Brieven. Deel 3
(1837)–Willem Bilderdijk– Auteursrechtvrij
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XI. A Mr. Jacob Grimm, A Cassel.1.Amsterdam, ce 27 Mai 1812. Monsieur!
Je n'ai eu rien de plus empressé que de communiquer à la ClasseGa naar voetnoot(1) l'honneur de votre obligeante lettre du 15 Avril; je me trouve chargé de vous témoigner la satisfaction particulière de l'avantage que vous lui accordez, Monsieur, de vous compter parmi ses Membres correspondans. Venillez en agréer l'assurance la plus positive, conjointement avec celle de mon estime personnelle; excusez le retard involontaire de ma réponse, et permettez que sans d'autres préambules j'entre en matière sur les points principaux, dont vous eûtes la bonté de me parler. Les démarches que vous venez de faire, Monsieur, | ||||||||||
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par rapport aux MSS. de Comburg, vous donnent un droit réel à notre reconnaissance, et je n'ai pas besoin de vous exciter à les poursuivre. Sensible comme Elle doit l'être à votre empressement à l'obliger, la Classe s'en repose parfaitement sur vous. En attendant, j'accepte en son nom l'offre gracieuse que vous venez de nous faire. Soyez persuadé, Monsieur, que de notre côté nous agirons avec la même cordialité, et qu'il nous sera bien doux de vous réciproquer nos services en tout ce qui dépendra de nous. Les Beytragen de Mr. Wekherlin dont vous me parlez ne peuvent que nous intéresser, et nous serons bien aise de recevoir ce livre. Pour le présent, je n'ai pas de voye à vous indiquer, mais je crois que dans une résidence (comme Cassel) les moyens ne manqueront point à nous les transmettre avec sûreté et à peu de fraix. En cas du contraire, je vous proposerais le canal de la Librairie. Les Sieurs Muller et Comp. d'Amsterdam ont leurs correspondans à Cassel, qui s'en chargeront volontiers. Quant au Reintjen de Vos, on nous a prévenus, et il n'y a pas de doute que Mr. Gräter ne s'acquitte parfaitement bien de son entreprise. Au reste peu importe, par qui, pourvû que la chose se fasse; mais nous serions bien fâchés de n'avoir aucune part dans un travail littéraire qui par son objet nous regarde de si près. Nos rapports avec Maerlant et, si j'ose le dire, nos droits sur lui (en cas que l'on puisse admettre un jus proeventionis dans cette matière) me semblent justifier nos désirs de donner au public tout ce qu'on | ||||||||||
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a de cet écrivain, peu connu jusqu'ici. Pour son Wapen Martyn &c., ces petits ouvrages devront suivre ou accompagner le Bestiaire. Mais en tout cas, il nous intéresse de comparer et les divers ouvrages de cet auteur et les MSS. divers, ne fût-ce que pour celui-ci. Vous me mandez, Mr., que le MS. de cet ouvrage qu'on gardait à Wolfenbuttel, s'y trouve encore. Une lettre de Mr. Langer, que je reçus il y a quelques mois sur un tout autre objet, me fit supposer le contraire. Vous nous obligerez, Mr., de nous procurer ce MS., et j'ose implorer vos bons offices à cet esset. Mr. Langer est correspondant de la Classe, mais j'ai lieu de croire que sa qualité de Bibliothécaire pourrait bien ne pas lui permettre de se dessaisir des livres, sans y être autorisé préalablement, etje ne doute pas que vous ne soyez à même d'applanir toute difficulté à ce sujet. J'en conviens parfaitement, Monsieur, il nous intéresse bcaucoup de sixer l'état de la science relativement à l'histoire naturelle du moien âge, et j'ai fait là-dessus quelques observations que la Classe a paru adopter. L'utilité de ce point se repand par toute la littérature, mais il n'est pas encore décidé, jusqu'où l'on s'étendra dans ces recherches. Le premier point pour nous, c'est sans doutc, l'illustration de la langue, mais la connoissance des anciennes opinions y tient sous bien de rapports, et tous les jours on se trouve dans le cas d'en faire l'expérience. L'ouvrage de Maerlant est tiré, comme il l'annonce | ||||||||||
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lui-même, du Latin de broeder Alebrechte
Van Coelne, die men wel met rechte
Heeten mach bloeme der clergiën.
mais il y fait mention d'un Bestiaire de Willem Utenhove, een priester van goeden loue, van Aerdenburch, dont l'ouvrage fut tiré du Français. Au moins c'est ainsi que j'entends ses paroles: ‘Want hine uten valschen dichte.’
où valsche ne peut s'expliquer que par Walsche. Il serait curieux, si l'on pût déterrer un jour ce travail d'Utenhove, qui pourrait bien se trouver n'être que l'ouvrage français de Philippe de Than: car comme Maerlant a dédié son ouvrage au Tuteur de Florent V, il parait probable qu'il l'aura écrit vers le milieu du 13e siècle. L'ouvrage d'Utenhove exista donc et fut connu dans ce tems-là, et je doute fort que celui de Guillaume de Normandie puisse atteindre cet âge. Mais vous en jugerez mieux que moi. Maerlant n'a pas fait usage de ses dévanciers français. Par l'article de la tourterelle que je joindrai à ma lettre, vous verrez, Monsieur, qu'il n'y a pas le moindre contact entre Guillaume de Normandie et lui. Mais cela n'empêche pas qu'ils écrivent peu s'en faut dans le même goût. Même manière de s'énoncer, même douceur d'âme, se rencontre chez l'un et l'autre, et surtout la même pente d'esprit pour les applications mystiques et édifiantes. Chez Maerlant par exemple, le fénix est l'emblême de Jésus-Christ. | ||||||||||
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A l'occasion de la vipère il s'adresse ainsi aux maris qui maltraitent leurs femmes: ‘Luttel serpente vint men, so fel;
Nochtan nes sochter, men weet wel,
Jeghen die suwe (la semelle) gheene hie (le male)
Dit weder seit, sente baselis mie.
Want soe es als over enige side,
Hi wispelt na hare en es blide.
Als hise bevoelt bi hem sijn,
Dan spuwet hi ute sijn venijn,
En ontfaet met groter minne
Sine lieve veinootinne.
Onsaligh dorper grimjaert,
Scaemdi dat tu heves onwaert
Sonder redene dijn wijf!
Lere an dit selle dier keytijf
Dat sijn venijn van hem spuwet
Alst sijn ghenoet vernuwet!
Laet varen dine felheit quaet,
En les sonder beraet
Hoveschelicke met bliden sinne,
En dele haer weder dine minne!
Je n'ai rien changé dans ce passage que le mot sochter (il y a sochte) et la ponctuation. Vous m'écrirez en telle langue qu'il vous plaira. Il n'y a aucune raison de vous gêner sur ce point. Cependant vous avez tort de faire des excuses par rapport au Français. Vous y réussissez parfaitement bien, et je serais bien aise d'en faire autant. Mais si vous m'écrivez en Allemand, veuillez consentir que je vous réponde soit en Français, soit en Hollandais. Je n'ai jamais été habitué à écrire l'Allemand, et | ||||||||||
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j'exprimerais bien mieux le langage de votre Wolfram von Esschenbach que celui de vos bons Auteurs d'àprésent. Si le Hollandais vous coûte quelque peine, je me servirai du Français. Ce que je possède de MSS. Allemands se réduit à très peu de chose, et ne vaut pas la peine d'en parler. Mais il y a quelque tems que parmi les Archives de l'État à la Haye, il a été trouvé un Monument remarquable du 14e Siècle, qui consiste dans un poëme en bas-Allemand sur la mort du Comte Guillaume de Hollande et de Hainaut, surnommé le bon. C'est un ouvrage allégorique tout à fait dans le goût de ce temslà et qui a son mérite même du côté poétique. L'original reste toujours sous la garde de Mr. l'Archivaire van Wijn, mais il a eu la politesse d'en donner une Copie exacte à la seconde Classe de l'Institut, et je ne doute pas, que si la pièce vous intéresse à ce point, Elle ne consente à vous la communiquer. Ce sont quelques centaines de vers, mais je les décrirai de ma main. J'avais proposé d'en donner une espèce d'apperçu philologique dans les Mémoires de notre Classe. Mais cela n'empêche pas, que l'on ne saisisse cette opportunité à vous prouver notre empressement à vous obliger. Vous vous êtes beaucoup occupé, Monsieur, des traditions fabuleuses du moyen age concernant l'histoire naturelle; pourriez-vous m'indiquer la première source où est puisée celle du thériaque, qu'on apporta jadis du Levant sous le nom de tyricon et qui fut considéré comme chair d'un serpent, qu'on avait suspendu à la croix de Jésus-Christ? Ce n'est sans | ||||||||||
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doute qu'une tradition orale dont cette fable a pris naissance, mais il s'agit de savoir le premier auteur qui en ait parlé. - Mais il ne saut pas que cela vous cause le moindre embarras. Permettez, Monsieur, que je vous prie d'être persuadé de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être; &c. &c. BILDERDIJK. | ||||||||||
2.Amsterdam, ce 10 Juin 1812. Monsieur!
L'obligeante lettre dont vous m'honoriez en date du 25 Mai m'est arrivé le 8e, et comme elle me parait avoir croisé la mienne du 15, je m'inquiète un peu sur le sort de cette dernière. Je m'empresse donc d'autant plus, Monsieur, de vous répondre, que cela me donne l'opportunité de vous l'annoncer, afin que vous soyiez à même de saire les perquisitions nécessaires. Je ne vous écris donc cette fois-ci que de mon propre chef; les séances de la seconde Classe étant suspendues pour quinze jours, ce qui m'a ôté l'avantage d'y communiquer la vôtre. Je ne concois pas, Monsieur, quelle espèce de jalousie s'en puisse mêler pour nous enlever l'avantage d'examiner les MSS. de notre Maerlant. Que Mrs. Gräter ou Wekherlin en donnent les premières annonces, et même (s'ils trouvent qu'ils en savent | ||||||||||
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plus que ses compatriotes) qu'ils le publient. J'y consens volontiers, et j'ose vous affirmer franchement, que ce n'est pas la vaine gloriole d'en procurer l'édition qui touche la Classe. Nous n'aspirons qu'à l'utilité commune, et peu importe par qui la chose se fasse, pourvu qu'elle soit faite et bien faite. Mais nous refuser une communication qui dans la république des lettres est considérée comme un droit coutumier, je vous avoue, Monsieur, que cela m'étonnc, surtout d'après les procédés qu'on tient dans la Bibliothèque Impériale à Paris et dans celle de Leyde. Mais quoiqu'il en soit, nous vous avons d'autant plus d'obligation de vos efforts dans cette affaire, et je vous prie au nom de la Classe, de la poursuivre de la manière que vous trouverez à propos. En attendant veuillez assurer Mr. le Géneral Girard, combien nous sommes sensibles à la bonté qu'il a eue, d'y mettre l'intérêt qui parait. Si cependant Mrs. Gräter ou Wekherlin s'imaginent, que pour donner une édition de Maerlant, nous dépendions entièrement d'eux, ils se trompent. Il y a dans ce païs deux MSS. de la Heimelicheid der Eimelichede, qui sont à la portée de tout amateur qui s'en voudrait occuper. Peut-être que ces Messs l'ignorent, mais la chose est connue et il en est parlé dans la préface de Mrs. Clignett et Steenwinkel qui se trouve en tête de leur édition du Spieghel Historiael. Je suis hors d'état, Monsieur, de vous marquer une voye commode, pour nous saire arriver des li- | ||||||||||
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vres sans des fraix démésurés, à moins que la Librairie de Cassel n'y intervienne en quelque manière. Mais peut-être que Mr. le Baron Bigot de la Vilandrie, Chambellan de sa Majesté le Roi de Westfalie, vous pourrait ouvrir quelque moyen plus commode. Ses divers rapports en Hollande et ceux de Madame la Baronne me font supposer qu'ils se seront conservé quelque autre communication avec ce païs, hors celle de la poste; et je suis sûr, qu'ils ne demanderont pas mieux que d'obliger les belles lettres par un tel service, en cas qu'il dépende d'eux. Je vous prie de vouloir bien vous en informer et de présenter mes respects et mon attachement à ces aimables personnes, qui m'ont toujours comblé d'amitiés. Si néanmoins nulle occasion s'en offre, il faudra bien avoir recours au seul moyen qui nous reste, quoique coûteux. Dans ce cas-là je vous prie, Monsieur, d'adresser les paquets à la deuxième Classe de l'Institut Hollandais à Amsterdam, au lieu d'y mettre mon nom ou celui du Sécrétaire. Cela pourrait bien faire quelque différence à l'égard des fraix et de leur remboursement. En attendant nous vous sommes bien obligés, Monsieur, de l'extrait que vous vouliez bien nous faire du livre de Wekherlin, qui à la vérité m'a paru peu attentif à ce qui intéresse le plus dans ces MSS. Il en faut excepter peut-être ce qui regarde le Reintjen de Vos; mais le reste est bien maigre et n'annonce pas une connaissance intime des ouvrages dont il s'agit. Pour le Roman de la Rose Hollandais; j'ai d'abord | ||||||||||
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observé à notre Classe qu'il n'y a pas grande apparence que ce soit une traduction de l'Anglais de Chaucer. L'imitation de Chaucer ne contient tout au plus que 7920 versGa naar voetnoot*. Le Hollandais quoiqu'étant beaucoup moins diffus que l'Anglais doit en avoir 14200. Mais quoiqu'il en soit, il n'y a qu'à comparer le commencement des deux traductions pour se convaincre que l'une n'a pas été faite sur l'autre. Notre compatriote est bien plus serré que Chaucer, qui s'échappe à tout moment en longueurs inutiles, et qui finit avec le 13104 vers du Français. Ce vers répondant au 7920 de Chaucer, on en pourrait conclure qu'il est plus concis: mais il faut savoir qu'il a sauté quelquefois des centaines de vers du Français, comme (par exemple) au vers 9366 de l'original jusques au 11253e, en mettant simplement 6 vers de sa facon pour remplir le vuide des 1907 qu'il passe. La fin de ce Roman en Hollandais m'a frappé! Est ce que notre Poëte aurait retranché les 460 derniers vers à cause de leur saleté? C'est assez dans le caractère national; mais la chose mérite d'être éclaircie. Il se pourrait qu'il y eût d'autres retranchemens de même nature. Cependant, comme le Hollandais est plus court que le Français à peu près de ⅜, on n'a pas besoin de cette supposition pour expliquer qu'il y ait une différence de 7500 vers sur le total. Car des 22734 il faut ôter les 460 vers de la fin du Roman, | ||||||||||
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et les 400 qu'on y a insérés pour expliquer les sujets en forme d'épigraphes. L'ouvrage de Van Haken ne peut non plus que nous intéresser vivement. C'est une découverte très importante, que celle d'un ancien poëte Flamand inconnu jusqu'ici. Comment a-t-on pu s'empêcher d'en donner au moins un échantillon? Vos remarques sur les vers Flamands de Maerlant et du Roman van de Rose, me sont une preuve, Monsieur, de votre parfaite connaissance de notre langue. Si l'on s'y appliquait mieux, ce serait sans doute un bien véritable pour les auteurs Allemands qu'on nous donne, qui sont quelquefois assez mal expliqués par leurs Éditeurs. Je ne citerai que Mr. Bruns d'Helmstad dans ses Romantische und andere Gedichte, que je compare à nos Alkemade, nos Le Long, et tant d'autres, qui n'entendirent pas les textes qu'ils tâchaient d'expliquer. Car il faut avouer, qu'avant Huydecoper, on n'avait point de justes idées de notre ancienne langue; qu'il faut connaître non pas par les Glossaires, les Dictionnaires et autres supports, mais par la lecture des anciens auteurs. Aussi me fait-il de la peine, lorsque je vois alléguer de tels écrits, qui ont été faits dans un tems où l'on était encore bien loin d'avoir une connoissance suffisante des idiômes Teudesques. Il s'y est glissé des erreurs, qu'on propage et qu'on multiplie, quand on ne sait la langue que par ces ouvrages, qui ne devraient être sormés que lorsque la science sera portée à sa perfection. Quant à l'orthographie, il est clair, qu'elle a varié | ||||||||||
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de tems en tems; et aucun des MSS. que j'ai hantés (je ne parle pas de diplômes, mais d'ouvrages comme ceux de Maerlant, de Melis Stoke etc.) n'y observe une methode constante (je veux dire, quoe sibi ipsa constat). Au contraire, les MSS. n'étant pas du même tems que l'auteur de l'ouvrage, on y trouve ordinairement un mélange de l'orthographie de celui qui l'a décrit avec celle de son auteur, et l'inégalité se manifeste partout. Il cst même bien rare de trouver une parfaite ressemblance ou conformité d'orthographie, entre deux MSS. d'un même ouvrage. Il me semble donc qu'on ferait toujours bien de restituer l'orthographie qui eut lieu dans le tems de l'auteur. Mais en tout cas, il faut rendre compte de la diversité de lecon, dont (comme vous observez parfaitement bien, Monsieur,) rien n'est à négliger. Comme nous tombons insensiblement sur cette matiére, voudriez-vous bien me permettre, mon très respectable Correspondant, de remarquer que le mot de verchiert ne s'écrit pas dans de Rose au lieu de versiert; mais que jusques dans le 17e siècle on l'a toujours écrit par ch, et avec raison. Le mot vient de chier (en Francais chère), visage. On dit encore goede cier maken (faire bonne chère), c'est proprement faire bon visage, et particulièrement cela se dit autrefois du maître de la maison qui régalait ses conviés: sijnen gasten goede cier maken. C'est la même chose que: een goed gelaat toonen, vriendelijk en blijmoedig ontfangen. - Versieren ou vercieren (proprement verchieren) c'est een gelaat aan iets geven; | ||||||||||
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autrement een oog aan iets geven, iets een aanzien geven, en het is dus aanzienlijk, ooglijk, fraai maken. - Le ch appartient donc au môt, et n'est ni archaïsme ni dialecte de Flandre. - Il est très sûr cependant qu'anciennement le s et le ch se confondirent quelquefois. Aussi l'on trouve dans l'Allemand den 12e au 14e siècle gebrist pro gebricht ou gebrecht. Aussi bresse, Francais et Hollandais, vient de brechen, breken chez nous. Il y a même bien de l'apparence, que nos prétérits imparfaits en cht et en st, avec les noms qui en dérivent, n'appartiennent originairement qu'à une même forme; et j'en ai dit quelque chose dans la nouvelle édition que je prépare de mon traité Hollandais sur le genre des noms, que vous connaîtrez peut-être par les journaux Allemands. Quoiqu'il en soit, c'est un fait certain, que les mots de chier et ses dérivés verchieren, chieraet &c. n'ont pris l's que lorsque le ch fut uniquement employé pour exprimer le x grec. Et, comme d'ailleurs on eut coutume d'exprimer le ch des Francais par ts; le s, le z et le c s'en sont emparés, selon qu'on prononcait ces trois consonnes dans les différentes parties de notre Patrie. Pour le ch Francais, vous savez, Monsieur, que tantôt on l'a employé (comme en Italien) pour k, tantôt pour le c Italien; et que c'est absolument la même chose du c des Francais. Il ne faut donc pas s'étonner que ces deux caractères divers ont été confondus en France, et qu'on ait écrit prinche pour prince, et brance pour branche. Il est curieux de | ||||||||||
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voir comme cette diversité de prononciation en Francais a influé sur notre Hollandais. Le mot rok (fels) est originairement Hollandais et masculin. Le Francais, l'ayant adopté, en a fait un nom féminin par l'adjection de l'e doux. On écrit done roche, qui est la prononciation de roque. Mais ensuite la prononciation se changeant, on a dit roche, comme à-présent, et ce roche a été repris par nos Hollandais en l'écrivant rotse, nom féminin. C'est la même chose de brek (ancien mor masculin), dont les Francais firent brêche que nous avons adopté en l'écrivant bresse; de plek ou plak (endroit), dont le Francais fit plache ou place, et qui a rentré chez nous en s'écrivant plaatse. Il y a une foule presqu'innombrable de ces mots Flamands et Hollandais, qui en passant par le Français ont changé le k en tse, et, avec leur terminaison, leur genre. J'explique cela tout au long dans mes leçons de grammaire Hollandaise; mais j'aurais grand tort d'abuser de votre patience en épluchant tout cela. Seulement, je vous prie d'être averti qu'il n'existe aucune grammaire de notre langue qui puisse la faire connaître. Quant à soe (illa), c'est du 12e et 13e siècle, et dans Maerlant on le retrouve à tout moment. Mais ce soe s'écrit suwe pour signifier la fémelle d'un animal. Il est alors opposé à hye. Die hye, die suwe; c'est le mâle et la femelle. (‘die hye-ridet, die suwenoot.’) C'est tout comme en Anglais the he-cat, the she-cat. C'est la même chose de haen et hen que l'on dit des oiseaux: ‘die patrijs is een haen, die andere een hen.’ C'est le pronom scandinave han | ||||||||||
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et hun qui subsiste encore en Danois. Haan n'est pas gallus, ni hen, gallina; ce n'est que hy et zy (ille et illa); mais le nom de l'espèce est hon (maintenant hoen), qui signifie taché (gespikkeld), parce que les poules de ce païs sont ordinairement tachées. Le mot de rote dans l'endroit cité est sans doute troupe. C'est ce qu'il signifie toujours chez nos anciens auteurs. L'instrument de musique de ce nom qu'on trouve dans le Wigamur &c. ne se rencontre pas en Flamand, que je sache. Vous me demandez, Monsieur, s'il importe de distinguer l'ij de l'y dans l'ancien Hollandais ou Flamand? Je ne puis que répondre affirmativement. Les MSS. d'un âge un peu reculé ne les confondent jamais; mais y s'y emploie maintesfois pour l'i long non doublé et quelquefois pour l'j consonne. Der reinre maghet est contracté pour der reinere. Ainsi sire, ere, etc., sont sinere, enere; tous datifs féminins d'adjectifs. Au reste, l'ancienne langue confondit le génitis avec le datif et l'accusatis, et la plûpart des verbes actifs regîrent le datif, beaucoup d'autres le génitif. C'est de quoi l'on ne doit pas s'étonner, si l'on considère que ces formes différentes n'étaient pas originairement des cas qui répondaient à ceux du Grec et du Latin, mais des différences de sorme d'un cas, distingué du casus absolutus, quc les Missionnaires Romains ont adapté comme ils purent à la déclinaison de la Grammaire Latine qu'ils avaient apprise. La langue Tudesque qui embrasse l'ancien Hollandais et l'ancien Allemand montre partout des for- | ||||||||||
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mes orientales qui en prouvent l'origine; et en l'assujettissant à la Grammaire Latine on lui a fait violence. L'Allemand parait avoir été un peu plus souple, mais le Hollandais a toujours été fort rebelle à ce joug, et même encore il retient son ancien caractère, quoiqu'à dire le vrai, tous nos Grammairiens l'ont méconnu, et que depuis deux siècles bien des personnes n'ont écrit que du Latin en mots Hollandais. Toutes les Grammaires qu'on a faites de notre langue sont illusoires et souvent ridicules, en substituant un langage de convenance du 18me siècle, à la véritable langue nationale. Le mot de gome (cura, acht, achtung) et le verbe gomen est très fréquent dans notre ancienne langue, et on l'emploie encore en Braband. Vroet c'est sapiens. Nous en avons notre vroetvrouw (sage femme) et nos vroetschap des villes, qu'on appellât aussi wijsheid et wijsdom (sagesse). Ne waer c'est maar, tant dans le sens de sed que de nisi. Maer n'est qu'une corruption de ne waer. Vous expliquez fort bien, Monsieur, le vers: ‘Die droeme vor truffen ne hilt.’ De même gheweghen, qui doit être ghesweghen (en allemand geschwiegen) alleweghe, menigherande, ioye, harde groot, ontspranc, oghe pour hoghe, dor pour propter comme durch en ancien Allemand etc. etc. Mais permettez que je vous indique dans l'extrait de Maerlant une méprise du Libraire: ‘Want dat men ghevet dats dat men vint,
Ende dat men hout wort niet .I. twint.’
(car ce qu'on donne c'est ce qu'on trouve, et ce | ||||||||||
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qu'on garde devient ne γϱὺ quidem.) Je ne doute point, qu'on ne doive lire dat men wint (c'est ce qu'on gagne); et, dat men hout vroomt niet een twint; vromen c'est baten, verheugen, nut zijn. Ce qu'on garde n'a ni plaisir ni utilité pour nous. Puis la 5e ligne de cet extrait Noyt nu, doit être noyt mi (jamais donner ne me déplût). Helpt mi (7e ligne) c'est une contraction de helptet mi; (s. helpt het mi.) Vindire (l. 19) n'est pas findet ihr, vindt gy; mais c'est une contraction de vindes du er. Vindire iets onnuttes inne, y trouves-tu quelque chose de blâmable. Ces contractions de plusieurs mots enclytiques sont très communes dans l'ancienne langue; par exemple: Ic houdens onsculdich. (Je l'en tiens innocent) c'est ic houde hem des onsculdich. C'est la même contraction dans de Rose: ‘In houde drome niet overspot.’ In c'est ic en, ou ic ne. Le mot de tijhet (l. 22) n'est pas verzeihet (vergeest), ce qui n'est qu'Allemand tout pur, mais tijghet (montre, accuse) troisième personne: ‘ce qu'il y a de blâmable, montre mon esprit borné. Votre conjecture de woet pour weet dans le 3me Chapitre du Roman van der Rose ne me paraît pás tout à fait juste. La rime nous annonce la terminaison en eet; et weet y donne un sens excellent. C'est habit, ajustement, Anglais wede. Mais sans doute le vers est corrompu. J'aimerais mieux: ‘Soe achte nu wel lettel goet
dat harde felle winter-weet,
Ne waer pareerde hare gereet &c.
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(Elle méprisa alors (ne se contenta plus de) ce dur et affreux habit d'hyver, mais fit bientot sa toilette.) Le Français a ‘Et oublie la poverté
Ou elle a tout l'iver esté.
Lors devient la terre si gobe
Qu'elle veut avolt neufve robe.
Chaucer l'a traduit ad verbum presque: ‘And the poor estate forget
In which that winter had it set,
And then become the ground so proude
That it woll have a new shroude.’
Le Hollandais au contraire a négligé les deux premières lignes, et a rendu les deux dernières avec plus de vivacité. Voici, Monsieur, des opinions dont vous jugerez vous même et que (malgré l'énonciation positive que je vous prie de me pardonner) je ne donne que comme telles. Je serai toujours charmé de m'entretenir sur notre langue commune, (car en vérité ce n'en est qu'une, et plus on avance dans le lointain du passé, plus on s'on convainct) avec un savant de vos lumières, et je suis sûr que j'en prositerai beaucoup. Mais vous me faites trop d'honneur en me supposant des connaissances au-delà de ce que vous trouveriez chez tout Hollandais, qui fait cas de sa langue et qui ne l'a point oublié dans le chaos des dissentions politiques, qui ont perdu tout ce qu'il y avait de bon chez nous. J'ai remis votre lettre à Mr. Tydeman. | ||||||||||
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Les Eddische Lieder avec la collection de Romances Espagnoles, que vous nous annoncez, Monsieur, nous seront bien agréables a tous, particulièrement à moi. Il est vrai, comme vous le dites, qu'il y a peu de ressources dont on puisse se prévaloir dans un ouvrage comme le premier, mais le véritable génie se suffit à soi-même, et j'attends quelque chose de très excellent d'une main comme la vôtre. J'ai l'honneur d'être avec la plus profonde considération, Monsieur!
Votre très humble et très obéissant Serviteur. Dans l'absence du Sécrétaire perpétuel, BILDERDIJK. | ||||||||||
3.Amsierdam, ce 28 Septb. 1812. Monsieur et très honoré Correspondant,
En répondant à la fois à l'honneur de vos deux lettres du 22 Aout et du 3 Courant, je crains fort que vous ne m'accusiez d'une négligence impardonnable, d'avoir retardé jusqu'ici un devoir qui me devait être d'autant plus précieux, qu'il me donne l'occasion de m'entretenir avec un savant de vos lumières sur un objet qui nous intéresse également tous les deux. Cependant il n'y a que quinze jours tout au plus qu'il faut mettre sur mon compte, et ces quinze jours | ||||||||||
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m'ont été absorbés par un travail très pressé auquel je n'ai pû me soustraire. Je ne m'excuse pas, mais je vous prie de ne pas me soupconner de froideur, les apparences étant contre moi. Je commence par votre dernière. La Classe ne doute point, Monsieur, que vous n'ayiez rempli tout ce qu'on peut souhaiter de vous. Vos efforts ont été inutiles; mais careat successibus opto, quisquis ab eventu &c. Nous ne vous en avons pas moins d'obligation que si la Classe eût eu un parfait succès, et je vous prie d'agréer les remercimens de notre Corps. - Il est vrai, que le motif allegué est bien drôle. ‘Tout ouvrage une fois copié ou imprimé ne pourrait que perdre beaucoup de son prix.’ - La considération est d'autant plus frivole qu'il s'agit ici principalement d'un ouvrage dont il y a plus d'un manuscript chez nous. Mais supposons qu'il soit question d'un manuscript unique; comment done permettre que Reintjen de Vos soit publié? - En vérité, ces Messieurs de Wurtemberg feront une belle figure dans notre histoire littéraire. Quoiqu'il en soit, nous comptons, Monsieur, sur vos nouveaux détails concernant la Chronique Hollandaise, le poëme d'Alexandre le Grand, de van Haken &c. Et si vous pourriez nous procurer les variantes der Heimelicheit &c. nous ne perdrons pas grand-chose à ce qu'on vient de nous refuser si illibéralement. A propos de ce sujet, je ne puis me défendre de vous communiquer que la Classe se trouve actuelle- | ||||||||||
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ment en possession d'un MS. unique de Maerlant; savoir celui du Spieghel Historiael dont la première partie a été publiée en 1784 et 1785 par Messieurs Clignett et Steenwinckel. C'est un ouvrage de 104000 à 105000 vers et d'un interêt sans égal pour la richesse de la langue et le grand nombre de mots inconnus ou obscurs qui s'y trouvent éclaircis et expliqués par le sens qui les amène. C'est un véritable trésor pour notre littérature ancienne. Je vous suis bien obligé, Monsieur, de la peine que vous vous êtes donnée par rapport à la fable (die alte saghe) du serpent. J'ajoute à vos remarques que le peuple Hollandais a toujours dit Driakel pour thériaque, ce qui convient au triacle des Francais et au treacle Anglais. Mais cela ne prouve pas que tyricon soit de ϑηϱιαϰὸς. Quant à l'origine de notre chier, mot qui en Hollandais de tout temps s'est écrit par ch: sa dérivation du francais chère, tiré du Grec ϰαϱα, ne doit pas étonner. Nous l'emploions encore en goede sier maken, faire bonne chère, ce qui n'est proprement que montrer un bon visage à ses convives. Ce mot Grec se retrouve en vieux Francais toujours dans l'acception synonyme avec le Latin vultus. On connait les carauldes, les carathemens et les envoultemens. Au reste, een aanzicht, een oog aan iets geven, afzichtlijk, een goed aanzien hebben &c. &c. se rapporte toujours à l'embellissement; et c'est ainsi qu'on a dit verchieren, opchieren etc., mots qui se réduisent dans leur signification primitive à | ||||||||||
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veraangesichten, opaangezichten. Schoon même n'est proprement que scho-eng (c'est à dire schouwing) de scho-en, regarder, et ce môt de scho ou schouw fe trouve aussi pour visage, vultus. - Je ne doute point que l'Allemand zier, zierlich, n'y appartienne en quelque facon, quoique, à dire la vérité, j'aimerais mieux le dériver de tier, soit dans le sens de bloei (vaag, florescentia), soit dans celui de trahere, tirer, dont l'autre tier lui-même dérive. Pour l'Island. scior, que vous m'alléguez, je le considère comme appartenant au thême ski, en tant que racine de schieten stralen, (A-S. rceoτan) appliqué aux rayons de la lumière, et puis étendu à tout ce qui luit. Comme en scyr Isl., pellucidus, , rcinan, schijnen, to shine &c. J'avoue qu'il y a une proximité entre les idées d'embellissement et d'attrait, mais quoique cela justifie l'application d'un mot originairement pris dans l'une de ces significations à l'autre de ces idées, il ne décide rien pour la
signification primaire et primitive. - ϰοϱέω tient sans doute à ϰοϱὴ, (puella) et en même tems à decorus, mais je serais bien éloigné d'y trouver une étroite liaison avec cieren. Le co de ces mots se range immédiatement sous le thême co, originairement chaleur, et puis appliqué au luifant, à la vivacité des couleurs etc. (J'en parle au long dans mon traité du genre des noms) mais je n'y compterais ni ϰαϱα, ni caput, ni notre kop, kopf, kap, chappe etc.
Pour le môt de plaats dérivé immédiatement de place, et médiatement de plak ou plek, j'en appelle | ||||||||||
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au grand nombre de mots pareils qui ont ainsi passé par les deux langues. Je ne vous en fatiguerai pas, mais jettons un regard sur rok, roc, roche, rotse; brek (racine de breken, casser), breche, bresse; tok (racine de tokken, dont tokkelen), touche, toets; pl uk ou pluik (racine de plukken, pluiken, vellere), plucher, pluche, pluis; klekken, clecher, kletsen; nik (buiging) nikken (buigen) niche, nisse; pok; (Isl. poke. A-S. pocca) poche, potse, nom qui ne nous reste que dans le verbe iets weg potsen, i.e. wegzakken, et en pots (gochelspel, propriè zakspel, comme en Allemand taschenspiel); rakken, rekken, rukken, arracher, reitsen, ritsen; vlegge, flêche, flets, flits &c. - Au reste le ch du francais est ts chez nous, qui écrivîmes anciennement tjasteljoen, tsaerters, tsalons pour Chastillon, Chartres, Chalons: quoique dans les terminaisons ce ts s'adoucit souvent dans le double s. Mais cela n'empêche pas que même chez nous le k ne se change quelquefois en st ou ts, comme vous l'observez très bien, Monsieur. C'est par l'intermédiaire du ch ou x, qui remplacant le k, se prononca quelquefois comme les Francais le font à-présent. C'est ainsi que les anciens écrits Allemands ont par exemple: geprast ou gebrast pour gebrach et geprist pour gebricht, comme on le trouve en Wigamur, St. George, &c. ct chez notre Maerlant, lorsqu'il dit: ‘Die veel goets heest sonderlinghe,
Hem gebersten vele dinghe.’
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Multa possidenti multa desunt. Et ailleurs: ‘die broeders hebben clederen berste, s. gebrek. Que le Français place, l'Italien piazza &c. est bien postérieur au Hollandais plek, plak, je n'en ai aucun doute. Mais il saut bien s'entendre sur l'acception des termes. Le Hollandais ne doit pas se prendre comme une langue qui n'aurait existé que depuis que ce nom fut connu. Il existe dans l'ancienne langue de l'Allemagne; et c'est la même chose du Francais en tant que langue Germanique, qui depuis l'établissement des Francs dans les Gaules s'est mêlé avec le Latin et le Grec qu'on y parla de pair avec le Gaulois du païs. L'une et l'autre en fait une branche, et ce n'est qu'un dialecte différent d'avec les autres idiômes Allemands; et c'est ainsi que peut-être nous sommes plus d'accord qu'il n'a paru d'abord. Ce n'est que depuis quelques années que nous appellons notre langue du nom de Hollandais. Nous l'appellâmes toujours duitsch, comme étant le véritable Allemand, dont au moins c'est une branche très ancienne, et j'ose dire, qui s'est écarté le moins du vrai génie de l'ancien idiôme. - Cependant je n'ai pas besoin de remonter si haut pour dériver l'Italien piazza de plek, qui véritablement et essentiellement tient à locus, le p n'y étant qu'un préfixe ou préposition. Mais il n'y a rien de surprenant que quelquefois l'on diffère sur les Étymologies. Celles qui sont les plus contradictoires peuvent aller ensemble: car dans la paucité des racines (que l'insuffisance de l'écriture à exprimer les differences insinies des sons a fait di- | ||||||||||
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minuer encore, en confondant ce qui sovent était fort différent dans la prononciation) il se rencontre souvent qu'un même mot dérive réellement de plus d'une source. Il en est ainsi par exemple (car je ne veux d'autre exemple ici que ce qui saute aux yeux) du mot francais d'ecuyer, qui en tant qu'il est pris pour stabularius, vient d'equus, et en tant que signifiant armiger vient de scutum, écu. Ainsi étiquette est tantôt un mot tiré du Grec, tantôt corrompu du Latin. Il y a quantité de mots dans toutes les langues qui sont dans ce cas; et quelquefois cette observation échappe d'autant plus aisément que les deux racines différentes ont quelque affinité de signification. Le ciseau d'un sculpteur s'appelle beitel chez nous, et bijtel, et l'on confond ces deux mots. Dans l'une de ces orthographies, c'est instrument sur lequel on frappe, dans l'autre c'est instrument d'incision. On a disputé lequel des deux noms fut le véritable; on eut tort; l'un et l'autre nom est également juste. Mais je n'entrerai pas dans cette matière pour le présent. D'ailleurs, Monsieur, j'ai trouvé qu'il ne faut pas disputer sur les Étymologies, puisque la science en est encore à former. C'est l'analyse universelle et particulière des langues dont il faut tirer la méthode d'étymologiser; c'est à dire, remonter d'un mot donné à sa racine première, en la désenveloppant par une suite de réductions qui le ramènent de changement en changement jusques à sa forme originaire et primitive. Et cettè analyse n'a jamais été traitée elle-même avec méthode. Jusqu'ici on n'entend presque rien à l'in- | ||||||||||
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trinsèque des formes grammaticales. L'on compare les mots de plusieurs langues qui se ressemblent, et l'on en conclut à une dérivation de ces mots l'un de l'autre. Rien de plus incertain. Mille fois même il arrive qu'un mot plus primitif qui se trouve dans une langue plus récente, est dérivé mal à propos d'un mot plus éloigné de la racine. C'est ce qui se pratique tous les jours, par rapport aux langues boréales comparées avec les modernes qui sont d'origine Tudesque. - Il fallait établir une bonne et constante manière de réduire chaque mot dans son idiôme à son primitif, et puis suivre les filiations particulières qu'on déduirait du même thême dans les autres langues, en les comparant. Il n'y a que cela (ce me semble) qui puisse mener à la véritable intelligence des langues, dont (si je ne me trompe) on est encore fort éloigné. Et il n'y a que cela, qui nous puisse détromper sur les fausses dérivations, comme de regel, de venster, de tafel, &c. lorsqu'on les déduit de regula, fenestra, et tabula; dont l'apparence séduit. Mais en même tems il faut considérer la communication perpétuelle des peuples qui s'avoisinent et qui se trouvent dans des rapports intimes, par lesquels les langues se mêlent et se consondent en quelque manière. Et voilà ce qui a été plus ou moins le cas de presque tous les peuples de l'Europe dans le tems des Croisades et ce qui se manifeste surtout lorsqu'on compare notre langue aux autres. - Il ne suffit pas d'entendre ces langues; il faut avoir devant les yeux | ||||||||||
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l'histoire de chaque mot dans l'ordre du temps, et (pour la comparaison des langues) il faut la posséder synchroniquement. - Sans doute ce n'est pas dans une lettre, ou même dans un petit Traité qu'on puisse s'y prendre de la bonne manière. Les fondemens n'ont pas encore été posés; tout flotte dans l'air, à moins qu'on ne parte de quelques points, qu'on ne peut pas trouver isolément, et qui pour cela même n'ont d'autre valeur que des suppositions. Si on les rejette, tout est fini, je ne les soutiendrai jamais. Vous me demandiez quelque mot d'explication sur notre hoen qui n'est que le même mot avec hoon. Le mot de hoon, très ancien dans notre langue y a eu bien d'applications. On le trouve anciennement employé dans l'acception de bedrog, de list; mais ce n'est pas sa signification primaire. Depuis trois siècles il a vieilli dans ce sens, et on l'a pris pour deshonneur, insulte, quelquefois pour calomnie en tant que deshonorante. Mais sa significationprimitive c'est tache (vlek, spat, lak) macula, éclaboussure, dropping. Le thême ho, qui signifie élevation en hoog (contracté de ho-ig) hoot (contracté de ho-et, ge-ho-ed) &c., combiné avec l'n, signifie opwerping; et c'est ainsi que hoon dans notre idiôme dénote la même chose que lak, spat, &c. Honig et Honing (miel) c'est proprement spattig et spatting; et ne vient pas de hipe comme Mr. Lelyvelt l'a voulu, ni d'οἰνοχέω, comme Wachter l'a prétendu, ni d'ὄνημι, comme Junius l'a paru établir; mais c'est un mot, qui dérive tout simplement de | ||||||||||
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hoon, et de honen. Honig étant l'adjectif fait de hoon, comme machtig de macht; et honing étant le verbale de honen, comme druiping de druipen. Het zijn spatjens, spatsels. Hone, hoen et hoon, c'est donc tache, spat. Honen et hoenen, c'est tacheter, vlekken, bevlekken, bespatten, besprenkelen. Maerlant dans son Spieghel Historiael, III partie, 4 boek, kapittel 25, zegt dus: gehoont en begaen, c'est à dire: gevlekt en bemorst. Begaden ou bega-en c'est un obsoletum, mais qui fût en vogue jusqu'au commencement du dernier siècle: il signifie proprement crotté. ‘DesenGa naar voetnoot* gheviel binne siere ouden
Dat hi een deel bi sinen scouden
Van den valschen Pelagiaen
Ghehonet was ende begaen.’
La combinaisondes deux participes déterminele sens de l'expression. Il était infecté de quelque tache de Pelagianisme; bespat en bemorst met pelagianery. Cette signification de werpen, opwerpen, se manifeste évidemment dans le composé geho-en, maintenant gojen, gooien, par contraction, tout comme ge-lo-en a été contracté en glojen, gloeien; ge-onnen en gonnen &c. Ce gooien n'a d'autre signification que werpen, jeter. C'est tout de même qu'opwerping chez nous signifie des petits pustules ou taches de la peau. C'est en conséquence de cette signification qu'on | ||||||||||
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appelle honigdaauw, les taches noires sur les fruits et les feuilles des arbres, qu'on attribue à la rosée. Et c'est ainsi que hon ou hoen est devenu l'appellatif de la poule tachetée. En quoi il faut remarquer que de tels noms supposent le nom générique de l'animal. Ainsi een mol, een konijn, een eikhoorn et mille autres n'expriment pas l'animal auquel ils s'appliquent que subintelligendo dier ou beest. - Mol, c'est terre.; konijn, c'est creux (hol); eikhorn, c'est eikkorn (gland de chêne); et les noms complets sont moldier, konijndier, eikkorndier. De même hoen est hoenvogel. J'ajoute, que l'action d'opwerpen se prend aussi pour charger. De-là le mot de hoon pris dans le sens de charge, d'accablement. Les mots francais de hony, de honte ctc. en sont faits dans ce sens-là. Aussi c'est dans cette acception qu'on l'a employé pour bedriegen, decipere. C'est comme on dit en Latin imponere alicui, en imposer à quelqu'un. Je pourrais y rapporter le mot Latin onus; le Grec ὂνος, appliqué à l'ane, qu'on appelle chez nous ezel, d'un nom qui vient de hesen, hysen) charger ou élèver quelque fardeau); honor, honestus, pris d'abord pour richesse, puis pour distinction, tout comme le rico hombre en Espagnol. Puis ὀνόω (vitupero) et ὂναμαι dont vient ὂνομα, comme imposition d'un signe vocal qu'on fait aux choses. - Le mot de smaad, synonime de hoon, n'est aussi que smet, tache, et dérivé de smeten, smijten, jeter. Tout cela devient plus clair lorsqu'on s'est fait une idée exacte des formes; qu'on sache par exemple que | ||||||||||
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hony (français) est exactement le honig (ou hoon-ig) du Hollandais; que honte est le hoonte Hollandais, formé comme langte, zwaarte &c.; qu'onus et honor sont le honer Hollandais; honestus notre hoonste, formé comme winst, konst, troost, list; qu'honestas est hoonstheid, &c. Car toutes les langues n'en font qu'une seule, tant pour la forme que pour le fonds; et leur séparation n'empêche pas qu'elles ne se répondent parfaitement quant à la formation des dérivés. C'est à quoi l'on ne fait pas assez de réflexion, mais vous m'entendez, Monsieur, dictum sapienti sat est.- La famille d'un mot se répand par toutes les langues, quoique ces langues ne se soient point communiquées. Vos observations sur les noms appliqués à la poule sont très curieuses. Il n'y a rien là-dedans qui ne porte au bût. - Quant à l'Anglais speckled, c'est notre gespikkeld, de spik, contracté de spi-ig, de spi-en (autrement spuwen et spijgen (cracher), onomatopoioumenon. Mais nous avons aussi un autre verbe spiën, dont les dérivés sont spiet, speet (brocht), spies (lance), spits (pointe), spijk et spijker (clou) &c. De celui-ci le véritable thême est pi, l's n'étant qu'un préfixe confortatif: et c'est de ce spiën, que vient le mot Hollandais spek pris pour lard, mot assez récent dans notre langue, et qui a tiré son origine de la cuisine. L'ancien nom Hollandais est baken. Pour le mot de spiën, voir (obsoletum, mais dont il nous reste quantité de dérivés, et qu'on retrouve dans Hérodote), il appartient sans doute au dernier. | ||||||||||
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Vous avez raison, Monsieur, de ranger sau (sus) sous les diversités du pronom féminin soe. C'est la même chose de zog, seuge (sus) et de suwe. Mais vous observerez que ce pronom soe tient au mot de zogen, zuigen, allaiter, sucer. Cela se montre dans toutes les appellations de femelle. Soë, suwe, teve, voedster, wijf, &c. s'y rapportent tous. J'ai honte, Monsieur, de vous écrire comme cela ma pensée tout franchement, mais j'espère que vous voudrez bien considérer que je me soumets volontiers à vos lumières, et que si je parle quelquefois d'un ton décisif, c'est pour ménager le papier, en m'exprimant tout court. Vous me demandez mon opinion sur mais en Francais? La voilà ouvertement. - J'y trouve deux mais différens: l'un dérivé de magis; l'autre du maar Hollandais; et il me semble que Mr. Pougens de l'Institut de France, à qui je l'ai communiqué, ait adopté cette idée. L'aber de l'Allemand se retrouve chez nous dans notre aver (maintenant over), qui tantôt signisie d'avantage, tantôt puis, postea, tum. Ou bien d'un autre aver, formé d'aaf, qui signifie contraire, à l'inverse, et dont il nous reste encore l'adjectif aafsch. L'un et l'autrc aver dérive du même af, qui n'est que la préposition van de l'ablatif, en postposition. Je dis de l'un ou de l'autre de ces deux aver différens, selon que le mais est adversatis ou simplement transitif. Mais la matière des particules nous menerait trop loin, et il faut finir cette longue lettre: réservons la pour une autre fois. Peut-être que vous connaitrez | ||||||||||
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le traité Anglais de Horne Toke sur les particules, publié sous le titre d'ἔπ∊α πτ∊ϱό∊ντα. Je dis peutêtre, parcequ'il est peu répandu. Il contient d'excellentes choses. Vous me faites trop d'honneur, mon cher Monsieur, en me supposant quelques connaissances au-delà du commun. Les moyens de m'instruire m'ont toujours manqué. Je n'ai que la bonne volonté, l'amour de l'étude, et celui du vrai. Pardonnez donc à l'insignifiance de mes lettres, croiez que vos corrections me seront toujours très précieuses, et souffrez qu'en me recommandant à votre bienveillance, je signe tout court, mais avec une véritable estime
Tout à vous BILDERDIJK. | ||||||||||
4.Amsterdam ce 25 Fevrier 1813. Monsieur et très estimable Ami,
L'indisposition perpétuelle qui m'afflige depuis le désastre de Leyde, m'a ôté l'avantage de répondre comme je l'aurais souhaité, à l'aimable lettre dont vous m'honoriez en date du - Décembre dernier. J'ai trop de confiance dans vos bontés pour m'en prévaloir par manière d'excuse et vous me pardonneriez un retard moins justisiable, mais je serais au désespoir de vous faire soupconner qu'il y aurait la moindre froideur de mon côté dans une correspondance | ||||||||||
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où je mets tant de prix, et qui ne peut tourner qu'à mon profit. Nous languissons après le paquet que vous m'annoncez. Vos dépêches pour Messieurs Tydeman et Van Wijn seront soignées en toute diligence. Je ne sais si je vous ai déja parlé de votre Recension de la Grammaire Islandaise; je l'ai lue avec le plus grand plaisir du monde, et j'y ai admiré à la fois votre érudition et la sagacité de votre esprit à pénétrer dans les sources des phénomènes que les langues nous offrent. Ce que vous observez de la forme passive des verbes, m'a frappé particulièrement. Nous nous y sommes rencontrés. Je n'ai pas été moins content du jugement que vous portez du travail de Bussching dans le journal de Heidelberg. Je suis parfaitement de votre avis, Monsieur; il saut conserver l'idiotisme particulier d'un auteur qu'on imprime; et cet idiotisme n'est souvent que le mélange de plus d'un dialecte. Rien de plus commun dans nos vieux Chroniqueurs et Romanciers que d'y trouver dans la même page heten et eten, starc et sterc etc. Il y a là-dedans sans doute des erreurs de Copistes qui par inadvertance ont mêlé leur manière d'orthographier à celle de l'auteur; mais l'auteur luimême s'est servi souvent d'une prononciation et d'une orthographie différente, parceque de son tems cette diversité étoit d'usage, et même pour des raisons qui nous échappent, mais qu'une application assidue pourra pénétrer à la fin. J'ai observé par exemple que dans quelques MSS. du 14mo siècle l'h s'emploie | ||||||||||
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pour remedier aux hiatus des voyelles; par exemple dans deux MSS. de Broeder Gheraert, et du Bestiaire de Maerlant, on lit régulièrement ic ete, sal eten, moet eten, ic at, die niet at, goet tetene &c. mais en même tems on y trouve dan moeti heten, sulti heten, hi hat. Il est vrai que cela ne se retrouve pas dans les autres MSS. des mêmes ouvrages, et qu'il m'a paru que ce soit une diligentia, une netheid (comme on dit en Hollandais) du copiste, plutôt que des auteurs eux-mêmes. Je consens même que cette netheid peut-être lui ait été particulière, arbitraire même, si l'on le veut, et sans fondement; mais sans doute il y a de telles distinctions dans les diversités d'orthographie, qui méritent d'être remarqués. Je ne fais que répéter à tout instant qu'il nous reste encore beaucoup à apprendre dans cette partie, et qu'il ne faut pas se hâter de s'ériger en maître pour corriger ce que nous n'entendons pas au fonds. Tous les jours je trouve qu'il faut revenir de bien des suppositions qu'on a pris pour des vérités. Bien des mots qu'on a cru corrompus par les copistes, ont été justifiés par une lecture assidue, et bien de significations se découvrent encore dont on n'avait pas la moindre idée. Examinons donc les MSS.; comparons les les uns avec les autres, mésions nous de nos connoissances, évitons le jurare in verba magistri, et gardons nous de corriger les anciens selon un systême adopté, erroné quelquefois, et souvent hypothétique. Vous nous obligerez insinement, Monsieur, de presser | ||||||||||
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un peu l'expédition de Wolsenbuttel: - mais ne pourriez vous pas me procurer un extrait un peu ample (par exemple de 3 à 4 cens lignes) du MS. de la Rose? Vous avez parfaitement raison, Monsieur; lorsqu'un mot a plus d'une racine, il y a presque toujours une certaine affinité entre ces racines, qui est quelquefois comme imperceptible aux yeux de l'esprit, qui tâche à la demêler, mais qui se reconnait par ce sentiment secret et intime qui dirige l'esprit sans qu'on s'en doute. Les principes psychologiques de la logique ont besoin d'un développement particulier pour éclaircir ce fait qui est d'autant plus remarquable qu'il a été négligé jusqu'ici. Quant au mot de ϰηϱα, comme primitif de chere, chier, sier, zier, je ne sais comment j'ai pu négliger le mot cspagnol de cara (visage) qui y est extrêmement familier. Il est vrai qu'on n'a pas besoin d'avoir recours au Français comme intermédiaire, pour expliquer la transition de k en ts dans les langues Teutoniques. L'Islandais même nous montre ce phénomène, et notre ancien Frison fourmille d'exemples de ce changement ou plutôt de cet échange. Mais si l'on suit les différentes époques de notre langue, (savoir, du Hollandais ou Flamand) et les changemens d'orthographie de certains mots dans cette langue, qui se conforme aux changemens de l'usage et de la prononciation du ch en Français, on y voit clairement un rapport très frappant. Puis le changement de genre (qui dans notre langue ne s'opère pas par une prononciation plus ou moins | ||||||||||
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moëlleuse de terminaison, mais qui est inhérente à l'intrinsèque de la formation des noms) y prouve une influence tout à fait étrangère et qui se retrouve en Francais. J'ajoute que dès l'origine du nom Hollandais la communication des deux nations et l'emprunt réciproque des mots ne se pent contester. Au reste il y a bien des observations à faire sur la mobilité de ces consonnes sinales, que j'aime à nommer consonnes de transition (konsonanten van overgang), en mettant à l'écart les mots purement et pleinement onomatopoioumènes qui rarement se soutiennent dans cette qualité. Il est clair que le mot primitif ne consiste que dans la consonne radicale avec sa voyelle, et que le reste n'est qu'une suite des opérations techniques, par lesquelles l'esprit varie ces primitifs pour les appliquer différemment. Je m'expliquerai par un exemple. Soit lo le thême, qui par un mouvement de la langue imitatif de la flamme signisie vlammen, branden. Il s'en fait le verbe lo-en; le nom lo-e; le participe lo-end (contractè lont); le participe lo-ing (contractè long); le participe ge-lo-ed (contractè gloed); l'adjectif lo-ig (contractè loog); lo-ic (contractè look); puis le verbe lo-er (contractè loor); lo-el (contractè lol). Vous remarquerez, Monsieur, que toutes ces formations se soutiennent en Hollandais et ne sont point tombées; tous ces mots étant restés en usage. Mais ce lo-en et lo-e assume une consonne de transition, qui noue les deux voyelles qui se choquent: au lieu de lo-e on dit lohe, loje, loge, lowe, lode, sans que cet h, ce j, g, w, d, &c. signifie rien, et sim- | ||||||||||
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plement pour amollir. Et même (comme j'ai cru le prouver dans mon Traité des genres) les terminaisons adjectivales ont lcur origine dans ces transitions et ne furent d'abord que des prolongemens ou redoublemens de la voyelle finale e. Quoiqu'il en soit, les mots de riten ou rijten et reken ou rekken, dont vous me parlez, ne sont originairement que re-en ou ri-en (progression, rupture). Le t est participal; le k est adjectival; l'un de re-et (ge-re-et) préterit passif; l'autre de re-ig; ig c'est achtig, -haft, et appartient à la racine de eigen, , avoir; et les deux mots ret et rek, par l'affinité de signification se sont insensiblement confondus. Je n'ai pas besoin de remarquer que ces participialia et adjectivalia et adjectivalia font de nouveaux verbes, rijt, rijten, et rek, rekken, tout comme ils font de nouveaux adjectifs.
Pour le tz ou ts, ce n'est souvent qu'une prononciation ou plus forte ou plus douce du t ou du d, qui dégenère en th, ou þ Anglosaxon; en ζ Crec et ou fs Allemand, et en se ou ste Hollandais. Ce qui est la source de l'infinité de nos imparsaits en st; idiotisme particulier, qui contient la raison de tous les mots Teutoniques en st, comme list, dienst &c.
Il est donc très sur que le k et le tz (ss, sz) se remplacent dans toutes les langues Teutoniques, mais il ne s'en suit pas pour cela que c'est un changement dans les mots. C'est plutôt que les mots diffèrent par leur formation originaire, mais que se ressemblant beaucoup tant par le son que par la signification et par l'application que l'usage en a faite, ils ont été | ||||||||||
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confondus; et que dans l'un des dialectes, l'un a été conservé préférablement à l'autre, tandis que dans l'autre dialecte le contraire a eu lieu. Il est sûr qu'une infinité de mots se sont perdus dans toutes les langues, et que c'est cette perte, qui pour dériver un mot de l'autre, a fait recourir continuellement à ces changemens de lettre, qu'on aurait tort de nier, puisque (sans doute) ils ont été causés quelquefois par l'inconstance de la prononciation, mais qu'on suppose souvent sans raison suffisante, vu que l'analyse de la langue nous fait découvrir une source moins équivoque du phénomène à expliquer. Je souhaiterais bien de m'entretenir sur ceci avec vous, Monsieur, d'une manière plus précise et plus satisfaisante, mais les bornes d'une lettre sont trop étroites pour un sujet qui mène si loin. D'ailleurs sapienti dictum. A vos observations concernant potse, poche, pok, pocquet, j'ajoute encore le Hollandais poen, mot trivial mais significatis, qui dénote argent; on dit par proverbe, alles is om de poen, tout se fait pour l'argent; puis le vieux et obsolet, pong (bourse), penning, denier. Pour lupus et λύϰος, vous me permettrez d'alleguer l'affinité du p avec le k, qui est très marquée en Hollandais. Quantité de mots Flamands en p se résoudent par analyse dans le guttural, le ch se changeant en f, et celui-ci en p. C'est ainsi que l'on dit autrefois gichte et gifte; vichte et vijfde, bruilocht et bruiloft, lucht et luft. Je ne parle pas de cracht et craft, gracht | ||||||||||
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et graft, wetenschap et wissenschaft. Ainsi schaap vient de schaven, c'est scheren; lap convient avec laken; hoop (tas) avec hoog, hoïg, ophooging &c. Je suis ravi que mon explication de ho etc. vous ait donné quelque satisfaction. J'en suis fermement persuadé; cependant je ne veux pas dissimuler que l'on pourrait donner quelque autre explication au passage de Maerlant. Les vers cités sont tirés (à ce qu'il parait) de Gennadius qui s'énonce en ces termes: ‘Hic in senectute suâ a Pelagianis deceptus et agnoscens loquacitatis culpam, silentium usque ad mortem tenuit, ut peccatum quod loquendo contraxerat tacendo penitus emendaret.’ Ce que Sigebertus Gemblacensis a transcrit comme suit: ‘qui in senectâ a Pelagianis seductus, silentium usque ad mortem tenuit, tacendo corrigens quod loquendo peccavit.’ Vous voyez, Monsieur, que le deceptus de Gennadius, que Sigebertus rend par seductus, y répond au gehoond de Macrlant. Mais cela ne sait rien au fond de la chose ni à la signisication primitive du mot. - Il est remarquable que la transition de signisication de tacher, salir, dans celle de tromper, est universelle. Il en est ainsi de guile, beguile, gile en Français, Anglais et Hollandais. - Conchier s'est dit en vieux Francais pour souiller, et en même tems pour tromper. (Voyez le Roman de la Rose). C'est proprement couvrir d'ordures, de chier (cacare). Tout comme chez nous le menu peuple dit beschijten pour bedriegen. Et ce bedriegen lui même est de drigen, | ||||||||||
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drijen, d'où vient le mot de drek, drit, drijt, dritten, drijten. Cette observation me ramène à votre explication de Dame partlet. Il est clair que le thème par s'applique au tacheté, par exemple parus, pardus, pardocamelus (chameau à taches) etc. Il m'a toujours paru que notre hond (chien) n'est autre chose que hoënd, vlakkend, vlakkig, gevlakt. C'est proprement et primitivement le nom d'une espèce ou race particulière, et non du genre, mais il s'est étendu par l'usage. L'Espagnol perro y repond. Votre recueil des noms de coqs etc. m'est très précieux, surtout étant fait avec tant d'ordre et de précision, et il y a d'excellentes vues. A l'occasion de Chanteclin et du vers: ‘L'un ocil clos et l'autre ouvert,’ vous me permettrez, Monsieur, de vous rappeler le passage de Chaucer (Nonnes priest's tale) qui est bien pittoresque: ‘This chaunreclere stood high upon his toos,
Stretching his necke, and held his eyen cloos,
And gan to crowen loud.’ -
et ce que Russel le renard y dit du père: ‘Certes it was of heart, all that he song;
And sor to make his voice the more strong,
He would so paine him, that whit both his eyen
He must winke, so loud he must eryen. &c.
Il y a une vieille chanson Hollandaise dont le refrein est: ‘Prijs heet mijn hennetjen.’ Elle commence par ‘Koekeloery heet mijn haan;’ nom tiré du cri. Mais je ne crois pas que ce prijs ait le moin- | ||||||||||
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dre rapport avec les noms génériques. Je le prends pour prisonnière, prijs (autrefois prijnse), c'est captura. Le refrein y prête: c'est: ‘Prijs heet mijn hennetjen
's Avonds in een vogelkooi,
's Morgens in een bennetjen’
Au reste il ne parait pas, que cette chanson soit de fort ancienne date. Pour le gaglhien (voluspa); il vous souvriendra du verbe gaggelen, qui exprime la voix des oyes, dont même le nom primitif vient de ce verbe. Ga-en fait gaender, gander; et en féminin gandse, ganse. Il est remarquable que ce gaën n'est pas le même mot que le gaën dont vient gallus et nachtegaal (noctucinium). Ce dernier a l'a fort et sonore, le premier l'a doux et fade comme dans ach, mag, zag: mais l'un et l'autre est également onomatopoioumenon, et l'un s'est fait indépendamment de l'autre. - Le cri de la poule qui pond s'appelle chez nous kakelen, mot qui s'approche de bien près de ce gaggelen, mais qui cependant s'en distingue notablement. C'est encore l'onomatopée. Pour cobbe ou coppe. La galline porta chez nous le nom de cobbe, cob, qui a passé. Dans une vieille chanson d'ensant ce mot a été changé en kok, ce qui la rend inintelligible. ‘Eykokkery! de kok zal leggen.’ C'est eikobbery, de kob. - Le mot d'eykobbery est comme le suovetaurilia du Latin, composé d'ei (oeuf) et de kob, avec une terminaison commune. Sur pietel, pietuch, etc. (dont cependant le rap- | ||||||||||
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port avec poule est visible) j'observe que dans le langage des nourrices (qui mérite d'être remarqué pour le nombre de vieux mots très-simples qui s'y trouvait encore dans mon enfance) piet, pietjen, est le nom général des oifeaux. Que vink, fink (finch en Anglais) doivent se rapporter à pinta, a bien de la vraisemblance. Mais est-il bien sûr qu'il vienne de pingere? Peut-être que ce n'est qu'une variation du piet des nourrices, onomatopée sans doute par laquelle on a voulu exprimer le cri des petits oiseaux. Pinc n'en est pas fort éloigné ce me semble. Pour le mot de bont il m'a toujours paru (j'en ai parlé dans mes notes sur le Fingal d'Ossian) que ce n'est autre chose que be-hont, c'est à dire bevlekt, taché, vair; tant dans le sens Hollandais que dans celui qu'on lui donne en Allemagne. Blond en Hollandais est jaune. Huydecoper l'a prouvé par l'usage, mais sans expliquer le mot. C'est une contraction de be-lo-end, c'est à dire be-vlamd; tout comme lowe (présentement leeuw) lion, est jaune, proprement flamme. Ce thême lo a plusieurs centaines de dérivés dans notre langue, qui se rapportent toutes à flamme, et il n'en a pas moins dans ses autres significations. Quant au mot de broek appliqué aux oiseaux, je vous donne en considération, Monsieur, qu'il se dit en plus d'une signification, et que l'application en varie. Je ne parlerai que de notre Hollandais. Broek se dit d'abord pour marais (palus), c'est ainsi qu'on dit een broeksnip, poelsnip, etc. | ||||||||||
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Puis broek se dit pour chausse, et cela en Héraldie comme ailleurs. Mais dans ce sens-ci on l'emploie, 1o, de ces espèces de culotte qu'on fit autresois aux oiseaux de chasse, saucons, éperviers etc. 2o, des tégumens naturels des jambes de certains oiseaux, et cela encore dans deux sens. Car α) il se dit d'un arrangement de plumes à l'entour des cuisses; ce dont vouz parlez; et β) encore particulièrement de la peau bleuâtre qui couvre la partie inférieure des jambes des poules. Pour ce qui regarde le mot de blind ou blend, je ne crois pas qu'on doive le dériver de blenden, mais que ce verbe en dérive. - Sans doute c'est l'un des deux, ou be-lind, ou vle-end, vli-end. Dans le premier cas b servant de préposition, il faudra trouver le thème en le (longueur), d'où vient leen, li-en, lier, ligare, liënd, lind ou lint; et blind sera gebonden ou omwonden. - Dans l'autre cas, b n'étant qu'une aspiration labiale qui se confond avec v (comme en blouwen par exemple vlouwen, blazen, slare), bliend (contractè blind) sera alert et synonyme de blijde, ce qui répugne à la signification. - Je m'imagine donc qu'on ne puisse hésiter à préférer le premier. Mais le mot de blind étant reçu pour aveugle ou non voyant s'est appliqué, comme tant d'autres au passif, pour signifier ce qui n'est pas vu. C'est ainsi qu'on dit blinde lijnen, (des lignes pointées qu'il ne faut pas voir, des sausses lignes;) blinde klippen, des écueils ou des pointes de rocher cachées sous l'eau etc. - Puis la signification de niet ziende s'étant confondu | ||||||||||
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de la sorte avec niet zichtbaar, on l'a appliquée aux choses opaques en opposition de transparent ou de diaphane. Ainsi on a dit blindes Glas, etc. Et comme en troublant l'eau on la rend opaque, on a dit blenden pour troubler. - D'ailleurs il est visible que blenden n'est point du tout primitif. - Les Verbes qui portent le nd sont tous faits de participes ou de noms qui en dérivent. Voici, Monsieur, quelques petites observations tumultuaires (comme on dit), et sans ordre ou liaison, que je prends la liberté de soumettre à vos lumières. Vous en jugerez mieux que tout autre. Insensiblement je me suis étendu plus que je ne croyais; mais vous me pardonnerez un excès qui vous convaincra du plaisir que je prends à m'entretenir avec vous. J'espère que vos lettres continueront de me procurer souvent cet avantage, et je vous prie d'agréer les sentimens avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Monsieur et très respectable Ami,
Votre très humble Serviteur, BILDERDIJK. | ||||||||||
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Messieurs van Wyn et Tydeman ont été expédiées tout de suite. L'Odina und Theutona de Mr. Gräter vient d'être remise à la Classe, qui me charge de vous en témoigner sa reconnoissance; et je m'en acquitte en y joignant l'expression de la mienne pour l'exemplaire que vous aviez la bonté de me destiner de votre docte dissertation sur le Lied van Hildebrand et le Wessobrunner Gebet, ouvrage qui m'est précieux sous tous les rapports. Tout s'est trouvé en règle, excepté que par le frottement du transport les deux feuilles de l'Odina pag. 248 et 249 se sont usées, de manière que l'exemplaire en est devenu incomplet. On les avait appuyés contre la couverture de l'un des in 4to. L'accident est fâcheux pour nous, mais qu'y faire! Il faut l'avouer, Monfieur, le Reynaert, tel que Mr. Gräter le donne, fourmille de fautes. Pour les abbréviations (dont il aurait pû épargner l'embarras au lecteur), on dirait presque que l'éditeur n'en entend pas trop bien l'usage. Au moins il s'y trompe quelquefois, tout comme il se trompe en confondant les i, u, n et m. Je ne parlerai pas de ces passages que vous venez de corriger dans notre exemplaire; je lui pardonne même qu'il écrive onghenouch pour ongeuouch vs. 3390 et autres semblables; mais comment a-t-il pu imprimer coiiiier pour commer, criiiie pour crune? Comment peut-il mettre omē pour omme au lieu de ōme; la marque de l'm ou de l'n n'étant jamais emploiée, que pour l'ajouter dans la même syllabe, et n'étant nullement inchoative? Comment | ||||||||||
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ēē pour een? Comment spca et sp"c (vs. 3257, 1070) au lieu de spac; lieii au lieu de lieu', c'est à dire liever? Comment a-t-il pu négliger la différence d'emploi de l'y et de l'ij, qui se trouvent confondus quelquesois dans son édition? C'est bien singulier aussi, que dans un MS., où l'orthographie est si pure (car il se sait remarquer par ce chef, et c'est une preuve de l'ancienneté de l'écriture) il y ait des fautes comme rach pour lach et pareilles. Et il serait à souhaiter qu'on pût s'informer sûrement, si c'est là véritablement le cas. Je dis la même chose de l'au pour ou; qui pourrait bien n'être dû qu'au copiste de Mr. Gräter. Car, quoique le dialecte Flamand admette ce diphtongue, et que ce dialecte s'y montre dans bien des endroits, l'ou Hollandais s'y lit assez réguliérement. L'u au lieu de l'i en lust donne encore des soupçons, v. 117, 1033, 2045. - V. 2391 on lit list, v. 2617 lest, l'un et l'autre selon l'usage du 13me siéle. Il serait important de vérisier tout cela avant de passer à une nouvelle édition. D'ailleurs, le peu d'observations que Mr. Gräter a hasardées (vous l'avez remarqué, Monsieur,) ne prouvent que trop son manque de savoir dans l'ancienne langue des Païs-Bas, pour qu'on regrette qu'il ne les ait pas multipliées. Ses méprises page 292 et 322 (ajoutez-y sa parenthèse en vs. 66) apprêtent à rire, à ceux mêmes qui n'en savent pas beaucoup. J'en suis fâché pour un savant aussi distingué. En cas de méprises rien ne doit étonner, lorsqu'il s'agit d'un idiôme étranger, mais on était à même de consulter des gens | ||||||||||
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du païs, et il n'y a personne qui n'aurait redressé ces travers. J'ai noté plus de 150 endroits où la leçon est dépravée; il y aura dans cela (je veux le croire) quantité de fautes d'impression, mais celles-ci n'excusent point le grand nombre de passages où Mr. Gräter a mal lu, ou bien négligé de rectisier les erreurs du MS. Lorsqu'on trouve toujours vernaert, on a peine d'imputer cette erreur à l'imprimeur; et que celui qui écrit les MS. ait constamment méconnu le mot de vervaert (l'un des plus communs dans la langue), c'est une impossibilité. Vous avez remarqué d'autres erreurs, Monsieur, et je ne puis qu'admirer votre pénétration et votre génie. Pour la plus grande partie de vos émendations (toutes remplies d'une sagacité, et d'une érudition judicieuse autant qu'étendue) il n'y a pas moyen de les contester. Un très petit nombre pourrait fournir matière à quelque discussion, si cela vous sait plaisir. En attendant je tâcherai de répondre à quelques points de doute que vous aviez l'air de me proposer par vos ?? mis en marge du texte. Vs. 101. Wislen eere. II faut lire wijlen eere, jadis, autrefois. Cette phrase adverbiale est très communc dans nos anciens auteurs du 13me au 15me siècle. On l'a corrompu en weleer, comme on écrit à présent. A - S. hpilon, aliquando, olim. La faute est à l'éditeur, d'avoir pris j pour s, tout comme il a pris ci pour a en vs. 115, où il met ghesaet pour ghesciet. De même il a pris k pour lr vs. 176, 542, 766, où il met sullren pour sulken. On tombe aisément dans cette bévue, lorsqu'on n'en- | ||||||||||
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tend pas les mots. Dans l'Athénée de Casaubon le k est toujours marqué lz; et dans l'ancienne écriture des Hollandais sa forme est k. C'est la même chose d'eethe au lieu d'eecke v. 858, comme vous l'observiez; et de ghestichte au lieu de ghedichte, c'est à dire dru (dicht op één) où le d a été pris pour st. Voyez vs. 811. J'attribue tout cela à Mr. Gräter, et peut-être à tort. La faute peut avoir subsisté déjà dans le MS., mais c'était à lui de s'en appercevoir et d'en avertir. J'ajouterai encore vs. 1006, où il a imprimé niene pour mene s. men hem, et 2154, mi pour nu. Le Rachterlike pour Lachterlike (honteusement) de vs. 1382 n'appartient pas à cette cathégorie.
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Je serai ravi, Monsieur, si ces petites explications ont l'honneur de vous fatisfaire, ou si elles vous paroissent valoir la peine de m'en dire vos sentimens. Je n'ai pas voulu grossir cette lettre par la citation des passages, dont je pourrais les confirmer, mais si vous les désirez, vous n'avez qu'à parler. Ayez la bonté, je vous en prie, de me marquer si pour répéter l'édition de Reynaert, vous avez accès au MS.? C'est là un point essentiel. Pour l'explication des mots et des phrases, pour la suppéditation des exemples &c., je vous ossre tout ce queje pourrais contribuer, et je vous l'offre de coeur et d'âme. Je ne vous parle point ici des autres écrits qui avec le Reynaert constituent ce volume de l'Odina &c. | ||||||||||
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J'y ai trouvé d'excellentes choses. Il y en a, où j'aurais quelques remarques, mais je me borne à ce qui est de ma compétence, en tant que Hollandais. Vos prosondes observations sur le Lied de Hildebrand et le Wessobrunnergebet m'ont donné infiniment de satisfaction. Je vais les relire et relire encore. Vous me faites l'honneur de me demander mon opinion. Vons n'y pensez pas, Monsieur. Ce n'est pas à moi à m'ériger en censeur vis à vis d'un savant de vos lumières et de votre érudition; mais après avoir relu cet ouvrage, je pourrai peut-être vous demander quelques éclaircissemens, ou bien proposer quelques doutes. Mr. Tydeman, actuellement Professeur à l'Université de Leyde, vient de me dire, qu'il vous a communiqué quelques extraits que j'avais faits de votre belle recension de la Grammaire Islandaise de R., avec des petites annotations sur quelques objets que vous y touchez. Je pourrais m'en plaindre avec tout autre; mais vis-à-vis de vous, Monsieur, il m'aura rendu service, si cela vous engage à m'ouvrir là-dessus vos idées plus lumineuses. Il me dit encore, que vous auriez envie de voir ma (prétendue) restitution du texte de la Paraphrase Euangélique de Bamberg. Ce n'est qu'un essai, dans lequel je suis bien loin de m'avoir satisfait moi-même; la Copie sur laquelle j'ai dû travailler étant, on ne peut pas plus, mauvaise. La Classe a écrit à Mr. Pougens pour avoir communication du Ms., mais elle ne reçoit point de réponse. Ce manuscrit vous est-il connu, Monsieur? et pourriez vous m'en procurer quelques Extraits | ||||||||||
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d'une certaine étendue. Ce serait un service essentiel rendu à notre Académie. De mon coté je ne fais point mystère des efforts infructueux que j'ai hazardés (et qui paraissent ne devoir pas avoir de suite), en cas que vous désiriez les examiner. Sans doute, Monfieur, le vs. 309 du Reinaert ne vous sera pas échappé, ou Pinte et Sproete se trouvent comme noms propres de poule. - Le premier se rapporte visiblement à pintade; et sproete est encore, tachée. Le mot de sproete se dit particulièrement chez nous de ces petites taches brunes que le soleil suscite dans une peau trop tendre, principalement dans le visage. Aussi n'a t-on pas besoin de chercher le mot de pinte dans quelque autre langue dont il serait pris. Pinte se dit anciennement pour punte, stip. Et nous voilà de nouveau ramenés aux tachures. Mais il faut finir, et ma lettre n'est déjà que trop longue. Permettez que je m'affranchisse de tout compliment, et venillez agréer l'assurance de l'estime et de l'amitié sincère que je vous porte,
T.T.
BILDERDIJK. | ||||||||||
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posé des bienséances quelconques, des convenances, et des rapports de particulier? En vérité, mon très cher ami, j'en ai fait autant vis-à-vis de vous, et de tant d'autres personnes savantes et respectables, et s'il fallait des pardons pour cela, je serais bien embarrassé de reprendre mes correspondances interrompues ou négligées. A Dieu ne plaise au moins, que vous croiez en avoir besoin auprès de moi! De part et d'autre nous avons agi en bon Allemand, en bon Hollandais, et jam sumus ergo pares. Félicitons nous l'un l'autre, de la liberté reconquise, et de nous avoir prouvés dignes de nos ayeux! Nous voilà rendus à nos études, et tout est dit! - Votre agréable dépêche (aimable à tout égard) datée du 5 mai et conductoire des deux exemplaires de l'Irmenstrasse und Irmensaule ne m'est parvenue que dans le mois de Septembre; et quoique je vous devais mes remercimens personnels, je n'ai pas voulu les séparer de ceux de l'Institut, auquel je n'ai eu l'opportunité de porter votre hommage que depuis quelques jours, tant on est ici occupé par l'effet de la longue stagnation que les affaires politiques ont fait éprouver à celles des Lettres. Car, il faut l'avouer, il n'y a aucun de nous qui n'avoit abandonné tout pour servir la cause commune de l'humanité. Enfin, j'ai offert l'exemplaire et la dédicace, et je suis chargé de vous témoigner la sensibilité de notre Corps littéraire et scientisique, et de vous faire agréer sa reconnaissance pour cette preuve marquante que vous vouliez bien nous donner d'une estime et d'une con- | ||||||||||
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sidération que jusqu'ici nous n'avons pû nous attirer par nos travaux publiés. Croiez, Monsieur, que le mérite de vos ouvrages est reconnu chez nous comme il le faut, et que nous saisirons toujours avec empressement toute occasion qui pourra se présenter de vous prouver combien nous les apprécions. Pour moi, Monsieur, qui me trouve honoré particulièrement par le don d'un de ces exemplaires, je vous prie d'être persuadé que personne ne saurait partager ces sentimens avec plus de ferveur et de sincérité. Comme à vos succès, Monsieur, je ne puis qu'applaudir à vos entreprises, que vous m'annoncez. Sur toutes choses vous me permettrez de vous recommander le Tooke, appliqué et genéralifé, comme sans doute vous l'avez voulu me signifier par les mots - -. Ce sera l'un des travaux les plus utiles pour l'avancement de la science des langues. Sur le sujet de l'Anglais Walter Whiter je ne pense pas si avantageusement. Son idée manque dans l'exécution et ne me parait pas même assez bien déterminée en soi. Car qu'est ce, par exemple, qu'en rapportant le mot de haud au Thême cp, il le compose en effet de deux mots, tandis que ce n'est visiblement qu'un simple participe de ha-ën, hawen, capere, haben, houden. Je ne puis le citer que de mémoire, car je ne possède point le livre, et il est fort peu connu dans ce païs, mais je l'ai lu, il y a dix ou douze ans; je pourrais donc me tromper, mais j'y crois avoir remarqué bien des Etymologies où il méconnait entièrement la véritable racine, et surtout la marche et l'enchaînement des | ||||||||||
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mots dans leur propagation dérivative. Et à quoi bon ces Thèmes dinomiques ou trinomiques, qu'il aime tant, et qui ne sont véritablement que des compositions ou plutôt des squelettes de mots composés qu'on se plait d'imaginer faute d'idées simples et exactes. II faut pardonner à notre Albert Schultens de les avoir introduits en Hébreu, sur le fondement ridicule, qu'on ait absolument besoin de trois lettres pour que la diversité de leur composition puisse former le fonds d'une langue; mais assurément on a tort d'en faire un principe théorétique, puisque tout s'y réduit au plus simple. - Et comment le thème bl sigurerait-il la main, pour qu'on en déduise le mot de balaijer, celui de blow, de box on the air, et tandis qu'il est clair, que ce thème n'est que l'expression du soufle, bl, vl, dont v (w) est la véritable racine primitive, qui se change en b; le l n'appartenant qu'à la formation distinctive ou spécielle, qui sépare blehen, blow, de wehen ou waaien; par la modulation frequentative: l.., qui caractérise les verbes itératifs, surtout en Hollandais. - Comment peut-on déduire les mots énergiques et significatifs de lit (lectus) de slaap, de sopor, et pareils, de hand? Comment spider (quasi, comme étant un composé) de cob, en tant que son simple ou primitif? Comment peut-on défendre son thème rt, et l'application qu'il en fait? Comment justifier la famille qu'il forme de dam, digue; qu'il suppose primitif dans la signi fication de aard, terre, et dont il dérive domus, tom (celtique), dung, damnare, &c. Tandis que par | ||||||||||
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exemple dam, dans ce sens, n'est autre chose que d'ham du verbe hemmen (terminare, includere); dung, que d'ung ou d'ong, dont unguentum, unguere, notre ongel &c. &c. Je pourrais ajouter une foule de choses semblables, que vous n'approuveriez pas plus que moi; mais il se pourrait glisser quelque méprise dans mes exemples, et vous connaitrez l'ouvrage beaucoup mieux que je ne pourrais vous le rappeller. Cependant quoiqu'il en soit, je m'imagine que vous auriez plutôt fait en écrivant un Etymologicon tout neuf, qu'en redressant celui de Whiter, de manière à vous contenter vous-même. Le travail que vous y donnerez ne sera jamais perdu; au contraire il sera toujours précieux, mais j'oserais presque parier que vous finirez par le donner indépendamment de l'Auteur Anglais. Je suis parfaitement de votre avis, Monsieur; il suffit d'un seul mot, pour arriver par la suite d'une dérivation méthodique, à tous les mots possibles de toutes les langues. Et tout récemment encore j'ai démontré cette vérité dans mes leçons domestiques, par l'analyse d'un seul thème vocal considéré dans la diversité de l'application qu'il reçoit, et dont j'ai tiré des milliers de dérivés qui se tiennent tous par la main. Et c'est ce qui tient à une autre thèse, très paradoxe pour la plûpart même de ceux qui se piquent d'Etymologie: savoir que maintes fois l'on peut attribuer deux origines diverses à un même mot, dont l'une et l'autre est également vraie; la différence ne consistant que dans la marche isoleé (pour dire ainsi) | ||||||||||
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dont on se sert dans l'exposition artificielle, tandis que (réllement et dans le fait) comme les ideés se touchent de tous les points, il en résulte comme des marches curvilignes qui se croisent ou se retrouvent de divers côtés, selon les loix de l'imagination. Je ne voudrais donc pas rejeter toutes les dérivations qui diffèrent essentiellement de celles que je crois devoir adopter. Mais il me paraît de quelque importance pour la science d'établir une certaine marche réglée, comme je l'ai indiqué dans mon Traité du genre des Noms. Et les modifications des participes comme la plupart des terminaisons, je ne les regarde pas comme des idées séparées ou séparément subsistantes, mais simplement comme des nuances des prononciations qui répondent aux modifications de la même idée, et qui ressemblent par leur nature au changement de voyelles, 1'- - des Allemands. Quant aux Etymologies que vous venez de donner dans votre excellente brochure, je les admets toutes, et je vous en pourrais même montrer une bonne partie dans mes adversaria; preuve sûre et convaincante combien nous nous rencontrons sur le principe, quoique ce soient quelquefois des chemins assez différens qui nous mènent au même point. Je considère ce petit traité dont vous regalez la partie savante des Linguistes comme un ouvrage absolu dans son genre. De vouloir en applanir toutes les difficultés à ceux qui n'ont pas le véritable esprit Etymologique, ce serait chose infinie. Avec dix feuilles de plus vous leur créeriez autant de nouvelles que vous leur en auriez levées, et il y au- | ||||||||||
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roit toujours à recommencer. Il faut se choisir les lecteurs pour lesquels on va écrire, et le procul, procul este profani doit se supposer au frontispice de tout livre de science, à moins qu'il ne soit purement élémentaire. - Pour répondre de quelque manière à vos communications, permettez-moi de vous observer à l'égard de caminus, camnio, camara (d'où kamer, Holl.) cama, Esp., καμάϱα &c. le peu de chose que j'ai dit dans mon traité Hollandais, dont depuis cinq ans j'ai une nouvelle édition toute préparée, mais qui par des intrigues de Librairie ne rencontre que des empêchemens. C'est le thème ca, chaleur, qui s'applique aux objets brûlans, brûlables, et brûlés, et parmi ces derniers specialement à ceux qui sont durcis par le feu, ce dont l'application s'étend insensiblement aux pierres &c., tandis qu'en même tems le thème ha, son (sonus) s'applique de même à ces derniers. Mais il n'est pas besoin de dire que ce ca et ha se confondent. Ils se confondent et se changent véritablement l'un avec l'autre dans une infinité de cas, mais quelquefois ils concourent et s'unissent par le concours de leurs significations différentes, qui se trouvent réunis dans le même objet. Voilà donc un Exemple de deux origines réelles et diverses d'une même famille de mots. - Je n'y comprends point les mots essentiellement différens mais qui se ressemblent de manière à s'y méprendre, comme verandwoorden et verantwoorden, l'un tradere, l'autre defendere. Ecuyer, l'un de scutum; l'autre d'equus; étiquette, l'un de ἠϑιϰἠ, l'autre d'index &c. | ||||||||||
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Pag. 29., vous faites mention du mot Westphalien de helweg, landstrasze. Je ne puis me dispenser de vous communiquer que chez nous les voituriers nomment du mot de hal le fond dur d'un chemin bourbeux où le cheval a peine à fixer le pied. ‘Het hal is niet te vinden,’ disent-ils: ‘De paarden trappen tot over de hielen in de derrie, en nog vinden zy geen hal.’ ‘Le fond dur d'un chemin ne se trouve pas; les chevaux donnent jusques au-dessus des talons dans la fange, et ne trouvent pas de fond qui consiste.’ Quoique helgoweg (tout comme helgoland) se pourrait contracter en helweg, il se pourrait bien cependant que helweg (en tant que halweg) appartînt à cette cathégorie qui se rapporte au Latin callis et callus &c. du thème ca; chaleur est dérivativement endurcissement comme je viens de dire. Les chaussées se nommaient autrefois chez nous du nom de harde weg, steenweg. Le nom même de hoorn, (cornu) me paraît encore y appartenir. Chez nous ce nom n'étant pas exclusivement donné aux cornes, proprement ainsi dites, mais aussi aux bâtons durcis par le feu. Horensbranden signifie durcir des bâtons pour châtier quelqu'un; et c'est à cause de cela que l'on dit encore: daar brandt men horens, dans le sens: il faut éviter cet endroit, il est périlleux. C'est ainsi qu'en hoorn (cornu) le thème de c, pointe, se rencontre avec celui de dur. Je vous félicite, Monsieur, de la belle trouvaille que vous venez de faire par rapport aux langues Illyriennes etc. et je me flatte que vous en ferez bien- | ||||||||||
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tôt notre part à nous et aux autres amateurs. Rien de plus intéressant que ces recherches, qui à mesure qu'on y avance nous découvrent de plus en plus l'unique source primordiale des Langues, et dans ce résultat précieux le rapprochement de toutes les connaissances humaines dans ce grand et sublime problême que le langage nous offre. Mais je n'y entre pas pour le moment. J'ai l'honneur de vous saluer et de me nommer tout simplement sans faste comme sans réserve,
Tout à Vous,
BILDERDIJK. |
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