Giambattista Casti (1724-1803). l'Homme et l'oeuvre
(1951)–Herman van den Bergh– Auteursrecht onbekend
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VII
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Il est difficile de juger les hommes sur les seuls documents écrits; tâche plus difficile dans le cas spécial d'un Casti qui, dans l'opinion commune, selon le mot lancé en 1925 encore par ManfrediGa naar eindnoot3), ‘gît sous le grave poids de la condamnation parinienne’. Résumons brièvement ses caractéristiques morales. Passion insatiable des voyages, mais non pas basse comme celle de nombreux aventuriers de son temps qui erraient, au petit bonheur, en quête de fortune et de nigauds à tromper. Inclination au plaisir, sans troublement d'esprit. Sociabilité et charme incomparables, qui faisaient des plus recherchées sa compagnie, dans les cours, en voyage, aussi bien qu'en famille. Liberté désinvolte et franchise absolue dans le langage et dans les manières, devant n'importe qui, fût-il (ou fût-elle) revêtu des plus hauts offices - devant souverains et ministres, princesses ou grandes dames. Aversion de tout frein dans la vie, mais pas, pour cela, dissolution; parce que nous croyons fermement qu'il apparaissait libertin bien plus dans ses écrits et dans ses conversations qu'il ne le fut en réalité; et ses vantardises pornographiques, qui du reste sont de son temps, semblent plutôt des fanfaronnades, auxquelles il devait se sentir encouragé par l'effet exhilarant qu'elles produisaient dans toute personne qui les écoutait. Et quant aux prétendues intentions corruptrices qu'on a voulues découvrir dans ses Novelle, nous y voyons un jugement dicté par des conditions se prêtant mal à la sérénité, en des temps et parmi des hommes qui travaillaient avec enthousiasme et sacrifice pour la patrie et pour la liberté, quittes à affronter la galère et la potence; jugement gratuit pourtant, à l'égal de celui d'Ugoni qui, dans ces mêmes Novelle, crut discerner l'intention de seconder le programme ecclésiastique de Joseph II! La gent d'église avait déjà fourni auparavant ample matière à la nouvelle grasse, précisément par suite du contraste entre la vie prêchée et la vie vécue, et la tradition et ce contraste poussaient notre novelliste aussi, sans autre but que celui de susciter une risée large et sonore, comme en effet il réussissait à la provoquer: preuve en est l'accueil que chaque ville lui improvisait, chaque seigneur ou dame lui réservait à l'envi. Et ces applaudissements ne contribuèrent pas peu à renforcer en lui l'habitude de la conversation, orale et écrite, peu faite pour des oreilles pudiques. Nous devons en convenir: les malpropretés, fait étrange! se désapprouvaient en public mais ne s'en cultivaient pas moins dans les cercles de l'allégresse honnête, souvent comme un passe-temps nullement déshonorant! Mais l'honnêteté du caractère de Casti ne peut laisser de doute, tant d'après les témoignages d'autrui et les protestations de l'homme même, qu'en considération des personnes qu'il choisissait et conservait jusqu'à sa mort comme amis intimes et intimes confidents: Rosenberg, Kaunitz | |
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fils, Gherardini et Greppi. Et il ne s'agissait nullement ici d'un fin matois matriculé profitant de la niaiserie des simples. On peut désapprouver cette insouciance à se procurer une occupation stable qui ne le contraignît à accepter des secours amicaux, mais on ne peut lui imputer à blâme d'être né à ne faire que des vers et à raconter des histoires amusantes. Du reste, Casti voyait luimême cet inconvénient et s'en lamentait, en reprochant à Rosenberg de ne jamais avoir su lui trouver un bene stabile e solido; nonobstant quoi il semble qu'il ne s'abaissa pas à demander et à diminuer ainsi sa dignité, puisque ses amis prévenaient ses besoins. On pourrait encore considérer comme des manières de parasite vulgaire les repas fréquents aux tables des autres et la facilité avec laquelle il s'accommodait à l'hospitalité dans des maisons seigneuriales. Mais nous devons rappeler comment tout le monde se disputait l'homme à l'humeur gaie et comment les circonstances avaient presque transformé en profession son aptitude à réjouir les seigneurs de ses facéties. Quoiqu'il en soit, ces faiblesses sont largement compensées par ce fond de galantuomo que nous avons relevé plus haut, et par la justesse de ses vues politiques et de ses sentiments humanitaires. Certes, il peut y être entré une part d'égoïsme, sans que cela nuise à leur véracité. À ceux enfin, qui insistent sur son défaut d'avoir eu la langue maligne et vindicative, nous voudrions répondre, suivant notre conviction profonde, que lorsque Casti se moquait de Gustave III de Suède, de Catherine, de Pierre le Grand et de tant d'autres personnages ou institutions, il ne visait point à discréditer ou à donner cours à une haine personnelle, mais à faire rire. Son oeil était plus prompt à discerner les faiblesses que les vertus, et le ridicule est en grande partie fondée sur les faiblesses, parce que celles-ci forment précisément le contraste entre ce qui est, des choses et des hommes. Or, plus le contraste est grand, et plus on a de raisons de rire. Casti, ayant reconnu la nature humaine même sous l'auréole divine qui, de loin, paraît entourer la chevelure de celui qui est sur le trône et de ceux qui l'entourent, trouvait - cela se comprend - des contrastes plus grands dans ces êtres d'apparence surhumaine que dans les hommes communs. Cette intention, disons mieux, ce besoin de rire et de faire rire éclate à tout venant jusque dans son épopée animale qui pourtant est essentiellement satirique, lorsque le poète, las du sérieux continu, perd de vue son but et retombe là où sa nature l'attire. En somme, il nous paraît que, autour de notre homme, nous devons nous armer de bien plus de circonspection que par le passé, et surtout, éviter de prendre pour de l'or fin les jugements faciles sous lesquels l'ensevelirent, debonne foi sans doute, tant d'hommes d'insigne valeur, tels Parini, Foscolo et Carducci, et aussi des pédants comme Tommaseo. | |
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Casti, pour reprendre le mot de ManfrediGa naar eindnoot4), naquit avant son temps. Il aurait mérité de vivre à l'âge de la presse libre, celle que nous avons connue pendant un siècle. Il aurait été un journaliste de réputation non commune, un maître de l'art satirique et de l'intuition politique, une plume indépendente, non vénale, un paladin hardi, mais équilibré, des idées qu'a infusées dans notre sang la Révolution de 1789. Ceci donc pour l'homme. Dorénavant, ne le séparons pas de son oeuvre. Car le bilan physico-psychologique que nous venons de dresser de lui ne peut être que provisoire. Voyons ses écrits. Ils ne sont pas tous impérissables. Pourtant, il y en a qui, par certains côtés, ne le cèdent en rien à ceux des plus grands observateurs de la vie et de l'âme humaine. |
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