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Daniel de la Merwede
Dieu, - Père, Esprit et Fils, - qui reposez éternellement en trois personnes dès avant le commencement du monde, donnez-moi de la grace et de l'esprit afin, que je parle en termes vrais de quelqu'un qui, selon les lois de la Chevalerie, a vécu sur cette terre, a fait preuve de sa bravoure avec lepée, tant sur mer que sur terre, et a souvent risqué sa vie pour Dieu et pour l'honneur.
Que pour cela ce noble seigneur ait notre reconnaissance. C'est lui que je veux chanter dans un poème et dont je veux mentionner les exploits, car de tout ce qu'un homme vaillant accomplit avec peine, il est juste qu'on lui donne l'éloge qui lui revient.
Dans le premier temps que ce héros porta son esprit et son courage vers les armes, on le vit en grand danger, comme les chevaliers l'attestent, dans un violent combat, sur une eau profonde, savoir sur la Meuse, devant Brielle, où il resta maint corps sans ậme, et ou il combattit vaillamment contre l'Impératrice Romaine.
Après cela, il se rendit avec beaucoup d'ardeur auprès du Roy Jean de France et, avec lui, il assista à la bataille de
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Poitiers où il recut des blessures profondes et larges dans ce rude combat, et ou il dut rester prisonnier.
Il fut délivré de cette captivité, et retourna avec empressement dans son pays. II se rendit à Boten avec son seigneur, le due Guillaume, qui avait aussi l'amour et l'esprit des armes, et qui l'y fit chevalier.
Ce même due Guillaume se fậcha contre le seigneur étienne: il envahit levêché d'Utrecht et prit son chateau fort de Nyenvelt. On vit la aussi notre héros, comme les témoins le reconnaissent. Ensuite, il monta à cheval et entreprit un pèlerinage outre-mer au Saint-Sépulcre où Dieu mourut selon sa nature humaine, et de là à Sainte-Catherine: Voyage dans lequel il dut souffrir beaucoup.
De là, il serait allé volontiers jusque dans les Indes, s'il avait pu. Il se travestit trois fois au moyen de cilices, lorsque les Juifs, qui sont encore pires que des chiens, et le cruel Paprian eurent connaissance de cela. Il retourna sur ses pas.
Lorsque de la Terre-Sainte il fut venu à Chypre, sur le rivage, il se rendit auprès du roy qui l'accueillit amicalement, de sorte qu'il y resta un an et demi, et il y acquit un grand renom, au-dessus de tous les étrangers qui y venaient.
Comme il causait des pertes et de grands chagrins aux payens, le roi le prit en affection et l'éleva en dignité. Or, le roi réunit une trés grande armée sur mer et voulut attaquer la ville de Sacalyen, une ville située en Turquie. Là, il fut fait chef et maréchal de l'armée chrétienne, et il prit la ville d'assaut avant que le roy mit le pied â terre.
De là, il passa la mer et arriva à une grande ville nominée Constantinople, la capitale de la Grèce. Mais là aussi il renonca au repos, il traversa la Bulgarie où il rencontra mainte aventure, et il arriva en Livonie où il se fit connaitre honora- blement.
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L'hiver il se rendit en Prusse, auprès de seigneurs croisés. L'expédition n'eut pas lieu; il revint aussitôt dans sa patrie et y resta huit semaines. Il avait encore dans l'idée de faire une expédition en Prusse, à Scaden, en Lithuanie, en Russie; il s'embarqua dans Brielle, et aborda en Prusse. Là se présenta une bonne expédition d'hiver, où il fut fait grand nombre d'orphelins.
De là il se rendit, le même été, a Lampaerde, où se trouve l'école d'armes, comme on me l'a affirmé. De Lampaerde, il se rendit à Saint-Jacques en Galice.
Quand il fut revenu dans son pays, il apprit une grande affaire. Devant Bruxelles, dans un combat, le héros embrassa le parti du due de Brabant et montra là son intrépidité contre le comte Louis de Flandre, seigneur doué de beaucoup de vertus qui y lut blessé.
Aussitôt après le combat, il partit et ne voulut pas renoncer à aller au royaume de Grenade, à ses propres frais, auprès du roy de Belmeriën qui était un noble sarrasin: Il y combattit avec le Capitaine qui prit la ville de Nan, contre le roi de Tremesent, qui fut défait et couvert de honte.
Quand il partit de là, il se rendit incontinent auprès du Roy de France. Là il fut fait prisonnier par les Anglais, maïs il recouvra sa liberté peu après.
Entretemps, beaucoup d'avantages lui vinrent en France où il tira l'épée et réussit dans ses aventures. Il désira ensuite faire une expédition en Prusse, brave chevalier. A cette occasion on le pria de faire une entreprise avec un noble prince qui mourut comte et seigneur de Blois, où il vivait en grand honneur et qui était natif de Hollande. Il paya la rançon de ce héros.
Après cela, au commencement de l'été, ce héros accompagna avec ardeur le comte, le noble seigneur dont la mort est bien
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déplorable, devant Pilsten, qu'il aida à prendre et où beaucoup de payens furent brûlés. Cauwen fut pris tout de suite, où fut brûlé maint Lithuanien. Ensuite il marcha contre Wielun, où grand nombre de payens, forts et vaillants, perdirent la vie par les exploits des chrétiens.
Quand cette expédition fut terminée, il se rendit immédia- tement dans son pays oü lui fut afïirmé que le roi était arrivé que l'on nomme de Chypre et qui a fait beaucoup de mal aux Turcs et aux Galipres, et qu'il était venu de par-delà la mer, des contrées hautes jusque dans les basses. Il se rendit auprès de lui et le conduisit dans le Brabant.
Le roi lui promit que, si Dieu voulait lui en accorder la grâce, il voulait conquérir et ravager le pays où Dieu naquit. De sorte qu'il prit la croix. Le seigneur Guillaume de Weteringe et le seigneur Rason de Beersei prirent une autre route.
Quand il eut traversé la mer, et quoiqu'il eût un grand désir de faire l'expédition, elle tomba à néant, quelque chagrin qu'il en éprouvât.
De l'île de Rhodes, il traversa la mer. Toutes ses aspirations étaient pour la Turquie, et aussi pour les seigneurs de Rhodes, qui, en mainte occasion, ont tiré l'épée et la dague et qui ont blessé et tué maint Turc. Là, ce héros aida les païens à s'entretuer.
De là, il marcha avec plaisir jusques à Constantinople contre les Turcs, avec l'Empereur. Il chevauchait en avant, contre le seigneur de Gallipoli. Tous ceux qui étaient..... L'Empereur les contraignit à une paix avec les Turcs, forts et braves.
Dans cette expédition, il voulut que vingt et un chrétiens livrassent un combat contre vingt et un païens, sans quepersonne d'autre en décidât. Les plus braves refusèrent cela; mais s'ils voulaient venir quarante Grecs, contre eux vingt et un
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païens vaillants, ils voulaient les rencontrer dans un combat. Ie peuple de ceux qui perdraient, aurait la défaite.
Quand les nobles seigneurs chrétiens s'emparèrent d'Alexandrie, notre héros était en route: peu s'en fallut qu'il ne vînt trop tard. Alors, il s'embarqua à Zar. De là, il prit son chemin par la Hongrie, la Slavonie, le Crabbouderland, la Valachie et la Pologne jusqu'en Prusse, où il se fit connaitre honorablement.
Il y resta l'hiver et retourna chez lui en été. Il resta auprès de son droiturier seigneur pendant deux ans, pas davantage. Ensuite, le héros se rendit un jour a un combat devant Adinghen avec le due Albert, son seigneur, qui eut la gloire de la bataille, et qui était de la maison de Bavière et de Hollande, comme nous l'apprenons.
Peu de temps après, ce due marcha devant Ghildenborch, près d'Utrecht, avec grand nombre de valeureux chevaliers et écuyers: ce qui attrista maint homme. Là on apercut aussi notre héros.
Alors, il prit congé des siens et se rendit à Sainte-Catherine, outre-mer, au Saint Sépulcre, et toujours à ses propres frais. Mainte fois, il souffrit de la faim et de la soif, de la chaleur et du froid; maiqte fois, il se trouva dans l'angoisse, la détfesse, la crainte de la mort et des aventures périlleuses.
Il a fait beaucoup d'autres exploits qui ne se trouvent pas dans cette complainte, et que moi, simple, je ne puis vous exposer. Finalement, ce héros arriva à Rhodes, où la mort le surprit. Ce qui était bien triste et bien dommage qu'il dût mourir si tót.
Si je pouvais, conformément a sa haute dignité, et avec un art véritable, blasonner son heaume, son écu et sa cotte d'armes, en pierres précieuses et en autres choses d'art dont personne n'a guère entendu parler: son écusson jette un éclat
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aussi vif que le rubis d'orient, besanté de topazes; et de marguerites une fasce précieuse est posée dessus. Ainsi était aussi sa cotte d'armes.
Écoutez maintenant distinctement blasonner la forme du heaume. Le volet est d'humilité, besanté de richesse; mais le heaume, sachez-le bien, est un chapeau de pureté; il est retroussé par-devant. Le chapeau doit porter une pomme qui a les mêmes émaux que le volet.
Je déplore, en gémissant, les maux du héros bien aimé, la mort du Chevalier! Qu'on le pleure en tout pays. Ses armoiries perdront-elles de leur éclat appendues au mur, posées sur la poutre, dans les églises? Il est mort, le cher trésor qui portait ces armes. Je veux le regretter toute ma vie, le seigneur Daniel de Merwede, qui n'aspirait qua des travaux et qui ne recherchait partout que des exploits au détriment de sa vie et de sa fortune. Que Dieu soit miséricordieux pour son âme et la préserve des peines de l'Enfer. Amen.
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Note géographique
Nous espérons donner plus tard une géographie des noms de lieux cités dans ces poèmes. Qu'on nous permette ici une remarque générale: c'est que tous ces chevaliers qui s'en vont à la Terre-Sainte, au couvent de Sainte-Catherine, au Sinaï, au Saint Sépulcre, prennent tous le chemin du Danube par la Bulgarie, qui mène a Constantinople. L'Allemagne reprend aujourd'hui ce chemin; c'est sa route inévitable vers Constantinople: elle y penche de tout son poids.
Au xive siècle, Constantinople n'était pas aux Tures, mais aux Grecs. La lutte était en Asie-Mineure, autour de Sacalyen, et les chevaliers, après avoir accompli leur pèlerinage, reprenaient le chemin de la Bulgarie et de la Pologne, par le Danube, et, avant de rentrer dans leurs Burgs, remontaient jusqu'en Prusse, en Livonie, en Poméranie, se joindre aux Chevaliers Teutoniques pour combattre les païens de la Lithuanie. ‘S'en alèrent en pèlerinage au Saint Sépulcre, et au revenir ils s'en retournèrent et prinrent leur chemin par la terre de Prusse.’ (Chroniques.)
Vu dans son ensemble et dans ses détails, notre dix-neuvième siècle a beaucoup de rapports avec le quatorzième.
V.B.
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Note héraldique
Daniel de la Merwede porte: De gueules à la face d'argent, l'écu besanté d'or.- Le heaume d'argent taré de profil, le volet de gueules aussi besanté d'or, et pour cimier une rondelle du champ de l'écu qui est besanté dor, posée sur un chapeau retroussé d'argent.
Daniel de la Merwede se trouve dans l'Armorial ci-après, avec les mêmes armes, à la suite du comte de Hollande, ainsi que Claes de la Merwede, dont les armes portent pour brisure, comme on le verra, de sable à la face d'argent, l'écu besanté d'argent, par changement d'émaux, avec un autre cimier.
Ici, dans eet éloge funèbre, sa Chanson, ou plutót sa Complainte, Gelre a décrit la figure héraldique du Chevalier avec des expressions symboliques formées de pierres précieuses artistement disposées. Ainsi, son écu jette un éclat aussi vif que le rubis d'orient, parce que le rubis écarlate ou de gueules est le fond de son écu; besanté de topaze, parce que le topaze, brillant comme I'or, a été taillé en besants et semé sur son écu; et, de perles une face précieuse, c'est-à-dire une face blanche comme des perles, est posée pardessus, au milieu de l'écu de gueules besanté d'or.
Son heaume étant placé de profil, nous ne voyons de sa capeline que le volet, la partie qui couvre l'oreille: ce volet ou oreillon est couleur de son courage, parce que le gueules signifie courage; il est besanté de richesse, parce que or veut dire richesse. Mais le heaume, soyez-en sûrs, a sur lui un chapeau de chasteté oud'humilité, parce que le bonnet est d'argent et que argentsignifie chasteté. Ce chapeau, retroussé par-devant, porte une pomme, un rond, une rondelle qui a les
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mêmes couleurs, les mêmes émaux, les mêmes pierres précieuses que son écu et que son oreillon.
Cette poésie, d'un caractère particulier, loin de mériter le dédain de notre époque, a tous les caractères de la poésie contemporaine. Elle est diaprée, chargée d'ornements, et ne voyons-nous pas, parmi les poètes modernes, des artistes ciselant leurs phrases, se drapant à l'orientale, semant de rubis et de topazes, comme des fleurs de style, leurs sonnets et leurs chansons?
Ne pouvons-nous pas dire, pour ne citer qu'un exemple dans la poësie francaise du dix-neuvième siècle, que le regretté Théophile Gauthier est un desjoyaux de cette poësie ciselée, taillée à facettes, et que, dans l'histoire de l'Art, Gelre est un Théophile Gautier du quatorzième siècle.
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Notes philologiques
Vers 3, au lieu de: aen begin, lisez: aenbegin.
Vers 26, au lieu de: Roomscher, lisez: Roomsscher.
Vers 34, au lieu de: met, Itsez: mit.
Vers 35, boten, est un nompropre; sine, lisez: sinen.
Vers 41, Stichte, est un nom propre.
Vers 52, au lieu de: Yndie, il y a: Yndi dans le ms.
Vers 55, au lieu de: Dar, lisez: Doe.
Vers 56, au lieu de: Jueden, lisez: rueden.
Vers 73, au lieu de: henin, lisez: henen
Vers 75, au lieu de: staer, lisez: scaer.
Vers 77, stürmender; le ms. a: sturmeder, au lieu de: sturmëder.
Vers 83, au lieu de: woud, lisez: vend.
Vers 83, au lieu de: verlyen, il y a: vertyen.
Vers 86, au lieu de: gerit, il faudrait: he rit.
Vers 88, au lieu de: dan, lisez: dair.
Vers 96, au lieu de: Te Scaden, lisez: Te Staden.
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Vers 97, zat, dans le ms.: tzac, au lieu de: trac, peut-être du verbe treken, holl. trekken, se rendre.
Vers 106, au lieu de: sint Jacops, lisez: Sinte Jacops.
Vers 114, Vlaendren, dans le ms.: Vlaendre.
Vers 117, au lieu de: Stephans, lisez: Staphans.
Vers 117, laten, dans le ms.: late.
Vers 119, au lieu de: kuninck, lisez: kūninck, kunninck.
Vers 122, au lieu de: nan. lisez: Nan.
Vers 123, au lieu de: kuninck lisez: kunninck.
Vers 127, au lieu de: kuninc, lisez: kunninc.
Vers 133, au lieu de: ructe, il faudrait: tsucte.
Vers 145, au lieu de: der, lisez: den.
Vers 147, au lieu de: dit, lisez: dat.
Vers 153, au lieu de: moesten, il faudrait: moeste.
Vers 161, au lieu de: wil, lisez: vil.
Vers 167, au lieu de: hem, il y a: he.
Vers 194, au lieu de: Torken, lisez: Torcken.
Vers 204, au lieu de: verlore, lisez: verloren.
Vers 256, au lieu de: Orienten, il y a: orient.
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