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Le Parjure.
‘Ton père, ô mon cher fils, est affaîbli par l'âge;
Son poste t'appartient; va, ne perds pas courage;
Dieu veillera sur toi: sa puissante bonté
Maîtrise la tempête et le flot irrité.’
Ainsi d'un vieux marin s'exprimait la tendresse,
Au moment où, d'un fils instruisant la jeunesse,
pour la première fois, vers des bords étrangers,
Sa voix l'encourageait à braver les dangers.
Les dangers!..... Du vieillard l'expérience habile
Voyait à l'occident un point noir, immobile,
D'un orage prochain sinistre avant-coureur.
‘Ah! dit la fiancée, en tremblant de terreur,
Je vois pâlir pour moi les roses d'hymenée;
Cher Tom! comment peux-tu t'arracher de mes bras?
Tout mon coeur s'est glacé; Tom, ne t'éloigne pas!’
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- ‘Il le faut, reprend Tom; car mon devoir l'exige.
Mon devoir est plus fort que le sort qui t'afflige.
Betzy, ne tremble pas et retiens ces sanglots:
La Providence aussi commande sur les flots.’
- ‘Eh bien! jure-moi done que si jamais l'orage
Menace ton vaisseau des horreurs d'un naufrage,
Le premier, pour Betzy, tu sauveras tes jours.’
- ‘Je le jure! et que Dieu soit alors mon secours!’
Des adieux, un baiser, et la main du vieux père,
Et Tom, tout résolu, prêt à quitter la terre,
Est déjà sur le port. - Atteinte au fond du coeur,
Betzy s'efforce envain d'étouffer sa douleur.
Agitant son chapeau, Tom la salue encore,
Et de loin semble dire à celle qu'il adore:
‘Je pars l mais à tes voeux si je suis arraché,
Aux bords qui lui sont chers mon coeur reste attaché!’
Tom disparaît enfin. Betzy pleure et soupire.
On roulait le dernier tonneau sur le navire,
Le dernier matelot de la ville accourait,
La cloche du départ dans les airs s'agitait:
Femmes, enfans, vieillards, sur le quai se pressèrent;
Le colosse flotte; ses rouages tournèrent;
Et chassée, à grands flots, de son tuyau bruyant,
Une épaisse vapeur jaillit en ondoyant.
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Le signal est donné: fatigué de la rive,
Le vaisseau, qu'on détache, au même instant dérive;
Il s'élance; un houra! retentit jusqu'aux cieux,
Et la rade à la fois répond au cri joyeux.
On admire attentif: sur les vagues profondes,
Trois drapeaux surmontaient la merveille des ondes:
Un de noire fumée, un autre de vapeur,
Le troisième: Amérique!... Et, beau comme un vainqueur,
Leste comme l'oiseau, comme le trait rapide,
Le vaisseau poursuivait, sur l'abîme liquide,
Son cours majestueux; la côte semblait fuir;
L'onde cédait à peine au caressant zéphyr;
Mais un souffle de feu, qui de feu s'alimente,
Dans les flancs embrasés de la barque roulante,
Sans cesse reproduit par un ardent brasier,
Bruissait au travers de ses veines d'acier.
Là, grondait un enfer tout de feu, tout de flamme,
Là, d'un puissant ressort la vapeur était l'âme;
Des deux côtés, la roue, avec un bras de fer,
S'ouvrait, à coups pressés; un gouffre dans la mer,
De ses jantes creusait l'ornière tournoyante,
Battait, avec fracas, la vague blanchissante,
EU, laissant derrière elle un sillon sur les eaux,
Ramait, ramait encore, et tournait sans repos.
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En peu d'heures ainsi s'éclipsa le rivage.
Celui qui par plaisir entreprit ce voyage,
Contemple l'étendue et ressent un frisson;
D'autres qui, par devoir, ont quitté leur maison,
Songent au doux moment où leur vive tendresse
Des charmes du retour, savourera l'ivresse;
Mais celui qui jamais n'alla braver l'écueil,
Soupire et sent rouler une larme en son oeil.
Le soleil qui semblait, vers les ondes tranquilles,
Teindre un lac enflammé qu'entrecoupaient des îles;
L'azur riant du ciel; et la pourpre du soir
Qui des flots colorait l'étincelant miroir;
Tout ramena la joie et bannit le silence.
Les aimables propos, les ris, la confiance,
Animèrent le cercle; et la danse et les chants
Se mêlèrent alors au son des instruments.
Malgré les jeux bruyans et la vive saillie,
Tom reste seul, plongé dans sa mélancolie.
Son coeur est inquiet; il regarde le ciel;
Il pense.... le moment lui paraît solennel.
Son esprit pénétrant, et formé par son père,
Déjà porte les fruits d'un âge plus sévère.
Son âme, noble et grande, au sein de la gaîté,
Insensible aux plaisirs, pense à l'éternité.
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Taciturne, il ne voit que l'onde et les étoiles.
La nuit couvre déjà l'orient de ses voiles:
C'est là qu'il a quitté son vieux père aujourd'hui;
C'est là, là que Betzy versa des pleurs pour lui!
Qu'importent à son ame et les jeux et la danse?
Plein de ces souvenirs, il garde la silence.
Mais l'aspect du couchant, sombre comme un tombeau,
Dans son coeur oppressé jette un trouble nouveau.
C'est l'ouragan! il vient; dans l'air il se balance;
Sa tête touche au ciel; comme un vautour immense,
Ses griffes pressent l'onde, et l'horizon lointain,
Sous ses ailes d'ébène a disparu soudain.
Le tonnerre est sa voix roulant dans l'étendue,
Ses yeux sont les éclairs qui déchirent la nue;
Il s'approche, il-mugit; d'effrayantes clartés,
De momens en momens brillent de tous côtés.
Derrière cet amas de nuages et d'ombres,
Le soleil descendit en les rendant plus sombres;
Une lueur de pourpre, éparse dans les airs,
De rougeâtres reflets teignit l'azur des mers.
Tom s'emut; sur son front, comme un fe qui serpente,
Passa subitement une lumière errante,
Et le monstre orageux, que l'occident vomit,
Des couleurs de l'aurore un instant s'embellit.
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‘Telle est, se disait Tom, telle est notre existence:
Comme ici la vapeur, le temps et l'espérance,
Sur la mer de la vie, en dépit du danger,
Dans un fragile esquif guident le passager.
Confiant en son Dieu, sans redouter l'orage,
La main au gouvernail; il poursuit son voyage.
Plein d'espoir, il regarde, il regarde; et ses yeux
N'aperçoivent partout que les flots et les cieux!’
‘Ce nuage, qu'est-il? le tombeau. - Son image?
La mort. Mais alentour, doux et divin présage,
Brille, dans le lointain, une pure clarté,
Comme un rayon de vie et d'immortalité!
L'effroi s'évanouit; l'âme, plus rassurée,
Aimant à contempler cette lueur sacrée,
Après de sombresjours, voit poindre un jour plus beau,
Et comme un heureux port regarde le tombeau.’
‘Mais malgré les soupirs, les douloureuses larmes,
Le sentier de la vie a bien aussi ses charmes.
Non, non, quelle que soit l'inconstance du sort,
L'existence n'est point un songe avant la mort!
Que dis-je? non, Betzy! les voluptés célestes,
Sans toi, pour ton amant, seraient des biens funestes;
Quand un ange, à mes yeux, descendrait ici-bas,
Non, sans toi, point de ciel: il n'en existe pas!’
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Cependant, si j'en crois l'avenir qui me glace,
Peut-être que la mort, avant que l'heure passe,
Viendra toucher mon front et me ravir l'espoir!....
Quoi! Betzy! quoi! ne plus, te parler ni te voir!....
Mon Dieu, fais-moi rougir de ma crainte! ô pardonne!
Appelle-nous tous deux, tous deux devant ton trône;
Ou, si Betzy doit vivre, ô Dieu plein de bontés,
Laisse-moi t'adorer, amant à ses côtés!
D'un noir pressentiment son âme était frappée.
A sa paupière humide une larme échappée,
Sa prière, ses voeux, et sa noble terreur,
Tout, de ses sentimens attestait la grandeur.
De la voûte des cieux, l'oeil de la Providence
Seul aperçut de Tom la touchante souffrance,
Tandis que la gaîté, parmi les voyageurs,
De plaisirs et de chants enivrait tous les coeurs.
Mais les vents, à la fin, s'élèvent sur les ondes;
La nuit va déployant ses ténèbres profondes;
La musique se tait et la danse finit;
Plus de jeux, plus de joie: on écoute, on frémit.
Tout le couchant s'embrase: un sourd et long tonnerre
S'approche en sillonnant la brûlante atmosphère.
Le nord répond et gronde; et, d'échos en échos,
Les coups suivent les coups prolongés sur les eaux!
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Les bourrasques sont là, terribles, enflammées,
Se heurtant, se mêlant, ainsi que deux armées;
Tous les vents déchaînés les chassent devant eux,
Des élemens rivaux le combat est affreux.
La nuit redouble encore; et son lugubre voile
A passé sur le front de la dernière étoile;
Le char de la tempête au milieu des éclairs,
Et de près et de loin retentit dans les airs.
L'Océan, qui mugit, roule des monts humides:
Le feu croise le feu sur les vagues livides;
De toutes parts, la foudre, en traits étincelans,
Monte, éclate, s'abaisse, et rase les brisans.
A l'entour du navire, épaisse et noire, l'ombre
Plane comme un corbeau dans la nuit la plus sombre.
Cent fois, dans un instant, échangés tour à tour,
Cent fois renaît et meurt et la nuit et le jour!
Le bateau, comme un mur, à travers ces ravages,
Demeure inébranlable. Il brave les orages;
Il avance, lancé, par les flots furieux,
Et tantôt dans un gouffre et tantôt vers les cieux.
Comme un point sur la mer, léger comme la plume,
Il traverse, en volant, des montagnes d'écume:
Sa roue infatigable, accélérant son cours,
Agitée à grand bruit, rame et tourne toujours.
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Tom est au gouvernail, assis, plein de courage.
Le navire éprouvé ne craint plus de naufrage.
Il résiste! malgré les larges coups de vents,
Les tourbillons, la foudre et les gouffres mouvans,
Il sillonne l'abîme au fort de la tempête,
Et poursuit, ferme et fier, son vol que rien n'arrête.
Le coeur de Tom, plus calme, écarte un noir souci;
Il renaît, il revoit ses foyers, sa Betzy!
‘Oui, bientôt, pense-t-il, son amour, ses caresses,
Seront pour moi le prix des plus tendres promesses;
Bientôt le jour d'hymen, en face de l'autel,
Eclairera nos voeux exaucés par le ciel!
L'anneau d'ors, sous les yeux d'un vénérable père,
Scellera pour jamais une union si chère.
Plus de départ alors! plus de pleurs! plus d'adieu!’
Il dit; et, tout à coup, un cri s'élève: ‘Au feu!’
Au feu! quel cri! Le sang et s'arrête et se glace!
Le matelot saisi sent mourir son audace;
Ses cheveux sur son front se hérissent de peur.
‘Au feu!’ redit la voix! - Tom l'entend; ô terreur!
Il frissonne.... Et l'orage, et la foudre, et l'abîme,
N'avaient point ébranlé son âme magnanime;
Mais, à ce cri fatal, tout son corps s'est raidi;
Sans force au gouvernail, il reste anéanti!
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Pâle comme la mort, il descend et s'écrie:
‘Le feu? de quel côté?’ Mais déjà l'incendie,
Déchirant son cratère, arrivait jusqu'à lui.
A ses regards troublés déjà la flamme a lui;
Dans des flots de fumée elle s'ouvre un passage;
Rapide, elle grandit, elle atteint son visage.
Il tremble; et, s'échappant à ce brasier profond,
Recule, cherche l'air et s'enfuit sur le pont.
Il s'élance à la poupe; au milieu des ténèbres,
Ses pas sont éclairés par des lueurs funèbres.
Il glisse l'écoutille, et, presque renversé,
Il voit le feu qui monte avec force chassé.
De cet ardent foyer, une mer d'étincelles
Jaillit, se mêle aux vents et vole sur leurs ailes.
Il ferme le volcan, se décide, et son bras
Fait tourner le vaisseau qui revient sur ses pas.
Il revient, en creusant les orageuses plaines,
Brave encor des autans les bruyantes haleines,
Et va comme l'oiseau qui traverse les mers.
Dans ses flancs, à grand bruit, mugissent deux enfers;
La vapeur condensée et le pousse et le presse.
Son rouage, au dehors, redouble de vitesse;
Il bat la blanche écume, et, sans cesse ramant,
Emporte, sur les flots, le navire fumant.
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Il revient! de l'espoir déjà l'étoile brille:
C'est le phare du port qui dans l'ombre scintille.
Une heure, une heure encor!... Mais, ô ciel! à l'instant,
Un bruit sourd est suivi d'un fracas éclatant:
Le gouvernail se rompt dans les mains du pilote!
Les vents fondent alors sur ce tombeau qui flotte;
Sa poupe tourne au gré de l'ouragan vainqueur,
Et gagne de nouveau l'océan en fureur!
‘Allons, dit Tom; l'esquif dans la mer! à l'ouvrage!
Il en est temps, amis! hâtez-vous!’ L'équipage,
Par a mort menacé, jette d'horribles cris:
La mère, entre ses bras tient ses enfans chéris;
Le père vainement veut cacher ses alarmes;
L'innocence gémit en répandant des larmes;
Chacun prie en son âme; et, jusqu'au criminel
Qui n'a jamais prié, tous implorent le ciel!
Le canon a grondé: c'est le coup de détresse.
Inutile signal! l'univers les délaisse,
Et le bruit de l'airain roule envain sur les eaux:
Il se perd étouffé dans l'orage et les flots.
Le sombre désespoir hurle sa plainte amère.
Tom alors: ‘Compagnons, courage! le tonnerre,
C'est la voix de Dieu même; il comprend vos douleurs.
Ne désespérons pas; il répond à vos pleurs!’
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Et, remplissant les airs de sanglots lamentables,
Se heurtant, se poussant, glissant le long des câbles,
Tous veulent dans l'esquif se sauver à la fois.
Déjà l'ardeur du feu fait éclater le bois,
Vain et fragile obstacle à sa rage nourrie!
A replis ondoyans; le vorace incendie
Perce de tous côtés; et, sur les flots fougueux
Le navire n'est plus qu'une masse do feux!
Quarante sont placés;, dix autres sont encore
Sur le pont chancelant que la flamme dévore.
Mais la barque est remplie! elle est près de sombrer.
Que résoudre, grand Dieu! que faire? qu'espérer?
L'instant est décisif; c'est l'instant qui commande,
Et la nécessité veut une action grande!
Et Tom en sera digne! Il n'a point hésité
Les siens sont là; chacun rattend sa volonté.
‘Aux mains de Dieu, dit-il, notre vie est remise;
L'esquif ou le vaisseau, dans cette affreusé crise';.
Offrent mêmes dangers; dáns l'orage ou le feu,
Il reste peu d'espoir; noire salut, c'est Dieu!
Remettons-lui nos jours; et tous tant que nous sommes,
Attendons sans murmure, amis! et soyons hommes!
Remplissons nos destins! Peut-être que la mort,
Pour notre dévoûment épargnera leur sort.’
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‘Si nous manquons ici de force et de courage,
Et ces quarante, et nous, nous faisons tous naufrage!
L'onde ou le feu, qu'importe? et puisqu'il faut périr,
C'est à bord, c'est ici qu'il est beau de mourir.
C'est notre poste! Est-il un devoir plus sublime?
Une couronne est due au mortel magnanime
Qui sauve un frère,, un seul! Décidez votre choix,
Et vous la méritez ici quarante fois!’
Il se tait. Ces Marins, aussi grands que leur maître,
Lui répondent: ‘Votre âme a bien su nous connaître:
Nous sommes résignés et nous mourrons contens.
Dieu protège, après nous, nos femmes, nos enfans’
Ce mot a frappé Tom: une image chérie
Semblait autour de lui murmurer attendrie.
Il a fait un serment..... ce serment est trahi!...
Il soupire, fait signe.... et l'esquif est parti!
La flamme, dans les airs, pétille, tourbillonne,
Roule de larges flots, ou surgit en, colonne.
Le rouage s'arrête; et, jouet des brisans,
Le bateau flotte et tourne au caprice des vents.
Plus d'espoir! plus de choix! sur le bord de la poupe,
Suffoquée à demi, la courageuse troupe
Se recommande au ciel abandonne un enfer,
S'attache à des débris et se jette à la mer.
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Tom balance un moment; une triste pensée
Arrachait quelques pleurs à son ame oppressée:
Betzy, que sur la terre il ne, reverra plus!
O regret! ô douleur! percé de traits aigus:
‘Betzy, pardonne-moi, dit-il; je perds la vie;
J'ai trahi mon serment!... Dans une autre patrie,
Nous, nous verrons encore!...’ Et, vers ses compagnons,
Il s'élance, en priant, dans les noirs tourbillons.
Le matin calme l'onde et dissipe l'orage.
La barque atteint la côte; et le long du rivage,
Déjà, de bouche en bouche, ont retenti ces mots:
‘Le navire à vapeur a brülé sur lés eaux!’
Betzy tremblante apprend la sinistre nouvelle.
Elle court vers la rive où son effroi l'appelle;
Parmi les pleurs, la joie, elle aperçoit des bras
Etendus vers le ciel; mais Tom ne paraît pas!
Elle demande Tom: ‘Oh! je vous, en supplie,
Dites, où donc est-il? A-t-il, perdu la vie?
- Il est resté là-bas, sans espoir de secours!
Pour sauver notre vie, il a donné ses jours.
Tom est resté là-bas!’. Mais que font à ses peines
Et tous ces étrangers et leurs louanges vaines?
Betzy s'évanouit. Tom a fini son sort:
Elle vivait pour lui; pour elle tout est mort.
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D'une flotte aussitôt la voile se déploie,
Et veut ravir aux mers une si belle proie.
On lève l'ancre, on part, on vole sur les flots.
Betzy reprend ses sens. Avec de longs sanglots,
Déplorant son destin et sa perte fatale,
En sons entrecoupés sa tristesse s'exhale,
D'un amant adoré rappelle les vertus,
Et pleure amèrement les biens qu'elle a perdus.
Tous deux s'étaient aimés dès l'âge le plus tendre...
A des liens si doux tous deux devaient prétendre.
Comme à leurs vieux parens ce choix avait souri!
Comme, dans ce beau jour, Tom, heureux, attendri,
La pressa sur son coeur! Au bonheur destinée,
Qu'elle aimait à rêver ses rêves d'hyménée,
Ses rêves qui devaient couronner son amour!
Toni n'est plus! tout, hélas! est perdu sans retour!
Mais les feux du midi brillent dans l'étendue.
On regarde; un cri part: ‘Les vaisseaux sont en vue!
Ils reviennent!’ A peine ont-ils touché les bords.
- ‘Eh bien! qui'apportez-vous?’ - ‘Infructueux efforts!
Nous n'avons découvert nul débris, nul cadavre,
Nul indice de feu!’ - ‘Dieu! criait sur le hâvre,
La mourante Betzy; s'il a fermé les yeux,
Dieu, rendez-moi du moins ses restes malheureux!’
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La foule, à flots nombreux, se répand surla rive:
Un vaisseau manque encore. Il approche, il arrive:
‘Qu'apportez-vous?’ - ‘Nos soins n'ont, hélas! retrouvé
Qu'un cadavre, qu'un seul! l'art a tout éprouvé;
Mais envain! L'art ne peut rendre un mort à la vie!’
Betzy venait, souffrante et comme aneantie.
Elle avance; elle voit un corps sans mouvement,
S'efforce, vole, à bord..... c'est lui! c'est son amant!
Elle tient embrassé le cadavre livide;
Elle presse du marbre; et, d'une bouche avide,
De cent brülans baisers couvre ce front glacé.
O pouvoir! ô surprise!... Où la vie a cessé,
Le sang reprend son cours! une haleine de flamme
A réchauffé ce sein, a ranimé cettee âme!
Elle sent de ce coeur le battement subit,
Et s'écrie, éperdue: ‘Il vit! ô ciel! il vit!’
Oui! Tom respire! il vit; ce n'est point un vain rêve.
L'art avait commencé ce que l'amour achève:
Ainsi, quand la charrue a creusé les sillons,
Le froment doit la vie à l'astre des saisons.
Sauvé par l'Eternel de l'onde courroucée,
Tom retrouve à jamais sa tendre fiancée.
D'un sublime parjure il devint glorieux:
Un ange l'écrivit dans le livre des cieux!
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