Il n'est plus. Un jour il nous a quitté, comme on se quitte chaque jour, en se serrant la main, en se disant ‘au revoir, à demain’, et nous ne l'avons plus revu. Brusquement, comme une pierre qui tombe dans un gouffre, il a été plongé dans le Mystère Impénétré. Nous ne le verrons plus; nous n'entendrons plus le son captivant de sa voix. Nous l'avons conduit au cimetière, par ce lugubre après-midi de vent et de pluie, par des rues noires et boueuses, en un long cortège de lentes et tristes voitures. D'innombrables couronnes ornaient de leur étincelante et pure richesse le char sinistre, d'autres étaient portées par des enfants, d'autres encore s'empilaient sur des voitures, à la queue du cortège. Il avait tant d'amis!
Au cimetière, dans le silence des allées désertes, le bruit des pas sur le gravier avait la mélancolie angoissante de sanglots étouffés. Dans une longue avenue toute droite, de tristes arbres de mort, cyprès et saules pleureurs, tordaient au vent plaintif leurs branches nues ou sombres.
C'est là, au pied d'un mur, dans un noir caveau, qu'il repose. Il n'y est pas seul. Près de lui sont les restes de morts qui lui furent chers. C'est là, désormais, sa demeure; et dans cette longue allée de douleur, entre les tombes désertes, sous les arbres de deuil qui se courbent en gémissant aux rafales d'hiver, j'évoque sa pâle et triste image, son souvenir si cher, si cher...
Nul mot n'a été prononcé. Il valait mieux ainsi. Lui non plus ne disait d'inutiles paroles; et la parole émue que l'un de nous eût voulu dire, se fût éteinte en sanglots sur nos lèvres. Il valait mieux ainsi...
Mais moi j'en souffre et j'en pleure, car je sens que sa mort atteint une des racines profondes de ma propre vie...
La Haye, 4 mars 1901.