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Le Duc de Juliers
Dieu, le Créateur de la nature, je le prie à cette lieure qu'il éclaire mon esprit, afin que je parle en vers d'un seigneur qui a quitté la vie de ce monde, et qui a fait mainte action chevaleresque de sa personne. Ici je commence mon poème en rimes courtes et légères.
Mon coeur aspirait à une grande joie; un mois de mai, avant le soleil, j'entrais dans une agréable forêt. J'étais plein de soucis de toute espèce. Là, j'allais méditer et composer prés d'une source, prés d'une rivière, et à travers les sons des gosiers de nombreux oiseaux, j'y entendis résonner un doux chant.
Par ces sons éclatants et par ces cris je perdis tous mes soucis. Comme je me trouvais dans cette félicité, j'entendis parler dans la même forêt une voix féminine: ‘Lauda post mortem’, en thiois, je ne tairais pas volontiers: loof enen na den dode.
Les louanges de la Dame étaient si grandes, et sa douleur à cause de la mort d'un seigneur était si violente, que la personne de la belle femme était pleine d'affliction et de deuil.
Comme je me trouvais la et que je méditais, je m'étonnais:
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comment cela est-il possible? Y a-t-il quelqu'un qui puisse faire souffrir cette chaste femme? Et je pensais: je voudrais venger cela, quand même il me couterait la vie.
Je glissai par un sentier étroit qui me mouilla de rosée, et je vis assise sur une verte plaine la courtoise et chaste femme. Je la vis en si grande agitation, elle se tordait les mains, elle s'arrachait les cheveux.
A ses côtés se trouvait un lion à qui elle racontait ses grandes peines. Le deuil s'était emparé de leurs coeurs et tous les deux étaient vêtus de noir.
Lorsque je vis dans cette forêt ce lion, cette animal hostile, je n'osai me montrer, et en même temps je tombai à terre et presqu'en défaillance. Mais quand je pensai à la Dame, à ses plaintes et à ses larmes, je me relevai; je n'étais pas loin de la Dame: je me rassurais sur la colère du lion, car je craignais pour ma vie.
Je dis a la ravissante Dame: ‘Que Dieu, qui peut toute chose, te donne, ô Dame, le bonjour, et, après ce deuil, une joie de longue durée, bien chère Dame.’
‘Le bienvenu, dit-elle, mon ami, tu m'es le bienvenu.’ De ses mains blanches et pures elle saisit le lion par les crins, car le lion était en colère parce qu'il avait si récemment perdu son seigneur, qui l'avait sauvé de maint danger.
Car elle était veuve, lui était orphelin. Elle était préoccupée et lui craignait que Dieu ne leur donnat plus jamais pareil seigneur. Je ne craignais pas pour ma vie. Encore une fois je saluai ce chaste rejeton, je me mis devant elle à genoux et lui demandai son nom, comment on l'appelait, et d'où elle venait: j'aimerais à le savoir.
Elle dit qu'elle s'appelait Vase d'Honneur. J'ai perdu, je te le dis, le meilleur Chevalier que femme aimât jamais.
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Je dis: ‘Dame, Vase d'Honneur, je te prie, comme j'ai coutume d'aller auprès des seigneurs et de chercher au loin et tout près, dans tous les coins, de vouloir bien me donner par écrit tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie.’
- ‘Il me semble que je t'ai bien vu ailleurs; n'es-tu pas appelé Gelre? Tu as coutume de composer en vers et d'écrire. Commence; cela ne tardera pas à venir; commence, au nom du Seigneur, qu'il veuille t'enseigner et t'instruire, et qu'il t'envoie dans le coeur de versifier le commencement ainsi que la fin.’
Dès le principe, ce jeune héros avait de l'inclination pour les armes, et quand. pour la première fois, il commença à poursuivre la solde d'honneur, il avait l'âge de treize ans. Le bois qui doit devenir un croc doit être recourbé de bonne lieure.
Il partit pour le siége de Calais, avec son père (tu le sauras), auprès du roi Edouard, qui était campé là avec une belle et vaillante armée, au grand dommage des Francais. De là, il revint à sa maison, et se prépara à faire une expédition en Prusse, à Staden, en Lithuanie et en Russie; et dans cette expédition, dans ce pays, on ravagea et incendia beaucoup.
Lorsque cette expédition fut faite, il retourna à la maison. Il y prit goût et alla visiter les tournois et les cours de tous côtés, avec le comte Gérard de Berg, qui était préservé de tout mal.
Pour la seconde fois le brave jeune homme tourne son esprit vers la Prusse; de là plus loin, en Lithuanie, ce qui porta le deuil à maint payen, et dans cette même expédition il devint chevalier, pour protéger les orphelins, les veuves et la Sainte église. Ce sont là les devoirs de tout bon chevalier.
Il voulut retourner à la maison. Prés de lui il y avait quel- | |
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qu'un dont l'onele avait été assommé à ce moment, sans qu'il eût pu le venger, dans l'abbaye de Stavelot, ce dont il était triste, et il pria ce même jeune seigneur de vouloir bien l'aider à venger sa douleur. C'était un de ses sujets; il le pria fort pour qu'il le fit.
Ils partirent avec leurs partisans pour exercer leur vengeance dans l'abbaye, de sorte que plus de quatre-vingts y restèrent morts. C'était une bien grande vengeance.
Aprês cela on le vit devant Borhem, comme les chevaliers le reconnaissent, au secours du duc de Brabant, où on le trouva très-vaillant à cause de l'orgueil des Flamands. Car là maint homme versa son sang.
Il est monté à cheval, pour la troisième fois, et s'est rendu en Prusse, vous le saurez; cet hiver il y resta, sachez-le; on ne pouvait pas voyager, il n'y avait pas de glace.
De la Prusse il se rendit en Livonie; pendant l'été-il s'y fit connaître; de la Livonie il revint en Prusse, et pendant l'hiver il s'y installa. De la Prusse il revint chez lui, et prépara sa cinquième expédition pour la Prusse, où il se fit connaitre avec honneur.
Mais il ne voulut pas y rester plus longtemps. En partant il apprit par de chers amis, qui lui envoyaient des lettres certaines, que son père était mort. Il en fit grand deuil.
Il retourna dans son pays, de telle sorte qu'il trouva le grand seigneur, l'Empereur des Romains, dans la ville de Nurenberg, où il le pria de lui donner son pays en fief. Ce qui fut fait.s
Il se mit ensuite en route, bien qu'il le fit à contre-coeur, assiégea et prit Mérode, qu'il voulut détruire à cause du grand chagrin, de la force et violence et des hostilités qu'un parent faisait à l'autre.
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Après cela, il prépara avec ardeur une expédition au service du duc de Brabant, contre ceux de Louvain. Ils se soumirent. C'était le mieux pour eux. Il lui amena de son pays bien cinq cents (hommes) d'élite.
Après cela, par un beau mois de mai, il se rendit devant le château de Scaelvyen, en faveur du duc de Brabant, et il lui amena plus de deux cents cuirasses. Peu de temps après il quitta le duc de Brabant et retourna chez lui.
Dans cette même expédition, il lui arriva, dans son pays, une grande aventure, un certain jour, prés d'un village nommé Holtzweller. Celui-ci était un pilier de la chevalerie, où ses ennemis marchaient contre lui.
Il descendit de cheval et voulait le combat. Il n'avait dans ce combat pas plus de dix-sept hommes, tant armés que sans armes; c'était un petit nombre d'hommes. Les ennemis l'entouraient et le regardaient très-fort, mais personne ne toucha à sa peau, quoiqu'ils fussent bien cent trente qui étaient vigoureux et armés de cuirasses.
Cependant ils n'osaient pas combattre, ils se mirent à courir autant qu'ils purent; lui les poursuivit a cheval et il les chassa, dans leurs course, jusque prés de Dalenbroek; il ne se soucia pas d'eux plus loin.
Maintenant, pour la sixième fois, entendez bien, il partit pour la Prusse. On allait se battre et chevaucher la dans le pays, à Samiten. De là il revient chez lui, et, peu de temps après, il assiègea un château nommé Hamersbach.
De là, tout son désir était d'aller outre-mer, et il vint devant Chypre, ou il trouva le roi campé devant Baffa, à terre. avec une grande arrnée navale; ils firent voile sur mer et gagnèrent la ville de Satalie, qui est située en Turquie.
De là il navigua, c'est chose vraie, vers Rhodes avec le roi,
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de sorte que le roi et les seigneurs y voyagèrent avec beaucoup d'honneur et que, dans cette expédition, on fit beaucoup d'orphelins.
De Rhodes il partit, - il en était ainsi de lui, - avec le roi et sou armée, jusque dans le pays de Chypre. Là il séjourna, - cela lui convenait ainsi, - et alors il s'équipa bien, et ils serendirent à Tripoli. De tous ceux qui étaient pour la conduite des vaisseaux, le héros descendit le premier à terre.
Il assaillit et aida à prendre la ville, et ils les chassèrent dehors et les défirent. Le roi était ainsi avisé, il ne resta dedans qu'une nuit et ensuite il la prit sous sa domination.
Il fit voile le long de la terre, de sorte qu'il vint et gagna une ville nommée Aliaetse, où il mit pied à terre seul avant tous les autres, et eut une jambe percée.
Ce noble héros, ce seigneur vaillant, perdit par cette blessure tant de sang que les siens eurent grande peur qu'il n'en mourût. Et grand nombre des siens furent, en même temps, fortement blessés.
Quand le moment de partir fut venu, il se fit conduire devant le roi et il prit congé du roi, qui le remercia de toutes choses. De là il traversa la mer et atterrit, où on lui fit beaucoup d'honneur.
Là il monta à cheval, se mit en route et arriva, peu après, sur le Cranenvelt, amenant des siens, comptés en gros, huit cents hommes portant des chaperons, qui soulevaient beaucoup de poussière, au secours du duc Edouard, qu'on craignait beaucoup, contre le duc de Brabant qui avait nom Wenceslas. Il croyait y combattre; il n'en fut rien, mais après, depuis, il arriva comme il faudrait toujours.
Maintenant ce hardi seigneur fit sa septième expédition en Prusse, avec les Chevaliers de la Croix. Pendant cet hiver, on
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n'y vit pas de glace sur laquelle on put marcher, et l'expédition échoua. Quelque grand qu'en fut son chagrin, il prit son congé du Grand-Maître, le remercia bien et arriva ensuite dans son pays.
Prés de Thits il se battit en campagne avec ses ennemis, où il les défit puissamment. Il les battit et les fit prisonniers sur le champ de bataille.
A présent approche un grand combat, dont on sait parler au loin dans la contrée et dont on parlera encore quand nous serons tous oubliés. Car les fasces, les bandes et les pais allaient s'y briser et se rompre; les aigles, les lis et les animaux; mais les bêtes qu'on appelle méchantes, comprenez ceci, lions verts, lions noirs, lions blancs, lions jaunes, lions bleus, lions rouges y étaient en grand danger.
Ces lions frappent et déchirent; ils allaient grincer et mordre. Mais ce lion dont j'ai parlé plus haut, qui était vêtu de noir, c'était le lion qui avec force remporta la victoire. Son nom et comment on l'appelait, je vous le dirai ci-après.
Mais il y avait un lion qui était jaune; il avait de la force et grand nombre de lions; il eut 1'oeil percé; il dut le souffrir qu'après le troisième jour personne ne vit plus ce lion. Ce qui doit arriver à l'homme, il ne peut l'échapper. De sorte que dans ce même combat il en resta mort prés de neuf cents.
Je poursuis les exploits de celui dont je raconte l'histoire. Il s'est mis en route et a gagné Staelbergh.
Maintenant je veux vous parler des partis des Bronchorst et des Heeckeren; écoutez-moi le narrer. Or done, ce héros, ce hardi seigneur, prit le parti des Bronchorst, et il accourut jusqua deux fois pour assaillir et prendre, de sa propre personne, Geldre, mais cela échoua et resta hors de sa puissance.
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Après cela, il arriva qu'un autre jour il vint avec une petite troupe pour ravitailler le château de Geldre. A ce moment se trouvait dans Geldre, et aussi ailleurs, le comte Jean de Blois, avec maint homme hardi et vaillant de la Hollande, de l'évêché et des partisans des Heeckeren, qui savaient brandir des glaives et qui étaient deux fois aussi forts que ceux qui étaient dehors dans le parc.
Là il se tenait avec sa petite troupe; là il fit pousser en haut ses tremplins. Il ravitailla le château malgré eux. Qu'il en rende grâce à Dieu qui lui donnait cet honneur et ce bonheur. Sur ce, il leur tourna le dos et avec son cortège il retourna dans son pays avec beaucoup d'honneur et sans honte.
En un autre temps il fut invité au service du duc de Brabant, il entra dans Maastricht et de là il alla ravager et incendier devant Liége, avec sa bannière. On ne put l'en empêcher. Le duc de Brabant resta dans Maastricht. C'est ce qu'il fit devant Liége.
Il fit avec ardeur le siége de Stakenborch au pays de Geldre; ensuite il partit vigoureusement et fit l'assaut de Crefeld. Il échoua, il ne put s'en emparer, la résistance à l'intérieur était trop forte. Une partie des siens y reçurent des blessures et des plaies.
Un certain lundi, au lever du soleil, il assaillit et prit Moesacker. Après cela il assaillit avec beaucoup d'efforts une forteresse à Herwine, qui était très-fortement défendue. Enfin ce hardi seigneur rompit les rangs des ennemis et se posta devant un arbre, où les ennemis l'apercurent. Là s'engagea un combat où il fut vainqueur, bon gré mal gré.
Après peu de temps le héros se rendit de là, malgré ses ennemis, avec sa bannière en Zallant, devant Zwolle, où il dévasta et incendia. Ensuite ses amis l'engagèrent à assaillir
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Ysseloorde, où les siens reçurent beaucoup de blessures et de plaies.
Ensuite il se rendit devant Amersfoort où il brûla et ravagea le pays. De là il se mit en route et assaillit l'église de Barnevelt; on résista; il ne la prit pas; de sorte qu'il partit de la et alla dans le pays de Clèves, où l'on dévasta et incendia; de là devant Utrecht, qu'il incendia ainsi que Amerongen et le Bilt.
Il vint devant Gennep et il prit et brûla cette petite ville. De là il marcha vers Hoonpel, où il se battit avec ses ennemis, et y remporta la victoire et de l'argent. C'est par ce combat, dit maint homme, qu'il conquit le pays de Geldre.
Après, il lui arriva maintes choses que moi, homme simple et sans science, ne pourrais toutes raconter.
Peu de temps après il lui arriva une aventure: le duc de Berg, Dieu garde son âme de tout mal! S'était rendu à SaintJacques, qui a secouru maint homme, et pendant qu'il faisait la ses prières, ses ennemis pénétrèrent dans son pays, y pillèrent et incendièrent, et ils le lui auraient pris, de sorte qu'il ne l'aurait pas regagné de longtemps, si ce hardi seigneur, qui le défendit vigoureusement, ne l'eût empêché.
Lorsqu'ils virent sa bannière, les uns s'enfuirent par ci, les autres par là, de sorte qu'il les défit et les fit prisonniers; il ne lui en échappa pas beaucoup. De cette manière il conserva à son cousin son pays et sa terre.
Peu après, il est arrivé et a gagné la digue; après cela Buerlant, comme on le sait bien; il fut aussi devant Rypersceit. A certain moment il fut invité par ceux de Blankenheim et il alla avec eux devant Metz brûler et dévaster, pendant huit jours; il ne purent l'empêcher.
Un autre temps il aida à prendre la ville de Nassau. Après
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cela il fut invité et il se rendit devant Dortmund avec le duc de Berg, pour nuire aux Westphaliens. Là les bannières durent traverser des défilés étroits. Une partie des hommes y furent faits chevaliers.
Je suis au bout et j'en ai assez, dit la charmante Dame. Cesse et n'écris plus; et elle me dit, par pure bienveillance: Maintenant tu vas, d'après ton art, décrire, conformément à sa haute dignité, la bannière, le heaume et la cotte d'armes.
Sur ce, la Dame me renvoya; elle me quitta avec une vive affliction, et dit: Mon cher ami, que Dieu te conduise! Le Lion et la Dame s'en allèrent, mais où ils restèrent, je l'ignore.
Hélas! comment est-ce possible! on écrit de tant de héros et de géants, d'Hector et d'Alexandre, de Jules et de maint autre, ce qu'ils firent dans leur vie: on en a écrit des livres; mais de ce vaillant héros, qui s'en soucie? qui écrit sur lui?
Mais ses armes et le cimier de son heaume, avec lesquels il a assisté aux tournois et aux joutes, et qu'il a souvent revêtus avec fierté, je vous les blasonnerai ici: Comme la bienveillante Dame qui était vêtue de noir, qui se lamentait la d'un coeur triste, m'avait prié de décrire les armes de ce seigneur et ses pierres précieuses dont personne n'en a, jusqu'ici, entendu parler beaucoup.
L'écu, la bannière et la cote d'armes sont ouvrés pleins de richesse; comme je me le rappelle, dessus et dedans un lion de simplicité, ses ongles sont d'intrépidité fourrée depiireté; il est posé rampant.
De son heaume je vous dis ceci: une tête de chien, ainsi que je l'entends, ouvrée de topaze, autour: un collier de diamants, aigu à ses bords; la langue rouge, les dents blanches, comme ils sont faits d'après nature, entre deux ailes noires largement déployées.
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Je déplore fortement la mort du héros chéri, qu'on doit déplorer en tout pays, partout où son nom est connu. Le lion dans la forêt le pleure, jeunes et vieux le pleurent à juste titre, maint homme le plaint a juste titre qui ne l'a pas connu en personne, ô noble et bon duc de Juliers!
Prions Dieu qui a versé son sang au mont Calvaire, qu'il garde ton âme et qu'il la porte avec toi dans la vie éternelle où les anges voltigent auprès de toi. Que le Père céleste lui accorde cela! Amen! Dites, tous ensemble: Amen.
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Notes héraldiques
L'auteur de eet éloge du Duc de Juliers n'est pas le héraut précédent. Ce n'est pas le vieux Gelre, c'est un second Gelre, Gelre fils, Gelre-Beyeren. Elle est dans la manière du premier, mais elle nest pas de lui. Elle a une allure plus vive. En examinant l'écriture, la forme des lettres, ce n'est pas la même main qui a tracé ces dernières pages, et sans entrer dans les détails techniques d'une expertise, nous prions le Lecteur de confronter les S et les D des grandes rangées de majuscules qui commencent les vers, avec ceux des trente-sept pages précédentes. On n'en trouve pas une seule qui leur ressemble.
La manière particulière même de disposer ces premières lettres est tout à fait insolite et contraire au sentiment qui a conduit la main sur les pages précédentes; et il est permis de dire que Gelre père n'a pas attendu l'âge de quatre-vingt-dix ans pour s'amuser à ce genre nouveau d'écriture. Cet éloge du duc de Juliers est bien de Gelre fils.
Lequel des Guillaume a été vainqueur à Bastweller et a reconnu son duché de Juliers fief de l'Empire: C'est Guillaume, fils de Guillaume, comte de Juliers, et de Jeanne de Hainaut qui épousa Marie de Gueldre, fut créé duc et mourut en 1393 ou 1397.
En attribuant ce poème au vieux Gelre, M. Jean van Malderghem a ouvert la porte à l'erreur de ceux qui donnent au héraut de 1334 à 1372 une vieillesse démesurée, comme nous l'avons expliqué dans notre avis au Lecteur. Pour bien com- | |
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prendre qu'il y eut deux Gelre, pour pénétrer le mystère de cette double existence, il faut voir d'abord les noms: Gelre ou Heynen; - Gelre Beyeren ou Claes Heynen fils; - il faut examiner ensuite l'écriture,et les deux types différents d'armoiries.
Les armoiries de Juliers, qui sont ici, et celles de Moppertingen, n'ont pas la mème tournure que celles qui accompagnent les autres poèmes et n'ont pas un aspect aussi imposant. Elles n'ont pas le style sévère et complet du maître, du vieux héraut: le lion est grêle, le heaume et le volet du chaperon sont d'une coupe postérieure d'au moins quarante années, et la houppe qui noue le bavolet annonce une modification dans le costume. Ce n'est pas là le vieux Gelre. Son fils, en lui succédant dans son office, en a gardé le nom et a ajouté ce poème aux précédents dans l'oeuvre de son père.
Nous ne nous en plaignons pas. Nous l'accueillons avec la même faveur. Il a imité le vieux héraut. Il est dans le genre et dans sa manière. C'est le même style littéraire, c'est la continuation de la même pensée. C'est un modèle de poésie narrative. Le vers est court, les faits sont narrés vivement, accumulés. La Dame en deuil, qui domine le Lion noir de Juliers, le Lion vêtu de deuil, et tord sa crinière, invite le poète à faire l'éloge rapide du héros et demande la description des armes du vaillant Chevalier, dans la langue symbolique, avec les pierres précieuses du blason. Le fond de l'écu est d'or qui signifie richesse; le Lion noir a pour symbole la simplicité;les griffes rouges sont aussi le symbole de l'intrégrité; et leur fourrure d'argent est une doublure de chasteté. Sur son heaume est la tête d'un chien faite de topazes, c'est-à-dire d'or et entouré d'un collier de diamants noirs ou de sable, car c'est du sable noir ou charbon que se tire le diamant; la langue est rouge, et les dents blanches comme au naturel; et la tête est entre deux longues ailes noires largement éployées.
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Pleurons ce prince qu'on pleure partout et qui mérita d'être pleuré, le noble et bon duc de Juliers, que son Lion noir a pleuré!
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Notes philologiques
Vers 4, uten dichten, signifie: des gestes, selon les gestes.
Vers 5, au lieu de: heer, lisez: here.
Vers 10, au lieu de: beghin, lisez: begin.
Vers 10, de son bras, prop.: de son corps.
Vers 11, mon coeur aspirait, prop.: grimpait.
Vers 11, au lieu de: na, lisez: vā [n].
Vers 14, au lieu de: menich valde, lisez: menichvalde.
Vers 18, au lieu de: hoird ic, lisez: hoirdic.
Vers 24 et 26, Lauda post mortem, en thiois, je ne le cèlerais pas volontiers: Loof enen na den dode, Louez quelqu'un après sa mort.
Vers 42, au lieu de: hoor hair, lisez: hoer haar.
Vers 57, ende was beganghen mitten live, ne sont pas clairs; mitten live, avec le corps; il se peut aussi que le sens soit: et j'avais compassion du corps de la dame.
Vers 58, au lieu de: wonnentliken, il faut lire: minnantlicken, charmante, car wonne, joie.
Vers 83, Die ye wiif Lief kreech ridders liif, on ne peut deviner le sens propre.
Vers 105, beseten, pour: besete.
Vers 114, au lieu de: Te Scaden, Littouwen, lisez: Te Staden, Littouve.
Vers 120, cela lui plut, c'est-a-dire: cela le toucha de prés.
Vers 132, sinen goom nemen, prop.: faire attention à.
Vers 178, au lieu de: onbesceit, lisez: ombesceet.
Vers 185, Glayen, pour: Glavyen.
Vers 192, 263, 454. Gesonde doit être l'imparfait du verbe gesonden, souhaiter la santé, dire adieu. Nous avons traduit par quitta.
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Vers 250, leide, on doit lire: seilde.
Vers 251, wel te maetse, peut-être: à propos.
Vers 351, Si en quamen hem met, me semblent corrompus, je ne les comprends pas.
Vers 374, au lieu de: pastic, lisez: pastie (?), incompris.
Vers 398, au lieu de: bilt, lisez: Bilt.
Vers 400, au lieu de: Of biande, lisez: Otbrande.
Vers 417, au lieu de: was, il faudrait: las.
Vers 432, au lieu de: Dicke, incompris.
Vers 482, au lieu de: gewraecht, lisez: geuracht.
Vers 510, au lieu de: bi di sneven, litt.: avec toi s'inclinent.
Les Chevaliers de la Croix, heren mitten crusen, et Meister, le Maître, sont le Grand Maître et les Chevaliers de l'Ordre Teutonique.
Kūninck ou Kunninck. - Dans le manuscrit original, ce mot est écrit de plusieurs manières, et nous avons cru devoir respecter l'orthographe de Gelre, qui a écrit selon les dialectes, et à plusieurs époques. L'orthographe dominante est l'o ou l'u long; c'est aussi ‘la véritable, la seule bonne.’ Voici du reste ces différences, dans les diverses pièces:
NUEFT, vers 46, Kūnīc pour Kunninc; v. 159, Kūninck; v. 162, 164, Kūnc̄k. - RAETS, V. 67, 105, Kūninc; v. 158, Kūninck. - MERWEDE, V. 28, 61, 64, 69, 71, 78, Kūninck; v. 127, 158, Kūninc; v. 166, Kunic.- WALKENBURG, V. 43, Coninck.- Mabbertingen, v. 132, Kunnichghe; V. 215, 223, Kuenincriic. - JULIERS, v. 107, 247, Kuenic; v. 226, 232, 233, 238, Kueninc; v. 262, 263, Kuennic.
Dans les pieces essentiellement néerlandaises, c'est-à-dire les premières jusqu'à Nueft exclusivement, il y a partout Coninc.
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