Quatre mois chez les comitadjis. Meurtriers patentés

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Comment les Comitadjis organisent là jeunesse

L'âge le plus propice pour apprendre des balivernes est entre 12 et 22 ans..... Longtemps après que les fontanelles se sont fermées, le jeune cerveau reste ouvert à toutes les doctrines contradictoires et c'est souvent la plus violente et la plus romantique qui l'emporte.....

Le rédacteur d'un grand journal de Sofia me faisait part de ces réflexions entre deux chichas bien grillés. Avec les chichas il dévora un piment vert et, pour rafraîchir son gosier en feu, se versa du vin rouge.

- Regardez, me dit-il, comment l'homme s'accorde avec ses principes! A 18 ans, j'étais farouchement végétarien et sobre. Lorsque mon frère buvait de la ‘slivovitza’, je fulminais. Et maintenant..... - ‘Garçon, encore deux decis de vin rouge et quatre chichas!’ - Ah! mon cher, la jeunesse sera toujours pareille. Seules varient les doctrines pour lesquelles elle se bat. Hier, les principes éthiques; aujourd'hui, la politique. Chaque adolescent qui se respecte se fait enrôler a son quinzième anniversaire dans une brigade de choc: peut importe qu'elle se dénomme S.A. hitlérienne, ‘Giovani Italiane’, les avant-gardis-

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tes de Mussolini, jeunesse communiste ou jeunesse comitadjienne.....

- Alors, les comitadjis font de la propagande parmi la jeunesse, comme tous les partis extrèmistes?

- Mais naturellement et même avec beaucoup de succès. Vous trouverez des ‘Jeunes Comitadjis’ non seulement en Macédoine bulgare mais aussi en vieille Bulgarie. Interrogez nos étudiants!

Aux vacances de Pâques je me trouvais entre Karlovo et Kazanlik, dans la vallée des roses. Partout je remarquai les casquettes d'aspect militaire que portent les étudiants bulgares; avant d'avoir questionné les jeunes gens, j'avais déjà découvert en eux la foi politique de leurs pères.

En effet, la religion la plus forte en Vieille Bulgarie, c'est le culte de Stamboulisky. Dans le hall de l'hôtel je trouvai deux portraits du grand tribun vénéré. L'hôtelier portait à sa boutonnière une petite médaille avec le portrait de Stamboulisky. Dans les cafés, des enfants pauvres proposent de petits calendriers. Il y en a deux différents: l'un avec l'image du héros national bulgare, Christo Boteff, l'autre avec celui de Stamboulisky. Dans l'autobus qui m'emmène vers Karlovo, le chauffeur entonne une chanson sur Stamboulisky. Qu'est-ce que l'on chante dans les champs de roses? Encore une chanson sur Stamboulisky. Le fils de l'hôtelier, un jeune homme de 17 ans, élève de l' ‘American College’ de Sofia, m'accompagna dans ma promenade. Je le prie de me traduire la chanson:

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‘Ils l'ont tué et, maintenant, il est devenu notre Dieu!.....’ commence-t-il.

- Et vous et vos camarades, que pensez-vous de tout cela?

Il haussa les épaules:

- Stamboulisky était un grand politicien qui a commis beaucoup de fautes..... dit-il vaguement.

- Vous ne semblez pas très enthousiaste! Votre père est agrarien. Mais vous?

- Moi? Egalement agrarien. Quand j'aurai obtenu ma licence en droit, je veux devenir député! ajouta-t-il, en rougissant.

- Vous aurez la vie dure! Vous ne craignez donc pas la V.M.R.O.?

- Non, et voici pourquoi. J'ai beaucoup d'amis à l'école qui vont devenir comitadjis, quand je serai au Sobranié, je m'arrangerai avec eux.....

En voyant ma mine stupéfaite, il s'arrêta net.

- Vos amis vont devenir comitadjis comme vous, avocat?..... Alors, vous considérez cela comme une carrière? C'est du joli! Et que sontils, les pères de vos amis?

- Quelques-uns démocrates mais la plupart agrariens.

- Mais dans la vie?

- Fermiers ou commerçants.

- Et, en retour de la bonne éducation qu'ils s'efforcent de donner à leurs fils, ces garçons veulent s'affilier à une bande de voleurs et de meurtriers?!.....

Mon jeune ami se fâcha.

- Ce n'est pas vrai! Les comitadjis luttent contre les Serbes! Ce sont eux qui protègent nos

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trésors nationaux. Car le gouvernement est trop faible; sans eux, les Serbes auraient tôt fait d'envahir notre pays pour nous voler les mines de charbon de Pernik, dont ils ont grand besoin...

- Qui vous a raconté cela?

- Mon professeur, au collège.

- Il vous raconte des mensonges. C'est de la propagande belliqueuse pure et simple. La Serbie que vous continuez toujours à séparer de la Yougoslavie dont elle est partie liée, ne veut pas de votre charbon. Elle en a trop elle-même. Si vous aviez voyagé de Sarajevo à Belgrade, vous sauriez qu'il dégage déjà pas mal de fumée. Mais le vôtre en produit tellement qu'à Sofia, tout le quartier autour du bain public est perpétuellement recouvert d'un voile noir. Peut-être est-ce symbole car les Macédoniens s'entretuent précisément dans ce quartier!

- Comment, vous, pouvez-vous ironiser sur des problèmes aussi sérieux? Vous ne savez donc pas que les Serbes maltraitent nos frères en Macédoine? Ils y tuent les Bulgares sous le moindre prétexte!

- C'est encore de la propagande. En Yougoslavie le régime est sévère, mais chaque citoyen yougoslave est sûr de sa vie. Ici on n'en peut pas dire autant, malgré votre soi-disant démocratie. Vous êtes un Slave du Sud vous-même; votre professeur ferait mieux de prêcher l'entente et le rapprochement au lieu d'entretenir une lutte stérile autour de la Macédoine. Vous ne comprenez donc pas que le jour où Bulgares et Yougoslaves se réuniront, le problème de la Macédoine sera résolu? Or, ce sont justement les comitad-

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jis qui empêchent ce rapprochement, parce qu'ils vivent de la lutte entre les deux pays. Ils comprennent très bien que les grenouilles meurent quand on assèche le marécage. Ils tuent les Bulgares dans leur propre fief!

Quelques camarades de mon compagnon, futurs comitadjis, s'étaient joints à nous; tous protestèrent, en m'affirmant qu'ils connaissaient l'Organisation et la Macédoine mieux que moi, simple étranger qui parlait à peine leur langue.

- Une question? hasardai-je. Qui de vous a été en Macédoine bulgare?

Ils se turent. Enfin un grand gaillard dit:

- Moi; je suis allé à Rilski Monastir.

- Ce n'est pas la Macédoine. Allez-y cet été tous ensemble! Le paysage est joli et propice au camping. Je vous propose un pélerinage à Melnik, sur la tombe de Todor Alexandroff! Mais ouvrez. tout grands vos yeux et parlez avec la population! Si à votre retour en septembre, vous avez encore envie de devenir comitadji, j'offre à chacun de vous un beau parabellum!

Mes jeunes amis se mirent à rire.

- Vous en aurez besoin, continuai-je, dans la prochaine guerre civile pour tuer vos pères et vos frères, ces abominables agrariens!

Ils rirent de plus belle.

- Vous ignorez donc l'histoire de votre guerre civile et le rôle des comitadjis dans cette orgie de meurtres?

- Nous étions trop petits et nos professeurs nous ont dit que les récits de ce temps-là étaient bien exagérés.....

Voilà comment on endoctrine la jeunesse en

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Bulgarie! En dehors des nombreuses ‘Mladejka Organizatsia’ de la Macédoine bulgare où l'on enrégimente la jeunesse de force, il existe deux autres groupements: l'un à Sofia, l'autre à Plovdiv. Dans les autres villes et villages de la Vieille Bulgarie: rien. Et pour cause. Un paysan bulgare, apprenant que son fils, étudiant à Sofia, est devenu comitadji, le rappellerait à la ferme pour lui administrer avec juste raison une sévère correction. Aussi les petits comitadjis de la Vallée des Roses me prièrent-ils de ne pas rapporter leurs aspirations à leurs pères!

L'organisation est secrète, ce qui constitue une bonne part de l'attirance. Il en est de même pour la jeunesse bulgare qui peuple les universités à Paris, Graz, Vienne et ailleurs. Beaucoup sont devenus ‘comitadjis’ par idéalisme d'abord, par goût du mystère et de l'aventure, ensuite. S'ils n'avaient pas à prêter serment sur le revolver et le poignard, ils seraient beaucoup moins enthousiastes. Et s'ils allaient faire un tour en Macédoine bulgare, ils ne le seraient bientôt plus du tout. Mais ils n'y vont pas. Ils se contentent de lire Svoboda ili Smert et d'en répéter les mensonges dans leurs organes à eux. Celui des étudiants macédoniens en France, La Jeunesse Macédonienne est particulièrement bien rédigé. Du point de vue typographique, bien entendu. Lorsque parurent Les Comitadjis d'Albert Londres, La Jeunesse Macédonienne protesta contre les ‘mensonges’ du journaliste français. ‘Pour réfuter tous les arguments de Londres, écrivèrent-ils, il nous faudrait un article d'autant de pages que son livre.’ Ce pourquoi ils préférèrent

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se taire et consacrer la plus grande partie de leur fascicule à des documents turcs tendant à prouver que la Macédoine est uniquement peuplée de Bulgares.

Sans doute, beaucoup d'étudiants ont un point de vue plus large. Mais ils ne peuvent plus battre en retraite: la V.M.R.O. les a achetés et sans l'aide financière de Sofia ils seraient contraints de se priver de tout.

Il ne faut pas néanmoins s'exagérer le danger des jeunesses comitadjiennes. Car sur cent jeunes gens en Bulgarie, deux au plus veulent jouer au brigand. Soixante n'ont pas le temps de jouer du tout: ils travaillent la terre. C'est la jeunesse paysanne, disciple de Stamboulisky dont le programme se résume dans ces trois mots: rapprochement, paix, démocratie. Et les autres? Ce sont les instituteurs, les étudiants, les petits employés; tous ceux, qui, en Bulgarie, jouent le rôle d'intellectuels et se croient dans leurs mauvais vêtements de confection, bien supérieurs aux masses paysannes vêtues, elles, de laine grossière.

Ceux-là son communistes. Stamboulisky avait dompté l'ours maigre venu de Russie fort simplement en lui donnant à manger; mais les divers gouvernements fascistes qui se sont succédé en Bulgarie depuis l'assassinat du grand tribun bulgare lui ont seulement fait couper les oreilles et la queue par les comitadjis, bourreaux officiels. Depuis, notre ours ne décolère pas. Il a un grand frère, pas bien loin, et s'il allait l'appeler, il pourrait se passer des choses qui feraient trembler même l'intrépide Vantché. Heureusement qu'il a toujours sa cachette bien à lui, cette fameuse vallée ‘très loin en Yougoslavie’!