car en venant ici j'avais pris un costume de 35 francs à peu près aussi et il m'a servi toute l'année. Mais il me faudra une paire de souliers et quelques caleçons aussi en mars. Tout bien considéré la vie n'est pas bien bien chère ici, je crois que dans le nord on dépenserait plutôt davantage. Et c'est pourquoi - même si je venais pour quelque temps chez toi - la meilleure politique pourrait encore être de continuer le travail ici. Je ne sais - et l'un ou l'autre m'est bon - mais faut pas se presser de changer. Et ne crois-tu pas qu'à Anvers - si on exécutât le plan de Gauguin il faudrait tenir un certain rang, meubler un atelier, enfin faire comme la plupart des peintres établis hollandais? C'est pas si simple que ça paraît, et craindrais pour lui comme pour moi un siège en règle des artistes établis et il aurait encore le même histoire que dans le temps en Danemark. Enfin il faudrait commencer à se dire que c'est toujours par le | |||||||||||||
[pagina 419]
| |||||||||||||
même procédé que les peintres établis peuvent faire des misères et même obliger à décamper les aventuriers, comme nous le serions à Anvers. Et pour ce qui est des marchands de là-bas, faut pas du tout y compter. L'académie y est meilleure et on y travaille plus vigoureusement qu'à Paris. Et puis Gauguin à présent est toujours à Paris, sa réputation s'y maintient et s'il part pour Anvers, il pourrait trouver qu'il est plus ou moins difficile de revenir à Paris. Allant à Anvers, je craindrais plutôt pour Gauguin que pour moi, car moi naturellement je me débrouille avec le flamand, je reprends les études de paysans commencés dans le temps et abandonnés bien à regret. J'ai à un haut degré l'amour de la Campine, pas besoin de te le dire. Mais je prévois que pour lui la bataille pourrait être très rude. Je crois que tu lui diras le pour et le contre de cela absolument comme je le lui dirais, je lui écrirai de ces jours-ci surtout pour lui envoyer la réponse à l'article de M. Aurier et je croirais, que s'il voulait, on pourrait encore travailler ici ensemble, si ses démarches de trouver une place n'aboutiraient pas. Mais il est habile et peut-être s'en tirera-t-il à Paris même et s'il s'y maintient pour sa réputation, il fait bien, car il a toujours ceci que le premier de tous il a travaillé en plein pays tropical. Et sur cette question-là on y reviendra nécessairement. Dites lui surtout bien des choses de ma part et s'il veut, il prendra les répétitions des tournesols et la répétition de la Berceuse en échange de quelque chose de lui, qui te ferait plaisir. Si je venais à Paris, j'aurais à remanier plusieurs toiles faites dans le commencement ici, c'est pas le travail qui me manquerait ce temps-là. Bien des choses à Jo, et bonne poignée de main en pensée, t.à.t. Vïncent.
Tu feras s.v.p. parvenir la lettre ci-incluse, après l'avoir lue, à M. Aurier. | |||||||||||||
[pagina 420]
| |||||||||||||
U, evenals ik, ook veel in gedachten bij Jo en Theo zijn, wat was ik blijde toen de tijding kwam het goed was afgeloopen, erg best Wil gebleven was. Veel liever had ik gehad, dat hij zijn jongen naar Pa had genoemd, aan wien ik dezer dagen zoo dikwijls dacht, dan naar mij, maar enfin nu het eenmaal zoo is, ben ik dadelijk begonnen een schilderij voor hem te maken, om in hun slaapkamer te hangen, groote takken witte amandelbloes m tegen een blauwe lucht. Ik dank U wel voor de berichten aangaande Cor, u zult wel niet vergeten hem voor mij te groeten als U schrijft. Nu zult U wel weer in Leiden terug zijn. Deze laatste dagen hadden wij hier nogal triest weer, maar vandaag was het een ware lentedag en de velden jong koren met de lila heuvels in 't verschiet zoo mooi en de amandelboomen beginnen overal te bloeien. Ik heb nog al erg verwonderd opgekeken van dat artikel dat zij over mij geschreven hebben. Isaäcson wou het in der tijd doen en ik verzocht hem het liever maar in de pen te laten, ik was er bedroefd door toen ik het las, omdat het zoo zeer overdreven is; het zit anders in elkaar - wat mij draagt bij het werk, is juist het gevoel dat er verscheidene zijn, die net 't zelfde doen als ik, en waarom dan een artikel over mij en niet over die 6 of 7 anderen, enz.? Nu moet ik bekennen, dat later toen mijn verwondering wat geweken was ik er bijwijlen erg door opgemonterd me gevoel, gisteren bovendien meldde Theo me, dat zij een van mijn schilderijen te Brussel verkochten voor 400 francs.Ga naar voetnoot*) In vergelijking van andere prijzen, ook de Hollandsche, is dit weinig, maar ik tracht daarom productief te zijn om in de redelijke prijzen te kunnen blijven werken. En als we met onze handen ons brood moeten zoeken te verdienen, heb ik heel wat kosten in te halen. Zooeven komt de brief van Wil en U, erg dank er voor, ik had U al eerder moeten schrijven, doch zooals gezegd door nog al druk werk stond mijn hoofd zoo weinig naar schrijven. Nu denk ik er sterk over van het buitenkansje van 't verkoopen van dat schilderij maar te profiteeren om eens naar Parijs te gaan, om Theo eens te bezoeken. En dank zij den dokter hier, ga ik in mijn gevoel kalmer en gezonder weg dan ik er kwam. Eens te probeeren hoe 't gaat buiten een gesticht, is misschien nog al vanzelf sprekend. Het werk zal me mogelijk echter moeilijker vallen als ik weer op vrije voeten me zal bevinden. | |||||||||||||
[pagina 421]
| |||||||||||||
Enfin we willen 't beste hopen. Het is wel zonderling dat mijn vriend met wien ik te Arles een tijd samen werkte, lust zou hebben naar Antwerpen te gaan, en zoodoende ware ik weer wat dichter bij u allen. Maar ik vrees dit is niet geheel uitvoerbaar, ook al omdat 't meen ik kostbaarder ware en als men hier gewend is aan 't klimaat, misschien de gezondheid ook tegen kon vallen, weer in 't Noorden terug. Enfin, ik begin met eens een week of wat te Parijs te probeeren. In gedachten omhelsd door Uw liefh. Vincent. | |||||||||||||
628Ga naar voetnoot*) Mon cher Theo, (half April.) Aujourd'hui j'ai voulu essayer de lire les lettres qui étaient venus pour moi, mais je n'avais pas encore assez de netteté pour pouvoir les comprendre. Pourtant j'essaye de te répondre de suite et ai espoir que cela se dissipera dans quelques jours d'ici. Surtout j'espère que tu vas bien et ta femme et ton enfant. Ne te préoccupe pas de moi, alors même que cela durerait un peu plus longtemps, et écris la même chose à la maison et dis leur bien des choses pour moi. Bien le bonjour à Gauguin, qui m'a écrit une lettre de laquelle je le remercie beaucoup; je m'embête raide, mais faut chercher à patienter. Encore une fois bien des choses à Jo et à son petit et poignée de main en pensée, t.à.t. Vincent.
Je reprends encore cette lettre pour essayer d'écrire, cela viendra peu à peu, c'est que j'ai eu la tête prise tellement, sans douleur il est vrai, mais totalement abruti. Je dois te dire qu'il y en a, pour autant que je puisse en juger, d'autres qui ont cela comme moi, qui ayant travaillé durant une période de leur vie, sont pourtant reduits à l'impuissance. Entre quatre murs on n'apprend que difficilement quelque chose de bon, cela se comprend, mais cependant est-il vrai qu'il y a des personnes qu'on ne peut pas non plus laisser en liberté comme s'ils n'avaient rien. Et voilà je désespère | |||||||||||||
[pagina 422]
| |||||||||||||
presque ou tout à fait de moi. Peut être, peut-être je guérirais en effet à la campagne pour un temps. Le travail allait bien, la dernière toile des branches en fleur - tu verras, c'était peut-être ce que j'avais fait le plus patiemment et le mieux, peint avec calme et une sûreté de touche plus grande. Et le lendemain fichu comme une brute. Difficile de comprendre des choses comme cela, mais hélas, c'est comme cela. J'ai grand désir de reprendre mon travail pourtant, mais Gauguin écrit aussi que lui, qui est pourtant robuste, a aussi le désespoir de pouvoir continuer. Et n'est-il pas vrai que nous voyons souvent l'histoire des artistes comme cela? Mon pauvre frère, prends donc les choses comme elles sont, ne t'afflige pas pour moi, cela m'encouragera et me soutiendra davantage que tu ne croies, de savoir que tu gouvernes bien ton ménage. Alors après un temps d'épreuve, pour moi aussi peut-être il y reviendra des jours sereins. Mais en attendant je t'enverrai des toiles sous peu. Russell aussi m'a écrit et je crois que c'est bien de lui avoir écrit, pour qu'il ne nous oublie pas tout à fait; de ton côté parle de temps en temps de lui pour qu'on sache que quoiqu'il travaille isolément, il est un bien brave homme et je crois qu'il fera de bonnes choses comme autrefois on en voyait en Angleterre par exemple. Il a mille fois raison de se barricader un peu. Dis bien des choses aux Pissarro, tout à l'heure je vais lire plus tranquillement les lettres et demain ou après demain espère écrire de nouveau. | |||||||||||||
629Mon cher Theo, (29 April.) Jusqu'à présent je n'ai pu t'écrire, mais de ces jours-ci allant un peu mieux, je n'ai pas voulu tarder pour te souhaiter une heureuse année, puisque c'est ta fête, à toi à ta femme et à ton enfant. En même temps je te prie d'accepter les divers tableaux que je t'envoie avec mes remerciments pour toutes les bontés que tu as pour moi, car sans toi je serais bien malheureux. Tu verras qu'il y a d'abord des toiles d'après Millet. Ceux-là, n'étant pas destinés au public, peut-être en feras tu cadeau à nos soeurs, tôt ou tard. Mais d'abord tu en garderas ce que bon te semble et tant que tu voudras, c'est absolument à toi. Tu m'enverras de ces jours-ci quelqu'autre chose des artistes anciens et modernes à faire, si tu en trouves. | |||||||||||||
[pagina 423]
| |||||||||||||
Le reste des toiles c'est maigre; n'ayant pas pu travailler depuis deux mois, je suis bien en retard. Tu trouveras que les oliviers à ciel rose sont le meilleur, avec lesm ontagnes je m'imagine: les premiers vont bien comme pendant à ceux au ciel jaune. Pour le portrait d'Arlésienne, tu sais que j'en ai promis un exemplaire à l'ami Gauguin et tu le lui feras parvenir. Puis les cyprès sont pour M. Aurier. J'aurais voulu les refaire avec un peu moins d'em pâtements, mais le temps me manque. Enfin il faut les laver encore plusieurs fois à l'eau froide, puis un fort vernis lorsque les empâtements seront secs à fond, alors les noirs ne saliront pas quand l'huile sera bien évaporé. Maintenant il me faudrait nécessairement des couleurs, qu'en partie tu pourrais bien reprendre chez Tanguy, s'il est gêné ou si cela lui serait agréable. Mais bien entendu faut pas qu'il soit plus cher que l'autre. Voici la liste des couleurs qu'il me faudrait:
Puis (mais chez Tasset) 2 laque géranium, tubes moyen format. Tu me rendrais service en m'en faisant parvenir au moins la moitié de suite, de suite, car j'ai perdu trop de temps. Puis il me faudrait 6 brosses, 6 putois et 7 mètres toile ou même 10. Que te dire de ces deux mois passés, cela va pas bien du tout, je suis triste et embêté plus que je ne saurais t'exprimer et je ne sais plus ou j'en suis. La commande de couleurs étant un peu lourde, laisse moi attendre la moitié, si cela te convient mieux. Etant malade j'ai bien encore fait quelques petites toiles de tête que tu verras plus tard, des souvenirs du nord, et à présent je viens de terminer un coin de prairie ensoleillée, que je crois plus ou moins vigoureux. Tu verras cela bientôt. Monsieur Peyron étant absent, je n'ai pas encore lu les lettres, mais je sais qu'il en est venu. Il a été assez bon pour te mettre au courant de la situation, moi je ne sais que faire et que penser mais j'ai grande envie de sortir de cette maison. Cela ne t'étonnera pas, je n'ai pas besoin de t'en dire davantage. Il est venu également des lettres de la maison, que je n'ai pas encore eu le courage de lire tellement je me sens mélancolique. | |||||||||||||
[pagina 424]
| |||||||||||||
Veuillez prier M. Aurier de ne plus écrire des articles sur ma peinture, dis-le-lui avec instance, que d'abord il se trompe sur mon compte puis que réellement je me sens trop abimé de chagrin pour pouvoir faire face à de la publicité. Faire des tableaux me distrait, mais si j'en entends parler, cela me fait plus de peine qu'il ne le sait. Comment va Bernard? Puisqu'il y a des toiles en double, si tu veux tu lui ferais un échange, car une toile de lui de bonne qualité ferait bien dans ta collection. Je suis tombé malade à l'époque où je faisais les fleurs d'amandier. Si j'avais pu continuer à travailler, tu peux de là juger que j'en aurais fait d'autres des arbres en fleur. A présent c'est déjà presque fini les arbres en fleur, vraiment j'ai pas de chance. Oui il faut chercher de sortir d'ici, mais où aller? Je ne crois pas qu'on puisse être plus enfermé et prisonnier dans les maisons où l'on n'a pas la prétention de vous laisser libre, tel qu'à Charenton ou à Montevergues Si tu écris à la maison, dis-leur bien des choses de ma part et que je pense souvent à eux. Puis bonne poignée de main à toi et à Jo, crois-moi t.à.t. Vincent.
Veuillez m'envoyer ce que tu trouves de figures dans mes vieux dessins, j'y songe de refaire le tableau des paysans dînant, effet de lumière de lampe. Cette toile doit-être toute noire à présent, peut-être pourrais-je de tête la refaire entièrement. Tu m'enverras surtout les Glaneuses et des Bêcheurs, s'il y en a encore. Puis, si tu veux, je referai la vieille tour de Nuenen et la chaumière. Je crois que si tu les as encore, j'en ferais à présent de souvenir quelque chose de mieux. | |||||||||||||
630Mon cher frère, (Mei.) Aujourd'hui monsieur Peyron étant revenu, j'ai lu tes bonnes lettres, puis les lettres de la maison également et cela m'a fait énormément du bien pour me rendre un peu d'énergie ou plutôt le désir de remonter encore de l'état d'abattement où je suis. Je te remercie beaucoup des eaux-fortes - tu en as choisis juste quelques-uns que j'ai longtemps déjà aimés: le David, le Lazare, la Samaritaine et la grande eau-forte du Blessé, tu y as ajouté l'Aveugle et l'autre toute petite eau-forte, la dernière si mystérieuse que | |||||||||||||
[pagina 425]
| |||||||||||||
j'en ai peur et n'ose pas désirer savoir ce que c'est; je ne la connaissais pas, le petit Orfèvre. Mais le Lazare! Ce matin de bonne heure je l'ai regardé et je me suis souvenu de ce qu'en dit Charles Blanc non seulement, mais en effet qu'il n'en dit pas même tout. Ce qu'il y a de malheureux, c'est que les gens d'ici sont trop curieux badauds et ignorants en peinture, pour qu'il soit possible pour moi d'excercer le métier. Voici ce que l'on pourrait constater toujours, que toi et moi nous aurions fait un effort ici dans le même sens que quelques autres, qui n'ont pas été compris non plus et ont été navrés par les circonstances. Si jamais tu vas à Montpellier, tu verrais que c'est vrai ce que je te dis là. Maintenant tu le proposes et je l'accepte de revenir plutôt dans le nord. J'ai eu la vie trop dure pour en crever ou pour perdre la puissance de travailler. Gauguin et Guillaumin, tous les deux alors, veulent faire l'échange du paysage des Alpines. D'ailleurs il y en a deux, je crois seulement que le dernier fait que je viens d'envoyer est fait avec plus de volonté et est plus juste d'expression. Je vais peut-être chercher à travailler d'après les Rembrandt, surtout j'ai une idée pour faire L'homme en prière, dans la gamme de tons partant du jaune clair jusqu'au violet. Ci-inclus la lettre de Gauguin, fais ce que bon te semble pour l'échange, prends ce qui te plait à toi, je suis sûr que de plus en plus nous ayons le même goût. Ah si j'avais pu travailler sans cette sacré maladie - que de choses j'aurais fait, isolé des autres, selon que le pays m'en dirait. Mais oui, c'est bien fini ce voyage-ci. Enfin ce qui me console, c'est le grand, le très grand désir que j'ai de te revoir, toi, ta femme et ton enfant, et tant d'amis qui se sont souvenu de moi dans le malheur, comme d'ailleurs moi aussi je ne cesse pas de penser à eux. Je suis presque persuadé que dans le nord je guérirai vite, aumoins pour assez longtemps, tout en appréhendant une rechûte dans quelques années - mais pas tout de suite. Voilà ce que je m'imagine d'après avoir observé les autres malades ici, qui en partie sont considérablement plus âgés que moi, ou ont été un peu ou beaucoup en tant que quand aux jeunes, des fainéants - étudiants. Enfin, qu'en savons-nous? | |||||||||||||
[pagina 426]
| |||||||||||||
Heureusement les lettres de la soeur et de la mère étaient très calmes. La soeur écrit fort bien et décrit un paysage ou un aspect de la ville comme serait une page d'un roman moderne. Je l'engage toujours à s'occuper plutôt de choses de ménage que de choses artistiques, car je sais que déjà par trop elle est sensitive et trouverait à son âge difficilement la voie pour se développer artistiquement. Je crains bien qu'elle aussi souffrira d'une volonté artistique contrariée, mais elle est si énergique qu'elle se rattrapera. J'ai causé avec monsieur Peyron de la situation et je lui ai dit, qu'il m'était presque pas possible de supporter mon sort ici, que ne sachant rien de bien clair quant au parti à prendre, il me semblait préférable de retourner dans le nord. Si tu le trouves bien et si tu indiques une date pour quand tu m'attends la-bas à Paris, je me ferais accompagner un bout de chemin, soit jusqu'à Tarascon, soit jusqu'à Lyon, par quelqu'un d'ici. Puis tu m'attendrais ou me ferais attendre à la gare à Paris. Fais comme cela te semblera le mieux. Provisoirement je laisserais mes meubles en plan à Arles. Ils sont chez des amis et je suis persuadé que le jour où je les voudrais, ils les enverraient, mais le port et l'emballage seraient presque ce que cela vaut. Je considère cela comme un naufrage - ce voyage-ci, on ne peut pas alors comme on veut et comme il le faudrait pas non plus. J'ai recouvré, une fois que je suis sorti un peu dans le parc, toute ma clarté pour le travail; j'ai des idées en tête plus que jamais je ne pourrais exécuter, mais sans que cela m'offusque. Les coups de brosse vont comme une machine. Donc je me base là-dessus pour oser croire que dans le nord je trouverais mon aplomb, une fois délivré d'un entourage et de circonstances que je ne comprends pas, ni ne désire comprendre. Monsieur Peyron a été bien bon de t'écrire, il t'écrit encore aujourd'hui, je le quitte en le regrettant d'avoir à le quitter. Bonne poignée de main à toi et à Jo, je la remercie beaucoup de sa lettre.
t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 427]
| |||||||||||||
ce que tu dis qu'il faudrait me faire accompagner tout le trajet. Une fois dans le train je ne risque plus rien, je ne suis pas de ceux qui soient dangereux - même supposition qu'il m'arrive une crise - n'y a-t-il pas d'autres passagers dans le wagon et d'ailleurs ne sait-on pas dans toutes les gares comment faire dans pareil cas? Tu te fais là des inquiétudes qui me pèsent si lourdement, que cela me découragerait directement. Je viens de dire la même chose à M. Peyron et je lui ai observé que les crises, comme je viens d'en avoir une, ont toujours été suivi de trois ou quatre mois de calme complet. Je désire profiter de cette période pour changer - je veux changer dans tous les cas, mon désir de partir d'ici est maintenant absolu. Je ne me sens pas compétent pour juger la façon de traiter les malades ici, je ne me sens pas d'envie d'entrer dans des détails - mais veuille te souvenir, que je t'ai averti il y a 6 mois à peu près, que si une crise me reprenait avec le même caractère je désirais changer de maison. Et j'ai trop tardé déjà ayant laissé passer une attaque entretemps, j'étais alors en plein travail et je voulais finir des toiles en train, sans cela je ne serais déjà plus ici. Bon, je vais donc te dire qu'il me semble qu'une quinzaine tout au plus (une huitaine me serait pourtant plus agréable) pourrait suffire pour prendre les mesures nécessaires pour changer. Je me ferai accompagner jusqu'à Tarascon - même une ou deux gares plus loin, si tu y tiens; arrivé à Paris (à mon départ d'ici j'expédiérai une dépêche) tu viendrais me prendre à la gare de Lyon. Maintenant il me semblerait préférable d'aller voir ce médecinGa naar voetnoot*) à la campagne aussitôt que possible et nous laisserions les bagages en gare. Je ne resterais donc chez toi que mettons 2 ou 3 jours, puis je partirais pour ce village où je commencerais par loger à l'auberge. Voici ce qu'il me semble que tu pourrais de ces jours-ci - sans tarder - écrire à notre ami futur, le médecin en question: ‘mon frère désirant beaucoup faire votre connaissance et préférant vous consulter avant de prolonger son séjour à Paris, espère que vous trouveriez bien qu'il passe quelques semaines dans votre village où il viendra faire des études; il a toute confiance de s'entendre avec vous, croyant que par un retour dans le nord sa maladie diminuera alors que par un séjour davantage prolongé dans le midi, son état menacerait de devenir plus aigu.’ | |||||||||||||
[pagina 428]
| |||||||||||||
Voilà, tu lui écrirais de la sorte, on lui enverrait une dépêche le lendemain ou surlendemain de mon arrivée à Paris et probablement il m'attendrait à la gare. L'entourage ici commence à me peser plus que je ne saurais l'exprimer - ma foi, j'ai patienté-plus d'un an - il me faut de l'air, je me sens abîmé d'ennui et de chagrin. Puis le travail presse, je perdrais mon temps ici. Pourquoi donc, je te le demande, crains-tu tant les accidents - c'est pas cela qui doive t'effrayer, ma foi depuis que je suis ici j'en vois tomber ou s'égarer tous les jours - ce qui est plus sérieux c'est de chercher de faire une part au malheur. Je t'assure que c'est déjà quelque chose de se résigner à vivre sous de la surveillance, même en cas qu'elle serait sympathique, et de sacrifier sa liberté, se tenir hors de la société, et de n'avoir que son travail sans distraction. Cela m'a creusé des rides qui ne s'effaceront pas de sitôt. Maintenant qu'ici cela commence à me peser trop lourd, je crois qu'il n'est que juste qu'il y ait un halte-là. Veuille donc écrire à M. Peyron, qu'il me laisse partir, mettons le 15 au plus tard. Si j'attendais, je laisserais passer le bon moment de calme entre deux crises, et partant à présent j'aurai le loisir nécessaire pour faire la connaissance de l'autre médecin. Alors si dans quelque temps d'ici le mal reviendrait, ce serait prévu et selon la gravité nous pourrions voir si je peux continuer en liberté ou bien s'il faut se caser dans une maison de santé pour de bon. Dans le dernier cas - ainsi que je te l'ai dit dans une des dernières lettres - j'irais dans une maison ou les malades travaillent aux champs et à l'atelier. Je crois qu'encore davantage qu'ici je trouverais alors des motifs pour la peinture. Réfléchis donc que le voyage coûte cher, que cela est inutile et que j'ai bien le droit de changer de maison si cela me plait, ce n'est pas ma liberté absolue que je réclame. J'ai essayé d'être patient, jusqu'ici je n'ai fait du mal à personne, est-ce juste de me faire accompagner comme une bête dangereuse? Merci, je proteste. S'il arrive une crise, dans toutes les gares on sait comment faire et alors je me laisserais faire. Mais j'ose croire que mon aplomb ne me manquera pas. J'ai tant de chagrin de quitter comme cela, que le chagrin sera plus fort que la folie; j'aurai donc, j'ose croire, l'aplomb nécessaire. M. Peyron dit des choses vagues pour dégager dit-il sa responsabilité | |||||||||||||
[pagina 429]
| |||||||||||||
mais ainsi on n'en finirait jamais, jamais, la chose traînerait en longueur et on finirait par se fâcher de part et d'autre. Moi ma patience est à bout, à bout, mon cher frère, je n'en peux plus, il faut changer, même pour un pis aller. Cependant il y a une chance réellement que le changement me fasse du bien - le travail marche bien, j'ai fait 2 toiles de l'herbe fraîche dans le parc, dont il y en a une d'une simplicité extrême, en voici un croquis hâtif. Un tronc de pin violet rose et puis de l'herbe avec des fleurs blanches et des pissenlits, un petit rosier et d'autres troncs d'arbre dans le fond tout en haut de la toile. Je serai là-bas dehors - je suis sûr que l'envie de travailler me dévorera et me rendra insensible à tout le reste, et de bonne humeur. Et je m'y laisserai aller non pas sans réflexion, mais sans m'appesantir sur des regrets de choses, qui auraient pu être. Ils disent que dans la peinture il ne faut rien chercher, ni espérer, qu'un bon tableau et une bonne causerie et un bon dîner comme maximum de bonheur, sans compter les parenthèses moins brillantes. C'est peut-être vrai et pourquoi refuser de prendre le possible, surtout si ainsi faisant on donne le change à la maladie. Bonne poignée de main à toi et à Jo, je crois que je vais faire une peinture pour moi d'après le motif du portrait, cela ne sera pas ressemblant peut-être, mais enfin je chercherai. J'espère à bientôt - et voyons, épargnez-moi ce compagnon de voyage forcé. t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
[pagina 430]
| |||||||||||||
632Mon cher Theo, (Mei.) Encore une fois je t'écris pour dire que la santé continue à aller bien, pourtant je me sens un peu éreinté par cette longue crise et j'ose croire que le changement projeté me rafraîchira davantage les idées. Je crois que le mieux sera que j'aille moi-même voir ce médécin à la campagne le plus tôt possible; alors on pourra bientôt décider si c'est chez lui ou provisoirement à l'auberge que j'irai loger; et ainsi on évitera un séjour trop prolongé à Paris, chose que je redouterais. Tu te rappelles qu'il y a 6 mois je te disais après une crise, que si cela se répétait je te demanderais de changer. Nous en sommes là - quoique je ne me sens pas capable de porter un jugement sur la façon qu'ils ont ici de traiter les malades, il suffit que je sens ce qui me reste de raison et de puissance de travailler absolument en danger, tandis qu'au contraire je me fais fort de prouver à ce médecin duquel tu parles, que je sais encore travailler logiquement, | |||||||||||||
[pagina 431]
| |||||||||||||
et lui me traitera en conséquence et puisqu'il aime la peinture, il y a assez de chance qu'il en résulte une amitié solide. Je ne crois pas que M. Peyron s'opposera à un très prompt départ, je me persuade d'ailleurs que le plaisir de passer quelques jours avec toi me remettra beaucoup. Et dès lors nous pouvons bien compter sur une période de santé relative. Ne tarde donc pas à prendre les mesures nécessaires pour que cela ne traîne pas. Une fois là-bas je pourrai faire venir mon lit, qui est à Arles. D'ailleurs je changerais quand même, préférant être dans un asile où les malades travailleraient, à cette affreuse oisiveté d'ici qui réellement me paraît simplement comme un crime. Enfin, tu me diras qu'on voit cela un peu partout et que même à Paris cela abonde. Quoi qu'il en soit, j'espère que nous nous reverrons sous peu. Les eaux-fortes que tu m'as envoyés, sont bien belles. Ci contre j'ai griffonné un croquis d'après une peinture, que j'ai fait de trois figures qui sont dans le fond de l'eau-forte du Lazare: le mort et ses deux soeurs. La grotte et le cadavre sont violet jaune blanc. La femme qui ôte le mouchoir de la face du ressucité a une robe verte et des cheveux orangés, l'autre a une chevelure noire et un vêtement rayé vert et rose. Derrière une campagne des collines bleues, un soleil levant jaune. La combinaison de couleurs ainsi parlerait par elle-même de la même chose qu'exprime le clair-obscur de l'eau-forte. J'aurais encore à ma disposition le modèle qui a posé la Berceuse, et l'autre dont tu viens de recevoir le portrait d'après le dessin de Gauguin, que certes j'essayerais à exécuter en grand, cette toile, les personalités étant ce que j'aurais rêvé comme caractères. Mais laissant de côté des motifs de ce genre, il restera là-bas l'étude d'après nature de paysans et paysages, quand je serai de retour dans le nord. Pour ce qui est de la commande de couleurs, si c'est que je reste ici encore quelques jours, expédies-en, je te prie, une partie de suite, si toutefois je pars de ces jours-ci - ce que j'espère - tu peux bien les garder à Paris. Ecris-moi de ces jours-ci dans tous les cas; j'espère que tu auras reçu les toiles en bon ordre. J'en ai fait encore une d'un coin de verdure, qui me paraît avoir quelque fraicheur. J'ai aussi essayé une copie du bon Samaritain de Delacroix. Je crois, d'après une | |||||||||||||
[pagina 432]
| |||||||||||||
note dans le Figaro, que le père Quost doit avoir un tableau rudement bien au Salon. Bien des choses à ta femme, je me fais une fête de faire enfin sa connaissance, et bonne poignée de main en pensée t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
633Mon cher frère, Merci beaucoup de ta lettre chargée, contenant fr 150.-, qui est arrivée ce matin. Egalement j'ai reçu toiles et couleurs de Tasset et l'Hôte (celles de Tanguy étaient-elles dans le même envoi?) et je ne saurais trop t'en être reconnaissant, car si je n'avais eu mon travail, depuis longtemps je serais enfoncé encore bien davantage. A présent le mieux continue, toute l'horrible crise a disparu comme un orage et je travaille pour donner un dernier coup de brosse ici avec une ardeur calme et continue. J'ai en train une toile de roses sur fond vert clair et deux toiles représentant de grands bouquets de fleurs d'iris violets, les unes contre un fond rose où l'effet est harmonieux et doux par la combinaison des verts, roses, violets. Au contraire l'autre bouquet violet (allant jusqu'au carmin et au bleu de prusse pur) se détachant sur un fond jaune citron éclatant, avec d'autres tons jaunes dans le vase et le socle sur lequel il repose, est un effet des complémentaires disparates terribles, qui s'exaltent par leur opposition. Ces toiles prendront bien un mois à sécher, mais l'employé d'ici se chargera de les expédier après mon départ. Je compte partir cette semaine le plus tôt possible et je commence aujourd'hui à faire ma malle. Je t'enverrai de Tarascon une dépêche. Oui, à moi aussi il me semble qu'il y a une époque très longue entre le jour où nous avons pris congé à la gare et ces jours-ci. Mais étrange de nouveau, que de même que ce jour-là nous étions si frappés des toiles de Seurat, ces derniers jours ici me sont de nouveau comme une révélation de couleur. Pour mon travail, mon cher frère, je me sens plus d'aplomb qu'en partant, et il serait ingrat de ma part de médire du Midi, et j'avoue que c'est avec un gros chagrin que je m'en retourne. Si ton travail t'empêchait de venir me prendre à la gare, ou si c'était à une heure difficile, ou qu'il ferait trop mauvais temps, ne t'en inquiètes pas, je trouverais bien mon chemin et je me sens | |||||||||||||
[pagina 433]
| |||||||||||||
si calme que cela m'étonnerait beaucoup, si je perdais mon aplomb. Comme je désire te revoir et faire la connaissance de Jo et du bébé. Il est probable que j'arrive à Paris le matin vers 5 heures, mais enfin la dépêche te le dira au juste. Le jour de mon départ dépend de ce que j'aie fait ma malle et que j'aie fini mes toiles; à ces dernières je travaille avec tant d'entrain que faire la malle me paraît plus difficile que de faire les tableaux. Enfin ce ne sera pas long, je suis bien aise que cela n'ait pas traîné, ce qui est toujours lamentable lorsqu'on prend une résolution. Je m'en fais une fête de voir encore l'exposition des crépons japonais et aussi je ne dédaigne pas du tout de voir le Salon où il me semble qu'il y aura pourtant des choses intéressantes, quoiqu'ayant lu le compte rendu du Figaro, certes cela me laisse plus ou moins froid. Bien le bonjour à Jo, et bonne poignée de main en pensée, t.à.t. Vincent. | |||||||||||||
634Mon cher frère, (14 Mei.) Après une dernière discussion avec Monsieur Peyron, j'ai obtenu de pouvoir faire ma malle, que j'ai fait partir par petite vitesse. Les 30 kilos de bagages, qu'on a le droit d'emporter, me serviront à prendre avec moi quelques cadres, chevalet et des châssis, etc. Je partirai aussitôt que tu auras écrit à M. Peyron, je me sens calme assez et je ne crois pas qu'il puisse, dans l'état où je suis, m'arriver du dérangement facilement. Dans tous les cas j'espère être à Paris avant dimanche pour passer la journée que tu auras libre, tranquillement avec vous autres. J'espère bien à la première occasion voir André Bonger aussi. Je viens encore de terminer une toile de roses roses contre fond vert jaune dans un vase vert. J'espère que les toiles de ces jours-ci nous dédommageront des frais de voyage. Ce matin comme j'ai été affranchir ma malle, j'ai revu la campagneaprès la pluie bien fraîche et toute fleurie - que de choses que j'aurais encore faites. J'ai écrit également à Arles pour qu'ils expédient les deux lits et les garnitures de lit par petite vitesse. J'estime que cela ne peut coûter qu'une bonne dizaine de francs de frais de transport et c'est toujours cela de gagné du débâcle. Car à la campagne cela | |||||||||||||
[pagina 434]
| |||||||||||||
me sera certes utile. Si tu n'as pas encore répondu à la lettre de M. Peyron, veuillez-lui envoyer une dépêche, de telle façon que je fasse le voyage vendredi ou samedi au plus tard, pour passer le dimanche avec toi. Ainsi faisant je perdrai le moins de temps pour mon travail aussi, qui pour le moment est terminé ici. A Paris - si je m'en sens la force - j'aurais un grand désir de faire tout de suite un tableau d'une librairie jaune (effet de gaz), que depuis si longtemps j'ai en tête. Tu verras que dès le lendemain de mon arrivée, je serai en train. Je te dis, pour le travail je me sens la tête sereine absolument, et les coups de brosse me viennent et se suivent très logiquement. Enfin à Dimanche au plus tard, je te serre bien la main, en attendant bien des choses à Jo. t.à.t. Vincent.
Probablement la réponse à M. Peyron sera déjà partie, ce que j'espère. J'étais un peu contrarié qu'il y avait quelques jours de retard, parce que cela me semble pas utile à quoi que ce soit. Car ou bien je m'enforcerais dans de nouveaux travaux ici, ou bien c'est à présent que j'ai le loisir pour le voyage. Passer ici ou ailleurs des journées à ne rien faire, c'est là ce qui dans l'état d'esprit où je suis, me désolerait. D'ailleurs M. Peyron ne s'y oppose pas, mais naturellement quand on part, la position est un peu difficile avec le reste de l'administration. Mais cela va bien et on se séparera à l'amiable. |
|