Giambattista Casti (1724-1803). l'Homme et l'oeuvre
(1951)–Herman van den Bergh– Auteursrecht onbekend
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IV
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Dans le récit des visites rendues à Catherine par les princes, voici le tour au roi de Suède, Gustave III, lettré et philosophe à sa manière mais à court d'argent: ‘La visite du roi de Suède, laquelle me donne l'occasion d'en faire le portrait moral, est plus susceptible de poésie. Les fêtes de cour, le goût du théâtre, les galanteries, les mascarades, les tournois m'y fournissent ample matière. Avant mon départ j'aurai soin de terminer ces deux visites, quitte à parler après, plus à propos, de celle de l'Auguste Voyageur’. L'auguste voyageur est l'empereur Joseph II, qui avait rendu visite à la Czarine en 1780 et, l'ayant rencontrée à Mohilew le 4 juin, l'avait accompagnée à St. Pétersbourg, où il était arrivé le 28 du même mois, pour en repartir au bout de trois semainesGa naar eindnoot4). Mais le poète ne cache pas ses préoccupations pour les conséquences apparentes de cette visite: ‘Ce voyage me paraît pourtant avoir eu des conséquences plus sérieuses que je n'aie pensé. Devrai-je donc brûler mes nouvelles tartares, au lieu de les faire publier?’ La collaboration, pour l'appeler ainsi, de Kaunitz au Poema Tartaro ne se limitait pas à de simples informations, mais était faite parfois de suggestions et de corrections: ‘Vous m'en dites tant que vous me persuadez à changer certaines expressions relatives à Cajucco’ (le grand-duc Paul Pétrovitch), et quelques mois plus tard il lui annonce: ‘J'ai rectifié le caractère de Cajucco à votre gré’. - Le 18 septembre voit la partie ayant trait au roi de Prusse terminée: ‘J'ai été presque tenté à transcrire les octaves qui regardent notre voisin commun, mais il y en a presque une trentaine et, encore qu'un peu plus tard, il faudra toujours les réviser’Ga naar eindnoot5). Durant le voyage de Cadix à Gênes il termine enfin ce chant, mais le trouvant d'une longueur excessive, il se propose de le dédoubler et d'y ajouter un autre, de façon à porter le poème à douze chants, pour ne pas le laisser à onze, nombre pas très beau: ‘Vous me demandez comment vont mes Nouvelles. Malgré la navigation inquiète, j'en ai terminé sur le bateau la dixième, ou la huitième dans l'ordre, qui comprend les voyages des Princes suéd:, pruss: etc.; avec quoi, suivant l'idée que j'avais alors, aurait dû se terminer le poème entier; mais puisque la dixième est arrivée à plus de 150 octaves, sans compter bon nombre d'autres que, selon toute apparence, il faudra ajouter sur l'auguste Orenzeb (= Joseph II), au sujet duquel j'en ai déjà | |
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(c'.-à.-d. des octaves) et j'espère avec raison en avoir encore, le chant serait trop long et sans proportion avec les autres. Je le diviserai donc en deux, et de cette façon il y en aura 11. Ce qui n'est pas un beau nombre. Je ferai donc le 12me en décrivant le voyage de Catuna (= Catherine), en le représentant comme un voyage fait par Turachina (= Catherine) au Delai (!) Lama, sujet extrêmement fertile en images poétiques. Quant au vrai voyage, il y a l'anecdote de l'accouchement de Turachina authore Cusluco (= Grégoire Orloff) qui eut lieu dans une vieille cabane en bois, où naquit Gengiscano Primo (= Pierre le Grand dans le P.T.). Et il y a aussi la traduction, faite par elle et par plusieurs de sa suite, du Bélisaire, tandis qu'on naviguait sur le Volga, et qui fut publiée et tout de suite retirée, vu la déformité de l'oeuvre et l'extravagance diverse des styles. En ceci, je fus éclairé beaucoup grâce à l'érudition d'Angiolini, qui était là-bas et qui est ici maintenant. Je crois que tout pourra être prêt à Pâques, ou peu après’Ga naar eindnoot6). Mais par la suite il est, pour un bref espace de temps, obligé à interrompre son travail, parce que à peine trois semaines après avoir touché la terre italienne, voilà qu'il commence à se ressentir dans sa gorge des suites des joyeuses réceptions, que la population de Gênes lui réserve; et il empire tellement qu'il devra se soumettre, à Milan, à une cure longue et sérieuse. Le 3 décembre aucune indisposition ne s'est encore déclarée, si bien qu'il se complaît gaiement vis-à-vis de Kaunitz du furore suscité à Gênes par sa récitation des Novelle, c'est-à-dire des galantes et des tartares: ‘Je suis devenu la coqueluche de la ville. Tout le monde me recherche, me veut. Mon charme, mon amabilité et surtout mes Novelle et mes “Turachine” enchantent tous et toutes, et on est en extase. J'ai dû promettre à beaucoup de personnes, entre autre à Masi, à Spinola et à Gian Luca, que si les circonstances me le permettent, au cas où je me retrouverais en Italie, je viendrai passer quelques mois à Gênes’. Mais presque immédiatement après, et comme à l'improviste, le malaise le surprend: ‘...les gentillesses ininterrompues de ces messieurs, leurs invitations à n'en pas finir, et la façon dont ils se m'arrachaient entre eux, commencèrent bientôt à m'incommoder assez, d'autant plus que ma gorge s'en irrita. D'où voilà six jours’ (il écrit le 10 décembre) ‘je me suis entièrement retiré à la maison, obligé du reste à garder souvent le lit; néanmoins, à part les messages reçus, j'ai toujours eu beaucoup de monde, le jour et surtout le soir, de sorte que je suis désormais convaincu d'être une personne de grande importance’Ga naar eindnoot7). Parmi les nombreux messieurs et dames qui s'intéressent à l'état de santé de l'aimable conteur, nous relevons le nom d'une Donna Emilia Imperiali Santi, qui lui écrit directement pour avoir de ses nouvelles. Dans cette lettre, en date du 11 décembre 1781Ga naar eindnoot8), elle | |
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‘(se) sert de la langue vulgaire et non de l'anglais comme a fait une autre dame, ni du français qu'elle n'ose employer avec quelqu'un qui possède cette langue à la perfection’, et elle continue: ‘Je ne sais si l'incommodité dont Vous souffrez soit causée par l'effort excessif fait en récitant Vos jolies compositions ou bien par l'émotion suscitée par tant de dames d'esprit qui se sont faites un plaisir de Vous écouter. J'espère que Vous alliez satisfaire la juste curiosité de celle qui s'intéresse infiniment à Vous et qui a l'honneur d'être, avec estime parfaite, Votre très dévouée et obligée servante La ville de Milan, où il se trouve dès les premiers jours de janvier 1782, ne lui témoigne pas moins d'intérêt au cours de sa maladie: ‘Une bonne partie de ces messieurs, même de ceux qui ne me connaissent pas personnellement, ont envoyé prendre des nouvelles de mon état de santé et me faire gentiment des offres de service. L'archiduchesse et l'archiduc ont beaucoup questionné à mon sujet le marquis Gherardini ...Serponti, qui a une maison magnifique quoique non achevée, m'a assigné une excellente chambre avec poêle’. Les personnes de service et les médecins ne manquent pas de l'assister, mais ‘tous ces gens coûteront sans doute diaboliquement d'argent, puisque la cure doit durer 2 ou 3 mois. Dans les conditions présentes, vos gentillesses ne viendront plus à temps. Combien je suis soucieux de ne pas être à la charge de mes bons patrons...’Ga naar eindnoot9). Parmi tant de consolations qui lui font supporter son infortune, il se trouve une preuve d'estime et d'affection donnée par Joseph Kaunitz, qui s'était exprimé ‘dans (sa) lettre du 18 décembre au sujet de l'absence d'une personne à qui parler en toute confiance’. Casti se déclare prêt à retourner avec lui à Madrid dans la bonne saison, et rien que pour lui faire plaisir, il aimerait ne se préoccuper d'autre chose: ‘J'ai cru mon devoir de me mettre aux pieds de Sa Majesté, vu que Vous avez montré de Vous souvenir de moi et que, d'une façon ou de l'autre, Vous le Lui avez signifié. - Autrement, je n'ai besoin que d'un signe de Vous pour que je retourne à la bonne saison, soit au mois de uin, à Gênes, et que je m'embarque pour Barcelone ou Alicante. Vous avez que je ne dépends d'aucune personne ni obligation qui puisse me sretenir, et que je ne suis pas moins libre de faire les choses que de les dire; d'autant plus si je les fais avec plaisir ou pour montrer une reconnaissance qui s'impose’Ga naar eindnoot10). | |
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Malheureusement, le mal de la luette, qui paraissait déjà en voie de guérison, reprend vers la fin d'avril, accompagné d'une surabondance de salivation telle que, pour l'arrêter, ‘tous les moyens suggérés par l'art furent inutiles’; d'où il était à craindre de ‘voir Narcisse converti en source et le petit abbé en crachat’. Il reste gai, même dans de telles conditions! Mais dans son for intérieur, il est tourmenté et se préoccupe de sa voix: ‘Le fatal et irréparable effet de cette maladie sera que je reste la voix basse, altérée et nasale’. Les professeurs le confortent en l'assurant qu'avec la reconstitution du voile du palais et avec l'habitude il arrivera à cacher cette infirmité, et Gherardini même s'efforce de l'en persuader. Mais, écrit Gherardini à Kaunitz, ‘il n'y a tout de même pas moyen de le lui faire croire, il s'écoute parler et craint de devenir ridicule...’ Un rayon d'espoir reste néanmoins au malade: ‘... si l'infirmité est tolérable, tant mieux, mais si ma voix reste comme je parle maintenant, tel Polichinelle au guignol, je pense me retirer de la société et aller vivre à la campagne. Parce qu'un ridicule en société, Vous le savez bien, est pire qu'un défaut moral, surtout dans quelqu'un comme moi, privé de tout mérite ou qualité essentielle et dont le parler, l'humeur gaie et même à l'occasion une certaine façon de réciter constituaient peut-être les attributs principaux: tout est perdu’Ga naar eindnoot11). Vient la mi-juin sans lui porter la guérison qu'il invoque; la voix est toujours basse et nasale: ‘... il n'y a rien à espérer, sinon qu'il se peut qu'à mesure que la poitrine gagne en force et que se remplissent les parties aptes à se remplir, cela donne un peu plus de ton et de formation à la voix; ma celle-ci ne sera jamais de nature à se faire décemment écouter dans une réunion de dames, comme le sont d'ordinaire les réunions en Italie et beaucoup plus celles de Vienne. Là et peut-être à Paris on pourrait plus facilement converser avec un tel défaut, parce qu'y sont plus communes les compagnies d'hommes seuls, qui sont plus discrets et avec qui on n'est point obligé à user tant de délicatesse. Peut-être, si Vous allez à Paris, je pourrais donc, tout cassé que je suis, risquer d'y venir vous rejoindre. En attendant, je ne peux pour le moment renoncer à me retirer du grand monde pour aller vivre à la campagne ou dans quelque endroit, petit mais plaisant et tranquille: Castel Nuovo, fief principal de Gherardini, est entre Parme, Reggio et Modène... Un mois quasiment par an j'aurai là-bas Gherardini; qui sait si, une fois de ma vie, je n'y voie comparaître le comte Joseph Kaunitz. Laissez à mon imagination qu'elle se fasse au préalable une douce illusion...’. Pourtant, il désire revoir d'abord Rosenberg et présenter ses hommages à l'empereur - qui sait s'il n'avait même pas, dès ce | |
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temps-là, conçu le vague espoir d'être nommé successeur de Métastase, mort peu avant (le 12 avril 1782)? Pourquoi en effet demander à l'empereur la permission de publier ses Novelle galanti? Pour le Poema Tartaro c'est compréhensible, mais pas pour les galanti: ‘... si c'est praticable, je ferai tout pour me traîner jusqu'à Vienne, non point pour comparaître dans les assemblées, mais bien pour revoir notre très aimable Co. de Rosenberg et pour me mettre aux pieds de Sa Majesté. Tant sont les bontés qu'il a eues pour moi, constantes et non équivoques, qu'il me vient même à l'esprit une pensée hardie, quoique peu conforme à mon caractère: si le moment opportun me paraît venu, lui demander un modeste subside annuel en vue de mon entretien dans la retraite pour le reste de mes jours, ou au moins apprendre s'il ne désapprouve pas mon intention de publier mon Poema Tartaro et mes Novelle, oeuvres dont je pourrai tirer une ressource considérable, et ainsi non seulement ne plus être à la charge des amis et patrons, mais encore les dédommager des sacrifices faits pour moi’Ga naar eindnoot12). À quoi Kaunitz, puisqu'on lui demande son avis, répond ‘franchement’ qu'il ne voit ‘aucun inconvénient à demander un secours à l'empereur. Même pour la publication des Novelle, on pourrait, si vous le croyez nécessaire, demander son consentement nécessaire en alléguant un motif plausible. Quant au Poema Tartaro, je regrette de devoir vous faire observer que cette oeuvre est trop bonne, trop vraie et complète pour être publiée, avec son approbation, dans les conditions actuelles; je dirai même que vos relations avec Vienne, le fait d'avoir été chez son Ministre dans ce pays, et à l'époque où elle fut composée, et vu qu'elle est déjà suffisamment connue dans le monde, pourraient être cause qu'il soit mécontent de la voir publiée. Voilà mon opinion’Ga naar eindnoot13). À la mi-juillet il n'a encore récupéré sa voix et il est devenu sourd d'une oreille; cependant, il est allé deux fois au théâtre: ‘Les dames, à qui appartenaient les loges, ont voulu à tout prix m'y céder la première place ou me la faire céder si elle était occupée par d'autres dames. Je comprends bien que c'est un gentil complot pour m'encourager et me tirer de l'abattement que me causent mes sacrées infirmités. Voilà pourquoi ma vanité n'a pas de quoi se flatter qu'on doive quelque chose à moi, parce que tout cela est redevable à la complaisance et à la bonté des autres’. Cette dernière considération exhale un sentiment de tristesse résignée. Mais pour le réconforter, voici arriver de Vienne des lettres du chirurgien de cour BrambillaGa naar eindnoot14) avec des paroles fort consolatrices pour lui: ‘Il me fait savoir entre autre, que Sa Majesté, au temps où je me trouvais devant Elle, eut la bonté de dire que ma présence l'avait un peu | |
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soulagée et amusée lors de sa retraite et que S.M. a parfois, devant Rosenberg et devant lui (Brambilla), prononcé mon nom. Cela prouve qu'il conserve toujours sa bienveillance envers moi, et pour cette raison Brambilla me conseille de me rendre bientôt à Vienne, parce qu'il croit fort possible que je sois destiné à succéder à Métastase, mais je ne sais si je pourrai le faire avant le printemps prochain. Il est vrai que je le ferai aussitôt que possible’. Le prétexte des lettres de Brambilla lui permet donc de manifester un espoir qu'il a jusqu'ici tenu caché même aux plus intimes de ses amis! Puis il y a une autre notice, qui montre combien notre abbé était estimé, ainsi qui sa parole, quoique certain ait cru devoir le placer dans la classe des bouffons: ‘S.M. a vu plusieurs lettres de moi, parmi lesquelles je ne sais quelle autre lettre de ma main, que Vous avez, si je ne me trompe, faite parvenir à Brambilla tandis qu'il était avec S.M. à Paris’Ga naar eindnoot15) Ayant passé, au mois d'août et de septembre, la période de convalescence dans l'air pur et champêtre de Garro et de Mariano, sur les bords du lac de Côme, il rentre dans la capitale lombarde en octobre, rétabli désormais quant à sa santé, quoique sans avoir recouvré sa voix. Et la guérison le met dans une si bonne humeur qu'il sait plaisanter sur le mal subi: ‘Donc Vous aussi, Vous avez souffert il mal Russo? La Russie a voulu, elle aussi, la gloire de donner son nom à une maladie nationale comme la France; mais celle-ci, toujours galante même dans la participation des maladies, ne s'en est appropriée qu'un fils du plaisir, tandis que celle qu'on attribue à la Russie n'est toute que maladie. Ne reconnaissez-vous pas dans cette apologie du francesismo toute la magnanimité d'un héroïsme chrétien, qui non seulement pardonne les offenses, mais rend le bien pour le mal?’Ga naar eindnoot16) Ayant récupéré sa santé, ‘non seulement les amis mais tous ceux qui ont de la bonté’ pour Casti se sont donné toutes les peines du monde pour lui rendre sa voix. Ses amis voudraient qu'il se fît traiter par un certain docteur Paulini, spécialiste des maladies vénériennes, qu'a fait venir spécialement de Bruxelles un prince de Belgiojoso. Mais, ajoute Casti, ‘maintenant que j'ai tant rattrapé en santé, je ne me sens pas la vocation, après dix mois de cure, d'en recommencer une autre, quoiqu'on me dise que celle-ci servirait à expulser le mercure que j'ai toujours dans le corps. Mais ni ce motif ni un autre ne pourrait m'y décider, à moins que ce ne soit pour recouvrer ma voix, ce qui est impossible’. À ceux pourtant, qui l'ont écouté réciter avec tant de grâce ses poésies, il importe naturellement avant tout qu'il retrouve sa voix; | |
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à tel point que, lorsqu'on a trouvé un moyen pour la lui redonner, il écrit: ‘...je reçus à cette occasion plus de compliments et de félicitations qu'une jeune et belle épouse. À Monza, où l'on donne une très bonne opérette, l'archiduc et l'archiduchesse coururent vers moi et me comblèrent d'Evviva’. Mais le moyen ne dure pas, et l'abbé est de nouveau contraint à réciter avec cette voix nasale qui, avec tout le reste, déplaisait si fortement à Parini. L'ami Gherardini, rentré de son voyage de noces, le voudrait auprès de lui. ‘Mais Serponti, dont j'habite la magnifique maison en patron absolu, aurait bien raison de dire que j'aurais pris sa demeure pour un hôpital’. En janvier 1783, Casti peut de nouveau fréquenter d'une façon assidue les théâtres de Milan et se prêter, comme auparavant, à l'admiration des bons milanais, en se laissant conduire ‘dans plusieurs loges des plus belles dames’. Ce qui le fait plaisanter: ‘Je suis arrivé à mériter, je ne sais pourquoi, la curiosité publique, à telle enseigne que je me laisse souvent mener en tournée comme un ours à deux têtes ou un chien à deux queues, pour me faire voir et connaître de ceux qui ont le caprice de me connaître et de me voir’Ga naar eindnoot17). Avec la fin de sa maladie coïncide celle du Poema Tartaro, auquel ne manquent plus que les notes: dès qu'il les aura terminées, ‘dans quelques mois’, après le retour de Gherardini de son voyage de noces, il veut mettre la main à une autre oeuvre: ‘Je veux entreprendre un poème du même goût, mais beaucoup plus petit, sur le même pays.... L'idée, le plan que j'en ai formé et que je vous dirai dans une autre lettre, contient beaucoup de notices et beaucoup d'érudition. Il faut que, lorsque l'occasion se présente, vous m'envoyiez, en abrégé et pour ainsi dire par indices, des anecdotes et des remarques concernant les coutumes ridicules et les observances superstitieuses’. Tel est le projet: mais l'exécution ne s'ensuivra pas, parce que l'activité du poète sera tournée, pour pas mal de temps, vers le mélodrame. Sur ces entrefaites, le Poema Tartaro est prêt, fin mars 1783, à être lu à la Cour archiducale de Milan, et prêts sont aussi les ‘argomenti’ (résumés versifiés de chaque chant): ‘La première copie est faite; on est en train d'en faire une seconde, plus magnifique, pour l'empereur, puis, s'il ne va pas à la presse, on en fera une autre pour Vous et encore une pour Gherardini. Et puisque, même s'il est publié, ce qui ne me paraît pas possible, du moins pour le moment, il y faudra beaucoup de temps, on pourra, si Vous voulez, faire | |
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Votre copie en attendant l'impression... Il me manque encore les notes historiques, mais j'ai déjà mis ensemble pas mal de matériel. Ce qui m'ennuie, c'est qu'il me vient dans la tête des idées toujours nouvelles pour en faire des ajoutés, quoique le tout soit bel et bien copié; tentation dont il convient que je me délivre une fois pour toutes...’ tentation, ajoutons-le, qu'il conservera toute sa vie, comme nous le montre le texte écrit des Animali parlanti dans la première des deux copies possédées par la Bibl. Nationale de ParisGa naar eindnoot18). La même lettre annonce aussi le projet de reprendre la ‘continuation’ des Novelle galanti: ‘Beaucoup me conseillent de hâter l'impression de mes Novelle, avant que ne sorte l'édition de certaines d'entre elles qui m'ont été çà et là copiées, soit furtivement soit de concert. Si je ne veux donc me priver d'un avantage notable, il faut le faire au plus vite; mais j'aurai besoin d'au moins deux ans, parce qu'il sera nécessaire d'en faire au moins une autre demie douzaine pour arriver au nombre qui permette d'en faire deux bons volumes’. L'occasion de faire exécuter l'impression à Londres, occasion offerte par un jeune seigneur milanais, avec la proposition que le poète l'accompagne dans un voyage vers ces parages, parvient même à le stimuler. Nous sommes au mois d'avril 1783. ‘Un certain comte Andreani, de Milan, qui vient de rentrer de Vienne, un beau jeune homme de 23 ou 24 ans au plus, très bon et très docile, et qui a de sa part ses 7 ou 8 mille sequins par an à dépenser à son gré, me presse d'aller avec lui en Flandre, en Hollande, en Angleterre et en France. Tous me conseillent de le faire, mais il faut d'abord régler mon voyage à Vienne que je crois indispensable. Or, il est prêt à différer, à cause de moi, de 3, 4 ou même 5 mois son départ de Milan qu'il avait fixé pour septembre. Je lui ai donc répondu qu'au mois d'octobre je lui écrirai de Vienne ma décision, ayant vu et arrêté là-bas ce qui me convient mieux de faire. Et si le projet me paraît faisable aux environs de Noël, nous pourrions nous donner rendez-vous à Munich’. Parmi les raisons qui le ‘tentent diaboliquement à accepter cette offre’, il y a celle de l'impression de ses Novelle: ‘À Londres je pourrais faire imprimer mes Novelle, dont j'ai décidé, sur conseil universel, de faire une édition avant que n'en soit publié quelque recueil par un autre: parce que tous ceux à qui je les ai prêtées pour les lire n'ont pas eu la délicatesse requise de ne pas les copier, de sorte que, si elles étaient publiées incorrectes comme elles étaient, sans parler du profit que j'y perdrais, il serait fait beaucoup de tort à ma réputation. Voilà pourquoi je me mettrai tout d'abord à en porter le nombre à 24, ce qui pourrait être fait en moins d'un an’. Par contre, en avril 1796, c'est-à-dire treize ans après, les Novelle ne seront qu'au nombre de 20 à peine, soit avec les deux dernières, | |
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simplement ébauchées et commencées! L'édition projetée doit être ‘magnifique... tant pour le papier et les caractères que pour les cuivres...’: ‘Je pense à faire l'édition à mes frais pour en tirer plus d'avantage, parce que je peux moi-même, dans les différentes villes d'Europe, recueillir des centaines et des centaines de noms de souscripteurs. L'édition ne devrait pas commencer, du reste, avant que je n'aie 5 ou 6 cents souscriptions sûres pour m'indemniser de mes frais qui seront considérables; mais de ceci aussi je crois de mon devoir de dire un mot à l'empereur’. Pourtant, l'impression ne se fera pas, par la volonté même de Casti, qui fait tout d'un coup échouer le voyage, bien que son ‘génie vagabond’ s'attriste de ne pas avoir encore vu les Flandres, la Hollande et l'Angletterre. Les raisons de ce refus sont exposées par lui dans une lettre du 30 avril 1783. Déjà dans sa lettre précédente il avait parlé ainsi de ce jeune homme: ‘... il n'a pas toujours eu autour de lui des gens comme il faut; et on l'a escroqué. C'est pourquoi ses amis et sa famille jugent encore préférable que je sois, moi, son compagnon de route’. Mais le 30 avril il écrit: ‘J'ai trouvé que c'est un jouvenceau de peu d'expérience, volage et n'ayant pas tout à fait cette conduite qui à chacun est nécessaire, mais bien plus à qui voyage; et le caractère et la qualité de ceux avec qui j'ai voyagé jusqu'ici m'ont rendu un peu trop difficile, pour que j'accepte la compagnie de n'importe qui. Il est, en vérité, un bon garçon, mais il aime à l'excès le gros jeu et il est capable de perdre en une soirée des milliers de sequins, et en voyage on rencontre parfois des gens assez habiles pour duper même les personnes les mieux averties; comment sera-t-il donc de ceux qui ont si peu d'expérience? Et en fait, à ce moment, tout jeune qu'il est, il a déjà trouvé moyen de diminuer sensiblement sa rente. Or, s'il faisait en ma compagnie de telles bêtises, cela me ferait de la peine, et peut-être peu d'honneur, puisque je suis passablement connu. Pour cela aussi, ceux qui craignent la ruine de ce jeune homme voudraient que moi (qui certainement ne chercherai pas à le dépouiller d'un sou), je sois son compagnon de voyage: mes amis pourtant ne savent pas me conseiller d'entrer dans le jeu, de sorte que selon toute vraisemblance il n'en sera rien’. Et en effet, ‘il n'en sera rien’. Pour les mêmes considérations de bienséance, qui lui ont fait échapper, vingt ans auparavant, la chance de visiter les pays riverains de la mer du Nord, et spécialement notre République, avec son marquis anonyme, il renonce encore une fois à un tel voyage en compagnie de son petit comte joueur. Dans la même lettre il annonce à Kaunitz, comme il avait promis | |
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le 26 mars, le résultat de la lecture du Poema Tartaro faite à la cour de Milan par Gherardini. ‘La lecture de mon Poema Tartaro s'est terminée par de très vifs applaudissements. On a du reste observé que certaines choses sont répétées, ce qui est vrai, et d'aucuns ont prétendu que certaines choses y sont superflues; à ceci pourtant j'ai répondu que ce qui peut sembler superflu en général, ne l'est pas dans un poème dont le but principal est de donner une sorte de description et de compte rendu de la R(ussie), une récolte d'anecdotes et de faits, une notice des principaux sujets, choses dont beaucoup, pour sûr, n'intéressent pas ceux qui ne les connaissent pas ni tiennent à les connaître, comme ferait la postérité si mon Poème arrivait jusqu'à elle; et pour cela, j'ai pris soin de le soutenir et enrichir de traits variés de poésie, tant agréables que sublimes, de descriptions, d'imaginations. Assez! pour le moment il reposera et avec le temps je le reverrai, s'il devait jamais voir la lumière du jour. En attendant, outre la mienne, on est occupé à en faire la magnifique copie pour l'empereur, qui doit décider de son destin’. Puis, pour montrer combien il tient à l'édition des Novelle, il en reparle pour la troisième fois, en répétant qu'il faut les porter au moins à 24, ‘pour qu'elles forment deux bons tomes, grand in-octavo, de toute beauté et magnificence’. Avec ses occupations littéraires, ses conversations en société et au théâtre, il fait alterner le trictrac et la bassette. ‘Quoique j'aie perdu, ce dernier Carnaval, à la bassette, mon fidèle trictrac m'en a dédommagé surabondamment’. En effet, à la veille de son départ pour Vienne, il sollicite un marquis, nous ne savons qui, du payement de 108 sequins qu'il lui avait gagnés en plusieurs séances. Et dans la nuit du 3 au 4 juin (1783) il part finalement de Milan, avec Gherardini ‘qui a enfin expédié ses affaires économiques, domestiques, civiles et conjugales’. Aux fatigues du voyage il est parfaitement disposé: ‘Je pars en très bon état de santé et d'aspect, et je me suis suffisamment tranquillisé quant à la perte de l'ouïe du côté droit; puissé-je être aussi tranquille sur la perte de ma voix naturelle! Quant à la bourse je me trouve également assez bien et pour le moment je n'ai besoin de rien’. Et ceci grâce à son ‘fidèle trictrac’. Au sujet des oeuvres littéraires il écrit: ‘Si j'imprime, comme je pense à le faire, mes Novelle soit en Angleterre’ (on voit qu'il n'a pas encore renoncé définitivement au voyage avec Andreani) ‘soit en Italie, l'édition sera toujours la plus magnifique’ etc. et pour le Poema Tartaro, il a sur lui la copie pour l'empereur: ‘...j'en ai fait faire une copie splendide... pour en faire présent à l'empereur; à son temps je vous en dirai le résultat’. | |
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L'itinéraire suivi est de Milan à Parme, puis Castelnuovo (domaine de Gherardini), Mantoue, Vérone, d'où Casti continue seul. À Padoue, pendant un mois, il est hébergé à la maison Pesaro; à Venise aussi, on l'accueille avec un enthousiasme incroyable: ‘... ils notaient mes paroles, mes gestes, il me fallait mesurer les heures pour me répartir de çà et de là. Il n'y avait dame qui ne se donnât quelque peine, quelque dérangement pour m'avoir. En conclusion je devins tellement à la mode et, sans qu'en vérité je sache pourquoi, je suscitai un tel fanatisme, un enthousiasme tel, que personne d'aucune classe, selon l'opinion commune, n'en avait jamais connu dans cette ville. Le monde est bien curieux à qui le connaît bien, mais plus curieuse que toute autre ville est bien Venise. Ma vanité a eu certainement de quoi se repaître, mais puisque trop de pâture cause indigestion et dégoût, je commençai, moi aussi, à en avoir assez de tant de succès qui me donnait pas mal de gêne et d'embarras, d'où j'eus soin de changer objet et occupation: je m'adressai à la classe des filles, dont Vous savez que Venise abonde et avec qui on peut traiter sans le moindre égard; et j'ai fait le peu que je pouvais’. Il avait été d'accord avec Rosenberg pour se rencontrer à Venise, mais parce que celui-ci ‘s'est arrêté à Roseck’, Casti va le rejoindre ‘en partant de Venise après la moitié de septembre’. Le soir du 30 de ce mois il compte rentrer à VienneGa naar eindnoot19). D'après Ugoni, Casti aurait été de retour à Vienne de ses voyages tandis que Métastase était toujours en vie; tandis qu'il apparaît clairement de Da Ponte, donc même sans le témoignage de la correspondance manuscrite, qu'il ne fut pas ainsi. Cette erreur, comme le fait remarquer Manfredi, n'échappa point à l'attention pénétrante de Tocci. Et Ugoni se trompe une seconde fois, lorsqu'il écrit que le Poema Tartaro fut terminé à VienneGa naar eindnoot20). |
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