Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique
(1770)–Philip Fermin– Auteursrechtvrij
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Du sort beureux que les Esclaves éprouvent dans les Colonies.Le préjugé commun où l'on est touchant le sort qu'éprouvent les Negres dans les Colonies, fait croire à bien des Gens, la plupart trompés par les faux Recits des voyageurs mal instruits, que leur condition est semblable à celle des Esclaves qui ont le malheur de tomber entre les mains des Algériens, ou autres Barbares infidéles. Ils s'imaginent qu'on les assomme de coups, ou qu'en les faisant travailler comme des Chevaux, on les laisse manquer de 'n'ecessaire. C'est une erreur grossiere de penser qu'on les maltraite ainsi, surtout lorsqu'ils appartiennent à des Maîtres raisonnables, qui ont sons de leur procurer tous les besoins de la vie, & qui sont trop intéressés à leur conservation, pour ne pas les traiter aussi humainement qu'il est possible. | |
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Que l'on consulte les Personnes qui ont habité ces contrées, on reviendra bientôt de cette prévention outrageante: Cependant comme il n'est point de regle sans exception, je conviens aussi qu'il y a des abus; mais où ne s'en trouve-t-il point? Les hommes ont leurs défauts, & ne sont ni tout-à-fait bons, ni tout-à fait méchans I'avoue qu'il y a dans les Colonies des Maîtres durs & inhumains qui maltraitent leurs Esclaves. Mais n'en voit-on pas, parmi nous, qui se montrent tels envers leurs Domestiques. Le travail qu'on exige de ce Peuple, n'est pourtant pas à beaucoup près, toute proportion gardée, aussi pénible que celui de nos Paysans, qui labourent la terre. Les jours & les nuits étant égaux sous l'Equateur, les Negres ne sont à l'ouvrage que huit ou dix heures par jour, & rarement la nuit, si ce n'est pendant la récolte du Caffé, parce qu'alors on emploie les soirées à sa préparation. Il en est de même pour les Cannes de sucre, que l'on doit faire passer au moulin, à mesure qu'elles sont coupées. On sait d'ailleurs assez qu'il est d'usage dans toutes les Plantations, de donner aux Negres, un terrein suffisant pour | |
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la culture de leurs vivres, qui consistent en differentes espéces de Pattates, des Ignames des Bananiers du Mahis & de la Cassave, au moyen dequoi, ils peuvent se nourrir à leur gré sans étre soumis à aucune ration comme le Matelot l'est sur son Vaisseau; Et si l'on observe envers ces Esclaves, toujours plus inclinés au mal qu'au bien, une discipline un peu févère, c'est qu'on y est obligé; car ils s'en trouve de si paresseux que sans des châtimens réiterés, on n'obtiendroit jamais d'eux le moindre travail; ensorte qu'il faut de toute nécessité, employer la force pour les faire agir. Il y en a qui savent si bien feindre d'être indisposés, qu'à les en croire, on les traiteroit pour de vrais malades; d'autres tâchent de le devenir, en mangeant des morceaux de pipes, des charbons, de la terre, même jusqu'aux excrémens des Animaux & autres immondices. Telles sont les ruses de ces Esclaves, qu'il faut bien connoitre avant que de les traiter comme ils le méritent, & l'on n'y parvient que par une longue expérience. Mais alors on doit employer la rigueur pour vaincre leurs opiniâtrété ou leur nonchalance. L'Esclave a besoin d'être ob- | |
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servé de près dans toutes ses démarches, sans quoi l'on est exposés par son penchant naturel, à se soustraire au travail, à éprouver, de sa part, toutes fortes de désagrémens; Il est même dangereux de le laisser oisis; & si on lui lâche trop la main, il cherche à devenir fugitif & à en entrainer d'autres avec lui, dans l'espérance de ruiner son Maître, & de s'affranchir par-là du joug de l'Esclavage. Voila qu'elles sont les suites funestes d'une discipline trop indulgent. Pourrat-on d'aprés de pareils procédés de la part de ces Esclaves, condamner les Maîtres de les punis sévérement pour les ramener à leur devoir? Pourra-t-on ensuite disconvenir qu'ils n'éprouvent, quoi qu'Esclaves, un sort infiniment plus heureux parmi les Chrétiens, qui ont toute la bonté possible à leur égard, & qui les fournissent du nécessaire, tant pour la vie que pour de corps, que s'ils se voyoient encore détenus dans les fers, manquant de ce dont-ils jouissent chez les Colons; Et pour peu qu'ils soient fidéles à leurs Maîtres, ils sont presqu'assurés d'en être récompensés, au lieu que la tyrannie & la barbarie de leurs Chefs, les en privent pour toujours. On a donc grand tort de se | |
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récrier contre le commerce des Esclaves, & de le représenter comme opposé à la charité Chrétinne, puisqu'il est évident, que d'un mal moral, il en resulte un bien physique. Mais il paroît visiblement que tous ceux qui blâment cet usage, le font par commisération naturelle, plutôt que par connoissance de cause, ou de sort heureux que les Esclaves, s'ils sont de bonne volonté, peuvent se faire dans les Colonies. Je crois que ces raisons, suffiront pour prouver la égitimité du trafic des Negres, & pour détruire toutes les opinoins qui y sont contraires, Elles serviront en même tems à dissiper les préjugés qu'on nourrit dans cet Hémisphere touchant le sort de ce Peuple, faute d'en être mieux instruit.
La solution de cette question étant donnée, je vais maintenant passer aux conséquences qui y sont rélatives, & que je tâcherai de mettre dans tout son jour. |
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