II
Sources biographiques
Pendant plus d'un siècle, l'apport de la critique à la biographie de Giambattista Casti a été mesquin et peu sûr, du fait qu'elle avait négligé la source principale d'information qui se trouve à la Bibliothèque Nationale de Paris, dans les manuscrits 1629-1630 du ‘Fonds italien’, derniers de la série des huits mss. de Casti (nos. 1623-1630) régistrés par Giuseppe Mazzatinti dans le premier volume de son Inventario dei mss. italiani delle Biblioteche di Francia (Roma 1886, vol. I: Mss. ital. della Biblioteca Nazionale di Parigi).
Des deux gros volumes, composés ou du moins rajustés le 15 décembre 1870, le no. 1629 contient 329 feuillets et un feuillet 34bis; le no. 1630 en compte 351, plus les feuillets 81bis et 201bis. Ce sont des lettres autographes, en grande partie; la plupart écrites par Casti, beaucoup aussi adressées à lui par d'autres, en 1772-1773, 1776-1777 et 1780-1803, et distribuées comme suit: jusqu'à 1792 dans le premier volume, depuis 1793 dans le second, lequel renferme en outre, à commencer par le feuillet 243, une quarantaine de lettres ‘à classer’ qui révèlent en général, sans trop d'efforts ni de doutes, leur époque, tandis que ce volume présente encore, dans les feuillets 250-267, l'intrusion de fragments des fameuses Novelle in versi.
La correspondance a été disposée par année et en ordre chronologique: chaque groupe de lettres est précédé d'un double index identique, écrit de deux mains différentes et indiquant pour chaque lettre, autant que possible, la date, l'expéditeur et le destinataire. On trouve pourtant bien des erreurs dans le classement, parfois tellement graves (comme dans le ms. 1629) qu'elles demandent à être relevées dans des notes.
Des 33 lettres de l'année 1781, non moins de 32 ont été groupées sous l'année 1782, une lettre de 1783 a été placée en 1782 par la faute de l'expéditeur même, trois de 1782 ont été reportées à 1783. Bien étonnées de se trouver sous 1787 une lettre de 1781, sous 1788 deux de 1783, sous 1792 une de 1790 sans dateGa naar eindnoot1).
De pareilles erreurs de classification présente peu d'exemples le no. 1630, qui fait dater de 1801 un mandat de pouvoir de 1798, de 1802 une lettre de 1801, de 1803 quatre lettres de 1802Ga naar eindnoot2).
Dans les deux volumes on rencontre encore de fréquents dés- | |
accords entre les index et le contenu, et de là résultent des incohérences, des erreurs de mois ou de jour, d'expéditeur ou de destinataire. Si nous nous attardions à noter et à rectifier, à combler toutes les lacunes des index, à corriger les déplacements de feuillets, à indiquer les documents où manque le commencement ou la fin, à déterminer l'année des lettres non classées, nous ferions certes oeuvre de précision, mais qui ne nous paraît pas indispensable au traitement de notre sujet.
Les deux mss. contiennent, sans compter deux notes de frais, le total de 267 documents, presque tous de caractère épistolaire; on y trouve ensuite quelques simples billets, plusieurs lettres de créance, trois documents de police, un feuillet de congé comme ‘Poeta Cesareo’, un mandat de pouvoir et un nécrologe. L'année la plus riche est 1796 avec 41 lettres et un passeport, suivi par 1781 avec 37 lettres. Les autres oscillent autour de la douzaine et (comme 1773, 1795, 1803) un seul document. En général, la langue employée est l'italien, mais on y rencontre aussi, avec une fréquence croissante, le français; l'allemand ne figure que dans les trois feuilles de police et dans le papier de congé.
Extrêmement varié en est le contenu. On y trouve des pages familières, voire burlesques, à côté d'autres lourdes de réflexions politiques et parfois philosophiques, ou d'autres encore qui donnent des détails intéressants, soit sur la vie de Casti, soit sur la conduite privée et publique de personnages éminents.
Or, jusqu'en 1920 environ, ce matériel copieux restait presque complètement négligé. Une bien petite partie en fut mise par la presse à la disposition des hommes d'étude; six lettres, entières ou en fragments, et deux lettres de créance furent publiées par Benedetto Croce il y a soixante ans; peu après, Luigi Pistorelli donna en entier, en ne puisant pas d'ailleurs dans le matériel de Paris mais dans une copie du comte Emmanuele Greppi, une lettre concernant le Cublai qui est dans le ms. 1630; enfin une autre fut publiée par Giovanni Ferretti en bas d'un article, après avoir parcouru très rapidement la dernière partie de la correspondance classifiée du ms. 1630Ga naar eindnoot3).
Ce ne fut qu'en 1925 qu'un piémontais, Gaudenzio Manfredi, en se servant du ‘carteggio’ parisien avec intelligence et avec cette sûreté de main due à une préparation sérieuse à la matière, publia une ‘Contribution’ à la biographie de CastiGa naar eindnoot4) qui, quoique limitée par le titre même à une exégèse des faits contenus dans les mss. de Paris et, ce que le titre ne trahirait pas, en laissant entièrement dans l'ombre la vie de Casti avant 1765, constitue pourtant jusqu'ici la base la plus solide pour des études ultérieures. Ne fût-ce que pour montrer plus clairement le mérite de M. Manfredi à cet égard, il
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convient de rappeler dès maintenant qu'un livret publié la même année (1925) par Giulio Sindona sur Casti et sa pensée politique dans les Animali parlantiGa naar eindnoot5), dont le premier chapitre est nettement biographique, est encore tout caractérisé par les erreurs de dates propres aux biographes anciens, et qui proviennent, sans doute possible, de la non-connaissance du matériel de la Bibliothèque NationaleGa naar eindnoot6).
Il n'est pas improbable que d'autres papiers de Casti reposent dans les bibliothèques italiennes et étrangères (il sera encore question d'une curieuse lettre de Casti, se trouvant à la Bibliothèque de l'Université d'Amsterdam), et dans des recueils particuliers, vu les multiples et notables relations que notre ‘honnête vagabond’, comme il se définit lui-même, noua dans les différentes capitales du continent et de la péninsule. A Turin, M. Manfredi ne découvrit rien qu'un billet, de la main de Casti, qui en date du 29 janvier 1759 accuse réception du payement, de la part de cette ville, de messes célébrées ‘dans l'église de S. Marco delle Grotte, à Montefiascone’, en se nommant, dans la signature, chanoine, et se déclarant fils d'un Francesco. M. Manfredi eut un résumé, par les soins du docteur Edoardo Benvenuti, de Trente, de deux lettres inédites, qui se conservent à Vienne dans la Bibliotheca Palatina Vindobonensis, lorsqu'il commençait ses recherches à ce sujetGa naar eindnoot7). D'autres lettres, qu'on ne trouve pas dans les deux mss. parisiens, ont paru à diverses reprises dans des revues, des mélanges, et dans les publications historiques. Une partie de ces lettres servit à Vandregisilo TocciGa naar eindnoot8) pour composer vingt pages d'une biographie moins incomplète et bien plus sûre que les précédentes dans sa préface aux Animali parlanti. N'oublions pas de rappeler que Camillo Ugoni, lui aussi, cite et résume trois lettres de Casti et rapporte un fragment d'une quatrième, lesquelles se trouvent dans le vol. 1630, aux feuillets 106, 240, 241, 281 respectivementGa naar eindnoot9).
Ugoni et Tocci furent précisément les critiques qui, en traitant de l'oeuvre de notre abbé, répandirent un peu de lumière sur sa vie, au sujet de laquelle les premières notices avaient été fournies par Pierre-Louis GinguenéGa naar eindnoot10), grand historien et critique littéraire du Premier Empire, avec bon nombre d'erreurs, et par Giovanni Rosini, avec moins d'erreurs, ayant été en relations très amicales avec Casti, mais avec une grande insuffisance de datesGa naar eindnoot11).
Certes, Luigi Pistorelli, déjà nommé, mérite d'être loué sincèrement pour son travail de fin critique, mais il se limite presque exclusivement à illustrer l'oeuvre mélodramatique du poète. Le professeur Quirino Ficari, dans la préface d'un petit recueil de lettres, édité à Montefiascone en 1921, lors du présumé deuxième centenaire de la naissance du poète, ajoute à la biographie quelques
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éléments pas tout à fait négligeablesGa naar eindnoot12). Ferruccio Bernini, Luigi Piermattei et Filippo ViscontiGa naar eindnoot13) n'apportèrent aucune contribution notable à la critique avec leurs travaux.
Quoique bien loin de nous flatter de donner une biographie entièrement cohérente et complète, nous croyons non seulement avoir coordonné le matériel bio-bibliographique existant jusqu'à ce jour, mais encore avoir réussi à jeter un peu plus de lumière sur certains incidents de la vie de Casti. Disons tout de suite que, en ce qui concerne les premiers huit lustres de cette vie, nous ne sommes pas en mesure d'ajouter des pages entières, nettes et certaines, aux bien maigres informations déjà connues, sinon quelques modestes détails: les circonstances de la naissance, le bien ou mal fondé des prétentions d'Acquapendente et de Montefiascone respectivement relatives à cette naissance, un voyage échoué de Casti en Hollande, en 1762, suivi beaucoup plus tard d'un autre voyage manqué dans notre République, en 1783; pour ne plus parler du séjour à Turin en janvier 1759, peut-être l'année où le chanoine étourdi, pris d'amour, accompagna à Paris la belle marquise Lepri.
Nous croyons toutefois nécessaire, aussi parce que Casti se contredit à plusieurs reprises dans ses lettres, de répéter dès à présent que le chanoine de Montefiascone vit le jour à Acquapendente, le 29 août 1724, de quoi nous alléguerons une preuve un peu inattendue. Et nous affirmons également, avec le professeur Tocci, que ceux qui - comme P. Emiliani Giudici et Luigi Settembrini - ont parlé d'excommunication de Casti pour les premiers essais de ses Novelle, en y attribuant la cause d'un bannissement de l'auteur de l'Etat Pontifical, antidatent par cela même la naissance de ces poésies de plusieurs années et de non moins de quarante ans le décret de leur prohibitionGa naar eindnoot14).
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eindnoot1)
- Les erreurs de la première catégorie semblent dues à la forme de la dernière chiffre de ‘1781’, laquelle présente en bas une queue vers la droite qui la fait en quelque sorte ressembler à un 2. En tout cas, la lecture de la correspondance nous confirme qu'il s'agit d'une classification inexacte; autrement nous devrions admettre dans Casti le don de l'ubiquité et des oscillations absurdes de la santé. - La dernière erreur s'excuse par le défaut d'indications chronologiques. Celui qui rajusta la correspondance crut avoir sous les yeux la réponse à une lettre de l'ambassadeur d'Autriche, adressée de St. Pétersbourg à Casti le 12 octobre 1792, tandis que la mention qu'on y fait d'actes de l'empereur Léopold toujours en vie, prouve qu'elle ne peut jamais être postérieure au mois de mars 1792. Et même, étant expédiée de Milan, d'où Casti restait éloigné plusieurs années à partir de juillet 1791, nous devons la considérer comme antérieure à cette dernière date. - Les autres erreurs notées s'expliquent seulement par un excès de distraction. Même celle due à Casti en personne, qui en 1782 ne passa même pas un seul jour à Vienne! Notre assertion trouve appui dans plusieurs faits, outre celui déjà cité: il
suffit de rappeler qu'il y est fait allusion à l'empereur en voyage à travers l'Italie (1783-1784).
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eindnoot2)
- Pour ce mandat de pouvoir encore, il y a un cas de distraction. Pour les cinq lettres, les fautes sont imputables à une mauvaise interprétation du calendrier républicain: le 25 Fructidor an IX correspond au 11 septembre 1801, et l'an X finit le 21 septembre 1802!
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eindnoot3)
- Benedetto Croce, Una raccoltina di autografi (Trani, Vecchi 1891), p. 38 s. A la page 36 une lettre de Casti prise d'une autre source, c.à.d. des papiers de Mgr Angelo Fabbroni. - Luigi Pistorelli, Rivista musicale italiana II (1895), pp. 473 ss. Dans la même revue, Pistorelli parle des mélodrames bouffons, publiés (II, pp. 36-56, 449-476) et non publiés (IV, pp. 631-671). - Giov. Ferretti, Fanfulla della Domenica XXXI, 1909, no. 20. - N'oublions pas Lorenzo Da Ponte (Memorie, Nuova Jorca 1829-30, 2e éd.) qui rapporte à p. 127 du vol. 2 une lettre de Casti, décapitée, qui commence au feuillet 225 du ms. 1630. Da Ponte parle de Casti, son rival, puis son ami, dans la 2e partie du vol. 1 passim (pp. 48, 53-61, 64-68, 72-74, 81, 84-89, 93, 96-99, 150-155, 157-159) et dans la 1re partie du vol. 2, pp.
126-136.
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eindnoot4)
- Gaudenzio Manfredi, Contributo alla biografia del Casti, da documenti inediti (Ivrea, tipogr. Viassone 1925), 86 pp.
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eindnoot5)
- Giulio Sindona, Il Casti e il suo pensiero politico negli Animali parlanti (Messina, Casa Ed. La Sicilia 1925), 138 pp.
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eindnoot6)
- Sur la légèreté de M. Sindona dans certaines de ses conclusions, voir le début du chapitre suivant.
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eindnoot7)
- Autografi di personaggi illustri posseduti dalla Bibl. Civica di Torino, mazzo 8o. Que le père de Casti s'appelât Francesco, ressort du reste et de l'acte de naissance (voir ci-après), et d'un mandat de pouvoir de 1798 (ms. 1630, f. 203). - K.u.K. Hofbibliothek, Autographen-Sammlung 1-73. Deux lettres écrites de Vienne le 16 mai 1786 et le 16 mai 1793.
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eindnoot8)
- Vandregisilo Tocci, préface
à l'éd. des Animali parlanti (Milano, Sonzogno 1902).
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eindnoot9)
- Camillo Ugoni, Della letteratura ital. nella 2a metà del sec. XVIII (Milano, Bernardoni 1856, 2a ed.), part. 1, pp. 115-190.
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eindnoot10)
- Ginguené écrivit sur Casti dans la Biographie universelle ancienne et moderne (Paris, Michaud 1811-1828), vol. 7, pp. 332 ss, et dans la Biogr. Universale antica e moderna (Venezia, Missiaglia 1823). Nous suivons la première.
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eindnoot11)
- Quant à Rosini, nous le tenons - avec Manfredi - pour l'auteur des notices anonymes qui précèdent les diverses éditions des oeuvres de Casti, datées de Pise 1821, avec l'indication ‘Parigi, Teuré’ (ou Tenré ou Tengré!). Rosini est nommé ‘caro amico’ par Casti dans une lettre de Pise du 5 mars 1799, ms. 1630 f. 189, et il affirme: ‘ceci nous le tenons de la bouche de Casti luimême’ (Nuovo Giorn. dei Letterati, Pisa 1823, V, p. 73). Cfr. aussi le très curieux livret de Felice Tribolati, Conversazioni del Rosini (Pisa 1889), pp. 93-107, qui complète sur différents points les notices directes de Rosini.
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eindnoot12)
- Q. Ficari, G.B. Casti. Epistolario inedito (Montefiascone, Tipogr. editrice Silvio Pellico 1921).
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eindnoot13)
- Ferruccio Bernini, Storia degli An. parlanti di G.B. Casti (Bologna, Zanichelli 1901), 146 pp. - L. Piermattei, G.B.C. (Torino, Paravia 1902), 51 pp. - F. Visconti, Un viaggio a Costantinopoli (Rocca S. Casciano, Cappelli 1912), 84 pp.
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eindnoot14)
- P. Emiliani Giudici, Storia della lett. ital. (Firenze, Le Monnier 1844), lez. XIX, p. 1079; L. Settembrini, Lezioni di lett. ital. (Napoli 1876), vol. III, p. 193. - L'‘Index Librorum Prohibitorum’, éd. 1910, donne le décret interdisant les Novelle en date du 2 juillet 1804, celui interdisant les Animali parlanti en date du 26 août 1805, peut-être parce que ces oeuvres n'avaient longtemps circulé en Italie qu'en manuscrit ou bien sous quelque pseudonyme.
Eduard Maria Oettinger, dans Bibliographie biographique (Leipzig, Hengelmann 1850), p. 737, cite une Storia della vita e degli scritti dell'Abate Casti, qui aurait été publiée à Paris en 1828 par le Dr. Antonio Pitaro, mais il ajoute que l'existence de cette biographie lui ‘paraît assez douteuse’, et même, dans l'éd. de 1866, l' ‘assez’ disparaît de l'assertion. Nous n'avons aucune connaissance positive de cette biographie. Nous pouvons seulement dire que le Dr. Pitaro, physicien et médecin calabrais, exilé à Paris après la chute de la République parthénopéenne, mort dans cette ville vers 1840, et auteur de bon nombre de publications littéraires et scientifiques, était en possession de beaucoup de choses inédites de notre poète et se proposait de les publier. Nous l'apprenons directement d'une note écrite par Pitaro au verso d'une lettre de Casti (ms. 1630, f 282):
‘Eccoti, dott. mo Lampredi, la sola pistola (sic) autografa di cui ho potuto privarmi per compiacerti e soddisfare l'impegno che tu hai d'offrirla al distinto tuo amico (cet ami distingué est certainement Ugoni, qui justement rapporte un fragment de cette lettre, à p. 180 op. cit.) Non oserei sottrarre più altro menomo scritto (souligné dans le texte!) prodotto dal celebre Casti, premendomi di farne una edizione delle sue postume ed inedite composizioni, ed offrirne poi i manoscritti alla Biblioteca di Napoli mia patria. Addio. Il tuo amico
Parigi gli 8 marzo 1825.
(signé) Dr Pitaro’.
Quant aux sources, formées par des articles de revues ou de journaux qui nous fournirent quelques éléments inédits, voir la liste des ‘Principaux ouvrages consultés’ à la fin de ce volume, sous B.
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