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Petite Chronique
Des Ducs de Brabant
La race d'Hector et ses partisans allèrent demeurer en Hongrie, avec enfants et avec femmes, comme gens qui voulaient y rester à demeure. Car le Roi Valentinien les fit déguerpir du pays promptement, et ils firent là un roi qui s'appelait Priame, qui était vaillant et puissant et issu de la race d'Hector. Et ils possédaient toute la contrée entre le Danube et le Rhin.
Priame procréa Marcomère, et Marcomère Pharamond le Sage; Pharamond procréa Clodion, et Clodion, Mérovée le Hardi, et Mérovée procréa Childéric, et Childéric, Clodovis
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le Riche. Ces six qui sont ici nommés restèrent payens et damnés.
Le septième roi s'appela Clodoviis [Clovis]. Saint Remi le fit chrétien et l'a appelé Lodewiic [Louis], car il resta souverain dans le pays.
Son fils qui resta après lui dans le pays fut nommé Clotaire.
Clotaire procréa Chilpéric et tint la couronne puissamment.
Ce Chilpéric procréa Clotaire, le grand homme qui conquit tout de la main vaillamment depuis la Saxe jusqu'à l'Espagne. II laissa une fille, comme nous l'entendons, qui épousa Anselbert, natif de Rome; Zittelt et Anselbert procréèrent, comme Dieu le voulut, eet Arnoul.
Et eet Arnoul procréa saint Arnoul, le saint homme; et saint Arnoul, le saint et sage, procréa le bon Angise [Ansegise], qui prit à femme sainte Begghe, dont on vint beaucoup à écrire. Cette Begghe était, sans doute, la soeur de sainte Gertrude de Nivelles, et elles étaient toutes deux filles de Pépin, qui demeurait à Landen, à la Bruyère.
Son père s'appela Carloman, et fut le premier qui gagna domination en Hesbaie, et il s'appelait prince, comme je le vois.
Le duché est resté à Begghe, fille de Pépin, dont nous parlons, et à son mari Angise. Ceux-ci procréèrent un enfant
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de prix [de renom]; il s'appelait Pépin d'Herstal, qui vainquit tous les Frisons et tua leur due; alors ils devinrent chrétiens par la nécessité.
Ce Pépin laissa un fils, Charles Martel, l'homme hardi, il gouverna bravement tout le pays de France, et ils [les Français] lui offrirent la couronne, car leur roi était défait.
Charles Martel laissa un fils, il s'appelait Pepin le Bref, et Pepin le Bref procréa Charles, le grand et noble homme.
Ce Charles, ainsi que je le lus, fut roi et Empereur, et régna, cela est vrai, presque quarante-sept ans. Quant il était âgé de soixante-douze ans, il mourut en la puissance de Dieu, et git dans sa chapelle à Aix, qu'il fit faire lui-même, lorsqu'on écrivit [compta] l'an Notre Seigneur huit cent quatorze; ceci est vrai.
Charlemagne laissa son Empire à son fils Louis, qui porta la couronne avec honneur, comme firent les autres seigneurs.
Louis laissa son Empire ensuite à celui qu'on entend nommer Charles le Chauve.
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La couronne resta alors à Louis le Bègue, l'homme hardi; ce bègue laissa un flls qui s'appela Charles le Simple.
Et Charles le Simple laissa un fils qui s'appela Louis le Simple: celui-ci fut père de deux fils: l'un s'appelait Charles et devint due en Brabant; l'autre était appelé Lothaire, et il porta la couronne souveraine en France.
Lothaire procréa Louis, qui ne fut qu'un an roi dans le royaume.
Maintenant la couronne est venue à Charles, lieureux et beau; le due de Brabant était son oncle, comme je l'ai trouvé et lu.
Comme Charles alia recevoir la couronne, Hugues Capet lui a résisté; le due le défit avec force et lui fit deux fois prendre la fuite.
Ici Hugues lia amitié avec I'évêque de Laon, et il se fit ouvrir les portes la nuit, et il y entra avec maint baron, et il prit Charles par ruse sur son lit, avant qu'il le sût [s'en aperçut], et le conduisit prisonnier à Orléans, et là il mourut, sans présomption, lorsqu'on écrivait l'an neuf cent et quatrevingt et un; ceci est vrai.
Ainsi la couronne resta acquise à Hugues, qui était échue par décès [succession] au due.
Le due Charles laissa une fille qui s'appelait Gerberge, qui
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ne conserva du père que Louvain et Bruxelles, l'un et l'autre ensemble. Cette Gerberge perdit Ia Lotharingie, père, mari et la France.
Car l'empereur Henri donna le pays de Lothier à Godefroid des Ardennes, qui resta seigneur en Lotharingie. Cela coûta la vie à Lambert, mari de Gerberge, et à sa ‘conroot’, qui restèrent morts à Florinis [ou Florinnis.]
Gerberge laissa un fils, Henri le Vieux, qui n'a conservé que Louvain et Bruxelles. Henri laissa après lui Lambert, qui fonda les Chapitres de chanoinesà Louvain et à Bruxelles.
Celle-ci avait une soeur, d'une digne vie, sainte Ida, comtesse de Boulogne; deux de ses enfants portèrent couronne à Jérusalem avec beaucoup d'honneur.
L'un fut Godefroid de Bouillon, et Baudouin son frère, comme il parut bien. Ceux-ci réunirent l'armée chrétienne et conquirent le pays d'outre-mer, où Godefroid fendit en deux un géant, vrai bellonc, ni plus ni moins; et après cela vinrent six comtes l'un après l'autre, dit la chronique.
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Maintenant le duché est échu à Godefroid le Barbu, qui l'a repris, car l'empereur Henri l'éleva (bien) haut;....... avec sentence contre le duc. Et celui-ci mourut, c'était vrai, lorsqu'on écrivait l'an 1140.
Et il laissa après lui un digne fils, qui fut le second Godefroid et régna, cela étant vrai, un peu plus de trois ans.
Celui-ci laissa après lui le troisième Godefroid, qui fut due avec grande valeur; il était âgé d'un an lorsqu'il [le duché] lui échut, et il régna quarante-six ans.
Ce Godefroid procréa Henri, l'homme hardi, qui fut capitaine outre-mer de toute l'armée chrétienne. II gît dans la tombe à Louvain. II en resta un fils. Et il régna, cela est manifeste, quarante-huit ans en Brabant.
Ceci fut le second Henri, qui conquit certainement Daelhem; il rasa Randerode, et conduisit si bien ses affaires que tous ceux qui entendaient parler de lui le respectaient. 1l régna douze ans en Brabant, ceci est certainement vrai.
Celui-ci laissa le troisième Henri, qui fut certainement le plus noble de ses amis et parents; et il gî t enterré à Louvain, lorsqu'on écrivait, de vrai, douze cent et quarante ans.
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Ce débonnaire Henri procréa le brave et sage due Jean, qui conquit le pays de Limbourg, par valeur et de sa main, à Woeringen, dans la grande bataille; de sorte qu'on parlait de lui dans le monde entier, car il ne faillit jamais à l'honneur, lorsqu'on écrivit l'an de Dieu douze cent quatre-vingt-huit, pour vrai. Il mourut à Bar, dans un tournoi, d'une blessure, et de là il fut transporté à Bruxelles dans sa tombe, aux Frères Mineurs, cela était vrai, lorsqu'on écrivait l'an douze cent nonante-trois. Il régna vingt-deux ans en Brabant, comme je le trouvai.
Ceci est le second due Jean, qui conquit la terre de Wassenberg, qui fut enterré à Sainte-Gudule, lorsqu'on écrivait, soyez-en sûr, l'an treize cent douze après la naissance de Dieu, de vrai, et qui régna vingt ans en Brabant; son nom était connu au loin.
Ceci est le troisième due Jean, qui conquit Sittard, à l'âge de
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dix-huit ans, et qui fit ensuite raser Fauquemont avec de braves chevaliers et écuyers, quand on écrivait treize cent et vingt-neuf: et qui manqua à tous ses ancêtres.
Ceci est le quatrième Jean de Limbourg, qui prit à femme la fille du roi de France, à la fête de Saint-Remi, pour vrai, lorsqu'on écrivit l'an treize cent trente-deux.
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Notes héraldiques
En tête de cette Chronique de Brabant, le grand écu qui porte: de sable à deux lions affrontés d'or, armés et lampassés de gueules, la paupière de même et la lumière d'argent, repré- sente la contrée du Danube au Rhin, où se trouvait le pays des Francs, de Marcomère à Clovis.
Les trois Écus suivants, qui portent: de sable à un lion contourné d'or armé et Iàmpassé de gueules, la paupière de même et la lumière d'argent; party d'azur à trois fleurs de lys d'or, c'est-à-dire la moitié de l'écu précédent avec les armes nouvelles des Francs, représentent les Francs de Clovis à Chilpéric.
Le quatrième Écu, qui porte seulement: D'azur à trois fleurs de lys d'or, représente Clotaire le Grand, qui réunit sous sa main le pays depuis la Saxe jusqu'à l'Espagne.
Les deux Écus suivants, qui portent: De gueules à la face d'argent, sont les armes de Pepin de Landen, de Pepin d'Heristal, princes de Hesbaie.
Les deux Écus suivants sont ceux de Pepin le Bref et de Charles Martel, à qui on offrit la couronne des Francs: D'azur à trois fleurs de lys d'or.
Charlemagne, Roi et Empereur, se reconnaît à l'écu qui porte: De l'Empire qui est d'or à I'aigle de sable, party d'azur à trois fleurs de lys d'or. - Ce n'est pas l'alliance ou la réunion de deux armoiries: l'écu de l'Empire, à droite, à la place de la domination, mais I'aigle n'est en quelque sorte qu'à demi;
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l'Écu des Francs est à gauche, mais il est entier, parce que les suivants sortent de lui.
Les cinq Écus qui suivent et portent pleinement: D'azur à trois fleurs de lys d'or, sont ceux de Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, Louis Ie Bègue, Charles le Simple, Louis le Simple et Lothaire et Louis.
Les deux Écus qui portent ensuite: De gueules à la face d'or, représentent le Brabant que Lothaire détacha de Ia couronne pour le donner à Charles le Gros.
L'Écu suivant, qui porte: D'argent à trois bandes de gueules, représente le royaume d'Orléans, au moment où Hughes se défait de Charles de Brabant.
Hugues Capet s'empare de l'Écu d'azur aux trois fleurs de lys d'or, et l'écu suivant, qui est aussi d'azur aux trois fleurs de lys d'or, montre Gerberge perdant Ia France.
Godefroy des Ardennes, devenu seigneur de Lothier, en reprit les armes: De gueules à la face d'or. Mais Godefroy étant mort, Henri le Vieux, fils de Gerberge, porta aussi: De gueules à la face d'or.
L'Écu qui porte: D'or au gonfanon de gueules à trois pentes frangées de sinople, est celui d'Ida, comtesse de Boulogne.
Le suivant, Godefroy de Bouillon, porte: De Jérusalem, qui est d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes de même; party de gueules à la face d'argent pour Bullion au rays d'escarboucle d'or brochant, visible à moitié.
Maintenant le duché est échu à Godefroid le Barbu, qui porte: De sable au lion d'or armé, lampassé et allumé de
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gueules ayant la lumière et le reflet des ongles éclatants ou d'argent qu'ont aussi porté les princes suivants jusqu'au sage due Jean.
Le duC Jean porte: écartelé, au 1 et 4, de sable au lion d'or [armé] et lampassé de gueules; au 2 et 3, d'argent au lion de gueules, la queue fourchue et passée en sautoir. - Le heaume d'or taré de profil, le volet haché d'hermines, et pour cimier un esteuf en éventail de plumes de paon, entre deux longues plumes d'or, le tout issant d'un coussin ou carré de sable ou de velours houppé d'argent.
Les trois derniers écus portent de même que Ie due Jean, c'est-à-dire écartelé de Brabant et de Limbourg.
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Notes philologiques
Au vers 22. - Her deden kersten, - il faudrait: Hem dede.
Au vers 23. - Ende heeftene, - il faudrait: Ende heeften, - Mais le rythme!
Au vers 27. - Clotaris want, - il faut: Clotaris wan.
Au vers 74. - Goods, - il faut: Gods.
Au vers 145. - En hier na, - Ende hierna.
A la page 153, avant dernière ligne, bellonc veut dire en travers. C'est un vieux mot français, bellong et beslong, du latin bislongus, deux fois aussi long que large, c'est-à-dire oblong. - En termes de blason: on dit encore en berlong pour dire en travers; ainsi l'écu du bâtard de Saint-Pol- Luxembourg est chargé d'une traverse, ou barre, en berlong. Frapper quelqu'un en berlong est done lui donner un coup, non d'estoc, mais de taille, de travers. Berlong a signifié aussi une traverse de bois, un madrier oblong, pour barrer les passages, et c'est la reunion de trois de ces madriers qui a formé une hamaide.
Au vers 163. - Overmere, il faut: Over mere.
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Nous avons voulu conserver dans ces traductions le sens littéral le plus possible, parce que, dans ces poésies primitives, ou plutôt populaires, destinées a être parlées, lues, montrées, récitées en public, il faut tenir compte des locutions en usage, des manières de parler qui frappent la foule en les répétant: Certainement! Soyez-en sûr! Positivement! Je vous l'affirme! Ce sont, aux yeux de quelques-uns, des chevilles poétiques; elles ont parfois un air bien sot; cependant elles sont, à notre avis, comme les accents d'un langage qui voulait imposer à l'auditoire ou lui rappeler avec autorité certaines choses, certains faits, comme on dirait aujourd'hui: Savez-vous! en appuyant du geste.
La Chronique qui précède et celle qui suit en sont un exemple frappant. Examinez ces armoiries qui se répètent avec intention: ne vous semble-t-il pas qu'il y a une scène théâtrale, une action dramatique peinte sous vos yeux? On dirait que Gelre, d'une voix haute, devant une assemblée, dans la Salle des Ancêtres, montre ces écus: Ceci est le second due Henri! Ceci est le troisième due Jean! Ceci est Guillaume! entendez-vous? Ceci fut Arnoul! comprenez-le bien! voyez! Ceci est Florent, qui épousa Gertrude de Saxe, sachez-le: voilà les armes! - Ce sont des poèmes en action.
D'autres expressions sont plus caractéristiques. Ainsi: il a conquis ‘de sa main’ montre qu'il payait de sa personne, courageusement, comme on a dit plus tard ‘a la pointe de son épée’, manu militari.
L'oeuvre que nous avons entreprise a tant présenté de difficultés, que nous demandons pardon au lecteur de n'avoir pas reculé devant une tâche ingrate.
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