Brieven. Deel 1. 1847-1876
(1890)–Cd. Busken Huet– Auteursrecht onbekendAan dezelfde, te Chaumont (Haute-Marne).Mercredi après-midi. Hier soir à huit heures, en rentrant, j'ai trouvé ta lettre. La lecture m'en a procuré le seul moment de vrai plaisir que je me rappelle avoir éprouvé ces jours-ci. Ton absence me cause un ennui que je ne puis exprimer, non parce qu'il est trop vif (raisonnablement je ne puis me mettre en colère contre une séparation que ma raison approuve), mais parce qu'il me tient continuellement en suspens. Juge donc de l'effet d'une lettre écrite par toi-même, arrivant tout droit de Paris, et dans laquelle je n'ai pu découvrir que dix fautes de français! C'était un festin. Je ne t'ai pas remerciée l'autre jour du joli petit billet que tu m'as écrit | |
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samedi matin avant de partir. Je le trouvai sur ma table quand je rentrais du boulevard où j'avais été pour voir passer le convoi. C'était une vraie compensation. De même j'ai oublié de te dire ce que j'ai fait du paquet que tu m'as remis vendredi soir. Le croiras-tu? avant de le cacheter et d'y mettre ton adresse, je l'ai ouvert, et me suis mis non pas à relire avec attention mes propres écritures, mais à y jeter par-ci par-là les yeux. Bonté divine! que de sottises je t'ai débiteés dans l'espace de quatre mois! J'en suis un peu honteux, mais le respect dû à ton dépôt m'a empêché de rien déchirer, comme j'en avais envie. Tu trouveras tous les billets, numérotés, et dans le même ordre. - Hier, entre 9 et 10 heures du soir, après que j'eus reçu et relu ta lettre, j'ai été faire une petite visite à Made X. Elle était très-aimable et je l'ai taquinée autant que j'ai pu. Elle m'a parlé d'une lettre d'une de ses amies et dans laquelle il est question de mes Vragen en Antwoorden. Cette amie, qui d'ailleurs ne me connâit pas, ou qui ignore du moins mes relations avec Made X, paraît être extrêmement alarmeé au sujet de mes hérésies. Un jour ou l'autre je tâcherai d'avoir la lettre même ou d'en obtenir un extrait. Lindo a dû partir pour Dusseldorf; sa mère est mourante ou dans tous les cas très-sérieusement malade. Il me demande avec instance des articles pour le Spectator. De ce pas même je vais voir si je n'ai rien à lui envoyer. Adieu donc pour le moment.
Vendredi, 3 Juillet, minuit. Te l'avouerai-je? Je me suis surpris en flagrant délit d'impatience, quand, ce soir à 9 heures, en rentrant, je ne trouvai sur ma table | |
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aucune trace d'une lettre de France. Comment! depuis mardi je n'ai pas eu de tes nouvelles, et tu me laisses crever dans la solitude? et tu me laisses ignorer même l'endroit où tu te trouves dans ce moment? Le diable m'emporte si jamais, après une pareille épreuve, je redeviens amoureux! Ne savez-vous pas, mademoiselle, que ce n'est pas ainsi qu'une honnête femme traite son amant? Et moi qui t'ai écrit chaque jour dans l'ideé que tu en ferais autant! Tu me condamnes à une ignorance absolue, à ce point que, rencontrant ce matin Made X qui me demandait malicieusement de tes nouvelles et qui désirait savoir si tu étais à Paris ou à Chaumont, je n'ai pas même eu besoin de mentir en répondant que je n'en savais rien! Décidément, si, demain matin, à mon déjeûner, je ne trouve quelque preuve visible et lisible de ton existence et de ta fidélité, je me propose de me mettre contre toi dans une furieuse colère.
Dimanche soir, onze heures. Je rentre à l'instant même d'une promenade à Bloemendaal et je trouve ta lettre; quel plaisir! Durant toute la journée d'hier l'inquiétude ne m'a point quitté. Je n'osais te gronder, craignant que tu ne fusses malade ou qu'il ne te fût survenu quelque accident. Tu sais que la sentimentalité n'est pas mon fort; néanmoins je te jure qu'en ne trouvant point de lettre ni hier au soir, ni ce matin au déjeûner, ni cet après-midi (bien que je suis resté à la maison jusqu'à trois heures, après le sermon) j'éprouvais le besoin de m'étourdir pour ne pas retomber dans l'inquiétude. Heureusement, en l'honneur de la fête de mon oncle, après avoir dîné de bonne heure, on a été faire ce soir un | |
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tour en voiture; puis on a pris le thé au Bloemendaalsche Bosch; il a fallu être aimable; c'est moi qui ai versé le thé à la compagnie, à la grande satisfaction des neuf personnes dont elle se composait; du haut des dunes, derrière Zomerzorg, j'ai assisté à un magnifique coucher du soleil; nous sommes revenus à pied par un orage épouvantable, accompagnés de tous les éclairs du ciel et de l'enfer; les distractions se sont succédées sans affectation ni recherche - et c'est ainsi que j'ai tué mon dimanche. - Mais à présent que je tiens ta lettre, ta bonne et affectueuse lettre, ‘fuyez soucis! soyez bannis, embarras de la terre!’ me suis-je dit à moi-même, ainsi que je l'ai fait chanter ce matin au troupeau. Il est donc vrai que tu n'as pas eu un moment de liberté à Paris, que tu n'es arrivée à Chaumont que Vendredi, et que ton tout premier soin a été de m'écrire! Et moi qui t'accusais de paresse et d'infidélité; moi qui te croyais malade et même à moitié morte! Un chien aurait montré plus de reconnaissance et plus d'esprit que cela, et Victor Hugo a bien raison de dire: Les bêtes sont à Dieu, la bêtise est à l'homme! Je ne te demande pas pardon de tant d'injustice. J'ai été trop heureux en sachant combien ton long silence m'impatientait, et je ne voudrais pas pour tout au monde que j'eusse été en état de rester quatre jours entiers sans recevoir de tes nouvelles et de n'en ressentir aucun ennui. Maintenant que tu es casée et bien casée à Chaumont, cet ennui ne me tourmente plus. N'est-ce pas? tu m'écriras tous les jours, et tu mettras la lettre à la poste sitôt que la quatrième page sera remplie. | |
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Ton portrait! Ce monstre de Le Gray t'a-t-il fait des yeux clair de lune? Est-ce pour cela que tu lui as payé 60 francs? J'espère bien qu'il n'en est rien et que tu auras exagéré. Sinon, toi seule est coupable! qu'avais-tu besoin, en mon absence, de lancer des regards langoureux à M.G.? Tu dis que les artistes ouvriers ont trouvé l'expression de ta figure douce et gracieuse. J'en suis bien aise et je partage leur opinion quant à l'original. Ou n'ont-ils parlé que du portrait? A propos de ta physionomie, tu n'es pas sincère lorsque tu t'accuses de n'être pas jolie comme les Parisiennes. Si ce regret eût été sincère et que tu eusses réellement eu pitié de moi et de mon choix, tu aurais dû donner mon adresse à l'une de ces charmantes créatures et lui dire qu'elle vînt me trouver à Harlem en remplacement de toi-même. Bon Dieu! n'es-tu pas assez jolie, n'es-tu pas déjà cent fois trop belle et trop gracieuse pour un monstre comme moi? Préférerais-tu que je t'aimasse pour ton corps ou pour tes jupons, au lieu de t'aimer à cause de ton noble coeur et de ton charmant esprit? Non, de par tous les saints, quand même tu reviendrais de France, noire comme de l'encre et ridée comme un vieux chêne, tu seras ‘mein eheliches Weib’ ainsi que Luther disait à sa femme. Pour revenir à ta lettre, croirais-tu que le français en est déjà supérieur à celui de la première? Ce que c'est que de passer quatre jours à Paris! Si tu continues sur ce pied, tu en remontreras bientôt à Mad. de Sévigné en personne. Et pour revenir à ce Paris que tu as quitté avec si peu de regrets, quel beau rapprochement as-tu fait, au Père la Chaise, entre Emile Souvestre et moi! Plaisanterie à part, que la littérature est une belle chose | |
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pourtant! Si Souvestre eût pu penser que, deux années après sa mort, la vue de sa tombe t'inspirerait les réflexions que tu dis, n'aurait-il pas tressailli de joie? n'aurait-il pas béni son talent? Aussi faut-il dire que son Philosophe est un chef-d'oeuvre plus encore au point de vue du coeur, que du talent artistique, et que l'auteur d'un pareil ouvrage mérite qu'on se souvienne de lui avec amour. Qui l'aurait cru, qu'en visitant le cimetière de Paris, tu y trouverais le souvenir d'un si digne ami? Autant je déteste ta Madame C. qui porte des mantelets de 200 francs et qui eût mieux fait de te donner convenablement à manger, autant j'aime ton oncle et ta tante. Ne faut-il pas que tout le monde t'apprécie? et crois-tu que je t'aimerais si tu n'étais reéllement aimable au point de porter les gens à te gâter? D'ailleurs de quel droit te plains-tu d'être gâtée? tu me gâtes toi-même tous les jours, et il n'est que juste qu'on te rende la pareille du mal que tu fais à autrui: ‘oeil pour oeil, et dent pour dent.’ Tes parents, me dis-tu, t'ont chicanée parce que l'envie d'écrire t'a empêchée de dormir: se douteraient-ils que tu m'aimes et que tu as des projets de mariage? Pourvu qu'ils te laissent tranquille, c'est tout ce que je leur demande. - Adieu, ma chère amie, à demain. Il est près d'une heure et j'ai mal dormi cette nuit, moitié à cause du sermon qui me trottait par la tête, moitié à cause du vacarme, qu'on a fait dans la rue, en l'honneur de la foire: cela a duré jusqu'à trois heures du matin. Ainsi, je vais me coucher, non toutefois sans avoir relu ta fameuse lettre.
Lundi, après midi, une heure. - Je vais remplir ma | |
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quatrième page et faire en sorte que cette lettre soit mise à la poste avant deux heures. Voudrais-tu remarquer une fois combien de temps les lettres d'ici mettent pour arriver à Chaumont? Tu peux recevoir celle-ci demain soir, mardi, mais probablement tu ne l'auras que mercredi matin. Je ne t'ai rien dit encore de mon sermon d'hier. Le texte était Ephés. II, 13 à 22. Comme dans le dernier sermon que tu as entendu (sur Rom. V, 1 à 11), j'ai donné une petite étude sur la doctrine de S. Paul. Cette fois-ci j'ai parlé du Christ et du Christianisme. Le Christ c'est ‘l'homme nouveau’ qui réunit en lui-même ‘les deux’ c'est à dire la chair et l'esprit, et qui réconcilie l'homme avec Dieu ‘en faisant la paix’ entre l'homme de la terre et l'homme du ciel. Le christianisme c'est ‘l'accès auprès du Père’ savoir le progrès de l'homme dans la sanctification; ceux qui accomplissent ce progrès forment ensemble ‘un tabernacle de Dieu en esprit.’ Tout ceci te paraîtra fort obscur; tant pis pour moi et pour mon sermon. Voici la meilleure phrase de tout le discours: parlant de l'intérêt que nous avons, au point de vue de la vie présente, à nous occuper de l'Evangile: ‘Sans le secours de la foi chrétienne, ai-je dit, l'existence actuelle, quoi qu'on dise, n'est qu'un fléau. Si vite que les jours passent, il y a 24 heures dans chaque jour, et c'est bien long, 24 heures, quand on s'ennuie, ou que l'on travaille à contre-coeur, ou que l'on redoute de s'interroger soi-même, de peur de se trouver face à face avec le remords.’ Hier encore, ainsi que les deux dimanches précédents, Madlle N. était à l'église. Ne viendrait-elle que par désoeuvrement, ou pour des motifs plus sérieux? J'aimerais, pour | |
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elle, qu'elle fût protestante; quant à moi, la passion du prosélytisme ecclésiastique, qui n'a jamais été bien brûlante chez ton serviteur, s'éteint de plus en plus dans mon âme, et je prévois le cas où je serais moi-même le premier à conseiller à Madlle N. de rester catholique. A propos d'églises et de sermons, où était situé à Paris, le petit temple protestant qui t'a fait tant de plaisir à voir? Les protestants de Paris ont plusieurs temples, dont quelques uns sont très-bien. Voici la liste des petits travaux que j'ai à termimer dans le courant de Juillet: 1o un article pour le Disciple de J.C., 2o la quatrième livraison des Vragen en Antwoorden, 3o une huitième lettreGa naar voetnoot1 de Louis de Montalte, 4o la nouvelle pour l'Aurora, dont tu connais le sujet, 5o une critique du dernier volume des discours de Van Oosterzee. Adieu, mille choses à S.S.
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