Giambattista Casti (1724-1803). l'Homme et l'oeuvre
(1951)–Herman van den Bergh– Auteursrecht onbekend
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À la longue, le séjour de Vienne ne convenait plus à un homme qui aimait la liberté de pensée et de parole autant que la vie, à un poète d'esprit indépendant qui, dans ses lettres, ne cache pas son admiration pour la valeur et la résistance des Français contre les armes coalisées, qui ne taisait point, vis-à-vis de ces courtisans dont il était l'intime, l'horreur qu'il avait de la cruauté de ceux qui persistaient à vouloir une guerre épuisante et ruineuse, et qui s'acharnait à invoquer la paix. Il faut bien se rendre à l'évidence: Casti garde, un peu par sa nature, un peu parce qu'étant éloigné de toute participation directe aux affaires d'état, une grande sérénité de jugement au milieu des passions tourbillonnantes que la Révolution française avait suscitées. Paolo Greppi lui-même, dont l'impartialité et la franchise sont attestées par l'un de ses descendants et par les lettres que celui-ci publia, rend hommage, dès 1793, à la même qualité dans Casti. Un jour, Greppi écrit à Casti à propos d'une de ses habituelles lettres politiques à lui adressée: ‘Je l'ai lue et relue plusieurs fois, et ce ne fut sans un sentiment de tendresse mêlée de plaisir et d'orgueil pardonnable, qu'en la mettant à côté de plusieurs de mes lettres sur le même thème, j'ai reconnu une parfaite harmonie entre nos opinions et même dans la façon de les exprimer et de prévoir les conséquences que l'ordre actuel des choses doit avoir’. Il l'en remercie et lui demande une faveur, celle de ‘ne laisser échapper aucune occasion pour me tenir si bien informé de tous ces événements politiques et économiques, et d'exposer librement les opinions d'un esprit qui hait, comme le mien, tous les excès et qui se paît d'idées et d'espérances d'équité, d'honneur et de vrai bien pour l'humanité. Oui, cher Casti, faisons-nous une gloire d'être du petit nombre de ceux qui connaissent les principes sur lesquels devraient reposer les constitutions des nations... Lorsque vous sentez le besoin de vous épancher, scrivez donc ce qui vous vient à l'esprit: même s'il me parvient tard, cela restera toujours pour moi, à l'égal de tous vos autres écrits, comme un monument de la justesse et de la grande force pénétrante de votre pensée et de la bonté de votre coeur’. Et Greppi regrette de n'être plus avec lui à Baden, pour discuter plus à son aise ‘de ce sujet inépuisable’! - Un peu plus tard, il ajoute éloge sur éloge: (en fr.) ‘Il est impossible de n'être pas frappé de la justesse et de la profondeur de vos réflexions. Vous mesurez l'espace de ce coup d'oeil rapide qui distingue le génie, et vous arrivez au but, sans vous laisser détourner par toutes ces petites considérations qui arrêtent à chaque pas l'homme ordinaire. Vous laissez les bamboches politiques se trainer (sic) d'évenemens en évenemens (sic) et se croire illuminées parce qu'elles ont prédit | ||||||||||||||||||||||||||||
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que telle ou telle place seroit prise, ou que telle armée dans telle position seroit battue’. Nous ne nions point le caractère quelque peu exagéré de cette glorification; et pourtant elle est en bonne partie exacte, parce qu'elle touche fort bien l'essence même des dons d'observation de Casti: perspicacité, bon sens, rapidité du coup d'oeil. Enfin, dans une autre lettre, il le remercie de la confiance qu'il lui a témoignée et qui le lie toujours plus à un homme qui a su ‘se conserver à tel point intègre, honnête et plein d'énergie philosophique au milieu de la corruption des cours’Ga naar eindnoot3). Nous comprenons maintenant comment Casti, qui tout d'abord avait désapprouvé, avec Greppi, les excès de la Révolution et son éloignement des principes qu'elle avait proclamés à haute voix, et qui avait souhaité, pour voir la tranquillité rétablie en Europe, la victoire des armes autrichiennes, passa plus tard à blâmer la férocité des coalisés à prolonger la guerre et admira de tout son coeur la force de résistance des Français. Au commencement de 1796, Casti raconte à Gherardini les préparatifs pour la cinquième campagne et il ajoute, avec ironie amère: ‘Quelle joie de penser que la prochaine campagne décimera considérablement les habitants encore survivants de la terre et désolera une bonne partie de l'Europe. Mais tant qu'il y aura des hommes à massacrer, de l'argent à payer aux massacreurs, des fous qui commandent, des c...s qui servent, nous ne manquerons pas de nous reposer heureux dans l'état de société parfaite’. Au mois de février, il parle encore des ‘très heureuses calamités actuelles’. En mars, ‘à la veille des hostilités’, il s'écrie: ‘Donc préparons-nous à nous exterminer joyeusement pour l'honneur et la gloire des armes’. À ceux qui disent, en considération des forces envoyées en Italie: ‘nous avons sauvé l'Italie’, il réplique: ‘Elle a été sauvée comme quelqu'un pourrait se dire sauvé des brigands qui, pour se faire défendre contre lesdits brigands, aurait donné tout, même sa chemise, au soi-disant défenseur’Ga naar eindnoot4). Le poète chancelle, tout comme les peuples fatigués, entre l'espoir de paix et les désillusions, en maudissant Pitt, cause de tout mal; et s'il souhaitait d'abord le succès de la coalition en vue de la tranquillité de l'Europe, on dirait maintenant qu'il cherche presque à minimiser l'importance de quelques défaites infligées par l'Autriche aux Français, en vantant la capacité militaire de ces derniers: ‘Eux savent faire la guerre, et peut-être mieux que nous, ‘parce qu'il ne paraît pas que nous ayons un Pichegru ou un Moreau qui, placés dans leurs conditions, puissent et sachent faire autant; et ceci, je ne le dis pas par tendresse ou enthousiasme fou pour les Français, dont | ||||||||||||||||||||||||||||
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je connais toute la faute ainsi que l'exécration qu'ils méritent sous tant et tant de rapports; mais en disant cette vérité il faut admettre en même temps beaucoup à leur avantage, et qu'ils font de sorte que la continuation de la guerre doit toujours être regardée comme dangereuse, même après tant de succès que nous avons remportés en fin de campagne: parce que nous avons vu avec stupeur comment, en des circonstances encore plus ruineuses pour eux, comme après la défection de Dumouriez, la prise de Toulon, la bataille de Landrecì (sic) et après la formidable insurrection en Vandée (sic), ils se sont redressés toujours plus redoutables en face de toute l'Europe unie contre eux’Ga naar eindnoot5). Il n'est plus besoin d'autre chose pour rendre évident que l'homme qui raisonnait de la sorte ne pouvait échapper à l'accusation de jacobinisme dans ‘un lieu de la plus soupçonneuse et dangereuse Inquisition’ qu'était devenue Vienne. Jacobinisme! ‘Imputation qu'on lance si facilement, sans en regarder ou peser beaucoup le sens, contre ceux qui ne pensent de la même manière que celui qui émet l'imputation... ‘Pour Jacobins passent donc tous ceux qui n'approuvent pas entièrement toutes les mille et mille c....ries faites par la coalition du commencement jusqu'à ce jour.... De cette façon il est inconcevable que les 9/10 au moins de la population ne soient pas jacobines, je veux dire ceux en qui reste une dose minime de sens commun, d'humanité et d'honnêteté’Ga naar eindnoot6). Au bout d'une expérience pareille, le besoin de liberté, peut-être plus encore que des raisons de santé (il souffre d'une toux tenace) pousse Casti à s'éloigner de Vienne. Pour la première fois il laisse entrevoir une intention dans ce sens le 14 avril 1796: ‘Vraiment le climat de Vienne, sans parler du froid, a quelque chose peu favorable au bien-être des vieux. Moi j'ai ma toux et puis les vertiges et encore l'apostume’ (à l'oreille droite) ‘et puis encore que diable en sais-je, mais si cela dure je ne fais pas de compliments: ce misérable bout de vie qui me reste à vivre, pour peu que ce soit, je ne le mettrai jamais dans la balance contre n'importe quel intérêt au monde’. Trois jours après, il exhorte Gherardini à brûler ‘absolument’, après lecture, la lettre dans laquelle il lui a donné des détails piquants concernant l'ambiance politique de Vienne, ‘pour éviter toutes les éventualités qui pourraient en résulter et qui seraient fatales dans un règne d'Inquisition comme celui-ci: je Vous assure qu'un honnête homme s'y trouve mal, et si cela dure ainsi, je vous donne ma parole que je n'y finirai pas mes jours’Ga naar eindnoot7). Voici en effet comment, l'année suivante, de l'Italie, il se plaindra vis-à-vis du prince de Starhemberg des fers qui le tenaient serré pendant les derniers mois passés dans Vienne. | ||||||||||||||||||||||||||||
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‘Il y a 8 ou 10 mois, le comte de Pergen, tout en me faisant ses excuses personnelles, me dit que Sa Majesté ne voulait pas que ses employés fussent en relations avec les ministres étrangers et que, bien qu'il n'y eût rien de réel contre moi sur ce point, au nom de S.M. on me donnait l'ordre de rompre toute relation avec eux. Je lui répondis avec un papier: que je n'avais pas plus de relations avec lesdits ministres que n'en avaient des centaines de personnes qui fréquentaient leurs conversations hebdomadaires et que, comme tant d'autres, je ne m'y rendais que tous les 10 ou 15 jours pour diner, et je demandais qu'on m'indiquât ceux avec qui l'on ne voyait pas d'un bon oeil que je m'entretinsse, et que, pour obéir à S.M., je le ferais même au prix de manquer de politesse. Parce que, si l'on voulait m'interdire absolument de parler et de voir toute personne du corps diplomatique, je préférais prier S.M. de me permettre de m'éloigner de Vienne et d'aller vivre à la campagne, vu que j'avais depuis quelque temps renoncé à toute autre société. - Après quelques jours, il me fit appeler et me dit que S.M. par une grâce particulière s'était expliquée en disant qu'elle entendait seulement que je coupasse toute relation avec les ministres de Prusse et de Sardaigne, mais qu'il fallût absolument couvrir cela d'un silence jaloux, parce que le contraire déplairait au plus vif à S.M. En effet je n'allai plus chez ceux-là, au risque de paraître impoli, et seulement en les rencontrant dans la rue ou ailleurs, je leur fis un salut ou leur adressai quelques compliments, car il est impossible d'empêcher que les gens se rencontrent. Mais ce n'est pas être en relation étroite. Quant à Lucchesini, je compris bien quelle interprétation équivoque pouvait avoir donné lieu à quelque suspicion chimérique. Parfois, après diner, en chambre séparée pour ne pas être dérangés, je lisais une composition poétique de ma main à Lucchesini et à d'autres personnes en mesure de la goûter, car Lucchesini est une des rares personnes à Vienne capables de goûter et de juger entièrement la poésie toscane. Quant à Castel Alfieri, je n'y vois d'autre raison que l'union qui existait entre lui et Lucchesini. Tout de même mes allées et venues furent, à ma honte publique, observées de près, mes paroles et mes écrits épiés; mais malgré la persévérance décidée de cette inquisition, il ne fut trouvé en moi rien qui pût mériter une repréhension, bien moins une punition’Ga naar eindnoot8). Tout cela fut cause qu'au mois de septembre il est fermement résolu à demander un congé temporaire... ‘un congé à passer en Italie, pour tout l'hiver, à cause de la toux qui dans ce climat me tourmente continuellement en hiver. Car je suis profondément convaincu qu'il faut faire tout, d'abord pour sa santé, puis pour sa tranquillité et, dans certains caractères, pour la susceptibilité de l'estime de soi et pour sa satisfaction. Il se pourrait que, pour quelque raison personnelle, je ne puisse donner suite à mon projet qu'à la fin de septembre ou le commencement d'octobre... Je voudrais bien que, sur ces entrefaites, les choses bouleversées de l'Europe s'arrangent assez pour que je puisse y trouver un endroit tranquille où l'on respire librement’Ga naar eindnoot9). Aux premiers jours de septembre il annonce, toujours à Gherardini: | ||||||||||||||||||||||||||||
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‘Après la moitié du mois je pars pour Trieste, afin de me débarrasser de l'affreuse toux qui me tourmente. J'y resterai 3, 4 et même 5 semaines chez Pitoni et j'y verrai la colonie des émigrés illustres, puis je vais à Venise... et si les circonstances le permettent, je viendrai à la bonne saison vous trouver pour vous dire aussi une fois quelque chose de vive voix’. L'impulsion à cette décision lui aura été donnée par la prévision de la fin prochaine du bon Rosenberg qui, en effet, mourra à la mi-novembreGa naar eindnoot10). Au bout d'une bonne semaine, il annonce d'avoir fixé la date de son départ pour le 22 décembre. À Noël il compte être à Graz, à diner chez le gouverneur de cette ville; à Trieste il sera attendu par la colonie milanaise, déjà au courant de son projet de voyage. ‘... Lorsque S.M. sera retournée de la Diète, j'irai après quelques jours, donc aux premiers de décembre, Lui demander un congé de 6 mois pour des raisons de santé et pour éviter la toux qui me prend chaque année vers Noël, et en même temps pour revoir quelqu'un de ma famille. Pour ces raisons j'espère qu'Elle me l'accorde, d'autant plus que je n'ai rien à faire ici’. En effet, le premier ministre du palais lui signait le 11 décembre, au nom de Sa Majesté, un congé de six mois avec continuation de la pension pour la durée du congé, et si ce n'était assez, ‘... Le prince Starhemberg a ajouté plusieurs fois, de vive voix, que si je veux une prorogation, je n'ai qu'à lui écrire. - Je pars donc mercredi 21 prochain..’ Dans la même lettre, qui est du 16 décembre, il raconte sa sortie de chez Thugut après le dernier entretien au palais; c'est à ce ministre qu'il avait ‘dans les termes les plus pressants’, recommandé Gherardini pour l'ambassade d'Autriche à Madrid. ‘Après de nombreuses affirmations que, pour sûr, il ne m'oublierait jamais, au moment du départ il m'embrassa et... me donna un baiser. Mais oui monsieur, il me donna un baiser! Ne sentez-vous pas les larmes vous couler par les joues, à un tel acte de tendresse?’Ga naar eindnoot11). Parti tranquillement de Vienne, il voyageait jusqu'à Graz en toute tranquillité; mais en arrivant dans cette ville, le 24 décembre, il fut attendu, lui, sa valise et sa voiture, par des agents de la police impériale. Voyons un peu comment la victime raconte à Starhemberg cette charmante aventure policière. ‘... Jusqu'au moment de mon départ il n'y eut rien à redire à ma conduite. Je partis et, à l'arrivée à Gratz, la police de cette ville s'empara de toutes les lettres et paquets que j'avais sur moi et que mon valet, pour tenir les papiers ensemble, avait scellés. J'allai voir le Gouverneur Wil- | ||||||||||||||||||||||||||||
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seck, qui me dit que cela avait été fait par ordre supérieur et qu'il devait, lui, envoyer lettres et paquets à Vienne, mais que, si l'on ne lui écrivait rien concernant ma personne, je pouvais rester et attendre le retour de mes papiers, ou bien poursuivre mon voyage, tout comme il me plairait. Il n'y avait donc encore rien contre moi, mais on soupçonnait, je ne sais pourquoi, mes choses écrites. Je me sentis indécis, si je ne devais retourner sur-le-champ à Vienne pour montrer que j'étais parfaitement disposé à rendre compte de toutes mes paroles, de chaque virgule; mais je pensai que cela devait faire de la rumeur en ville, ce que je voulais éviter. Je restai donc à Gratz, quelque coûteux qu'un tel séjour dût être, et pour montrer que j'étais sûr de moi, j'écrivis une lettre au baron de Thugut, dans laquelle je lui dis que, bien que mon principe fût qu'à chaque homme honnête doit être égal que je sache ce qu'il fait, dit ou écrit ou même, s'il était possible de le savoir, ce qu'il a dans son coeur ou en sa pensée, il était tout de même désagréable de se voir prendre ses papiers privés, sans intérêt pour un autre et qui regardent seulement ses affaires ou intérêts privés. Au bout de quelques jours on me renvoya deux ou trois lettres des plus indifférentes que j'avais eues sur moi, en me disant qu'on allait bientôt me rendre aussi les paquets. Je partis donc et à Lubiana je trouvai les mêmes ordres. Deux jours après mon arrivée à Trieste on me remit tous les paquets qu'on m'avait ôtés, avec une lettre de la Haute Direction de Police, où il était dit, presque comme justification, que tout cela avait été de ma faute, puisque j'avais eu sur moi des lettres et papiers scellés, ce qui était contre les règlements; mais que, n'ayant trouvé rien d'inconvénient dans mes papiers, on me les rendait’. Casti trouve cela un raisonnement ‘frivole’ et il continue: ‘Donc jusqu'à mon séjour à Trieste, où je m'arrêtai pendant 6 semaines environ, il n'y avait eu rien de repréhensible dans mes écrits, par confession de la Police elle-même. Voilà pourtant une inconséquence qui doit frapper Votre Altesse ainsi que toute personne qui pense droit. - Au moment de quitter Trieste je reçois une lettre de la même Police. Quelle extravagance incompréhensible que celle-ci! Après les marques de bienveillance du Souverain, après une déclaration plus que favorable de la Haute Direction, on m'inflige une sorte de punition et d'exil, sans en donner raison ni preuve aucune’Ga naar eindnoot12). Ceci nous porte à supposer que, lorsque Casti était parti de Vienne, quelqu'un, lié à lui d'une certaine intimité mais intéressé à le voir éloigné pour toujours, se soit donné la peine de lancer contre lui à la cour l'accusation, alors en vogue, de ‘jacobinisme’, et ce quelqu'un pourrait fort bien être ce Giovanni de Gamerra, auteur de la fameuse Corneide et spécialiste des drames larmoyants, que le paresseux Poeta Cesareo avait pris comme ‘coadjuteur’. Da Ponte avait déjà entendu dire, et pour en avoir le coeur net il en demandait par lettre la confirmation à Casti (qui, du reste, ne répondit pas) que ‘cet animal très-cornu’ ait été la ‘cause première’ du | ||||||||||||||||||||||||||||
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départ de Casti de Vienne. Sur accusation de cet homme, Casti aurait subi à l'improviste une perquisition à Vienne même où il continuait à vivre tranquille et content: ‘on lui prit tous ses papiers et on lui ordonna de quitter Vienne sur-le-champ.’ La chose ne se passa pas précisément comme Da Ponte la raconte, et notre propre récit nous permet en même temps de corriger l'inexactitude de Tocci qui, prêtant plus de foi à Da Ponte, reproche à plusieurs reprises à Ugoni - qui justement sur ce point est on ne peut plus exact - de manquer de précision. En effet, le départ fut décidé par Casti lui-même, et la police ne vint le fouiller qu'à l'arrivée à Graz, et non pas à Vienne. De sa part, Ugoni, évidemment par déduction faite sur la date d'une lettre que Casti adressa au prince de Liechtenstein ‘de Pise, le 14 juin 1797’, fait dater de cette année seulement le départ du poète de Vienne, la lettre faisant allusion (en français) ‘... à la démarche aussi injuste que (sic) arbitraire de la police de Gratz’, notre biographe la suppose être écrite peu de temps après ce fait, et de là son erreurGa naar eindnoot13). Rosini fait un peu le contraire, non tant encore dans sa préface, mais sous forme explicite dans le Nuovo Giornale dei Letterati: ‘... tout le monde se rappelle que (Casti) vint en Toscane en 1796, avec une bonne partie des apologues déjà terminées’Ga naar eindnoot14). Et pourtant Casti n'arrivait en Toscane que vers les derniers jours de février 1797, en venant de Trieste, et il ne s'était arrêté à Venise qu'une ‘pauvre journée’ pour aller diner chez la marquise Gherardini, pour faire ensuite ‘un voyage très agréable et calme’ à travers les états de Ferrare et de Bologne. Il projetait de se rendre tout de suite à Pise, mais il fut retenu quelque temps, presque tout le mois de mars au moins, à Florence par ses ‘très nombreuses connaissances... un certain enthousiasme et une certaine fermentatation’ suscitées par sa ‘jolie mine’, et plus encore à cause de sa ‘curiosité et du désir d'écouter la célèbre Bilington’ qu'il n'avait jamais entendue chanter. Dans la sécurité et la tranquillité publiques, au sein de la liberté civile que, en ces temps tumultueux, on ne rencontrait qu'en Toscane, il ne regrette ni Vienne ni sa haute charge; tout ce qu'il demande à cette dernière, est une partie des revenus. En effet, avant l'expiration du congé il prie Starhemberg qu'il ‘lui obtienne effectivement cette grâce de par S.M.: que me soit accordé, une seule fois, la somme de 4 ou même de 3 mille florins; et je renonce, moi, pour toujours à ma pension entière... Si donc ils désirent se défaire de moi, comme il paraît, ils pourront le faire à bon compte, | ||||||||||||||||||||||||||||
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soit au prix de 2 ans ou même d'un an et demi de ma pension’. En même temps il incite Liechtenstein à l'aider à atteindre ce but: (Fr.)Ga naar voetnoot*) ‘... si par malheur je ne pourrai (sic) obtenir cette grace (sic) si discrète, si raisonable (sic), je me verrai dans la facheuse (sic) nécessité de demander malgré ça ma démission. Car il m'est impossible de m'accomoder (sic) à une espèce d'aveu d'une faute que certainement je n'est (sic) pas’Ga naar eindnoot15). Tocci croit que cette demande, dont il prend note par Ugoni, ait été exaucée, mais la lettre d'un certain Authon, attaché ‘au Département du Grand Maître de S.M. l'Empereur e (sic) Roi’, parle du déplaisir du prince de Starhemberg pour n'avoir pas pu lui obtenir ‘de la généreusité (sic) souveraine’ sa requête: (Fr.) ‘La Majesté a décidé de ne vouloir se départir des résolutions qui sont émanées à votre sujet’. Le congé ayant été prolongé de six à dix mois, il est à croire que les ‘résolutions émanées’ signifiassent que la pension devait être calculée non au-delà du temps exact de la durée du congéGa naar eindnoot16). En résumé, l'empereur ne le voulait plus près de lui, et lui n'avait désormais plus envie de retourner. Peut-être même Casti n'aurait plus jamais bougé de Pise et de la Toscane, où il se trouvait souvent avec Paolo Greppi, s'il n'y avait eu les exigences de l'impression de ses oeuvresGa naar eindnoot17). Il pensait désormais très sérieusement à cela. Du reste, il s'était déjà occupé à Vienne de trouver un éditeur prêt à lui verser une certaine somme en échange de la cession de ses oeuvres, puisqu'il avait renoncé à sa vieille idée de les faire imprimer à ses propres frais et risques, chose à laquelle, paraît-il, Gherardini voulait encore l'inciter, parce que Casti lui écrit: ‘Faire (l'impression) moi-même serait une ânerie formidable (una solennissima, arcisolennissima buggera) pour toutes les raisons que je vous ai dites d'autres fois, raisons claires, logiques, palpables et évidentes à tout être hormis Votre Excellence’, - et il continue: ‘Trouvez-moi quelqu'un qui me donne 4 mille sequins, au besoin un peu moins que ça, et moi je m'engage à fournir une matière déjà prête pour 12 bons volumes à imprimer avec mon appui. Et voilà ce que j'essaie et ce que je cherche à présent, et si je n'arrive à rien, je vous le dirai à son temps; mais vous voyez bien qu'il s'agit d'une édition qui ne peut se faire qu'à Paris, en Angl:, ou en Amérique, vu la matière’. Non en Italie: ‘... quel bénéfice puis-je espérer en Italie, sinon la vente de quelques exemplaires? Et je n'ai point envie de perdre mon temps, ma peine et | ||||||||||||||||||||||||||||
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mon argent en prenant sur moi une incommodité fort coûteuse, embar rassante et déplaisante’. Il lui communique aussi la distribution des ‘12 tomes’:
‘Al che volendo posso aggiungere poesie liriche, lettere interessanti, relazioni’Ga naar eindnoot18). (De cette énumération, nous traduisons seulement le contenu du dernier volume projeté, celui-ci étant le plus important pour notre récit: ‘Pour être connu à son temps, et ceci à coup sûr, (oeuvre) la plus intéressante, la plus piquante et toute flambante neuve, de réussite infaillible. Oeuvre posthume (!)’. - Il s'agit naturellement des Animali parlanti.) Un Italien, naturalisé Français, Bonafide, s'était donné à Paris toutes les peines du monde pour trouver cet éditeur, mais avec un résultat plutôt maigre, comme il l'annonce lui-même à un comte qui lui en avait confié la charge: (Fr.) ‘Exiguum censum, turpemque repulsam. Tel est en peu de mots le résultat des démarches que j'ai fait (sic) pour m'acquitter de vos ordres... Molini... est le seul qui ne se soit pas montré éloigné de se charger de cette édition, et qui ait accueilli mes propositions avec quelque intérêt; mais les offres qu'il fait sont bien loin de répondre à ce que vous me marquez dans votre lettre des prétentions de l'auteur, 48 mille livres en numéraire font une somme effrayante dan (sic) ce tems (sic) ici pour un particulier, et le possesseur d'une fortune pareille libre et disponible, prefereroit (sic) à une spéculation d'imprimerie l'achat d'une magnifique propriété territoriale qui lui assureroit au delà de l'aurea mediocritas aussi vanté (sic) par le poète latin. Le poète italien trouvera dans la note ci-jointe tous les détails et les offres que Molini lui fait’Ga naar eindnoot19) Entre le libraire et Casti, par l'intermédiaire de Bonafide, il y eut des négociations en vue d'un ‘contrat raisonnable’; Molini aurait consenti (Fr.) ‘à faire l'avance des frais d'impression, et d'attendre son remboursement définitif par le débit, mais il ne veut | ||||||||||||||||||||||||||||
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nullement se charger ni d'assurer une pension, ni donner une rétribution à l'auteur avant que ses fonds ne seroient (sic) rentrés’. Les propositions de Molini n'étaient pas pour satisfaire trop le poète qui alors, c'.à.d. à la fin de 1797 ou en 1798, pensa à constituer une association de gens de bien qui s'obligeraient à débourser la somme de 3000 sequins (somme qu'il fallait, selon Casti, pour qu'il pût rester à Paris jusqu' à la fin de l'impression, soit trois ans à peu près), à cette condition même que le déboursement eût lieu après la conclusion du contrat entre l'auteur et l'éditeur et après le commencement de l'impression, ‘soit après un ou au besoin deux ans’. Entre temps il ‘pouvait de sa part subvenir aux premiers frais’Ga naar eindnoot20). S'étant donc procuré un passeport de la République Romaine (c'est dans celui-ci que Casti, âgé de 74 ans, donne son âge comme 70!) et un autre de S.A.R. le prince Ferdinand III de Toscane (où il est appelé ‘poeta di questa Real Corte’) il se met en voyage pour Paris en 1798, au commencement de juin. Le 6 de ce mois il délivre à Pise un ‘mandat de pouvoir à Paolo Greppi’, toute la seconde moitié du mois il s'arrête à Gênes, accueilli de façon très cordiale par la nouvelle population républicaine, succédant à ses aristocratiques relations d'autrefois; les Directeurs mêmes de la République Ligurienne l'invitent à dîner avec eux. La nature démocratique du poète ne se trouve pas mal à l'aise dans ce cadre, mais les manifestations par trop débraillées d'esprit républicain des marins génois qui avaient conduit sa felouque de Lerici à Gênes lui suggérèrent quelques réflexions sensées non moins que spirituellesGa naar eindnoot21). Le 19 juillet il est déjà à Chambéry et le 22 il écrit de Paris à ses banquiers de Livourne, Maspignotto et Patrini. Une lettre du chevalier De AzaraGa naar eindnoot22) contient la preuve qu'il n'était pas arrivé avant le 20: ‘Si Casti vient ici...’ De Azara était la plus récente amitié nouée par Casti; il devait bientôt devenir son protecteur à Paris. À peine arrivé dans la capitale française, Casti était allé habiter au no 1 du ‘quay de Voltaire’; après, il fut accueilli dans l'hôtel même de l'ambassadeur d'Espagne, près de l'Hôtel des Invalides, provisoirement à ce qu'il paraît, parce que dès le 5 avril 1799 on lui adresse une lettre: (Fr.) ‘sur le quai de Voltaire au coin de la Rue des S.S. Pères’Ga naar eindnoot23). À partir du 26 juin 1801, peut-être jusqu' à sa mort, son domicile fut Rue du Montblanc no 48Ga naar eindnoot24). On s'attendrait à ce que le caractère sociable de notre abbé l'ait bientôt poussé tout bonnement dans le ‘tourbillon tumultueux’ de la métropole. Par contre, il préféra nettement l'état de retraite et après deux ans de séjour - ainsi nous lisons dans la fameuse lettre du 10 octobre 1801 à la ‘Carissima Sig.a Chiaretta mia’ de Venise, | ||||||||||||||||||||||||||||
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Premier feuillet de la lettre que Casti, agé de 77 ans, écrivit le 10 octobre 1801, de Paris, à la ‘Carissa Sig.ra Chiaretta mia’ (Chiara Pesaro, de Venise) au sujet de la vie qu'il menait dans la capitale française - voir p. 82, en bas -; lettre se trouvant â la Bibl. de l'Univ. d'Amsterdam, fonds des mss., coll. P. - A. Diederichs no 118Be
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lettre qui se trouve à la Bibl. de l'Université d'AmsterdamGa naar eindnoot25) - il n'avait ‘encore mis le pied que dans peu de maisons françaises’, étant ‘content de la compagnie de quelques Italiens’, dont plusieurs étaient dotés d'érudition et que l'attrait de la liberté et l'expérience ou la peur des persécutions avaient induits à émigrer vers le pays de la Révolution: parmi eux devinrent ses intimes les frères Corona, d'Arpino (comme Cicéron!), le médecin-physiologue docteur Antonio Pitaro, de Naples, l'abbé sicilien Scrofani; de ses vieux amis il y avait Paolo Greppi. Il ne lui manquait point d'anciennes connaisances viennoises, comme Philippe Cobenzl, jadis vice-chancelier à Vienne et maintenant ambassadeur d'Autriche, cousin de l'autre Cobenzl, ancien ambassadeur à St. Pétersbourg. Et il y avait d'autres diplomates, outre Azara, à rechercher la familiarité du poète, comme l'ambassadeur du Portugal, Harves. Même, Casti jouissait de la bienveillance toute spéciale d'un frère de Bonaparte, JosephGa naar eindnoot26). Au sein de ce petit cercle d'Italiens déférents à sa gaîté légère et toujours juvénile - il faut y ajouter Vincenzo Monti (dont on rencontre plusieurs poésies inédites parmi celles de Casti dans le volume manuscrit 1628 de Paris!), Giovanni Pindemonte, Giovanni Fantoni, Lorenzo Mascheroni etc. - il aimait réciter ses poésies. Souvent il recevait des invitations aux tables bien garnies soit d'un tel seigneur soit d'un autre, et l'existence se présentait désormais à lui sans soucis ni craintes, grâce à une rente viagère mentionnée dans la lettre qu'on trouve dans Fanfulla, et dans d'autres lettres par la suite. Voilà bien changé le sombre portrait que le chevalier De Azara avait peint à la veille de l'arrivée de Casti qui, bien au contraire, paraît avoir trouvé sa place dans ce Paris où, comme il l'écrit dans la lettre se trouvant à la Bibliothèque d'Amsterdam, ‘il suffit de non inquiéter les autres pour être sûr de ne pas être inquiété.’ Et voilà, en même temps, l'homme qui aurait, après le 18 Brumaire, médité de poignarder (rien de moins!) Bonaparte pendant une revue, place du Carrousel, au beau milieu de l'État-major et des gardes! Puisqu' on ne peut croire que celui qui raconta cette bourde à Ugoni (qui la donne comme authentique!) ait voulu lui jouer un bon tour, il faut bien supposer que l'inventeur, celui qui débita à un ami l'histoire à dormir debout ait été... Casti lui-même, habitué à se moquer de tous et de tout, et surtout à rire à ses propres fraisGa naar eindnoot27). Tous ces sentiments bénévoles n'avaient pas trouvé écho dans un exilé napolitain, Gaetano Rossi, parce que Casti, et d'autres avec lui, avait dit beaucoup de mal d'un poème que Rossi avait écrit en louange de Napoléon. Comment répondit Rossi? Avec un libelle intitulé Satirasco, où (Fr.) ‘il n'a pas attaqué les ouvrages des | ||||||||||||||||||||||||||||
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autres, mais il a attaqué la réputation et l'honneur d'une quantité de personnes par des calomnies infâmes, atroces, et aucunnement (sic) provoquées’. Notre abbé, par ex., y était traité de lenone (maquereau), de Sinone (traître), de chercheur de dîners près du Ministre de la Police, auquel Casti écrit toutes ces choses pour le supplier de protéger son bon renom, parce qu'il n'est pas possible de mépriser ‘les calomnies, quand on les débite dans les théâtres, quand on les lit publiquement, quand elles se répandent dans toute l'Europe’. - Et d'autre part, pour ce qui est de traîner le coupable devant le tribunal, ceci (Fr.) ‘est bien désagréable, bien désolant, bien embarrassant pour un honnête homme de 81 (!!) ans, qui n'a paru jamais devant aucun tribunal, de se donner ainsi en spectacle à la ville, et de devenir l'objet des railleries de médisants, et même des capricieuses interprétations et des sarcasmes des journaux’Ga naar eindnoot28). Nous ne savons comment l'affaire a fini et cela, à vrai dire, n'importe pas tant; voyons plutôt, il en est bien temps, comment réussit l'entreprise qui avait conduit Casti à Paris. Encore en Italie, il avait, nous l'avons vu, conçu le projet d'une association de personnes. À Paris, il exécute ce projet surtout pour les Animali parlanti qui, tout en étant, comme nous l'avons dit, sa dernière oeuvre quant au temps, était celle sur laquelle l'auteur fondait ses meilleures espérances de profit et de gloire durable. Déjà dans l'énumération des tomes à imprimer, rapportée plus haut, le poète y avait fait allusion, d'un air mystérieux, comme à son ‘oeuvre posthume’ et ‘le plus intéressant, piquant etc.’ parmi les douze tomes. Et quand, peu après, il se décide à sortir du mystère, il fait savoir à l'ami en quoi doit consister ce volume: ‘dix apologues politiques de 20 sestine l'une dans l'autre, dont 8 sont déjà faites et deux seulement me restent à faire, qui, j'espère, seront prêtes dans deux mois ou un peu plus’. Nous sommes le 17 avril 1796; nous avons donc raison de croire qu'il avait commencé son grand poème dans les derniers mois de 1795, surtout parce que l'auteur ajoute: ‘Voilà 5 ou 6 mois que je travaille comme un désespéré, et si j'avais fait de la sorte une vingtaine ou trentaine d'années de suite, j'aurais, à cette heure, eu matière pour en faire une cinquantaine de tomes’. Ce qui donna le branle à cette oeuvre capitale, ce fut l'apologue que nous connaissons sous le titre de La Gatta e il Topo: ‘L'apologue du Chat, que vous avez, a donné occasion aux autres’. Le voici qui en fait l'éloge: ‘Tous ceux qui les ont vues’ (les dix apologues formant tout d'abord Gli Animali parlanti) ‘et qui peuvent en juger, sont d'accord que ma dernière oeuvre est infiniment | ||||||||||||||||||||||||||||
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supérieure à toutes les autres, parce qu'elle réunit à n'importe quel mérite des autres celui, bien plus grand, d'un vieil observateur de 73(!!) ans, qui a couru et scruté toutes les cours et le ton des ministères, et des ministres, et je m'associe volontiers à eux, que cette oeuvre seule, par sa matière piquante, serait capable de faire passer mon nom à la postérité, même si je n'avais fait rien d'autre au monde; mais la matière est trop délicate’. Le prologue est déjà écrit: ‘Je vous envoie donc le Prologue, que je vous prie de faire copier, si vous voulez, et de me le retourner, mais ne me le renvoyez jamais que par une voie sûre et directe, de sorte qu'en le prenant de vos mains il passe dans mes propres mains; autrement gardez-le jusqu' à ce que l'occasion s'y présente... À ce Prologue il faudra, dans mon idée, ajouter des notes extravagantes qui prétendent prouver que tout ce qui y est dit est vrai, probable, ou au moins possible. Pour faire cela, il faut que je me fasse assister par des hommes grands dans tous les arts, ainsi qu'en science et en littérature. De tels hommes, j'en ai déjà un en vue: La Grange, que je connais fort bien, au cas où l'édition se fait à Paris. En somme, je suis en ce moment tout à fait absorbé par cette affaire, motus in fine velocior’Ga naar eindnoot29). Véloce vraiment, puisque en février suivant (1797) l'oeuvre s'est amplifiée... ‘à 1700 sestine environ, soit presqu' au décuple’. Et avec l'ampleur nous voyons croître aussi l'enthousiasme du poète pour son ‘dernier fils’, dont le père désire confier l'éducation à l'avocat-poète Marcellino Serpieri, qui pourtant sera dans l'impossibilité d'accepter cette tâcheGa naar eindnoot30). Néanmoins, même sans cette assistance, l'édition commença à Paris, en 1801; dès le mois de novembre, le premier volume était sorti, et l'an après, soit après trois ou quatre mois, le poème entier. Pour cette impression, l'auteur recevait un honoraire (Fr.) ‘de quelques miliers (sic) de francs’ et n'avait à s'occuper que de la correction. Les frais avaient été supportés par des associés. (Fr.) ‘Chacun des associés donne une somme d'environs (sic) trois mille francs. De la somme totale, on déduit l'honoraire pour moi, qui servira à procurer quelque plus d'aisance au pauvre diable de l'auteur dans sa décrépitude: le reste est pour les dépenses de l'édition, qui sera belle... Après que l'édition est achevé (sic), le libraire, qui doit avoir toujours un carat dans l'association, en fait le débit et les envois et il répartit le profit parmi les associés, de sort (sic) qu'ils ne perdront pas leur argent, et même qu'ils peuvent gagner très probablement: ils anticipent seulement la somme’. À des conditions identiques Casti voulait entreprendre l'impression des Novelle, avec cette petite différence que, tandis que pour les Animali parlanti, ‘comme il y a de la politique toujours brutale’, | ||||||||||||||||||||||||||||
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le poète eut ‘la délicatesse de n'y vouloir compromettre le nom d'aucun ministre parmi les associés’, par contre ‘pour l'association de l'édition des contes, déjà Talleirand (sic) et Joseph Bonaparte, et quelqu'un d'autre s'est offert d'en être’. - Il espérait commencer cette impression ‘au printemps prochain’ (la lettre est du 30 novembre 1801). Entre temps, au nombre des Novelle déjà publiées s'en étaient ajoutées 20 autres, nouvelles, et il devait s' en ajouter 24, formant ainsi un total de 42Ga naar eindnoot31). Mais un an après, exactement, l'augmentation se montait non à 24, mais à 34 Novelle; Casti en donne l'annonce à Da Ponte dans cette même lettre du 29 novembre 1802 que les Memorie de Da Ponte rapportent (notre fragment pourtant ne se trouve que chez Manfredi, op. cit., p. 81): ‘Donc, à ce moment on fait l'édition de mes Novelle, soit des 18 anciennes et déjà connues mais que j'ai corrigées, changées et amplifiées, et de 34 nouvelles... De sorte qu'il y a en tout et pour tout 52 Novelle, formant 3 voll. bien remplis, soit de 4 mille octaves à peu près’. C'était vraiment motus in fine velocior! Mais l'édition s'arrêta net au premier volume, parce qu'un certain Griffiths (ou Griffins, l'orthographie de Casti est peu sûre), imprimeur ou bien surveillant de l'impression, s'appropria avec désinvolture une partie de l'argent que l'ambassadeur du Portugal, Harves, lui avait versé à cette fin. Or Casti, se sentant très mortifié, cherchait à remédier à la chose afin que son mécène n'eût pas à y perdre, et lui-même à voir diminuer l'estime et l'amitié que ce diplomate avait pour lui. (Fr.) ‘Il a reçu de vous 10.000 livres, de quelles (sic) j'ai pris 500 livres: il est donc débiteur de 9500 si l'édition ne va pas. Le sequestre (sic) qu'on a fait du premier volume et du papier qui existe pour le second volume peut aller à ce qu'on dit à 8000 livres, de sort (sic) qu'il n'y resteroit qu'environ 1500 livres: ça ne seroit pas un (sic) si grande perte. Pour les 10.500 livres que j'ai reçu (sic) moi, j'en ai fait un (sic) viagère, et si l'impression n'iroit pas, je ne finirai jamais de vous importuner d'accepter l'exigence de ma rente viagère de dix mille livres que j'ai reçu (sïc). Pour le reste il y a presque l'entier si l'édition ne se feroit pas: et en tout cas je vendrois jusqu'à la dernière chemise si faudroit pour vous assurer le remboursement entier. Je ne suis fait pour faire une mauvaise figure, je ne l'ai jamais faite, et je ne la ferois jamais, surtout vis à vis d'un homme etc. etc.’Ga naar eindnoot32). Trois semaines après avoir écrit cette lettre, le vieux poète mourut, à l'âge de 78 ans et demi environ, d'une colique bilieuse qui le foudroya en rentrant d'un dîner chez l'ambassadeur d'Espagne. Un aventurier vénitien ‘du type de Casanova’ attribuait la mort à une ‘colique par suite d'indigestion vicieuse’, ce qui serait à dire | ||||||||||||||||||||||||||||
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que Casti serait mort, fidèle à l'épicurisme de sa vie et puis pour faire plaisir à ses biographes, pour avoir trop mangé. Dommage pour eux, que la cause déterminante fut plutôt le froid que la gourmandise. C'est vraiment comme s'il avait été dupe de cette vitalité exubérante, dont il s'était si triomphalement vanté! Nous le voyons de loin, ce robuste vieillard, rentrer à pied, sans pardessus, par une nuit en plein hiver parisien, hiver des plus rigoureux du commencement du siècle, tandis que la grippe - du moins un mal auquel nous donnerions aujourd'hui ce nom - faisait des milliers de victimes à Paris! - Transporté dans son lit par des passants, Casti vécut quelques heures encore et plusieurs biographes, dernièrement TocciGa naar eindnoot33), ont prêté foi à l'écho que même l'imminence de la mort n'effraya pas la vivacité de son esprit et que, en présence de Azara et du dr. Corona, qui l'exhortait à se ménager, il aurait dit avec sérénité: ‘Cette fois la charogne s' en va’... Vraiment, l'analogie avec la fin de l'Arétin nous paraît ici par trop forcée! La mort survint dans la nuit du 6 au 7 février, parce que la lettre de l'aventurier vénitien, portant la date du 9, en parle comme advenue ‘avant-hier’; Ugoni la met également au 6 du mois. Chez quelques-uns, le 6 devint le 16; pour d'autres, le vieux poète aurait encore vécu un an, jusqu'en 1804, ce qui est impossible pour la simple raison que la publication du discours funèbre (Décade philosophique, voir ci-après) est de 1803. Il avait ‘fait quelques jours auparavant un autre viager, avec un prince Giustiniani, de 6000 livres; il laissa le reste à ses héritiers et ses affaires et ses meubles, avec 500 francs pour chacun, à ses deux domestiques, homme et femme’. Ce n'est pas précisément mourir dans la misère noire, ainsi que l'on a dit. De Azara, ‘présent à sa mort’, fut, il est vrai, ‘l'exécuteur testamentaire’ mais non point le légataire des livres et des manuscrits: ‘les frères Corona’, dit Rosini, ‘lui arrachèrent (à Casti) la donation ou le legs de sa bibliothèque et de ses inédits; il y consentit avec très forte peine de coeur’. En tout cas il est bien dommage que De Azara, qui publia les oeuvres posthumes de Raphaël Mengs et le poème du cardinal de Bernis, et cela également par legs testamentaire, n'ait voulu s'acquérir auprès de nous un mérite nouveau en faisant une publication - qui aurait été des plus intéressantes - des oeuvres inédites de Casti, en même temps que de sa correspondance de la Bibl. Nationale de Paris. Les amis et les admirateurs accoururent en grand nombre pour accompagner la dépouille du poète au cimetière du Père-Lachaise et lui rendre un dernier hommage d'estime et d'affection. Des éloges émus y furent prononcés par l'abbé Scrofani et par le docteur Corona: la Décade philosophique (an XI, 2me trimestre, pp. 438-440), | ||||||||||||||||||||||||||||
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ayant signalé la mort du ‘célèbre poète’, donna en traduction française un extrait du discours de Corona, d'où la physionomie du défunt, quoique un peu idéalisée par la sympathie de l'orateur, apparaît en bonne partie dans sa vraie lumièreGa naar eindnoot34). |
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