Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique
(1770)–Philip Fermin– Auteursrechtvrij
[pagina 64]
| |
De quelques conséquence relatives à la Question.Pour peu que l'on téfléchisse sur le besoin qu'on a des Esclaves dans les Colonies pour la culture des Terres, on ne sauroit disconvenir, que c'est vouloir condamner la loi naturelle & celle du Souverain, que d'en proscrire le trafic, comme contraire à l'humanité, puisque l'une admet des régles en faveur de l'Esclavage, tandis que l'autre en autorise le commerce, & le ragarde comme légitime.
Le plus grand malheur, en effet, qui pût arriver à ces Peuples Esclaves, ce seroit d'en interdire la traite en Afrique. Ils n'auroient alors aucune espérance de changer leur état de servitude la plus cruelle, pour jouir d'un sort plus heureux, ni de parvenir un jour à la connoissance d'une vraie Religion, pendant que chex eux, ils sont abandonnés dans les chaines a la tyrannie la plus barbare. Il seroit | |
[pagina 65]
| |
bien plutôt à souhaiter, qu'on en dépeuplât toute l'Afrique, pour en peuples l'Amérique, par le bien qu'il en résulte, tant pour ce Peuple Esclaves, que pour les Colonies. Il est d'ailleurs constant, comme je l'ai déja remarqué, qu'on ne van pas en Afrique pour y faire des Esclaves, on les y trouve tels, en les achetant, on les fait passer d'une servitude barbare & infidéle, dans une servitude plus humaine. Ensorte que celle-ci leur devient un moyen de salut. De croire donc que ce commerce est contraire à la charité Chrétienne, qui nous ordonne de regarder tous les hommes comme nos égaux, & qui ne permet pas qu'on traite ses freres comme des Esclaves, c'est ignorer la Loi de l'Evangile & la Loi du Souverain. Quand à la premiere, on ne sauroit revoquer en doute, qu'elle ne nous donne des régles pour les droits des Maîtres envers leurs Esclaves, & que ces régles une fois établies, n'ont rien de contraire à l'humanité, non plus qu'à la charité, car, si elles y étoient contraires, la Loi de Dieu, au lieu de les fixer, les auroit proscrites. Pour mieux s'en convaincre, il n'y a qu'à se rappeller, que S.Pierre& S.Paul prescrivent aux Maîtres & aux Esclaves leurs de- | |
[pagina 66]
| |
voirs mutuels, & que les Livres du Nouveau Testament n'autorisent pas moins que ceux de l'Ancien, le Domaine & la puissance des premiers sur les derniers. Ils s'ensuit de-là, que la Religion, ni la Charité Chrétienne, ne deffendent point aux Maîtres d'avoir des Esclaves, ni aux Esclaves d'obéïr à des Maîtres, puisque l'une & l'autre leurs prescrivent des devoirs réciproques.
Si la Puissance des Maîtres sur leurs Esclaves étoit incompatible avec la charité & avec l'humanité, les Apôtres seroient fort à blâmer de n'en avoir pas averti les premiers, en les obligeant avant toute chose d'accorder le baptème & de rendre la liberté à leurs Esclaves. Rien n'étoit plus commun dans les premiers siècles de l'Eglise, que de voir des Chrétiens de tout état avoir des Esclaves, soit de leur Réligion, soit d'entre les infideles. L'exemple de Philémon doit justisier pleinement, que la charitê Chrétienne ne défend nullement d'avoir des Esclaves, mais qu'au contraire, Elle prescrit les devoirs réciproques aux uns & aus autres; c'est-à-dire, que les Maîtres doivent traiter humainement leurs Esclaves, & ceux-ci obéir volontairement à leurs Maîtres. Si après une telle conviction | |
[pagina 67]
| |
on prétendoit encore, que la Loi Naturelle en supposant une parfaite égalité entre les hommes, nous dicte le contraire, il faudroit alors avoir perdu route sa raison, pour soutenir une pareille hypotése; à moins que de confondre le privilége de la nature innocente, avec l'état de la nature déchue & criminelle. Dans l'état d'innocence, tous les hommes autroient été égaux, il n'y auroit eu ni Noble, ni Roturier, ni Seigneur, ni Vassal, ni Roi, ni Sujet &c. mais cet état n'existe plus. La Réligion nous apprends que nous sommes pécheurs; & la Loi Naturelle que nous sommes déchus des priviléges de l'innocence, & parconséquent sujet à des peines & à des châtimens que le jugement de Dieu nous inflige. C'est lui qui fait le Riche, comme le Pauvre, le Roi comme le Sujet, le Libre & l'Esclave, le Muet & le Sourd, celui qui voit & celui qui est aveugle. Celui enfin, qui est né Esclave ou qui de devient, doit se soumettre ausse bien, que celui qui est Libre, aux décrets de la Providence. Après tout, je ne conçois pas comment on s'allarme si fort pour l'humanité, quand on pense à la servitude des Negres, tandis qu'euxmêmes reconnoissent leur félicité, lorsqu'ils ont le bonheur de tomber entre les mains des | |
[pagina 68]
| |
Chrétiens, puisque leur premiere condition est infiniment pire que la seconde. Ne les achete t'on pas à prix d'argent, pour s'en servir, & les traiter avec plus de douceur & moins de barbarie qu'ils ne le sont dans leur pays natal? Or, dés qu'il est permis d'en acquérir d'une maniere légitime, ce n'est point pécher contre le Droit des Gens, ni contre le Droit Civil, en les revendant à d'autres.
Je ne crois pas, qu'on puisse donner des preuves plus convainquantes en faveur de la legitimité du Commerce des Esclaves en Afrique, & du droit qu'on a de les transferer dans les Colonies, pour détruire toutes les opinions contraires à l'une & à l'autre de ces hypothéses. C'est un bien que la Providence aît permis, que par le besoin, qu'on a eu des Negres pour la culture des Colonies, les Européens soient allés dans leur Pays pour trafiquer avec les Chefs de cette Nation. Ils épargnent par ce moyen la vie à une infinité de malheureux, qui manquant du 'nécessaire, sont massacrés ou redutis à mourir de faim & de misére, des que leurs Maîtres n'ont pas occasion de les vendre, puisque ces Peuples ennemis se sont perpétuellement la Guerre; Et comme ils ne s'appliquent point à la culture des Terres, ces gens ne s'occupent qu'à | |
[pagina 69]
| |
roder continuellement pour exercer leurs brigandages. Les uns font des Courses sur Mer, d'autres sur les Afriquains naturels, qui, de leur côté, en font de même sur ceux qui sont répandus dans les Terres, soit pour se défendre, soit pour les attaquer comme usurpateurs de leur Pays. Il y a quelquefois des tréves entr'eux, mais jamais de paix stable. C'est une Guere ancienne, qui probablement subsistera jusqu'à la fin des siécles; d'où je conclus, que dés que la Loi Divine autorise d'avoir des Esclaves, le commerce qu'on en fait est utile, & même nécessaire à la conservation des Colonies, ainsi qu'au bien général de l'Etat. Il est encore avantageux pour ces Negres qu'on les achete; parce qu'on les fait passer d'une sevére captivité, à une servitude beaucoup plus humaine, dans laquelle ils sont mieux nourris, mieux vêtus & mieux soignés dans leurs maladies; l'interêt même de leurs nouveaux Maîtres les y engage, au lieu que, dans leur Patrie, leurs Chefs les laissent manquer de nécessaire, & les tuent quand ils ne trouvent occasion de les revendre.
Qu'on décide à présent, lequel des deux | |
[pagina 70]
| |
est le plus conforme à la charité, ou de les abandonner à la servitude la plus dure, & à la mort même, ou de leur conserver la vie en les achetant, pour les transférer dans une servitude plus tolérable & plus humaine? Si l'on est bien persuadé de cette verité, je doute qu'il y aît des personnes vertueuses, qui balancent encore à accorder la préférence au dernier parti, d'autant que le devoir de l'humanité exige, qu'on délivre ces Esclaves de la plus cruelle barbarie, pour leur faire éprouver un sort plus heureux, en les assujettissant à une servitude beaucoup plus douce, au moyen de laquelle on les met au moins à l'abri de perdre miserablement la vie. Du rest quelles que puissent être les objections des Philosophes contre la légitimité de ce commerce, il paroît certain & incontestable, que l'Esclavage n'est pas contraire à la Loi Naturelle, & que ce n'est point agir contre le Droit des Gens, que de les acheter & de les revendre lorsqu'on en a besoin, en observant néanmoins de les traiter avec beaucoup d'humanité.
Si malgré notre assertion, ils se trouve encore quelques Théologiens qui soutiennent | |
[pagina 71]
| |
que l'humanité se revolte à la seule idée de voir la liberté de son semblable mise à un vil prix d'argent, c'est sans doute par ce qu'ils ignorent que du tems des Anciens, il se faisoi[t] deux sortes de ventes publiques des Ecalves.
La premiére regardoit ceux qu'on avoit nouvellement pris à la Guerre, qui ayant été amenés en triomphe, étoient ensuite vendus à l'encan par les Tribuns.
La seconde, étoit celle des Esclaves qui appartenoient déja à des particuliers, soit qu'ils eûssent été anciennement pris à la Guerre, soit qu'ils fûssent nés Esclaves. En vain voudroit-t-on admettre l'opinion de ces hommes à grands sentimens, qui regarde le commerce des Esclaves comme illicite, cela ne prouveroit rien contre nous, puisque la Traite des Negres, & la possession des Esclaves a été prouvée légitime & permise. Il y a des préjugés de tems & de Nations, ce qui semble être deshonorant dans un siécle ou dans un Pays, ne paroît pas tel dans un autre. Toutes les choses qui se sont pratiquées & qui se pratiquent encore de nos jours, ne sont véritablement que ce qu'elles sont en ellen-mêmes, & ce n'est point par | |
[pagina 72]
| |
des préjugés; mais par la nature des choses qu'on doit en juger. Si cela est, pourquoi donc nous rapeller des préjugés qui ne s'accordent pas avec les nôtres. Les Portugais, les Anglois, les François & les Hollandois, ne regardent point comme illicite le commerce des Esclaves en Afrique, encore moins condamnent-ils l'usage qu'on en fait dans les Colonies pour la culture des Terres. Ce sont d'ailleurs des Gens de Probité qui l'entreprennent & ces Sociétés d'honnêtes Gens, sont autorisées par les Souverains.
La Compagnie des Indes Occidentales s'étant formée. L.H.P. Les Etats Généraux des Provinces-Unies, lui ont accordé dans l'année 1674., un Octroi en faveur du Commerce de l'Amérique & d'une partie de l'Afrique, octroi qui a été renouvellé de tems à autre, & qui doit continuer jusqu'en 1791. Encouragée par cette concession, la Compagnie a d'abord établi, dans un certain district de l'Afrique d'environs soixante milles d'étendue au moins, differens Comptoirs, afin de faciliter le Commerce, tant pour les produits que ce Pays fournit à l'Europe, que pour la Traite des Negres, dont les autres | |
[pagina 73]
| |
Nations étrangeres doivent être exclus. On peut la-dessus consulter les ordres & les Réglemens donnés par L.H.P. à la même Compagnie; ils portent, qu'il est deffendu à toute Nation d'y aller négocier à la reserve des Natoinaux. Chaque Vaisseau Hollandois doit payer à la Compagnie une certaine reconnoissance, dont le montant est proportionné à l capacité ou au port du Navire; outre un droit de trois pour cent de toutes les Marchandises qui sont exportées sous connoissement en Amérique, & nul Vaisseau ne peut aller trafiquer sur les Côtes de l'Afrique, sans être muni d'un Passeport de L.H.P. sous l'attache de la Compagnie, s'il ne veut s'exposer au risque d'encourir les pénalités portées par l'ordonnance.
Où sont à présent nos grands Philosophes & Moralistes, qui condamnent si témérairement la traite des Negres, tandis que les Loix de l'Etat l'autorisent & permettent de transferer ces Esclaves dans les Colonies, eu égard au bien qui en résulte?
J'Espère qu'ils ne s'éléveront plus avec tant d'aigreur contre une institution, qui tend a retirer des mains de leurs cruels Tyrans, une race infortunée, d'hommes, pour leur | |
[pagina 74]
| |
procurer un sort infiniment plus doux & plus heureux à tous égards.
Voila, ce me semble, des preuves bien convaincantes de la légitimité du Commerce des Negres; & bien capables de dissiper tout serupule à se sujet.
Je Passe maintenant à la derniere partie de cette Dissertation, qui a pour but, de donner des Avis sur la maniere de bien gouverner ces Esclaves. |
|