Ce qui fait qu'elle prend quelque plaisir aux égards que l'on a pour elle et à la complaisance que l'on lui témoigne, c'est qu'elle les regarde comme des marques de soumission. Preuve de cela, c'est qu'elle souffre la grossièreté et l'insolence de ceux, sur qui elle sent qu'elle domine et qu'elle tient dans sa dépendance. Cela va jusqu'au point, qu'elle manque à la dignité. (La dignité est pour un Prince, ce qu'est la décense pour un particulier).
Elle a assez de la pénétration, de génie et de connoissance du monde, pour juger du plus ou du moins du mérite et des bonnes manières d'un autre. Aussi en juge-t-elle comme d'un morceau d'ouvrage. Mais cela s'arrête là. Et tout homme sur qui elle ne pourra pas dominer ne sera jamais honoré de son amitié, ni de sa confiance. Si par dessus le marché on est en état, ou a portée de pouvoir s'opposer à ses volontéz quelconques, c'est encore pis. Et si l'on a jamais fait voir, qu'on s'oppose en effet, c'est le pis du pis.
C'est le cas où je me trouve avec elle. Du moins, c'est ainsi que je l'envisage. Son esprit de domination et de despotisme fait, qu'elle ménagera et témoignera des égards à ceux, dont elle a absolument besoin pour dominer sur d'autres; quoique dans le fond elle n'en aye point réellement. C'en est une suite naturelle. Et cela n'ôte rien à son imprévabilité par aucunes bonnes manières à son égard.
C'est du moins mon opinion. Si l'on peut me faire voir que je me trompe, et en quoi, l'on me fera le plus grand plaisir du monde de me montrer, comment je pourrai tirer parti de son caractère et de ses qualitez bonnes, mauvaises ou indifferentes pour le bien public; car c'est de quoi il s'agit.
Elle me connoît assez pour savoir d'avance, que jamais elle ne pourra me persuader de rien faire contre mes principes, qui lui sont connus; et elle est sûre, que je n'ai pas besoin d'être persuadé poursuivre ses principes, de sorte qu'elle sait toujours où elle est avec moi. J'appréhende que tant que cette disposition à mon égard durera, je ne pourrai jamais gagner du terrein dans son esprit. Mon devoir et mon humeur ne me permettent pas de jamais rien faire qui donne lieu à changer cette disposition en elle.
Tout ce que je pourrai gagner en l'amusant, en la flattant, en ayant des complaisances sans bornes en des choses indifférentes et en lui témoignant l'empressement le plus marqué pour lui faire plaisir, tout cela sera perdu à la première occasion d'importance, qui se présentera, quelque précaution, que je prenne pour donner à une opposition ou à un refus l'air de raison ou de justice et pour l'accompagner du respect et des regards, qui sont dus à sa personne.