café’, où l'on se retrouvait. C'était sur un coin, dans la rue Digue de Brabant et cela s'appelait le café Albion. A partir de 11 heures du matin on y voyait arriver le peintre Doudelet, Albert Guéquier, les De Busscher; puis, vers midi s'amenait Maurice, la pipe aux lèvres, les poches de son pardessus bourrées de papiers et de journaux. Les lisait-il, ces journaux? Je n'en crois rien; il y en avait trop. Mais il semblait éprouver le besoin de les sentir dans ses poches. Cela faisait partie de son équipement, comme sa pipe et sa blague à tabac. On parlait aussi très peu de littérature et d'art. On racontait plutôt des farces, de ces bonnes farces savoureuses du terroir, qui faisaient rire Maeterlinck d'un petit rire saccadé qui le secouait tout entier. Alors, il y mettait du sien, il racontait des choses énormes, jouissant comme un gosse de ses propres extravagances; il vous peignait une sorte de monde en folie, où la farce prenait des proportions géantes.
D'autres jours, il était plus sérieux; il parlait art et littérature. Il avait alors un geste bref et répété de la main droite, quelque chose de tranchant, qui accentuait ses paroles. Il était loin d'être doux dans ses appréciations. Il exigeait aussi beaucoup de lui-même. Mais il n'aimait pas parler de ses propres oeuvres. Lorsqu'on le mettait sur ce chapitre, il avait pour habitude de couper court en quelques mots qui vous interloquaient: ‘Ah! oui, cette vieille rangaine; cette blaaague...!’ (On eût dit qu'il y avait trois ‘a’ quand il employait ce mot en de pareilles occasions.) C'était chez lui une grande modestie et une sorte de gêne à parler de ses oeuvres. Il s'empressait de détourner la conversation; il vous parlait de choses banales et même terre à terre, pour mettre assez de distance. L'art, chez lui, était une chose profondément vénérée et secrète, qui ne devait pas sortir de son tabernacle.
Nous sommes restés de très vieux et de très fidèles amis. Les circonstances de la vie nous ont éloignés l'un de l'autre, mais jamais il ne reviendra en Belgique sans passer quelques jours avec moi; et, à mon tour, j'ai fait des séjours répétés chez lui, dans tous les endroits où il s'est fixé. J'ai vécu chez lui dans l'ancien pavilion de la rue Raynouard à Passy, avec le beau vieux jardin qui descend vers la Seine; je l'ai visité au château