Brieven. Deel 1. 1847-1876
(1890)–Cd. Busken Huet– Auteursrecht onbekendAu Pasteur Daniël HuetGa naar voetnoot1.Leide, 14 Juillet 49.
Si j'avais moins de respect pour vous, mon oncle, je me laisserais peut-être entraîner à une réponse dictée par le dépit plutôt que par aucun sentiment de convenance. Maintenant, je ne sortirai pas des bornes que mon affection pour vous me prescrit, et je répondrai à votre lettre avec tout le calme et toute la gravité qu'une pareille réponse demande. Ce début vous étonne, car vous croyez être sûr que, dans l'affaire du Certificat du moins, tous les torts sont de mon côté, que tous les reproches que vous me faites | |
[pagina 23]
| |
sont réellement et pleinement mérités, toutes les accusations fondées, vous croyez enfin que je suis un faiseur de beaux discours, faisant en outre son métier de mener par le nez ceux qui lui veulent le plus de bien. A vos yeux je suis dans ce moment le plus franc menteur du monde et vous me conseillez d'aller ouvrir les yeux à ma mère de peur que, séduite par des illusions funestes, elle ne continue à me croire un honnête homme. Tout ceci est grave et je pourrais croire en conscience avoir le droit de me plaindre de vous et des paroles dures dont vous m'accablez; mais je me plaindrai, maintenant comme l'autre jour, de ces personnes dont vous désapprouvez que je dise du mal, - de mes professeurs. En effet, c'est à eux que je suis redevable de votre lettre si peu bienveillante et si dure, et lorsque je vous aurai prouvé par des faits, dont je garantis l'authenticité, que dans toute cette affaire c'est moi qui suis la dupe de MM. les professeurs, j'espère que vous ne m'en voudrez plus si je ne fais pas leur éloge. Si vous avez gardé peut-être mon dernier billet vous verrez qu'en réponse à votre question: quels sont les motifs de ces MM.? j'ai dit: de motifs avoués il y en a deux. Ce n'est pas sans intention que j'ai employé ce mot, car voici ce qui s'était passé entre M. Scholten et moi. Comme doyen de la faculté, il m'a fait part de son décret en alléguant trois motifs, dont les deux premiers étaient ceux que je vous ai marqués; le troisième était un motif de conduite et, d'après les renseignements indirects de M. Scholten, je compris qu'il entendait certaine affaire concernant le prof. Van Assen (dans laquelle je n'ai été pour rien; tantôt je vous dirai comment) | |
[pagina 24]
| |
et dont celui-ci avait parlé dans le Sénat. Du reste M. Scholten ne m'a pas dit un mot de ma conduite en général. La Faculté, me disait-il, vous veut du bien; elle regrette d'avoir dû prendre cette résolution; elle ne veut pas vous nuire et c'est pour cela qu'elle vous donne la permission de ne citer comme motifs du refus qui vous a été fait, que les deux points nommés, promettant de son côté d'en faire autant lorsque l'occasion s'en présente. - D'abord je ne voulais pas accepter à cause de ma parfaite innocence à l'égard de l'affaire Van Assen: mais j'ai compris que je ne parviendrais jamais à la prouver, parce que l'expérience m'a appris qu'à vingt-deux ans on a toujours tort. Me fiant donc à la promesse faite par M. Scholten, je répondis que tout en lui déclarant sur ma parole d'honneur que je n'étais pour rien dans l'affaire qu'il entendait, je m'engageais pourtant à garder le silence et à ne donner à ceux qui me demanderaient compte que les deux motifs cités, un motif d'insuffisance à l'égard de la durée de mes études, et un motif de négligence à suivre les cours. Voilà littéralement ce qui s'est passé entre M.S. et moi et si littéralement que ce M. lui-même n'hésiterait pas à approuver tout ceci par sa signature. Maintenant l'affaire de Van Assen. La voici. Au mois de décembre 1846 une dizaine d'étudiants, membres d'une Société à laquelle j'avais été invité d'assister, se sont avisés (pour je ne sais quel motif) d'aller casser les vitres au professeur Van A., qui a été de tout temps la bête noire des étudiants en droit. Je vous déclare sur ma parole d'honneur, comme je l'ai déclaré à M. Scholten, que je n'ai été pour rien dans cet acte de puérile vengeance et que | |
[pagina 25]
| |
pendant tout le temps je me suis tenu à distance, comme les étudiants coupables pourraient l'attester au besoin. Cependant M. Van Assen, furieux de l'offense qui lui avait été faite, a si bien pris ses informations qu'il a su parfaitement quelle était la société dont les membres l'avaient joué ce mauvais tour, et il a su aussi que j'avais assisté à la séance. D'abord il voulait poursuivre les coupables, mais les preuves manquant, il a dû y renoncer et n'a pu faire autre chose que de garder une éternelle rancune à ceux qui l'avaient offensé. J'ai appris depuis qu'il en voulait surtout à moi comme étudiant en theologie; j'aurais pu facilement me disculper, mais t'eût été compromettre mes amis, c'est pourquoi je n'ai jamais fait aucune démarche en ce sens. - Voilà les faits. Maintenant la plainte faite dans la séance du Sénat. Au mois de Novembre de l'année passée, c'est à dire pendant mon absence et deux ans après, il y a eu trois étudiants renvoyés de l'Université. M. Van Assen dans une des séances du Sénat, voulant dire un mot en faveur de ces jeunes gens, alléguait pour motif que parfois il se faisait par les étudiants des choses pires que les méfaits des trois étudiants en question et que pour sa part il connaissait un étudiant en théologie (il ne me nommait pas) qui s'était avisé dans le temps d'offenser publiquement les professeurs, sans que pour cela il eût été renvoyé de l'Université. - Sur ce M. Kist ou un autre de mes professeurs a répondu à M. Van A. que s'il avait eu une plainte à faire contre cet étudiant, il n'aurait eu qu'à s'adresser au Sénat, mais que ne l'ayant pas fait dans le temps, il ne pouvait plus y revenir maintenant. Ceci s'est passé au mois de novembre | |
[pagina 26]
| |
1848, pendant mon absence, et mon nom n'a pas seulement été prononcé. Vous voyez que M. Van Assen m'accuse injustement et que ne pouvant me disculper qu'au moyen d'une mauvaise action, je suis forcé de rester coupable aux yeux de tous ceux qui refusent de me croire sur parole d'honneur. Or l'accusation de M. Van Assen étant d'après ce que M. Scholten disait (indirecment il est vrai, mais toujours assez clairement) la cause principale du refus de la faculté par motif de conduite, et M. Scholten me promettant le silence de la part de mes professeurs, j'ai été forcé encore de garder le silence quand vous m'avez demandé un compte exact de la position où je me trouve; j'ai agi en honnête homme lorsque me fiant à la promesse de la faculté, je vous ai dit que les deux motifs avoués étaient ce que je vous communiquais. - Ce silence MM. Van Hengel et Kist ne l'ont pas gardé, ils ont ajouté tant et plus dont M. Scholten ne m'avait pas dit un mot, et voilà pourquoi je suis à vos yeux un menteur et un faiseur de beaux discours. Les deux motifs que je vous marquais étaient faibles, vous le voyez aussi bien que moi, le troisième s'appuyait sur l'accusation de M. Van Assen que je savais être injuste, par conséquent il était faible aussi. Un mot encore sur les nombreuses plaintes que MM. van Hengel et Kist ont portées contre moi. La légèreté de ma conduite, ma négligence à suivre les cours, je n'ai jamais cherché à les nier. Mais vous oubliez qu'il y a de tout cela deux ans; et que ces plaintes ne peuvent porter que sur mes deux premières années de théologie; la dernière année j'ai d'abord beaucoup travaillé et suivi les cours avec autant de régularité que les malheurs do- | |
[pagina 27]
| |
mestiques, la mort de Théodore, la maladie de Pierre, le déménagement de ma mère et tant d'autres empêchements l'ont permis. Mais s'il y a de là deux ans, ne comptez vous donc pour rien tous les changements que deux années peuvent apporter dans les dispositions et la conduite d'un jeune homme? Pour un homme fait, deux années n'ont pas une grande influence sur le caractère; à 20 ans ces deux années décident tout. Pour me corriger j'ai eu à lutter beaucoup plus que d'autres, contre moi-même d'abord, contre ma légèreté d'esprit, contre mon insouciance, contre la facilité avec laquelle je me laissais entraîner, ensuite contre toutes les séductions du monde des étudiants, où j'étais aimé et applaudi, où l'on ne comprenait pas mes scrupules si j'en avais et où personne ne s'avisait de condamner ma conduite. Et que dans ces luttes je n'ai pas toujours succombé, que je suis parvenu à me corriger à quelques égards, je n'en veut citer qu'une preuve: demandez à mon oncle Sandifort de vous envoyer deux lettres que je lui ai écrites au sujet de mes dettes et vous verrez si je suis toujours aussi léger qu'auparavant. C'est mon voyage en Suisse qui m'a fait le plus de bien et je ne m'attendais pas à ce que vous perdriez si vite la bonne opinion que vous aviez conçue des résultats de ce voyage. Il est vrai qu'au fond je ne puis en vouloir qu'à moi-même, mais il est vrai aussi que si mes professeurs, au lieu de refuser nettement mon certificat avec aussi peu de formalité qu'ils l'ont fait, avaient voulu me représenter mes torts, m'interroger sur mes principes de moralité, et de religion, sur ma capacité morale de continuer ma carrière, s'ils avaient parlé avec moi sérieusement et dit que pour le | |
[pagina 28]
| |
moment et pour me punir ils me refusaient mon certificat, je n'aurais qu'à me louer d'eux, tandis que maintenant par leur trahison (involontaire, j'aime à le croire) ils ne font qu'aigrir mon caractère et me placent vis à vis de vous, dont je croyais avoir regagné l'estime, dans la plus sotte et la plus désobligeante de toutes les positions. Maintenant vous voulez que j'aille à Amersfoort, me placer sous la surveillance du consistoire du lieu. Je le veux bien, quoique je ne croie pas que cette tutelle contribuera à me guérir de ma mauvaise réputation. Si vous désirez avoir des informations sur mes dispositions actuelles de coeur et d'esprit, adressez vous à MM. van Goens et la Saussaye avec lesquels j'ai eu souvent des entretiens sérieux et intimes, surtout avec le premier. Ces MM. ont entendu mes propositions et mes sermons, mes professeurs, à part M. Scholten, n'ont pas daigné y assister. M. van Oordt m'a fait une critique détestable de fadeur. M. van Hengel est venu une fois m'entendre mais pas plus que deux minutes, M. Kist n'y a jamais été. Comment voulez-vous que ces MM. jugent de mes progrès en connaissances et en moralité, s'ils ne se donnent pas seulement la peine de s'en informer, ou se tiennent à des rapports qui datent d'il y a deux ans? Vous voulez enfin que j'envoie votre lettre à ma mère, car vous tenez qu'elle sache la vérité sur mon sujet et vous voulez la prévenir contre mes beaux discours. Cette lettre, je ne l'enverrai pas pour le moment, parce qu'elle n'est nullement faite pour donner à ma mère une idée de ce que je suis actuellement. Tous ces reproches que mes professeurs vous ont dictés, ma mère les a entendus | |
[pagina 29]
| |
assez souvent pour qu'elle sache à quoi s'en tenir sur mon compte. D'ailleurs, ma mère n'a pas besoin d'être prévenue contre mes beaux discours, vu que je ne lui en fais point. Je n'enverrai donc votre lettre qu'après que vous aurez lu la mienne et que j'aurai appris, ne fût ce que par un seul mot, si vous persistez dans la mauvaise opinion que vous avez de moi. Voilà, mon oncle, ce que je croyais devoir vous répondre. Vous aurez pu vous apercevoir que j'ai dit vrai et qu'il n'y a dans toute cette affaire qu'une dupe et c'est moi. Je suis la dupe d'une promesse de silence faite par le doyen de la faculté de Théologie, mais dont il paraît que les autres membres ne se sont pas souciés. Si elle ne m'avait pas été faite, je vous aurais dit tout d'abord ce qui en était; les particularités dont je vous fais part maintenant, je vous les aurais communiquées et les reproches ne seraient pas tombés sur moi. Agréez, mon oncle, l'assurance de ma parfaite estime et croyez-moi Votre dévoné neveu. |
|