E. du Perron
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Julia Duboux
Brussel, 1 april 1925
Bruxelles, 1-4-25.
Ma chère Julia,
Je vous félicite beaucoup, vous aussi. J'ai retenu deux choses: votre admiration pour Mademoiselle la Fiancée de votre frère, et votre inquiétude à l'égard de Jacques lui-même. Le mariage qui fondra les deux en un, fera-t-il aussi un harmonieux ensemble de vos sentiments? Pardonnez-moi ce style fleuri, je viens d'écrire un billet de bons souhaits à vos parents.
Ce mariage - au fait - ce mariage (qui fondra les deux en un - unique et indivisible?), ce mariage m'a beaucoup touché. Les détails que mon ami me donna furent pourtant mystérieusement incomplets. ‘Les circonstances pour le moins extraordinaires’ dit-il; puis plus rien. Avouez que c'est un peu fin de chapitre de roman-feuilleton.
Piqué par un vif curiosité - celui du lecteur des romans à clef - je m'adresse à vous, après vous avoir dûment félicitée. Si je ne l'ai pas fait dûment, je suis prêt à le refaire. Dans le blanc qui suit - et qui se marie si bien à tout mariage - vous trouverez donc une nouvelle formule pour présentation de souhaits, et cette fois-ci vous en serez contente, je le jure, car vous voudrez bien, n'est-ce pas, en pensées la faire vous-même.
Ne pourriez-vous pas aussi m'envoyer une liste des invités?
Maintenant, ma chère Julia, si vous me croyez digne de quelques mots, écrivez-moi - sur Jacques ou autre chose. Entre nous soit dit: j'espère que Jacques et sa Fiancée sont passés par les plus épouvantables péripéties avant d'arriver à cette si belle fin. J'espère que et vos parents et Madame F. aient été forcés, diaboliquement - ou angéliquement - de capituler et de donner (ou même ne pas donner) leurs bénédictions. J'espère que Jacques, en vrai décivilisé ait fracturé des portes, escaladé des fenêtres, et d'une volonté de fer, s'est imposé comme amant avant - et afin - d'être mari. Si sa Fiancée, pour prouver, elle, son dévouement à l'homme qu'elle aime, ne s'est pas donnée à lui sous les yeux écarquillés de toute sa famille! hélas Ma Dame, je m'avouerais déçu.
Ecrivez-moi, I beseech you. Vous avez été très longtemps très silencieuse; c'est pourtant moi qui vous ai écrit (et assez longuement fût-ce bêtement) le dernier.
Comment allez-vous?
Que faites-vous?
Qu'est-ce qui vous arrive?
Qui aimez-vous?
Que pensez-vous?
Que lisez-vous?
...Et enfin: m'aimez-vous? Je vous aime. Ceci sonne presqe comme un mensonge, n'est-ce pas? c'est peut-être pour cela que c'est si doux à dire. Et croyez-le; croyez toujours; les vérités qui ressemblent à des mensonges sont les plus profondes vérités. Grattez le mensonge, vous trouverez la vérité. à la surface: ‘Je vous aime’ - au fond, ‘Je vous aime tant et tant et tant; je n'aime que vous’. C'est encore un mensonge? Alors, grattez davantage. Creusez. Mon sentiment pour vous est un sentiment de fond.
Je vous baise la main.
Votre E.
Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum