Briefwisseling en aantekeningen. Deel 2
(1976)–Willem Bentinck– Auteursrechtelijk beschermd
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promenade. Je lui demandai un tête à tête d'un quart d'heure. Elle me dit, qu'elle m'en accorderoit un d'une demie heure plutôt pour le lendemain. Je lui dis ‘one bird in the hand is better than two in a bush’. Sur quoi elle se rendit dans la chambre, où se tiennent les conférences, s'assit et me dit de prendre une chaise. Elle avoit l'air de fort bonne humeur. Je lui dis, que j'avois à lui parler sur un sujet, sur lequel je ne pouvois parler, qu'à elle et aucun autre; que les fréquentes dérangements de la santé du Prince me causoient une véritable inquiétude; que cela pouvoit avoir des suites fâcheuses et qu'en tout cas le Prince étoit mortel et pouvoit être enlevé d'un moment à l'autre; qu'il faloit prévoir ce cas et prendre d'avance des mesures, afin de n'être pas pris au dépourvu, quand cela arriveroit. La Princesse me dit, que le Prince se portoit fort bien; que ce mal n'étoit rien; qu'il étoit résolu d'aller à Aix et que les medécins assuroient, que les bains le tireroient tout à fait d'affaire; que le Prince avoit passé une fort bonne nuit et étoit très bien aujourd'hui. Je dis, que j'en étois très aise, mais que la prudence vouloit pourtant, qu'on pensât d'avance à un cas, qui pouvoit arriver et auquel il ne seroit pas sage de n'avoir pas pensé d'avance. La Princesse dit, qu'elle espéroit, que le Prince nous survivroit à tous et qu'elle ne vouloit pas anticiper sur l'avenir pour un cas incertain, ni troubler le bonheur et le repos de sa vie; que si on vouloit prendre des mesures pour un avenir incertain, il y avoit un autre cas non moins important; c'étoit celui où ses enfants se trouveroient en cas que le Prince et elle vinssent tous deux à mourir et ce qu'il faudroit faire alors. Je lui dis, qu'elle avoit très grande raison; qu'il n'avoit pas été pourvu à cela; qu'il faloit y songer et en parler au plutôt. Et je notai la chose sur le papier. J'ajoutai, que, quoique le sujet fut désagréable à traiter avec elle, je pouvois encore moins le traiter avec le Prince lui-même; que si le malheur arrivoit inopinément, elle ne se trouveroit pas en état de mettre ordre aux affaires et que tout se trouveroit dans une terrible confusion. Elle me dit, que cela étoit vrai, mais qu'elle se remettoit pour cela à la providence et qu'elle feroit alors ce qui seroit convenable dans ces circonstances-là; que c'étoit pour cela, que le Prince Louis étoit ici. Je lui dis, qu'à cette occasion je devois lui faire remarquer, que ce qui avoit été fait aux Etats Généraux à l'égard du prince Louis, n'avoit pas encore été ratifié dans toutes les provinces et que dans quelques-unes j'apprenois qu'il se rencontreroit quelque difficulté, mais quand cela seroit arrêté, cela ne suffiroit pas; qu'elle | |
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n'ignoroit pas, que le stadhoudérat héréditaire n'avoit passé que contre l'opinion de bien des gens, qui n'avoient pas osé s'y opposer, mais que ces mêmes gens-là avoient encore leur partie liée, tenoient ensemble, dans toutes les provinces, s'entendoient, étoient informés de tout et travailloient dans le paîs et dehors sans cesse et sans relâche. Elle dit, que cela étoit vrai, mais, qu'elle n'étoit pas en peine, parcequ'il y avoit à présent dans les postes les plus importants des gens à qui elle se pouvoit fier. Je lui demandai qui. Elle me répondit: ‘Le conseiller-pensionaire et dans le corps des nobles, vous’. Je demandai: ‘Qui encore?’ ‘Monsieur de Catwijk’. ‘Qui encore?’ ‘Monsieur de BoetselaerGa naar voetnoot2), que vous avez à présent captive’. Je demandai, qui elle avoit à Dort, à Haerlem, Delft, Leijden, Amsterdam, Tergouw, Rotterdam et les autres villes de Hollande. Elle me dit: ‘A Haerlem Van den BroekGa naar voetnoot3) et à Amsterdam Tersmitten’. Je lui dis, que cela étoit bon pour commencer, mais que cela ne formoit pas un parti suffisant à opposer au parti contraire, qu'il faloit encore bien des choses avant que cela fut porté à la consistence; qu'il faloit pour oser seulement espérer d'être en état de résister à un parti, qui se tenoit clos et couvert à présent, quoique bien lié et qui tout d'un coup se montreroit alors redoutable; qu'il faloit penser non seulement à ce qu'il faloit pour contenir la Princesse et sa maison; mais aussi à ma propre sûreté et à celle de mes amis, puisque l'orage tomberoit directement sur nous, mais qu'outre tout cela il faloit penser à cequi arriveroit quand même nous n'y serions plus pour la conservation de l'établissement présent. ‘Allez, allez-vous promener’, dit-elle, ‘Vous êtes un Roger Bontems, qui ne pensez qu'à vos plaisirs et aux joyes de ce monde’. ‘Il me semble’, dis-je, ‘Madame, que vous y pensez bien un peu aussi’. ‘Oui’, dit-elle, ‘mais je pense aussi à me préparer un tabernacle céleste’. ‘Et moi aussi’, dis-je, ‘Madame’. ‘Non, non’, dit-elle, ‘vous ne pensez qu'à ce monde; vous entrenez des filles; vous courez après des femmes mariées et ne pensez pas à l'autre monde’. | |
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‘Tout cela’, dis-je, ‘Madame, est de votre grâce. Mais je vous supplie, que nous revenions au point en question: ce qu'il faut faire dans le cas, que je viens de mentionner. Car toute badinerie à part, la chose est sérieuse et mérite une attention très grande. Et il n'est pas permis dans des affaires pareilles se fier tout au hazard’. ‘En vérité’, dit-elle, ‘je crois, que vous vous moquez de moi. Croyezvous, que j'irai prendre des arrangements pour le cas de la mort du Prince? Ma foi, je n'en ferai rien’. Je lui dis, que je croyois pourtant, que cela seroit non seulement très à propos, mais absolument nécessaire; que je la suppliois de penser à ce que j'avois eu l'honneur de lui dire et que je lui en reparlerois une autre fois. | |
12 augustus 1751Quatre marchands de vin d'Amsterdam sont venus me parler pour me représenter le tort, que faisoient à leur négoce le serment, qu'on exigeoit d'eux et ils sont entrés en détail. Mais je leur ai dit, qu'il m'étoit impossible de retenir tout ce qu'ils disoient et que par conséquent je n'en pouvois faire aucun usage. Ils m'ont demandé, si je voulois, qu'ils me le donnassent par écrit. Je leur pouvois rien conseiller là-dessus; que c'étoit à eux à savoir ce qui leur convenoit. Ils se sont fort recommandé à moi. Je leur ai dit, que je ne pouvois entrer en matière sur un sujet, dont je n'étois pas informé et que quand j'aurois leurs informations, je me garderois bien de leur dire mon opinion, ni à personne hors de l'assemblée des Etats. Après cela sont venus quatre de Rotterdam: Osey, Van den Einde, Roquette et le Mende. Ils sont venus représenter le tort, que leur faisoit le serment requis, non comme marchands de vin, mais comme zeehandelaarsGa naar voetnoot4). | |
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Je leur ai dit, que j'avois appris avec beaucoup de surprise le refus de prêter le serment; que le sujet devoit obéir au souverain. Ils ont parlé de la liberté du commerce. Je leur ai dit, que la liberté consistoit dans la soumission aux lois; que je n'en connoissois pas d'autres pour moi-même ni pour eux. Là-dessus Osey a commencé une apologie et a dit, qu'on le représentoit comme le chef de ceux, qui avoient refusé le serment et comme s'il l'avoit déconseillé à d'autres; affirmant le contraire et assurant, que si on avoit quelque espérance de voir redresser les griefs sur l'article en question pour les zeehandelaars, il étoit persuadé, que tous les marchands de vin se soumettroient au serment. Je lui dis, que personne ne pouvoit lui promettre cela et que le souverain ne feroit pas de condition d'avance avec des marchands de vin, qui étoient sujets tout comme moi et d'autres et qui portions pour le public des grandes charges et payons des gros impôts. | |
13 augustus 1751Au sortir de la conférence je demandai à la Princesse à part, quand je pourrois avoir l'honneur de la voir seule, que je souhaitois bien d'avoir encore un tête-à-tête avec elle sur le même sujet sur lequel j'avois eu l'honneur de l'entretenir l'autre jour; que je la priois de prendre son tems, quand elle seroit tout à fait de loisir et d'humeur de m'écouter. Elle me répondit: ‘Non, je ne veux pas entendre parler davantage de cela; je vous l'ai déjà dit l'autre jour’. Je lui dis, que je ne lui demandois pas pour aujourd'hui, mais pour le tems, qu'elle choisiroit elle-même. Elle me répondit: ‘Non, ni aujourd'hui ni jamais. Je vous dis, que je ne veux plus entendre parler de cela’. ‘Peut-être’, dis-je, ‘Madame, vous raviserezvous et je vous le demanderai une autre fois’. ‘Non’, dit-elle, ‘je vous le refuse et toutes les fois, que vous me le demanderez, je vous le refuserai’. |
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