Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermd[Brieven 1894]Aan Emile Zolaaant.‘Rheinischer Hof’, 1 Percy-Street London w. 1.1.94
Monsieur,
Permettez-moi de vous adresser tous mes remerciements pour l'intérêt que vous avez bien voulu me porter et pour les démarches faites dans l'intention de me faire remettre en liberté.Ga naar eindnoot1 C'est par ma femme, | |
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arrivée à Londres avant-hier, et par les journaux qu'elle a apportés, que j'ai appris combien vous avez été aimable à notre égard. Durant mon incarcération, tant à Paris qu'au Hâvre, je n'ai pu voir de journaux et j'ai consacré la journée d'hier à en lire une grande quantité. Faut-il vous dire que tout ce que la police a inventé sur mon compte est mensonge et infamie? Invention le fameux tubeGa naar eindnoot2 destiné à recevoir une charge explosible; Invention mes prétendues lettres ‘témoignant d'une haine violente contre la France’. Quant à l'accusation d'espionnage, imaginée par des mouchards à court d'arguments, vous me permettrez, n'est-ce pas, de passer outre. La chose serait risible si elle n'était pas immonde. Plusieurs journaux dans les meilleures intentions sans doute, ont atténué, voire même nié mon anarchisme. Je tiens à vous dire que je suis tout ce qu'il y a de plus anarchiste. Mais je ne pense pas qu'un délit d'opinion puisse ‘légitimer’ - pour me servir d'une expression déplaisante - des rigueurs que je viens de subir.Ga naar eindnoot3 Depuis vingt mois - exactement depuis le 1 mai 1892 - je n'avais mis les pieds dans une réunion publique et ce jour-là je n'ai nullement tenu les propos ineptes que m'a prêtés une certaine presse. J'étais en France depuis, cinq ans et demi, j'y étais même ‘admis à domicile’ par un décret du 29 mars 1890, et je n'attendais que la réprésentation d' ‘Ames Solitaires’ pour obténir ma naturalisation. Je n'ai nullement ai expulsé, quoiqu' en dise la police dans les notes qu'elle prodigue, à la suite de découvertes compromettantes faites dans mes papiers. J'ai été arrêté le dimanche 10 décembre, et le onze au matin, lorsque j'eus à subir les arpentages du nommé Bertillon,Ga naar eindnoot4 je vis sur ma ‘fiche’ que j'étais expulsé. Ce n'est que le soir de la même journée que les scellés, apposés sur ma correspondance - dont, par parenthèse, rien ne m'a été rendu: ni papiers de famille, ni lettres intimes - furent enlevés. J'étais donc, arrêté, jugé et condamné, avant toute enquête et le policier-provocateur Fédée,Ga naar eindnoot5 chargé de mon ‘affaire’, ou plutôt: chargé de me ‘faire mon affaire’ crut spirituel de me dire que, si je remettais les pieds sur le territoire français, après en avoir été expulsé, il m'encuirait. Joignez à ceci - pour bien vous rendre compte combien la police craignait la publicité dans toute cette histoire - le refus de tout sursis dans l'exécution de l'arrêté pris contre moi, le secret absolu où l'on me tint durant douze jours et, pour finir, mon mystérieux et nocturne | |
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embarquement pour le Hâvre - en voiture cellulaire, chaînes aux pieds! - embarquement que l'on avait laisser ignorer même à ma femme que j'avais vue le jour de mon départ. Il va sans dire que je ne ferai moi-même aucune démarche, ni surtout une concession de principes, pour rentrer en France, ce que, pourtant, je désire avec ardeur. Mais si des amis veulent essayer de faire rapporter mon arrêté d'expulsion, je leur en saurai qu'infiniment. En cequi vous concerne, je suis votre obligé à plus d'un titre. ‘Germinal’ que je lus, il y a quelques années, en captivité, aux Indes, a fait de moi le conscient et incurable revolté que je suis. Je vous en ai toujours aimé. Des journaux ont raconté que j'avais traduit toutes vos oeuvres en hollandais et en allemand. Cela n'est pas - ai-je besoin de le dire? - [vrai] et je n'ai jamais raconté à personne pareille chose. Je n'ai traduit de vous - avec votre autorisation - en hollandais, que votre ‘Au Bonheur des Dames’ et ce tendre et délicieux conté: ‘Le Sang’, dont je vous ai remis, personnellement, la traduction, parue dans le journal ‘Recht voor Allen’. Agréez, Monsieur, l'assuration renouvelée de mon absolu dévouement.
Alexandre Cohen
Je fais recommander mes lettres pour m'offrir quelques vagues guaranties contre d'éventuelles disparitions de correspondances. |
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