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A la mémoire de mes parents
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Première partie
l'Homme
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I
Introduction
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, tandis que s'éloignent, parmi l'écho toujours plus faible du magnifique jeu vocal, les comparses héroïques et sentimentaux du mélodrame de Métastase, l'Italie participe déjà largement à la vie intellectuelle de l'Europe; et une littérature poétique est l'expression directe de la nouvelle pensée, éclairée, réformatrice, prérévolutionnaire, à côté de la riche littérature scientifique, de caractère juridique et social notamment. C'est une littérature, très répandue, d'essence moraliste ou didactique, qui en passant par la fable culmine dans la satire. La critique, de son côté, tourne ses regards vers les littératures étrangères en assumant parfois une violence démolissante (Baretti, Bettinelli), et en dépit de contradictions qui attestent le déséquilibre d'une culture en gestation, elle affirme hautement l'utilité d'étudier les civilisations étrangères et la nécessité d'un renouveau dans tous les domaines de la vie. C'est dans cette ambiance historique que se déroule la réforme théâtrale, belle mais éphémère, de Goldoni. Peu auparavant était passée, solitaire, l'ombre pensive de G.-B. Vico. Or, si l'ensemble de l'intense activité intellectuelle dont nous parlons, dans ses diverses manifestations érudites et littéraires, doit être reconduit, à part le vaste mouvement scientifique suscité par Galilée et ses disciples, à l'influence dominante de la culture française, la Scienza Nuova de Vico, née justement d'une impulsion violente en contraste avec cette culture, avait réussi à
marquer un premier pas vers une nouvelle pensée européenne, bien que publiée avant qu'un mouvement préromantique proprement dit eût commencé ailleurs en Europe.
Ainsi l'Italie, encore toute morcelée et en grande partie rien moins que bigote et misérable, quoiqu'en ayant jeté la semence avec les derniers hommes de la Renaissance et en ayant gagné un germe vigoureux dans l'oeuvre de Vico, ne connut alors qu'une bien faible floraison d'idéalisme. De même que dans les autres nations, l'idéalisme comme ensemble de doctrines passera plus tard en Italie, insoupçonné, à travers les courants romantiques. Tandis que se répandaient la mélancolie de Young et de Gray et les fantasmagories d'Ossian, Condillac divulguait, très applaudi, les théories sensualistes; on dévorait les découvertes zoologiques de
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Buffon, puis de Lacépède, on aménageait les premiers ‘cabinets de curiosités’, et la parole de Locke sera exaltée bien plus tard encore, étrange contradiction, par Ugo Foscolo, même après avoir écrit les Sepolcri.
Certes, à vouloir délimiter, ne fût-ce qu'approximativement, ce qu'on est convenu d'appeler la période ‘pré-’ ou ‘protoromantique’, on va au-devant de nombreuses difficultés. La formation des différentes écoles romantiques, dans quelques-unes des principales nations, révèle en effet une manifestation tardive de courants culturels qui s'étaient déjà enracinés plus ou moins profondément dans l'esprit des classes instruites de ces nations.
Tout de même, nous savons aujourd'hui - chose que presque tout le XIXe siècle, absorbé dans ses conceptions exclusivement historiques, devinait à peine - que certaines sources des plus importantes du romantisme européen, ou pour mieux dire les fondements mêmes de ce qu'on appelle le ‘préromantisme’ en général, se trouvent précisément dans le Settecento arcadien de l'Italie. C'est-à-dire, dans cette Arcadie par trop détractée qui, quoi qu'on pense communément d'une bonne part de sa production poétique, a exercé, avec ses ramifications sur toute la péninsule, une fonction du plus haut intérêt pour la diffusion du savoir, d'idées d'abord incertaines mais peu à peu plus consistantes, en matière de logique, d'humanitarisme, de ‘lumières’ et aussi de politique vraie; et qui a, en tout cas, contribué incontestablement à la formation nouvelle d'un sentiment, sinon d'une véritable conscience, d'unité nationale.
Il n'est point besoin, pour expliquer un tel changement d'idées et de jugements sur l'époque arcadienne, de se rabattre sur l'impulsion puissante donnée dans ce sens - et non seulement en ce qui concerne l'Arcadie! - par l'Estetica de Croce. Il faut rappeler aussi à ce sujet les travaux de J.G. Robertson (qui remonte même, pour les sources du romantisme italien, jusqu'au Seicento), de Giuseppe Toffanin (qui, avec une belle formule synthétique, estime que l'Arcadie ‘fut une chose sérieuse’), de Walter Binni, de Giulio Natali, d'autres encore. La lutte des Italiens de l'ère arcadienne pour la restauration des grandeurs passées - politiques et littéraires - était peut-être vaine en apparence, mais efficace à la longue parce qu'agissant en profondeur. Mais le culte de Pétrarque caractéristique pour la ‘première’ Arcadie (Eustachio Manfredi), le culte de Dante surtout vers la fin du siècle (Gasparo Gozzi, faisant suite au pauvre Benedetto Menzini du Seicento agonisant), le retour à l'histoire du Moyen-Âge (à la suite des Annali de Muratori), l'esthétique de Becelli et celle de Parini anticipant à celle de Manzoni, même la défense que Baretti, en cela compagnon de route de Lessing, fit de Shakespeare, le
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rappel nostalgique des temps où le théâtre et la poésie italiennes rayonnaient sur l'Europe renaissante, les grands souvenirs de Rome - tout cela alimentait l'esprit des meilleurs Italiens depuis les jours de Crescimbeni et de Scipione Maffei, jusqu'à ceux d'Alfieri et de Vincenzo Cuoco. L'invasion intellectuelle de l'étranger elle-même se heurtait à des obstacles dans les souvenirs glorieux et dans les grands espoirs qui devaient s'exalter avec Monti, avec Foscolo, et avec la plupart des romantiques, parmi lesquels Mme de Staël ne fut pas le seul nom français.
Cette direction nouvelle de la pensée eut encore un autre résultat de non moindre signification. Une étude littéraire ayant l'expérience du caractère provisoire et pourtant de l'utilité des plans préconçus, et connaissant l'importance d'une évaluation non ‘miraculiste’ de la poésie, tend à recueillir dans la poésie d'une époque l'ensemble vital des intentions et des aspirations qui lie l'expression poétique au monde spirituel sans lequel elle ne serait pas née; et qui la lie non par hasard, mais vraiment en reconduisant cet ensemble, tout entier, à des termes de discussion littéraire, à des dimensions inéluctables de ‘poétique’, qui est toujours l'intermédiaire le plus sûr entre l'expérience indiscriminée et la poésie. Travail historique, certes, mais qui n'a rien d'extérieurement déterministe, parce qu'il part toujours des personnalités qui sont les sujets de l'histoire.
De ce côté du nouveau raisonnement critique ont surtout profité ces auteurs d'oeuvres poétiques, qu'on appelle communément, n'en déplaise à Croce, les ‘mineurs’. De ce point de vue, le panorama accidenté des lettres italiennes ne se réduit plus aux hauts sommets des grands poètes et des chefs d'école qui souvent, précisément à cause de leur hauteur inabordable, ne présentent pas l'image authentique et exacte de la pensée générale de leur temps; il paraît plus que par le passé nécessaire d'en parcourir également les défilés et même les modestes vallées qui, somme toute, sont indispensables à une connaissance profonde du paysage entier.
C'est d'une figure rencontrée dans ces basses vallées et pourtant, à notre avis, trop longtemps reléguée dans l'ombre, que nous allons nous occuper dans les pages qui suivent. Mais avant de nous en approcher, revenons à notre point de départ et regardons de plus près le fond général - social, culturel, littéraire - sur lequel cette figure se profile.
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Le Settecento italien est né dans les prés di Castello, idyllique berceau de l'‘Accademia degli Àrcadi’, en ce printemps romain de 1690; il est mort dans les prés de la plaine de Lodi, en ce printemps
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lombard de 1796, aux cris de victoire des soldats de Masséna. Résignons-nous à l'appeler le siècle arcadien: ce n'est pas tout dire. Rien de moins unitaire, en effet, dans la chronologie humaine, que ce siècle étrange, qu'on a dit né dans la jouissance et dans l'ivresse des sens, et mort triste pour avoir trop vécu, et fou pour avoir trop pensé! Etrange siècle en tout cas, où personne, doué d'intelligence, ne pouvait échapper au contraste de tendances, d'opinions, de sentiments entre ce qui périssait et ce qui surgissait. ‘Tout s'y mêle’, écrivit un jour Enrico Nencioni, ‘tout s'y agite: Voltaire et Cagliostro, Frédéric II et Jean-Jacques, les illuministes et les encyclopédistes, Cimarosa et Saint-Martin, Métastase et Robespierre, la raison et le mysticisme, la musique et la stratégie, le magnétisme et les mathématiques, les perruques et la guillotine. Siècle qui chante, médite, calcule, raisonne, déclame, délire, rit, sanglote, tue, et qui triomphe enfin dans le sang et inaugure une époque nouvelle de l'humanité’. C'est beau et suggestif; pourtant Nencioni, en mêlant tout, distingua peu. Il ne sut encore distinguer ni la part essentielle prise par l'Italie dans le processus historique de ce siècle, ni les influences autres que françaises qui avaient stimulé les Italiens à prendre le devant, ni la césure idéale qui se produisit, en Italie même, vers la moitié du siècle.
De Sanctis lui-même, fut-il moins injuste pour le Settecento? ‘Que faisait’ - demande-t-il - ‘l'Italie? ... L'Italie créait l'Arcadie. Voilà le vrai produit de son existence individuelle et morale. Ses poètes représentaient l'âge d'or et composaient dans la nullité de la vie présente des thèmes abstraits et d'insipides amours entre bergers et bergères’. Injuste, même sur le plan littéraire. Car, pour être modeste, l'art d'Arcadie n'en constitua pas moins un grand progrès sur l'époque mariniste, sur le style précieux et par trop fleuri du Seicento; il fut, au moins dans l'intention (est laudanda voluntas!) un retour au ‘bon goût’, au naturel, à la nature, un demisiècle avant Rousseau. Mais De Sanctis, lui aussi, fut un homme typique du Risorgimento, il avait combattu et il avait souffert la prison et l'exil pour l'Italie, et ainsi lui, le plus clairvoyant des critiques littéraires, ne réussit pas à voir combien il y avait d'inéquitable dans le mépris de tant de grands hommes du Risorgimento pour les discrètes mais aimables voix de l'Italie du siècle passé, à laquelle on ne pouvait demander un Alfieri ou un Foscolo avant le grand réveil sonné par la Révolution française, ou l'accompagnant.
Essayons d'y voir plus clair: ce qui, après tant d'écrivains de notre siècle, n'est pas chose trop malaisée. Avec toutes ses lacunes et ses affectations, la longue mode d'art pastoral et futile que l'Arcadie donna à l'Italie marque la rupture la plus complète avec cet ‘espagnolisme’ contre nature du Seicento, aux pompes asphyxiantes.
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Elle fit succéder à la morgue et à l'hypocrisie de la domination espagnole - et ce fut un progrès! - le sigisbéisme; elle vit fleurir partout les salons, rendez-vous de grâce, de galanterie, d'encyclopédisme du type algarottien, mais aussi de culture vraie et de gentillesse. La vie sociale qui, au siècle précédent, avait perdu toutes ses traditions typiquement italiennes, où tout était devenu espagnol, cérémonies de cour et réceptions au couvent, les titres mêmes de Don et de Donna, les vocatifs gonflés de ces issimo et issima répétés qui font encore horreur à l'esprit moderne, le règne sanglant du pundonor avec son cortège de crimes légitimes - cette vie sociale était tombée dans l'abjection. A côté du formalisme espagnolisant il ne restait à l'Italien que la violence et le sang, et là encore s'étaient introduites les procédures étrangères. Tout ce monde que Manzoni, chef peu guerrier de la bataille romantique, devait immortaliser, n'était pas fait, à la longue, pour l'Italie; or, la réaction commença, chose rare dans l'histoire littéraire d'Italie, à Rome, dans cette légendaire réunion des Prati di Castello, pour continuer tout le siècle suivant.
Ce fut, certes, une rupture par programme, non encore par l'action; mais elle fut spontanée et, surtout, elle fut autochtone. La conséquence heureuse de cette rupture fut que les esprits pouvaient désormais s'ouvrir aux influences artistiques et littéraires jeunes, d'origine anglaise, française, allemande, dont rien n'était parvenu en Italie au XVIIe siècle. Si les Italiens redevenaient italiens, si le Risorgimento devenait possible un siècle après, ce fut, non en dernier lieu, parce qu'il y avait eu l'Arcadie, moment nécessaire et fortuné de l'évolution de l'Italie.
Il y eut autre chose encore, avec ce Settecento arcadien. C'est l'époque des cardinaux neveux, l'ère des fortunes de ces Altieri, Rospigliosi, Corsini et Borghese qui, ayant construit palais et villas, voulaient aussi faire figure de mécènes dans leurs nouveaux salons. Parmi tous ces gens, mécènes et bénéficiaires, l'Arcadie créait une atmosphère, feinte mais agréable, de démocratie égalitaire si habituelle au caractère italien. En Arcadie, tous étaient égaux, des princes et des cardinaux aux petits-abbés dit ‘faméliques’ ou ‘petits-collets’: seul, le talent comptait. Certes, sauf quelques exceptions ce n'était que talent de versificateurs; mais nous doutons fort que, sans l'Arcadie, on ne fût arrivé en si peu de temps aux Goldoni, Parini, Gozzi, Verri et Baretti.
Faisons ici, il en est le moment, une digression. On ne dira jamais assez le rôle que la foule des soi-disant petits-abbés a joué dans le siècle ‘des lumières’, et ceci, pour l'Italie, à travers l'Arcadie, dont bon nombre d'entre eux faisaient partie. Non moins qu'en France, où il se pâme à l'ombre de l'Eglise, en apparence encore
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toute-puissante et appuyée par la monarchie absolutiste et sa féodalité, l'abbé hors-abbaye foisonne en Italie, au XVIIIe siècle. On le trouve presque partout, là surtout où il ne doit point être. Ce fait est un des traits caractéristiques de l'époque. La classe de ces abbés se compose de genres très divers, placés dans des conditions fort différentes. Les deux types plus propres à la France sont plus rares, par la force même des choses - c'est d'abord l'abbé de cour, qui n'a pas toujours ses entrées à une cour, mais qui est fort recherché dans le beau monde, auquel il appartient ordinairement par sa naissance: le véritable abbé, bénéficiaire d'une abbaye ‘en commande’ dont il applique les revenus à son bien-être; puis auprès de lui, venant du même milieu, l'abbé ‘en herbe’, cadet de famille noble, voué à une abbaye dès sa naissance. Il y a encore l'abbé déclassé, moine ou chanoine ayant déserté qui son couvent, qui son chapitre, prêtre qui a abandonné sa cure ou qui n'en a pas trouvé à desservir. Deux causes, principalement, concourent à former et à multiplier ce genre: le vent qui souffle sur les esprits, même dans les couvents et les presbytères, et qui répand souvent le dégoût de la profession; d'autre part, le fait que le nombre des emplois dans l'Eglise est limité au nombre des bénéfices, et qu'ainsi la plupart de ces gens sont réduites à la ‘portion congrue’. Dans la masse de ces abbés déclassés, il se rencontre des hommes de talent comme, en France, l'abbé Prévost.
Mais le genre le plus commun en Italie, et de loin, est l'abbé ‘famélique’: peu ou point engagé dans les ordres, aspirant ou feignant d'aspirer à une abbaye qu'il n'obtiendra jamais (ce qu'on appelait en France l'abbaye de Sainte-Espérance); qui porte l'habit ecclésiastique pour lui servir de passe-partout, et qui fait tout ce qu'on pouvait faire alors, quand on ne possédait ni bénéfice ni emploi dans l'Eglise et qu'on portait un habit interdisant les professions utiles exercées par les laïques. Il cherche ses moyens d'existence et ses chances de fortune dans le parasitisme ou la semi-domesticité (‘servitore onorato’!), dans la familiarité humble de madama qu'il assiste à sa toilette, dans les intrigues ou les complaisances parfois éhontées et, s'il a quelque facilité pour cela, dans les petits vers galants ou la littérature interlope.
En un temps où, rien qu' à Rome, sur une population de 170 à 180 mille âmes, on comptait en 1766 cinq mille abati séculiers, à côté d'autant de moines et de nonnes, et sans compter les sacristains, les choristes, les collégiens etc., ce ‘prolétariat de l'Eglise’, vivant au jour le jour, se distinguait par la ruse, par la facilité des moeurs, par des fréquentations suspectes, qui en toute époque, et surtout lorsque le prestige des institutions sacrées est miné par un souffle de révolte, permettent de se nourrir. Contre des conditions qui, en s'attaquant à
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l'appareil féodal de l'Eglise, s'acharnent en réalité à creuser la hauteur de la religion elle-même, avec laquelle elles tendent à confondre cet appareil, même la vénération pour un pontife érudit et populaire comme l'était il papa Lambertini (Benoît XIV), que Walpole appelait ‘le meilleur des papes’, ne pouvait que peu ou rien.
Après cette digression, essentielle pour notre sujet, revenons à l'Arcadie. Si donc l'oeuvre négative de l'Arcadie mère, celle de Rome, et de ses adeptes associés sous l'égide des Trasformati de Milan, des Gelidi de Bologne, des Rinnovati de Massalunense, des Oscuri de Lucques, des Intronati de Sienne, et des Fervidi et des Rozzi et des Flemmatici, fut notable parce qu'elle rompit la croûte anti-italienne du siècle précédent, sa production positive ne se signalait en général, on le sait, que par des madrigaux, des sonnets et odes ‘per monacazione’ (entrée au couvent), ‘per nozze’, ‘per elevazione alla sacra porpora’ (élévation au cardinalat) etc. Et l'Arcadie n'inventa pas, peut-être, mais ennoblit en tout cas cet autre genre qui devra disparaître avec la mort du siècle: l'improvisateur, sans qui l'on ne pouvait concevoir ni une soirée brillante ni une réception. L'un de ces improvisateurs, Bernardino Perfetti, eut même son couronnement au Capitole - horribile dictu! - avec les mêmes fastes qu'avait eues le Trecento pour Pétrarque. Pourtant, deux autres, dont les noms reparaîtront souvent dans nos pages, firent triompher l'art italien comme ‘Poètes césariens’ à la cour raffinée de Vienne...
Voilà quelques aspects non tout à fait négligeables du siècle arcadien, communs à ses commencements et à son déclin et qui relient donc, pour reprendre notre parabole initiale, les prés romains ‘di Castello’ aux prés lombards de Lodi.
Ne nous laissons cependant pas trop leurrer à voir ce Settecento arcadien comme une chose une et indivisible. Ce fut là en partie la faute de M. Toffanin lorsque, dans L'eredità del Rinascimento in Arcadia (Bologna 1923) comme dans la refonte qu'il fit de cet ouvrage dans L'Arcadia (ib. 1946), il essaya de faire un tableau unitaire de la culture italienne depuis la fondation de l'Arcadie jusqu'aux derniers jours de Parini et de Baretti. M. Toffanin renonça, bien entendu, aux lieux communs sur la poésie arcadienne, il eut l'attention fixée sur les critiques de l'Arcadie et il embrassa dans ces ouvrages les théories et les discussions des critiques aussi bien que l'oeuvre des poètes et des lettrés. Mais tout le monde ne fut pas convaincu par ses conclusions, où il était arrivé grâce au plan d'ensemble même de son enquête, celle-ci étant entièrement basée sur cette seule question: la littérature italienne est-elle ou non assujettie aux littératures classiques, surtout la latine; autrement dit: est-elle dupe de ce qu'il appelle ‘l'erreur humaniste’? Problème qui,
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étant mal posé, le contraignit trop souvent à forcer le sens des textes - ce dont M. Natali, dans Idee, costumi, uomini del Settecento (Torino, S.T.E.N. 1926, chap. ‘L'eredità del Rinascimento in Arcadia?’) lui a fait grief. Bien mieux inspiré avait été Robertson qui, en rattachant les premières décades du Settecento à la brusque volte-face humanisante de la fin du Seicento, reconnut dans l'oeuvre critique des Arcadiens, dès après 1735-40, et dans la défense, encore restreinte, de la ‘fantaisie’, qui vers ce temps se fait jour, les premiers pas vers la conception romantique de la poésie.
Évidemment, le point de départ d'une ère nouvelle, dans le domaine littéraire, est impossible à déterminer d'une manière précise: les révolutions subites y sont inconnues, et il n'est pas une ‘nouveauté’ qui n'ait des racines, parfois profondes, dans le passé. Agitée par les guerres et privée des passions propres aux époques tourmentées, la première partie du Settecento n'eut pas de littérature poétique vivante. Mais après la paix d'Aix-la-Chapelle (1748), selon le mot de Muratori, poète cette fois, ‘les portes de l'allégresse s'ouvrirent’. Or, rattacher le réveil intellectuel de l'Italie moderne à cette date, comme on le fait communément, est un artifice commode, à l'appui duquel on peut invoquer de bons arguments: la paix qui régna en Italie pendant plus de quarante ans à partir de cette date, et le régime moins étroitement tyrannique que connut la péninsule, sont des circonstances que l'on doit tenir pour éminemment favorables au travail de la pensée. En outre, on peut remarquer que le milieu du siècle correspond assez bien à une modification importante dans l'orientation de la poésie: en 1748, Parini a 19 ans (comme Lessing), Alfieri va naître l'année suivante (comme Goethe); les oeuvres caractéristiques de Métastase, y compris son Regolo, sont déjà toutes composées; Goldoni, fin observateur de la réalité, ne se voue de propos délibéré au métier d'auteur qu'à partir de cette même année 1748. Il y a là des coïncidences frappantes, quoique la vérité, plus profonde, soit naturellement que le grand courant de rénovation était
venu surtout à l'Italie des savants et des penseurs qui ont précédé, et de beaucoup, les Saul et Mirra, le Giorno et même les Rusteghi et Bottega del Caffè. Ce sera toujours par Vico et Muratori qu'il faut aborder l'étude du renouveau de l'Italie, d'autant plus que, durant cette longue période de préparation, les idées ont eu plus d'importance que la forme.
C'est par les idées, en effet, qu' au milieu du siècle, il y eut également des réformes en Arcadie, où se montre et bientôt se confirme une orientation nouvelle en partie plus rationaliste. Pour parler avec Vittorio Cian, ces canzonette mollement sensuelles - qui, à la longue, se sont substituées à l'antique noblesse de la canzone - empruntent de plus en plus leur inspiration et leur contenu à la
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muse populaire. Sensualisme et ingéniosité combinés, que Croce a relevés dans la lyrique du Seicento avec Marini et ses adeptes, semblent se prolonger et se développer autour d'éléments neufs, sur un plan plus humain, dans cette seconde Arcadie. Même Carducci, qui pourtant dans Melica e lirica del '700 (Opere XIX, éd. Bologna, Zanichelli) n'eut aucune aménité pour les lyriques de l'époque pris à partie dans les personnes de Frugoni et de Casti, ‘peintres du sensualisme décharné et des visages emplâtrés et des têtes bouclées et poudrées des cavaliers et des dames’, a entrevu cet élargissement des thèmes. Même, il a démontré que le sujet des Saisons (sur lequel, affirme-t-il, dans les premières années du siècle, Métastase, improvisateur, avait brodé quelques cantates et petites chansons) a passé dans l'Arcadie romaine avec Rolli, dans celle de Parme avec Frugoni, dans celle de Milan avec Gutierrez, dans celle de Toscane avec Casti, enfin, dans la poésie dialectale avec les églogues siciliennes du grand Meli et avec les strophes vénitiennes de Lamberti et de Martignoni. Et la première - la meilleure - imitation de The Seasons de James Thomson (m. 1748), à savoir Le Stagioni de Gaetano Gutierrez, parut à Brescia dès 1760, un an seulement après l'adaptation française de Saint-Lambert.
Nul besoin, du reste, de chercher bien loin les preuves de ces réformes, dont nous avons noté plus haut les prémisses. Cette bourgeoisie qui avait fait la révolution communale et qui avait été, pendant des siècles, accablée par la féodalité factice, importée par les dominateurs étrangers, se relevait lentement après la paix de 1748. A cette bourgeoisie, les souverains tendaient la main avec leur absolutisme ‘éclairé’ pour combattre les superstitions du féodalisme et du clergé, et c'est alors que commencent les cinq lustres mémorables, qui vont de 1749 à 1774. En 1749, le vieux Muratori inaugure, avec le traité Della pubblica felicità oggetto de' buoni prìncipi, la période des réformes civiles. En 1750, première représentation à Dresde de l'Attilio Regolo de Métastase, tandis que Goldoni écrit ses 16 Commedie nuove, et Galiani termine son traité Della Moneta. En 1751, publication posthume du dernier volume des Rerum Italicarum scriptores. En 1754, Antonio Genovesi occupe le premier en Europe une chaire d'économie politique. De 1757 sont les Lettere virgiliane de Bettinelli, de 1758 la Difesa di Dante de Gasparo Gozzi. Entre 1760 et 1765 Carlo Gozzi crée à Venise les Fiabe pour le théâtre, en 1761-1762 Gasparo Gozzi lance l'Osservatore, en 1762 il publie ses Sermoni. En 1763, c'est le Mattino de Parini qui monte dans le ciel, et c'est l'Ossian traduit par Cesarotti. De 1763 à 1765, Baretti agite la Frusta letteraria; de 1764 date le traité Dei delitti e
delle pene de Beccaría, de 1765 le Mezzogiorno de Parini, en 1764-65 paraît le Caffè. Entre 1768 et 1772, voilà Le Rivoluzioni d'Italia de Denina,
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première histoire générale de la nation. Et en 1774, Alfieri, en écrivant la malencontreuse Cleopatra, se prépare à réformer le théâtre tragique pour aller ‘d'in sulla scena, muover guerra a' tiranni’. On est bien loin, désormais, des Fagiuoli et des Crescimbeni!
Montesquieu, dans la 136ème des Lettres persanes (1721), avait résumé ainsi le jugement des érudits européens sur l'Italie: ‘Jadis maîtresse du monde, aujourd'hui esclave des autres nations!’ Mais Voltaire, le 22 juillet 1766, écrivit au prince de Ligne que ‘l'Italie commence à mériter d'être vue par un prince qui pense comme vous. On y allait, il y a vingt ans, pour y voir des statues antiques et pour y écouter de la musique nouvelle. On peut y aller aujourd'hui pour y voir des hommes qui pensent et qui foulent aux pieds les superstitions et le fanatisme...’
Voilà bien la césure morale et intellectuelle, que nous hésitions à admettre!
Quant aux influences d'origine non italienne qui avaient amené ce revirement, Natali se demande: Une fois dite toute l'admiration pour la France du XVIIIe siècle, est-il vrai que ce siècle, en Italie aussi, fut le siècle de la philosophie française? La philosophie de l'‘Aufklärung’ se transplanta de l'Angleterre (Locke, Hume) en France, en Allemagne et, par la voie de la France, en Italie. Mais était-elle chose neuve en Italie? En vérité, à part Bruno et Vico, philosophes plus européens qu'italiens, les Italiens depuis les jours de Brunetto Latini avaient fui la métaphysique; ils contemplaient empiriquement la vie de l'esprit, ils concevaient la philosophie comme science pratique de la vie et comme critique des institutions civiles. Dans le Discours préliminaire à l'Encyclopédie, D'Alembert dit que les Français seraient injustes à ne pas vouloir reconnaître ce qu'ils doivent à l'Italie. Et même ces vieilles idées italiennes, rentrant au bercail, n'y furent nullement admises sans passer par une quarantaine.
Dire que l'Italie de cette seconde moitié du siècle, quoique dans bonne part de ses fils éminents antivaticane et contre les Jésuites, resta fidèle au spiritualisme chrétien, n'est pas faire une révélation: ni en plein Risorgimento, ni de nos jours, l'agnosticisme n'eut jamais le dessus sur les traditions séculaires de ce peuple. Et qu'on n'insiste pas trop, à ce sujet, sur la lyrique érotique de cette période, imbue de sensualisme audace, sur les nouvelles osées d'un Casti ou d'un Batacchi, sur les poésies d'un Giorgio Baffo, sur les mémoires de Casanova débordants de ‘soupers’ et de ‘couchers’. La morale hédoniste de ces auteurs, comme de leurs contemporains français, De Sade, Restif, Choderlos de Laclos, Crébillon fils, pour ne nommer que ceux-ci, est évidemment une réaction à la ‘réaction catholique’; ‘Le Tiers Etat’ - ainsi Natali - ‘s'inspirant à la
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philosophie de Gassendi et à la lyrique d'Horace, philosophe et poète de Giacomo Casanova, veut attester sa prise de possession de cette vie joyeuse qui avait été le privilège des patriciens et aussi du haut clergé’. Pourtant les Italiens, d'une façon générale, sauvèrent la religiosité, s'ils s'éloignèrent de la religion pragmatique.
C'est l'époque encore, où la franc-maçonnerie s'installe en Italie, d'abord en Toscane, puis en Vénétie, pour se fourvoyer presqu'aussitôt dans ce ‘rite égyptien’ dont Cagliostro se sert dans ses tournées. Par contre, un mouvement vraiment chrétien, dont Parini s'approchait assez (voir certains de ses sonnets et ses Lettere a una falsa devota), et qui faisait contrepoids au mouvement maçonnique, fut l'idéalisme janséniste. Il ne peut être dans notre intention de mesurer les répercussions, surtout littéraires, que le vaste mouvement du jansénisme a eues en Italie. Certains trouvent qu'il a pris dans ce pays un caractère assez particulier, plus pratique et politique qu'en France, moins mystique et doctrinaire; une opinion plus récente veut qu' à des nuances près, le jansénisme italien, d'abord avec le groupe de Pavie autour de Pietro Tamburini et de Giuseppe Zola, puis avec le cénacle pistoyais de Scipione de' Ricci, soit resté un simple reflet du jansénisme français. On peut dire que la doctrine de la grâce divine, que ces maîtres et leurs adeptes opposaient au probabilisme jésuitique, représenta sans doute une force démocratique non inférieure à l'idée de l'‘état de nature’: en mettant le croyant en contact direct avec Dieu, elle tend en effet à abolir la hiérarchie ecclésiastique, à rompre l'organisation de fer de l'Eglise. Pourtant, cet idéal, n'avait-il pas été, au fond, celui de Dante, de Machiavel, de Paolo Sarpi, avant d'être celui de Giannone et de Muratori, pour se traduire un seul moment en réalité dans les réformes, avortées, de Pierre-Léopold et de Joseph II?
MM. Henri Bédarida et Paul Hazard ont exposé, avec une modération égale à leur talent, dans L'influence française en Italie au XVIIIe siècle (Paris, s.d. [1934]), comment dans le domaine de la pensée de cette époque, il n'y eut, de la part de l'Italie, ‘ni dépendance complète à l'égard de la France; ni primauté absolue, congénitale, définitive’. Ceci comme conclusion au long débat entre ces auteurs qui, comme Settembrini, Giuseppe Ferrari, Pellegrino Rossi, Alfredo Oriani, avaient soutenu que l'Italie devait à la France la plus grande partie de son affranchissement politique et de sa résurrection intellectuelle, et ces autres écrivains, plus modernes, qui assurent que la genèse du Risorgimento dérivait ‘d'énergies spontanées et indigènes qui ne doivent rien de substantiel à la Révolution française’. On peut jouer sur les mots ‘France’ et ‘Révolution française’. Natali a conclu que l'Italie, avant 1789, ne devait pas grand'chose à la France, directement; que la vraie prépondé- | |
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rance française commença, ainsi que Paul Hazard lui-même l'a prouvé dans un livre antérieur (La Révol. franç. et les lettres italiennes 1789-1815, Paris, Hachette 1910), avec l'année 1796, lorsque ‘l'armée des libérateurs’ descendit des Alpes. N'avons-nous pas, nous-mêmes, pris cette dernière année comme marquant la fin du Settecento italien? Ce fut alors que la littérature et la philosophie abstraite françaises devinrent populaires
en Italie et que la langue française, autrefois celle des beaux esprits, devint celle des patriotes et des héros: qui parlait ou écrivait en italien, usait un jargon barbare gallo-italique. Mais par l'action même des idées révolutionnaires, l'idée de la nationalité italienne se fraya un chemin! Du cosmopolitisme de la Révolution, naquit l'italianité d'un Cuoco, d'un Foscolo et d'autres.
Continuons dans la ligne d'idées de Natali: si, avant 1789, la littérature française a agi sur l'italienne surtout comme intermédiaire d'autres littératures étrangères, allemande, anglaise, à la diffusion desquelles contribuaient du reste, directement, plusieurs italiens (Rolli, les deux Gozzi, Baretti, Cesarotti, Bertòla, Denina), tous précurseurs dans la voie qui mène au romantisme, l'Italie a certainement donné quelque chose à la France, comme à bien des autres pays. Dans ce XVIIIe siècle aussi, l'Europe était pleine d'Italiens, pas tous des aventuriers de l'acabit de Cagliostro. Métastase dominait de Vienne les âmes sensibles de toutes les nations, Algarotti, le ‘cher cygne padouan’ de Voltaire, émerveillait de sa science les cours d'Europe; G.-B. Tiepolo jetait les germes de l'art nouveau en Espagne et préparait Goya; Baretti n'appartient pas moins à la prose anglaise qu'à celle d'Italie; Goldoni, Galiani, Casanova lui-même donnaient des ouvrages notables aux lettres françaises. Les influences étaient donc réciproques, et des deux cultures, française et italienne, chacune conservait pourtant son caractère propre.
Même celui qui a de la peine à croire à un équilibre, difficile à vérifier, de ce bilan culturel, doit reconnaître que dans une forme d'art, l'Italie ‘settecentiste’ donnait encore sa mesure. Avec ses poètes et ses compositeurs de drames musicaux, elle eut en Europe un primat comparable seulement à celui qu'avait la France avec ses encyclopédistes. L'opéra fut la dernière création artistique donnée par l'Italie au monde. Vernon Lee (miss Violet Paget) l'a dit fort bien dans son beau livre sur le Settecento italien, aussi imprégné de poésie que les fines visions ‘settecentistes’ de cette autre femme, le peintre Emma Ciardi: ‘que celui qui étudie l'Italie du XVIIIe siècle, doit étudier l'art dramatique et la musique, l'opera seria et l'opera buffa, tout comme celui qui étudie le Ve siècle avant notre ère, celui de Périclès, doit étudier le drame et la sculpture, ou pour
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le Quattrocento et le Cinquecento italiens, la peinture. Rome, Bologne, Venise, Naples, étaient les points de rencontre des musiciens et des amateurs de musique de l'Europe; la musique, théâtrale et religieuse, était l'art vraiment populaire qui satisfaisait les besoins spirituels de toutes les classes sociales, même celles inaccessibles aux idées générales. Et il y avait encore, imcomparable pour sa grâce agile, la lyrique à chanter, dite melica, de Rolli et de Métastase à Vittorelli. Et la melica italienne, et la musique italienne, faisaient ensemble de la Vienne impériale la ‘capitale musicale d'Italie’.
N'insistons pas sur la pauvreté relative en prose d'art du Settecento italien, que Carducci, exagérant une autre fois, stigmatisa comme ‘la prose la plus lâche que des esclaves aient jamais écrite au monde’ (Libro delle prefazioni, dans: Opere, IV). Disons plutôt que la belle tradition galiléenne des ‘érudits-artistes’ était toujours vivante, que Gasparo Gozzi fut l'un des plus ravissants prosateurs que l'Italie ait connus, que Baretti inaugura d'une certaine façon la prose moderne, qu'Alfieri, dans sa Vita, nous donne l'exemple d'un style puissant dans son originalité rude et âpre. Lorsqu'on relit, après les éloges, les hommages, les adulations que le siècle ‘arcadien’ avait récoltées dans sa jeunesse, les hontes dont on l'a couvert à sa fin, on ne peut dire autre chose que: ‘Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité’.
Siècle étrange, siècle de toutes les contradictions. Sur le plan général, ne perdons pas de vue que cette ère des damine incipriate, des sigisbées, des cavaliers ineptes, amoureux seulement de leur propre personne, d'un art plastique en perruque, en habits de soie ou de brocat, des espadins sans épée, des menuets, des salamalecs, de tout ce qui au monde est doucereux et émollient, - que cette ère qui fut la vaste matrice de la société moderne, fut par excellence l'époque de la guerre, l'ère des luttes sociales et idéologiques. Les guerres et les armées permanentes avaient engendré l'inflation et les dettes publiques et saigné à blanc les peuples qui ne voulaient plus être traités comme des troupeaux de moutons. Même après que, en théorie, eussent été proclamées la souveraineté des peuples et l'égalité des droits, les guerres, ‘absolutistes’ dans la trace de celles de Marie-Thérèse et de Frédéric II, ou ‘libératrices’ avec l'impérialisme de la Révolution, dévastaient le continent. L'Italie, elle, n'en fut pas touchée, directement, jusqu'aux dernières années du siècle. Elle avait, riche de toutes ses idées antiques et des nouvelles, un certain loisir de continuer à philosopher et à versifier à l'arcadienne. C'est rendre hommage à son ‘internationalisme’, apanage de ses grandes époques, qu'au moment décisif pour l'avenir de son existence nationale, elle y était prête. Tant d'esprits de ce qu'on appelle
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le second plan y avaient contribué, à côté des grandes figures.
C'est une vérité de Monsieur de la Palisse de dire, qu'on ne peut reprocher au XVIIIe siècle de ne pas avoir été le XIXe. À y regarder de près, la seconde moitié du XVIIIe siècle a plus d'affinité avec la première moitié de notre siècle, qu'avec l'ère héroïque des nationalités naissantes. Si ce n'est pas le cas pour la France, raison de plus pour d'autres peuples, dont celui d'Italie. Et si c'est une thèse trop hardie en vue des incertitudes du temps présent - encore une moitié de siècle qui fait trembler le monde - elle peut du moins nous aider à voir plus clair dans la vie et dans l'oeuvre de l'auteur qui est notre sujet.
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