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Les Debonnaires
Heureux les débonnaires, car ils possèderont la terre!
(Matth. V. 3-10; Luc, VI. 20-25.)
A Francis Nautet.
Nelis l'Oiseleur et Fons le Bancal, sont allés ce dimanche matin à la ville, pour vendre des chardonnerets, au Marché de la Grand'Place.
Nelis est un mastoc de vingt-deux ans; Fons, un gamin de seize ans. Ils s'entendent comme jumeaux, quoiqu'ils ne soient, en réalité, qu'oncle et neveu.
Nelis connaît leur parenté véritable et le secret de la naissance de Fons; mais on tait ces choses au petit.
Voici l'histoire: Une soeur de Nelis, la belle Kée, servante à la ville, s'en laissa conter et fauta avec un garçon boucher. Honteuse, elle cacha son déshonneur aux siens, s'accoucha et mit son bâtard en pension, chez des étrangers. Lorsque par l'indiscrétion d'une amie de Kée, la veuve Godziel apprit la honte de sa fille, l'honnête campagnarde entra dans une violente colère et ferma désormais sa porte à la perdue.
Mais après quelques mois, la mère Godziel s'attendrit à l'idée de son petit-fils, et brûlant de l'envie de l'embrasser, elle s'en fut à la recherche du pauvret.
Lorsqu'elle l'eut déniché, dans un affreux galetas des faubourgs, son coeur saigna, tant le pauvre être avait été négligé. Il était maigre, tout jaune, des croûtes plein le
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corps, et ses jambes, trop faibles pour le porter, avaient poussé de travers. Elle se hâta de payer l'arriéré de la pension que réclamaient les mauvais nourriciers et emporta la triste créature, comme un trésor.
- Voyez Nelis - dit-elle, le soir à son fils, un fort gaillard déjà, qui rentrait de sa besogne d'apprenti menuisier, - le pauvre agneau du bon Dieu que voilà! Dites, Nelis, cela ne fait-il pas pitié? Faut-il le rapporter chez les gens qui l'ont élevé ainsi? Parlez, Nelis.
- Non certes, gardez-vous en bien, mère. Une sainte idée que vous avez eue, au contraire, d'aller le chercher. Il y aura toujours assez de pain pour trois chez nous. Et bientôt je gagnerai davantage! répondit le bon Nelis, non sans jeter un regard d'impatience sur ses bras nus et son biceps naissant.
Et soulevant l'enfant, en signe d'adoption, il lui faisait de gauches risettes.
On pardonna à Kée pour l'amour du pauvre innocent. Seulement, afin d'éviter les médisances, la mère ne se fit pas connaître à l'enfant. Il était inutile d'initier les voisins à une tare de la famille.
Fons grandit, se fortifia, mais il avait été si maltraité au début que, malgré les soins de sa grand'mère, une de ses jambes était restée maigre, tortue, plus courte que l'autre, et que, pour marcher, il devait s'aider d'une béquille. La mère Godziel se désolait, mais l'infirmité du petiot le leur rendait d'autant plus cher, à elle et à son grand garçon.
Fons, de son côté, ne savait et ne sait encore que faire pour leur prouver son affection. Il les comble de caresses et de prévenances; ses grands yeux bleus d'ange pâle déchiffrent leurs pensées. Quand la mère Godziel le gronde, ce qui arrive parfois, Nelis prend son parti, et si Nelis bougonne, c'est au tour de grand'mère d'intercéder.
Après sa première communion, on l'a mis en appren- | |
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tissage chez un tailleur, un bon métier qui n'exige pas de jambes; et le gamin rapporte déjà des semaines à sa grand'mère.
La bonne femme lui abandonne une partie de son salaire en lui recommandant l'économie. Elle le met en garde contre la société des camarades qui dissipent leurs sous au cabaret. Fons suit ses conseils comme ceux de la sagesse incarnée.
D'ailleurs, pourquoi aurait-il des camarades? Pour leur servir de souffre-douleur? Le grand Nelis lui suffit. Ils sont toujours ensemble le temps qu'ils ne travaillent pas chacun de son côté, l'un de la scie et du rabot, l'autre de l'aiguille. Et quels coups de poing le franc bougre a distribués aux polissons qui taquinaient son cher protégé!
Toujours le petit béquillard clopine aux côtés du gros pitaud demeuré aussi candide, aussi naïf que le gamin. Les dimanches d'été, Nelis va attraper les oiseaux et c'est Fons qui porte les pièges et les captures; l'hiver il l'aide à confectionner les cages. Tout ce qui intéresse Nelis requiert Fons. Tout ce qu'aime le premier fait aussi le bonheur de l'autre. Ce blondin débile déborde d'admiration pour ce brunet solide et trapu. Il n'a rien à lui refuser, il se noierait pour l'obliger.
Depuis quelque temps le ménage s'est augmenté d'un nouveau commensal: un petit épagneul arraché par Nelis aux anciens tourmenteurs de son Fons et qu'il a hébergé et gardé en dépit des protestations de la mère Godziel soucieuse de la propreté du logis.
Nelis s'attache presque autant à ce nouveau protégé qu'au premier et Fons loin d'être jaloux de ce rival, l'a pris aussitôt en affection. Nelis utilise une partie de ses heures de liberté à apprendre des tours à Bol. La patience de Nelis autant que l'intelligence et la bonne volonté de Bol, plongent Fons dans un ravissement sans bornes.
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Ce matin, donc, Nelis et Fons se sont rendus de bonne heure au marché dominical pour y vendre des jeunes chardonnerets et faire quelques emplettes. Comme ils ont pris le train, par exception, le fidèle Bol a dû tenir compagnie à la mère Godziel.
Tous deux sont habillés de leurs effets du dimanche. Nelis a une haute casquette, gonflée comme une vessie de porc, campée sur l'oreille, une vareuse en gros drap bleu, une culotte rousse à raies chocolat, une chemisette empesée et une cravate verte. Il marche en se balançant, son gourdin de frêne dans une main, l'autre main plongée dans la poche de sa culotte. Fons exhibe son uniforme de premier communiant, un peu étriqué, court des bras et des manches, mais très propre encore. Et c'est lui qui s'est chargé des chardonnerets.
La mère Godziel ne les attend que pour le soir. Elle leur a dit de s'amuser, mais en restant bien sages. Le petit a dans son porte-monnaie un demi-franc en monnaie, outre une belle pièce de deux francs. Il a la permission de dépenser tout son billon, mais grand'mère lui a recommandé de ne pas faire changer son florin d'argent. Recommandation assez inutile, puisque c'est toujours le ‘grand frère’ qui régale.
Dès la descente du train, Nelis l'a conduit non loin de la gare, dans un caveau, renommé pour son faro, a dit le généreux garçon. Et il s'y connaît ‘notre Nelis!’ En effet, Fons déclare n'avoir jamais bu si délicieux breuvage. Puisqu'ils goûtent la bonne bière bruxelloise, pourquoi n'en reprendaient-ils pas? Le Bancal ne veut pas ruiner son frère, mais l'Oiseleur ne fait qu'escompter une faible partie du gain que lui rapporteront les chardonnerets.
Désaltérés, ils se remettent en marche. Ils ont le temps et en profitent pour badauder devant tous les magasins; se montrant du doigt l'un à l'autre les objets étranges, s'ingéniant à en deviner l'emploi. Qu'est-ce que cela peut
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bien être? A quoi cela pourrait-il servir? Lorsqu'ils découvrent le mystère, ils rient; s'ils ne trouvent pas, ils rient encore en s'appliquant d'affectueuses bourrades. Nelis se blouse assez souvent dans ses conjectures, mais pour Fons c'est un oracle que l'Oiseleur et il ne se lasse pas de le questionner. Non seulement Nelis est le gars le plus fort et le plus beau du village, si bien que l'estropié ne le quitte pas de ses yeux fervents, tandis qu'ils cheminent dans la rue où il a cependant tant de belles choses à admirer, - mais pour le digne petit, ce boulot est aussi la plus forte tête de la paroisse. A la vérité, le pataud est loin d'avoir l'esprit aussi délié que le gamin. L'amitié ardente accomplit de ces miracles: Fons attribue tout le mérite de ses trouvailles et de ses joviales saillies au contact du rude compagnon. Il faut être soimême un zébédé et un nicaise pour contester le génie de l'Oiseleur.
Ah! la touchante paire de féaux!
Après s'être débarrassés avantageusement des bestioles, ils se remettent à flâner, tombant en arrêt de vitrine en vitrine, jusqu'à ce qu'ils arrivent devant ces bazars tapageurs, providence des petites bourses. Les aigres ‘Voyez la vente!’ des camelots les allument et les étourdissent comme des boniments de marchands de pain d'épice, aux kermesses. Enhardis à la vue des blousiers qui circulent entre les étalages, en quête d'occasions, sans faire leur choix, l'Oiseleur et le Bancal se mêlent à la procession. Que tout cela est beau! Ici des jarretières, là des lunettes, plus loin des cartes à jouer, des cannes, de la ferblanterie, des canifs et des éponges, des poupées et des tambours! La pièce de deux francs de Fons lui brûle la cuisse. Il tâte de temps en temps le précieux écu, enclin à l'échanger contre l'une ou l'autre de ces merveilles. Mais il se souvient de sa promesse à grand'mère et de peur de désobéir:
- Allons-nous-en! fait-il en poussant du coude le
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gros Nelis amorcé depuis des minutes par l'exposition des pipes.
Il y a longtemps que Nelis rêve d'une autre pipe; la sienne ‘jute’ et le fait cracher. Voici le moment de faire une emplette: cette grosse ‘tête à l'huile’, avec un tuyau de mérisier et un bout d'ambre, ne coûte qu'un franc cinquante! C'est peu pour les gens de la ville, mais beaucoup pour un garçon de la campagne, un garçon de métier comme ‘notre Nelis!’ Il la montre à Fons qui ne lui trouve pas moins belle mine. Les deux se concertent. Nelis hésite, prend la pipe, la soupèse en connaisseur, la dépose, la reprend, en examine une autre, revient à la première.
Le vendeur blafard redouble de glapissements et s'impatiente des lenteurs du rustre; Nelis devine qu'on les engage à se décider. Ils obstruent la circulation de la chalandise. Il met la main à la poche, mais au dernier moment il se ravise. Leur mère l'a chargé de quelques petits achats pour lesquels son gousset, même lesté du prix des chardonnerets, ne contient rien de trop, surtout que la journée est longue encore et qu'il faudra manger tout à l'heure. Il prend le bras de Fons et passe outre.
Au moment de quitter le bazar, une tentation autrement forte les cloue sur place:
Pour reconnaître la docilité de Bol, son maître s'est proposé de lui faire cadeau d'un collier. Or, en voici des colliers et des plus coquets. Bol - demandez plutôt à Fons - est déjà le plus joli chien de la terre, il ne lui manque qu'un collier de ce genre pour en devenir le plus glorieux. Cette fois, le combat que se livrent le désir et la raison de Nelis, est réellement douloureux. Ce n'est, encore une fois, pas plus d'un franc cinquante que lui coûterait cette fantaisie. Il est irrésistible ce collier en cuir rouge, orné d'une plaque de cuivre et muni d'un grelot! Lorsqu'il ne s'agit que de lui-même,
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Nelis se prive assez facilement d'une fantaisie; mais Bol est en jeu cette fois!
Fons est plus perplexe encore que Nelis. Conscient de l'envie que son meilleur ami avait de la pipe neuve, il brûlait de la lui offrir et de la payer avec son ‘double franc’. L'idée de contrarier l'aïeule l'a arrêté. Et maintenant la même envie lui revient plus pressante, plus impérieuse encore, car en achetant le collier il ferait deux heureux: Nelis d'abord. Bol ensuite.
Ouf! Il y a autant de regret que de soulagement dans le soupir qu'ils poussent lorsqu'ils s'éloignent du bazar; vainqueurs, tous deux, de leur tentation, mais du moment qu'il n'a pu faire présent du collier à Nelis, Fons est presque heureux que l'autre ne l'ait pas acheté.
Cependant, au dehors, le mouvement de la rue les distrait; d'autres spectacles détournent le cours de leurs idées; ils ont oublié la pipe et le collier, et Nelis avoue que, décidément, il calomniait sa vieille bouffarde, qu'elle n'a jamais été meilleure qu'aujourd'hui.
Il est midi, depuis longtemps. Après qu'ils ont fait les emplettes pour la mère, Nelis accoste une colporteuse de victuailles et lui achète quelques oeufs durs et un saucisson. Accompagné d'un quignon de pain et arrosé d'un demi-litre, c'est là un dîner exquis que font les inséparables, attablés à la porte d'un estaminet.
Repus, ils s'amusent à voir défiler les promeneurs endimanchés, les bourgeoises au bras de leurs maris, les enfants marchant devant les parents, les poupons sur les bras des bonnes, et les bandes de soldats éméchés, et les ballons en baudruche planant au-dessus de la houle humaine. Ils sont fatigués d'avoir trotté tout le jour; savourent leur silence et leur immobilité dans le brouhaha de la cohue. Ils ont décidé d'attendre, ici, à proximité de la gare, l'heure de rentrer au village. Le sifflet d'un train en partance, le halètement d'une locomotive qui chauffe, le fracas d'un convoi qui stoppe ou
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qui s'ébranle, les tirent par intervalles de leur torpeur. Ils vérifient alors l'heure au cadran du cabaret, puis, rassurés, ayant encore du temps devant eux, retombent dans leur contemplation.
Peut-être sentent-ils peser sur eux cette mélancolie de la chute d'un jour de fête, à la ville; le déboire des fins de congé, des retours de parties de plaisir contrastant d'une façon si poignante avec la gaieté et la confiance du matin, lorsque les gens débarquent, pimpants et guillerets, avec la perspective de consacrer un jour entier à leur distraction?
Le corps débile logeant souvent un rêveur, au moins ce graduel changement d'atmosphère et de décor doit-il solliciter les nerfs plus éveillés du Bancal.
Au matin: les ablutions et les savonnées intrépides, les cheveux bien peignés, les visages frais, les yeux clairs, les blouses lustrées, les pavés nets, les pas redoublés des fanfares, le marché aux fleurs, les promeneurs allègres, la bourse garnie, les saines fringales, l'orgue et l'encens des églises...
Au soir: les vêtements moites et poudreux, les tignasses échevelées, les figures échauffées, la sueur, la lie, les yeux injectés, le gousset vide, les lentes allures, les jambes qui flageolent, les bouquets fanés, les chiens perdus, les trottoirs déshonorés, l'assaut des urinoirs, les orchestrions des cafés, la débandade des orphéons, époumonés, dans l'énervement des crépuscules...
Peu habitués à la boisson, car il est rare qu'ils se paient un verre de bière les jours ouvrables, les Godziel commencent aussi à se sentir la tête lourde; Nelis surtout, qui a lampé depuis le matin quelques litres de plus que Fons.
Tandis qu'ils s'abandonnent ainsi à la douceur du rien faire, survient une bande de paroissiens de leur bourgade. On se reconnaît et on se hèle. Histoire de trinquer
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avec ces nouveaux venus, de célébrer l'agréable rencontre.
A cet effet, Nelis commande une tournée. Les verres servis et vidés, un des paysans de la bande lui rend sa politesse. De plus en plus gris, et en veine de prodigalités, le fils Godziel revient à la charge et offre à la compagnie le coup de l'étrier, mais sur le point de commander le genièvre, le brave garçon s'aperçoit qu'il n'a plus assez de monnaie et communique son embarras à son compagnon.
Fons n'a gardé que sa pièce de deux francs. Presque aussi marri que le matin, mais tout aussi ferme, il refuse de la changer.
En un autre moment, Nelis approuverait l'obéissance et la sagesse de son pupille et n'aurait même pas songé à lui demander un service incompatible avec son devoir filial; mais la bière a dérangé momentanément sa tête, au digne garçon, et au lieu d'entendre raison, il insiste, non sans humeur. - Oh fi! c'est la première fois! - auprès du petit Fons.
Le Bancal tient bon, non sans que la dureté inaccoutumée du ‘grand frère’ lui fasse venir les larmes aux yeux.
Si Fons chérit Nelis comme jamais être fait de chair et d'âme n'aima son semblable, il ne porte pas une affection moindre à la grand'mère Godziel et il encourra plutôt l'injuste déplaisir du cher bourru que de mériter les reproches de la sainte femme.
- Nelis! Nelis!... tu sais bien que grand'mère me l'a défendu...
Le pauvre enfant ne trouve que cette réponse à faire au grand ami qui le met à la torture. Si sa foi dans l'intelligence de Nelis pouvait être ébranlée, elle le serait de ce coup!
Les autres que l'ivresse insolite de l'Oiseleur, le compagnon le plus sobre du village, divertit comme un phéno- | |
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mène, comme un miracle, et que dans ses effusions de pochard il a mis au courant de son embarras et des scrupules du petit, se gaussent fortement de lui et leurs railleries ne font que l'entêter dans son absurde lubie.
Heureusement, l'horloge sonne l'heure du départ et met fin à cette scène; sinon, dans son ivresse, Nelis se livrerait peut-être sur le Bancal à des extrémités qu'il expierait toute sa vie par des larmes de sang.
Encore une fois Fons a sauvé la belle pièce blanche. Et les paysans regagnent le train sans avoir humé cet alcool que le fils Godziel entendait leur offrir.
Lorsque Fons a voulu marcher comme toujours aux côtés de Nelis, celui-ci l'a repoussé en lui disant: ‘Vat'en, mauvais coeur! capable de laisser ton frère dans l'embarras!’
Jamais Fons n'a souffert autant de la vie. Montés dans leur compartiment il a beau se blottir tout près du boudeur et lui envoyer les plus tendres caresses de ses grands yeux bleus. Nelis lui tourne le dos et affecte d'ignorer sa présence.
C'est leur première querelle! Que dira la grand'mère!
- Et pourtant j'ai raison! se répète le petit, sans que cette conscience d'avoir raison parvienne à le consoler. C'est même fort douloureux d'avoir raison contre Nelis?
La rancune de Nelis persiste lorsqu'ils sont arrivés au village.
Ils approchent du logis. Nelis a toujours l'air de ne plus connaître son inséparable, son bienvoulu.
La mère Godziel les attend sur le seuil.
- Eh bien, les garçons? De quel enterrement revenez-vous?
- J'ai subi un affront devant les farauds du village! répond Nelis à sa mère. Pour quelques centimes il a livré son frère au ridicule. C'est un avare, un Judas...
Et l'Oiseleur regagne sa mansarde, sans embrasser le petit et en rabâchant des reproches.
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- Bah! se dit la mère, il aura bu un coup, notre Nelis... Demain il n'y paraîtra plus...
Et au cadet qui lui narre l'origine de la brouille:
- Ne pleure plus, petit homme. Notre Nelis n'est pas sérieux ce soir; il raconte des bêtises dont il ne pense pas un mot... Tu t'es conduit comme un brave enfant. Embrasse-moi!... Et pour ta récompense je te permets de dépenser tes deux francs à ta guise, la première fois que tu iras à la ville.
Cette permission paraît avoir un peu calmé le désespoir de Fons.
- Mère! fait-il en la câlinant, je voudrais bien y retourner demain, à la ville. Le temps d'aller et de revenir. Oh! dis oui...
Pourquoi faire?
- Oh! Rien de mal... Tu verras.
Il a eu tant de chagrin le petit béquillard que la bonne femme ne peut que lui accorder sa demande.
D'ordinaire, en semaine les deux garçons ne se voyaient pas avant le dîner; Nelis se rendant plus tôt à l'ouvrage que Fons.
Ce lundi, lorsque le charpentier rentra le premier à midi, honteux, mécontent de lui-même, cherchant le meilleur moyen de mettre un baume sur le coeur qu'il avait meurtri, il ne pensa point à appeler son chien pour lui faire répéter son répertoire de tours.
Peu habitué à cette indifférence de la part de son maître, Bol accourut et, pour attirer l'attention du songeur, joignit à ses jappements bien connus, un accompagnement de grelots, tout à fait inusité.
Et Nelis, arraché à ses réflexions, vit alors au cou de son favori le collier si ardemment convoité la veille.
Il comprit, courut à l'apprenti qui rentrait à son tour, le souleva de terre, et le pressa contre sa poitrine sans trouver d'autres paroles que ‘Mon Fons, mon cher petit...’
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