E. du Perron
aan
Julia Duboux
Brussel, 5 april 1925
Bruxelles, 5-4-25
1h. 15 du matin
Ma chère Julia,
J'ai besoin de vous écrire, pour pouvoir m'endormir après. Je veux aussi vous écrire, avant de recevoir votre lettre, la réponse que j'attends. Je viens de traverser une espèce de fièvre (avec sifflements, râles, grattement du cuir chevelu - déjà pas très chevelu chez moi, et autres amusements), j'ai passé une tout-à-fait émouvante journée, avec querelle en public - je n'y suis pas habitué du tout, au fond je suis très sensible - et histoires après. Un monsieur m'a déclaré qu'‘ici en Belgique’ la politesse importe beaucoup et un autre monsieur - monsieur Max Jacob - en m'écrivant me conseille de prier Dieu: parce que ‘cela porte bonheur’. C'est beaucoup, quand à force de lire, de sortir peu, de faire tout de même l'amour, on s'est déjà approximativement suicidé.
En ce moment je me sens très loin de vous. Je puis donc sérieusement vous écrire. J'ai quelques choses à vous dire. Que je ne vous ai jamais menti lorsque je vous disais des ‘Je vous aime’. Que pourtant, et vous l'avez senti mieux que moi, il y a eu éloignement entre nous. Je considère cela comme très salutaire, et comme très normal, pour le moins. Dieu (pour faire plaisir à M. Jacob?) nous empêche de nous lier romantiquement. Pour se marier il faut, pour le moins, ne pas être malade. Cela porte malheur à la progéniture. Pour le moins - si j'ose le redire.
Eh bien, froidement raisonnant: je trouve logique, normal, sain, désirable, louable, intelligent, gentil, bien et en deux mots fort bien, que je vous aime et que je n'aime que vous. Le mariage est beaucoup moins ridicule qu'il n'en a l'air, surtout quand on ne l'exécute qu'à deux. Je ne vois pourtant qu'une femme avec qui je pourrais me marier: vous. (Vous Ma Dame.)
Ne croyez pas que ceci est une répétition inutile. À certaines heures qu'on ne choisit pas, qque chose qu'on redit devient une vérité tout battant neuve. Si je me marie dans un assez bref délai, ce sera sans aucun doute avec vous. Vous avez tout simplement des qualités que d'autres femmes sont bien loin de posséder.
Mais pour que nous nous épousons il faudrait absolument que nous nous revoyions, si possible sans être amoureux l'un de l'autre. Soyons même, si possible, quelque peu amoureux de quelqu'autre. Puis on verra. On verra mieux ainsi; dit-on.
Je vous ai dit un jour que j'aimerais vous reconquérir. C'est une impression qui ne m'a pas quittée, qui au contraire a pris de plus en plus forme. Anti-platement - laissez-moi essayer de vous reconquérir. Courez le risque que je ne l'essaierai peut-être pas: le risque, si vous m'aimez, et le risque, si vous ne m'aimez pas. J'aimerais croire, j'ose l'avouer, que Dagobert ne vous est pas resté indifférent. Qu'il a forcé votre admiration, armé ou non de M. Faure (Elie). De là à toutes les possibilités - Et le reste importe assez peu.
Si je vous retrouve (quand?) je ne serai donc que le monsieur qui revient et repart - partirons-nous ensemble? Si non, je me plaindrai sans aucun doute beaucoup, car si je ne me marie pas avec vous, sans aucun doute je me marierai malgré moi ou de plein gré avec quelque femelle très stupide.
Ecrivez-moi, Julia-dearie. Sans aucun doute vais-je maintenant dormir. N'oubliez pas, surtout, que de toute(s) façon(s)
I only love you, je vous aime.
E.
Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum