Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique
(1770)–Philip Fermin– Auteursrechtvrij
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De L'achat des esclaves, en Afrique, pour les transferer dans les colonies.Après avoir suffisament prouvé, par l'Ecriture sainte, que l'on peur légitimement avoir en sa possession des Esclaves & les rétenir comme tels, je passe à l'examen de la seconde question, qui est de savoir, si l'on peut légtitment acheter des Esclaves pour les revendre? Pour répondre à cette question, je dirai d'abord, que puisque l'Evangile ne condamne point la Servitude, le Commerce des Esclaves doit être parconséquent légitime & permis. Ce Commerce & celui des Aromates est le plus ancien dont on trouve des traces dans l'Histoire tant Sacrée que Prophane. Outre l'exemple d'Abraham, que j'ai cité, nous avons encore celui de Joseph vendu par ses fréres à des Marchands Madianites qui le revendirent à Potiphar en EgypteGa naar margenoot(a) Homere dans son Odyssée parle souvent des Es- | |
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claves que les Grecs faisoient à la Guerre, ou par la Piraterie, qui n'étoit point alors un mêtier odieux ou infâme. Voyez aussi Thucydides. Ces deux questions sont si intimement liées ensemble, que de la solution de la prémiére dépend celle de la seconde, c'est-a-dire, que l'une n'est pas plus contraire au Droit des Gens, que l'autre est permise & tolerée par les Loix du Souverain. En effet, dès que la loi autorise d'avoir des Esclaves, d'où les tirevoit-on, si ce n'est par la voie de l'achat, ou par la force des armes dans une guerre légitime? Cette derniére voie n'est à la vérité reservée qu'aux Souverains, qui, par état se trouvent engagés à soutenir des Guerres contre des Nations voisines qui cherchent à empiéter sur leurs Droits. Pourquoi donc les Chefs de chaque Peuplade en Afrique n'auroient-ils pas pour faire la Guere à leurs voisins, les mêmes motifs qu'ont les Souverains de l'Europe de se la déclarer les uns aux autres? On ne sauroit cependant revoquer en doute, que la guerre d'une Puissance contre une autre Puissance, ne soit infiniment plus nuisible à l'Etat par rapport à la dépopulation qu'elle | |
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entraine ordinairement après elle, que ne l'est celle de ces Peuples éloignés, parce que la premiére se fait plus souvent par quelques motifs d'interêts, soit pour agrandir ses Etats, soit pour se rendre immortel auprès de la Postérité, tandis que la seconde n'a pour but, que de tâcher de se débarrasser de sujets ou voisins qui cherchent continuellement à les inquietter dans leur tranquillité; motif affez puissant pour engager les Chefs, à faire, sur ces rebelles des prisonniers, & à les éxclure du pays, en les vendant aux Chrétiens, pour les transporter dans les Colonies; d'où je conclus, que nos Guerres tendent à la destruction du genre-humain, & que celles des Africains, servent a procurer des secours aux Colonistes pour la culture de leurs Terres.
Il est constant que des Guerres qui régnent entre ces Peuples barbares, il résulte un bien physique a l'Etat, en ce qu'elles fournissent des hommes capables de défricher & de cultiver des terres, dont malgré l'industrie des Européens & la force de leurs bras, ils ne pourroient jamais soutenir les fatigues, tant à cause des chaleurs accablantes du Climat, | |
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que par rapprot à l'intempérie constante de l'air qu'on y respire. Quelque recherche qu'on aît pu faire, on n'a pas trouvé de moyen plus convenable, pour la culture des ces terres, que celui des Afriquains, que nous connoissons sous le nom de Nègres. Ce sont eux aussi qui les ont redues fertiles à un point, que le Souverain & les Praticuliers, en retirent un bénéfice des plus confidérables. Pour parvenir à se procurer ces secours forcés, il a fallu établir avec ces Nations barbares, un commerce qu'on appelle la Traite des Négres. L'orgine de ce Commerce quoique très ancienne, & son exercice n'ont pas laissé cependant, que d'exciter à bien des personnes scrupuleuses une infinité de doutes sur sa légitimité; Mais on a grand tort de le blâmer, puisqu'il est prouvé, quíl n'est contraire; ni à la Loi du Souverain, ni à la Loi de l'Humanité, ni même à celle de la Religion. Il est encore bien plus surprenant, que l'on prétende que la Nature se revolte contre ce commerce, & cet usage, tandis que l'Ecriture ne condamne nulle part, ni l'un ni l'autre. | |
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Je demande, pourquoi l'on ne repugne point aussi à la coutume établie en Europe de lever des Recrues de force ou a vil prix d'argent. On achete le travail de l'Escalve, & le sang du Soldat. Un Milicien même le devient par le sort, malgré lui, & pour rien. Les Féodaux n'avoient-ils pas aussi des serfs? Le service des Militaires est-il moins pénible & moins dur que celui qu'on exige des Négres? Le feu & l'assaut, n'est-il pas le sort des premiers, & la Culture des terres celui des derniers? Encore s'il arrive que le Soldat deserte, il est puni de mort, au lieu que le Négre conserve sa vie par une punition corporelle. Il est d'ailleurs assez connu, que ce n'est pas l'Européen qui enléve au Négre sa liberté, il est trouvé tel & détenu dans les fers lorsqu'on va l'acheter pour le transporter dans les Colonies. Ne résulte t-il pas delà, que le joug de sa servitude devient beaucoup plus suportable, en changeant son état de barbarie, en celui de l'humanité? N'est ce pas, en effet, le tirer des mains des Tyrans, pour lui faire éprouver un sort plus doux & plus heureux, tant pour le corps, que pour l'ame? Car, il s'en trouve beau- | |
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coup, qui après de longs & fidéles services deviennent libres, & par sonséquent Chrétiens. Qu'on leur offre de les renvoyer dans leur Patrie, surement ils ne l'accepteront jamais.
Si les véritables motifs que les Rois ont à entreprendre des Guerres, sont un secret de leur Cabinet dans lequel il n'est pas facile de pénétrer, ceux des Guerres perpétuelles que ces Peuples ont entr'eux, sont de même un Mystére pour nous, ensorte qu'il n'est pas possible de décider, si la guerre dans laquelle on a fait ces prisonniers à été juste ou non D'ailleurs ce n'est point à nous à en examiner les motifs; Il suffit ce me semble, que l'on soit moralement assuré, qu'en délivrant ces Peuples de la fureur des Tyrans, c'est exercer envers eux, le devoir de l'humanité, puisque par là, on les fait passer dans une servitude moins cruelle; Cet esprit de dissention n'est pas héréditaire aux seuls Africains. Les Arabes& les Sauvage de l'Amérique, ne connoissent d'autre métier, que celui de se faire la guerre de Natioin à Nation, quoi que les Européens n'aillent point acheter des Es- | |
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claves chez eux, comme chez les Africains. L'expérience prouve qu'on ne pouvoit, en effet, choisir une Nation plus propre que celle-ci à la culture des Terres dans les Colonies, par les differentes raisons que je viens de donner.
Outre l'avantage que les Propriétaires en retirent de leur services, il en résulte un bien physique pour ces Peuples Esclaves, qui auparavant accoûtumés à vivre errans comme les animaux féroces, deviennent insensiblement, parmi les Chrétiens, plus traitables & plus policés, ensorte qu'on parvient à leur faire apprendre, non seulement l'agriculture, mais encore, toutes sortes de professions; Il s'en trouve même parmi eux, dont l'habileté égale dans le genre qu'ils ont embrassé, toute l'adresse des Européens. Ne vaut-il donc pas mieux mettre à profit, & pour nous & pour lui, les facultés de ce Peuple, que de le laisser dans son premier état d'abrutissement, lorsqu'il étoit détenu dans les chaînes? On en fait par ce moyen des membres utiles aux particuliers, ainsi qu'aux Souverains, tant pour la culture des Terres, qui sont d'un rapport immense, que par l'avantage que | |
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l'Etat reçoit des droits imposés sur ces riches produits.
On voit clairement par tout ce qui vient d'être allegué aus sujet de l'achat des Negres, combien ont tort certains Philosophes, qui prétendent qu'on aggrave le joug des Esclaves qui sont transportés dans les Colonies. Au contraire, c'est leur rendre un très grand service, & exercer envers eux une oeuvre de charité que d'adoucir leur servitude. On les met par-là a porté de devenir un Peuple plus policé, & en éta[t] de discerner le bien d'avec le mal. Définitivement c'est un bien réel, que le Souverain aît permis qu'on envoie des Européens à la Traite des Negres, pour fournir aux Colons des secours dont ils ne sauroient se passer, de façon que je doute, que des personnes bien instruits de ces grands avantages, osent condamner le commerce des Esclaves, malgré tous les beaux préceptes des plus éclairés Phylosophes & Moralistes de nôtre siécle. Le Chapitre suivant est destiné à développer plus particulierement les avantage dont jouissent les Negres dans les Colonies. |
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