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Aan dezelfde, te Chaumont (Haute Marne).
Dimanche, 2 Août, sept heures du soir. - Voici la dernière lettre que tu recevras de moi étant en France! La quantième est-ce? J'en ai quinze de toi; les miennes monteront à peu près, je suppose, au même chiffre. C'est énorme, et nous ne nous sommes point épargnés. Quinze lettres de toi! Que d'heures as-tu passées courbée sur ces bonnes feuilles, pensant à moi, me racontant tes petites aventures, me confiant tous les secrets de ton coeur, te donnant à moi coeur et âme! Vraiment, cela me touche d'y penser; jamais de ma vie je n'ai été aimé de personne comme tu m'aimes, jamais je n'ai reçu d'aussi charmantes lettres. Ta lettre d'hier surtout, en particulier les deux dernières pages, m'ont causé un vif plaisir. Après les avoir lues j'ai regretté de n'avoir pas été plus doux la dernière fois. J'aurais dû comprendre que tu me devinerais et que tu entrerais dans mon projet, ainsi que tu viens de le faire effectivement, avant même que je te l'eusse communiqué. Déjà en terminant ma dernière lettre je t'ai demandé pardon des paroles trop dures
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qu'elle pouvait contenir; ici, je te prie de nouveau de ne point m'en vouloir. Cela me ferait trop de peine si tu quittais Chaumont dans l'idée que je n'ai point été aussi aimable envers toi que j'aurais dû l'être. Cela te fera-t-il un peu de bien, durant le voyage, de savoir que ton ami, après ta dernière lettre, t'aime plus que jamais? En effet, plus j'y songe, et plus je suis convaincu que tu es ma femme par droit de prédestination autant que par droit de conquête. ‘Vois-tu, mon garçon, tu ne peux plus...’ etc.: ces paroles de ta lettre m'ont si vivement frappé qui je me suis demandé à moi-même comment les petites femmes s'y prennent donc pour embrasser une position en moins d'une minute. - Je t'ai promis d'abandonner ma résolution dès que je verrais moyen de rester dans l'Eglise. Par une coïncidence assez curieuse il se présente dans ce moment même une occasion d'y rester. Voici de quoi il s'agit. Dans le Kerkelijke Courant d'hier j'ai trouvé une annonce officielle du consistoire de l'église française à Londres, portant que la place de second pasteur dans cette église est vacante. La position n'est pas brillante: 200 livres sterling, ce qui fait environ f 2500. Néanmoins j'ai cru devoir parler de la chose à M. Mounier, que j'étais sûr de voir ce matin à Amsterdam. Comme il ne témoignait aucune surprise en me voyant tout prêt à quitter Harlem pour Londres, j'en ai conclu que lui aussi comprend mon histoire. Tant mieux; en cas de besoin je n'en aurai que de meilleures recommandations du côté de la commission Wallonne dont M. Mounier est président et à laquelle MM. les Anglofrançais ne manqueront pas de s'adresser
si tant est qu'ils laissent tomber les yeux sur moi. Je viens de
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leur écrire; demain matin ma lettre au consistoire partira pour Londres par la même poste que celle-ci pour Chaumont. Veux tu savoir ce que je pense de cette affaire? D'abord je crois avoir très peu de chances de succès, il y aura naturellement tant et plus de jeunes Français que s'empresseront de se mettre sur les rangs et qui seront mieux recommandés que moi. Ensuite je veux bien aller en Angleterre pour apprendre l'anglais, étudier la société anglaise, étendre par là mes connaissances, et m'offrir à moi-même de nouvelles perspectives artistiques, mais je ne dois pas, m'a dit M. Mounier, me faire illusion sur les capacités religieuses du troupeau français de Londres. J'ai toute chance de n'y être pas mieux compris qu'ici. De ce côté-là j'aime donc mieux mon rêve de la Haye ou d'Amsterdam, mon rêve de littérateur pur, prêchant de temps à autre l'Evangile là où l'on veut bien le faire prêcher. Cependant la position à Londres offrirait de certains avantages. Il y a d'abord ceux dont j'ai déja parlé: l'étude de l'anglais, de la littérature anglaise etc. Puis, il est vrai, que j'aurais à prêcher tous les dimanches (il y a deux pasteurs et deux services), mais je ne donnerais que de vieux sermons retravaillés, ce qui serait un véritable soulagement. Enfin, et c'est l'essentiel, je crois qu'il y aurait moyen de nous marier là bas en dépit de nos 200 livres sterling. Nous serions étrangers, et j'ai remarqué, en étudiant par exemple le petit ménage de Réville à Rotterdam, que ces pasteurs étrangers, parce qu'ils sont plus libres et pourvu qu'ils ne soient pas trop bêtes, ont à faire moins de frais de représentation que ceux du
pays. Quel rêve! toi et moi établis à Londres, à la
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City (le temple français est situé par là) dans la terre des Dickens, des Thackeray, des Macaulay! toi et moi, honnêtement mariés et nous embrassant depuis... depuis le matin jusqu'au soir. Mais encore une fois et franchement j'aime mieux l'autre rêve, le rêve, celui de la petite chambre à la Haye ou à Amsterdam, plus volontiers à la Haye, où nous travaillerions ensemble à notre journal, à nos romans, à nos critiques, à nos almanachs etc. J'ignore si ce dernier rêve m'est plus cher, parce que je l'ai moi-même inventé, mais une chose certaine c'est que si l'affaire de Londres échoue je m'en consolerai d'autant plus aisément que cet échec me confirmera dans mon idée primitive de démission et de retraite.
Je ne t'ai rien dit encore de ma prédication de ce matin à Amsterdam. J'ai prêché à la Nouvelle Eglise, devant un très-petit auditoire, du moins comparativement à l'ampleur du bâtiment qui peut bien contenir 600 personnes; il y en avait peut-être 100 ou 125. J'ai répété avec beaucoup de plaisir certain sermon, que tu connais d'ailleurs, sur ‘l'exemple de Jésus,’ le même que Sophie aurait voulu entendre deux fois au lieu d'une. L'auditoire d'A. ne m'a nullement paru partager l'enthousiasme de Sophie. Mais que veux-tu? Je persiste à trouver mes sermons supérieurs, intéressants, chaleureux, passionnés; de leur côté les auditeurs persistent à les prendre pour des ‘traités.’ Qui a raison, de mes auditeurs ou de moi? Imagine-toi que j'eusse tort! et que, comme dit A. de Musset, ‘croyant tenir des pommes d'Hespéride, je pressasse tendrement un navet sur mon coeur’! Imagine-toi que mes sermons fussent vraiment
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méchants et qu'il n'y eût que moi pour les trouver beaux! Ce serait charmant.
Je ne t'ai rien dit non plus de ma journée de vendredi à Zandvoort. Elle a été délicieuse. ‘Soeur Jans’ nous a princièrement reçus: nous avons dîné chez elle à six: pense un peu. Malheureusement ‘le frère Jan’ à la suite de l'affreuse chute qu'il a faite mercredi dernier en s'amusant à la gymnastique, paraissait assez souffrant. Le temps n'était pas fort beau, mais nous avons pu néanmoins nous promener sur la plage en long et en large sans le moindre inconvénient. Partis de Harlem (il y a des siècles que je ne m'étais pas permis une pareille dissipation) partis à une heure et demie de l'aprèsmidi, nous ne sommes rentrés que passé dix heures du soir.
Et maintenant, mon enfant, voilà tes paquets faits! te voilà prête à quitter Chaumont presqu'aussitôt après l'arrivée de ma lettre! Tu reviendras vendredi et nous nous reverrons... Soyons sages, et attendons jusqu'à dimanche. Vers trois heures de l'après-midi (car après la double fatigue du sermon et du chemin de fer j'ai absolument besoin de me rafraîchir tant soit peu à la maison) vers trois heures l'après midi tu me donneras, n'est-ce pas? un de tes longs baisers, un des plus longs, un des meilleurs, un baiser comme il n'y en a pas, comme il n'y en a jamais eu! Le soir, j'en suis convenu avec Jans, nous nous verrons chez Mad. S., je te reconduirai à la maison, tu prieras Sophie de nous laisser décamper de bonne heure, nous ferons une longue promenade, je te quitterai sur le pas de ta porte, et puis, et puis, et puis... Ma foi, je ne sais pas, mais je compte sur toi pour m'assister dans la bonne résolution que j'ai
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prise de t'éviter autant que possible, autant que je pourrai le faire sans affectation. - Adieu, ma mignonne; je te souhaite un bon, un bien bon voyage. ‘Il est dangereux de mettre la tête ou les mains hors des voitures’: ainsi disent les placards des chemins de fer hollandais; y penseras-tu que c'est la même chose en France? Quelle longue série d'heures tu passeras dans ces abominables voitures! Elles n'ont de bon que ceci qu'elles vont vite. - Adieu; bien des choses à Sophie. N'oublie pas de saluer tes parents de ma part.
Ton tout, tout, tout affectionné.
[1857]
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