Briefwisseling en aantekeningen. Deel 2
(1976)–Willem Bentinck– Auteursrechtelijk beschermd
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Wenen, 6 juni 1750A vous tout seul
Votre lettre in folio achevée le 23 maiGa naar voetnoot1) et venue par le dernier courier m'apporte bien des particularités, qui cadrent parfaitement avec les idées, que je m'étois formées sur ce que vous m'aviez écrit auparavant. Et je vous avoue, que la situation où je vais me trouver à mon retour à La Haye est bien disagréable et bien délicate. Je vois bien, qu'il faudra en agir tout autrement, que je n'ai fait par le passé. Mais quant à la méthode et aux moyens, nous traiterons ces points-là de bouche; il seroit inutile d'écrire là-dessus à présent. Je vous prie seulement de venir à ma rencontre ferré à glace autant que faire se pourra. Il faut pourtant, que je vous dise d'avance, qu'il ne m'est pas possible de continuer à mener de nouveau le même train de vie, que j'ai fait depuis que le Prince est stadhouder. Ma tête ni ma santé ne pourroient le soutenir. Quand la confusion et l'embrouillement se mettent une fois dans mes idées vous ne sauriez croire ce que je souffre et quand je suis obligé de faire des efforts pour travailler dans cette confusion d'idées, ces efforts me lassent d'une façon que j'ai besoin du triple du repos pour me remettre et mon esprit est alors dans la situation où se trouveroit mon corps après avoir fait un violent exercise avec l'estomac chargé. Quand je suis parti de La Haye, j'étois si abatu et si fort rendu, tant par l'incertitude où j'étois sur les affaires publiques, le rôle que j'avois à jouer sur un théatre tout nouveau et les événemens, dont le public me rendroit responsable, que sur l'état de mes affaires domestiques, avec toutes les suites de ces dernières idées et leur influence sur les premières, j'étois si rendu, dis-je, que je n'en pouvois absolument plus. Quant à mes affaires domestiques, elles ont, Dieu merci, un aspect fort favorable. J'ai en occasion de voir ici les choses par moimême, de connoître les personnes et d'aller chaque fois à la source des difficultés, pour les lever. Et j'ai eu le bonheur de rencontrer | |
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auprès de l'empereur et de l'impératrice toute la faveur et la protection, que j'aurois pu souhaiterGa naar voetnoot2). Mais supposant tout cela arrangéGa naar voetnoot3), reste ma situation publique à La Haye et j'ai résolu de ne me plus soumettre à une gêne, qui m'ôte tout le tems de lire ou de réfléchir ou d'avoir aucun tems à moi pour jouir de ce que j'ai. Encore si quelcun en profitoit ou si le public en étoit mieux servi. Mais non! Ce seroit tout le contraire, car je serois encore moins en état de rien faire de bien et je ne ferois que confirmer le Prince dans la mauvaise habitude de faire les affaires par sauts et par bonds, dont il faut absolument qu'il se corrige. De his hactenus. Je ne comprens rien à ce que vous me mandez touchant la Bavière. Ne veut-elle donc pas de notre argent? Je comprens bien, que le manque de fermeté du Prince influe sur la considération de la République au dehors. Mais je suis bien persuadé aussi que la France et la Prusse (j'entens par la Prusse tout le parti françois en Europe) piqués de voir, que nonobstant le beau jeu, que les restes de leur parti ont eu en Hollande, ils n'ont pas joué ce jeu, travaillant à décrediter la République au dehors, pendant que de notre côté l'on ne fait rien pour en prévenir les mauvais effets. Tous les gazettiers d'Europe n'écrivent-ils pas comme s'ils étoient aux gages de la France? Et nos gazettiers ne sont-ils pas des premiers à manquer de respect à notre gouvernement et à nos alliés? Tous nos ministres à toutes les cours écrivent ce qui leur est dicté par les emissaires de France. Qu'est-ce que tous ces bruits de guerre, dont toutes les lettres et les nouvelles publiques sont pleines? Ce n'est rien que des bruits, que la France fait repandre pour faire écroire au public que la paix (qui doit continuer, parceque la France ne peut pas faire la guerre et que ses alliés ne peuvent la faire sans elle) n'est due, qu'à la terreur qu'imprime la grande puissance de la France et parcequ'elle a résolu de donner le ton. Le marquis de Pezora, seigneur espagnol, fort en faveur au tems de Charles VI vient d'Espagne. Il a passé tout l'hiver à Barcelonne avec le marquis de la Mina et ils ont ri ensemble de tous les préparatifs de guerre, de transports de troupes d'Espagne, qu'ils voyoient dans les gazettes. Je vous ai déjà dit, ce que j'avois appris d'un autre vieux officier catalan, qu'on avoit mis dans ce pais-là les sabots en ferne, tant la misère y étoit grande. | |
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Cependant notre ambassadeur WassenaerGa naar voetnoot4) écrit de préparatifs de guerre et comme les DebrosesGa naar voetnoot5), les KanterbachsGa naar voetnoot6) et les RoussetsGa naar voetnoot7) de Madrid lui dictent; et à La Haye on le croit, parceque le même esprit règne partout. Ici on étoit un peu allarmé quand la France commençoit à prendre le haut ton sur les affaires de Prusse et que l'on avoit appris, qu'elle avoit envoyé un officier au roi de Prusse pour voir ce qu'il pouvoit faire de son côté, quand et quelles troupes il pouvoit fournir. Je dis au comte d'Ulfeld et après cela à l'impératrice elle-même, que bien loin d'en conclure la guerre, j'en concluois la paix, que quand la France prenoit le haut ton, il n'y avoit rien à craindre, mais qu'on devoit prendre garde à soi, quand elle prenoit le ton doux. Et j'ajoutai, que j'étois persuadé, que le roi de Prusse sentiroit bien que cette demande de la France étoit un panneau, que la France lui tendoit et qu'il tâcheroit de lui rendre le pannier par l'anse, mais qu'il feroit semblant d'y donner plutôt que de s'embarquer mal à propos dans une mauvaise affaire, dans un tems où il sait que la France n'est pas en état d'agir de son côté. De Rome, de Venise, de Milan, de Florence on n'écrit que de guerre. Je n'en crois pourtant rien. Et ici l'on me paroît guéri de la terreur panique, que l'on a eu d'abord. Quand Keith reçut de Newcastle la nouvelle des nouvelles ouvertures de la FranceGa naar voetnoot8) comme vous les appelez, quoiqu'il ne fut pas dit dans la lettre que ces ouvertures vinssent de ce côté-là directement; il vint le matin me trouver dans mon lit. Comme il avoit l'ordre de communiquer la lettre à LL.MM. et au ministres et qu'il importoit que cette lettre fut produite d'une façon à ne pas faire d'autre impression, que celle qu'on vouloit qu'on fit, je conseillois à Keith d'en donner un extrait traduit. Pour être sur et pour gagner du tems je m'offris de la traduire pour lui et je lui en envoyai la traduction à dix heures le même matin. Keith pour gagner du tems porta mon brouillon à Ulfeld et le lui laissa. Le soir à Schönbrunn l'impératrice m'appella dans le jardin et me demanda ce que je pensois de cette lettre et si je ne savois pas d'où et par quel canal le duc de Newcastle avoit reçu ces ouvertures. Je lui dis, que je ne le savois pas et que Keith ne le savoit pas non plus; que j'avois vu tout, ce que Keith avoit reçu par ce courier; que c'étoit | |
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moi, qui avoit traduit la lettre, comme elle en avoit vu le brouillon de ma main et que je pouvois l'assurer, qu'il n'y avoit aucune information de plus; que du reste il étoit probable, que ces ouvertures avoient été faites au duc de Newcastle par monsieur De MirepoixGa naar voetnoot9) ou par quelqu'autre de la part de la France en exigeant le secret de l'authenticité et en faisant promettre de ne pas découvrir le canal. Je la trouvai prévenu (je crois par Ulfeld et par Bartenstein) car elle me dit, qu'on lui avoit montré cela comme quelque chose de nouveau et qu'il n'y avoit rien que ce qu'on avoit vu dans une lettre, que Bark (envoyé de Suède ici) avoit déjà montré. Je lui dis, que la chose même n'étoit pas nouvelle, mais qu'une circonstance très essentielle étoit nouvelle, à laquelle il me paroissoit, que S.M. ne faisoit pas attention, c'étoit, que dans cette lettre le duc de Newcastle disoit, que les avis sur les dispositions de la France, que le roi avoit reçus, étoient tels, qu'il ne pouvoit douter de leur vérité et que le roi étoit authorisé de les communiquer à cette cour-ci. L'impératrice fit beaucoup d'attention à cette différence et je lui dis ce que j'en concluois savoir, qu'il faloit faire semblant de prendre cela pour argent comptant, mais redoubler d'attention dans ce que l'on feroit en conséquence. J'en parlai à Kaunitz (qui est homme de tête, de sens, sans aucune petite vue basse et qui ne se sert de son crédit et de sa faveur, que pour le bien public). Nous tombâmes d'accord ensemble sur la réponce et je crois, que vous aurez trouvé cette réponce sage et bien à propos. Vous voyez, que je suis aussi de la réligion ‘Timeo DanaosGa naar voetnoot10’ et que je la prêche partout. J'avois fait tout cela de concert avec Keith, qui a parlé sur le même ton partout et qui par parenthèse est, je vous l'assure, un thrésor à cette cour-ci, où il se conduit avec une modération et un jugement exquis. Il sait prendre le ton ferme et haut sans choquer ni déplaire. Et par ses manières il s'est rendu si agréable, qu'il n'y a pas ici un seul ministre sur le pied où il est, ni recherché comme lui. Je ne sai pourquoi on diffère de lui envoyer des lettres de créance sur le pied, où il doit resterGa naar voetnoot11). Je soupçonne RobinsonGa naar voetnoot12) de lui jouer ce tour, pour lui donner | |
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un air de subalterne et sans conséquence, par pure envie, à cause que Keith est aimé et que Robinson étoit haï. Mais cela ne convient pas à Keith, qui prend patience et attend, mais qui ne restera pas à la longue sur ce pied-là. A Hanovre j'en parlerai net au roi et au duc de Newcastle. Du coup d'oeuil général de la situation en Europe je conclus, que c'est à présent le tems de travailler à se remettre et à se rétablir pour l'intérieur et que le seul moyen de conserver la paix est de se remettre solidement en état de renvoir un choc, sans être renversé du premier coup. Je suis sûr, que cela est possible chez nous, si l'on s'y prend comme il faut et que l'on s'y prendroit comme il faut, si le prince d'Orange y tenoit la main avec résolution et fermeté. C'est là le tout et c'est là à quoi j'ai dessein à mon retour de me donner tout entier. Je vous supplie de faire en sorte que l'on fasse quelque chose de solide pour GimnichGa naar voetnoot13), qui est un homme d'un génie au-dessus du commun, dont on peut tirer grand parti et qu'il seroit fort dangereux de perdre. Parlez-en au pensionaire de ma part et au Prince et j'en écrirai moi-même au pensionaire. Je ne sai, ce que Gronsfeld et De Back pensent de moi; mais ils se trouvent diablement loin de leur compte avec moi, à mon retour, s'ils croyent me séparer de vous ou me mener peu à peu dans un chemin, que j'ai résolu de ne jamais enfiler. Vous trouverez ci-joint la copie d'une lettre, que j'ai reçue par le dernier courier de Gronsfeld, pour votre information. Vous ne ferez semblant de savoir rien à lui. Je vous prie de vous informer si la princesse d'Orange a reçu une lettre de moi du 29 avrilGa naar voetnoot14), pour la prier de recommander mon affaire à la reine de DannemarcGa naar voetnoot15) et en cas qu'oui, si elle a eu la bonté d'en écrire. J'insiste sur toutes choses, que Gronsfeld ni De Back ne voyent pas ma lettre du 20 avril à Ulfeld, ni la réponce, qu'il m'a faite. Il n'est pas nécessaire que ces messieurs me fassent des tracasseries inutiles. Je vois encore plus clair par l'événement, que j'ai eu grande raison de cacher à Burmania ce que je ne voulois pas que Taroucca sut. Si Taroucca l'avoit su, les autres grimauds des Païs-Bas l'auroient su aussi et par ceux-ci tous leurs camarades à Bruxelles et | |
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leurs correspondants en Hollande, ce qui ne me convient pas du tout. Ce que vous me mandez de Suriname m'a fait dresser les cheveux sur la tête, tant pour la chose même, que pour l'honneur du Prince. J'espère, que l'on aura du moins réparé la chose sans nouveau délai et que l'on ne perdra plus une minute de tems. Le prince Louis est fort choqué de nos gazettiers, qui l'on fait maréchal chez nous. On lui en fait de complimens de tous côtés, auxquels il ne répond point. La cour ici en est fort en peine et l'impératrice-mère m'en parla hier et dit, que cela lui avoit fait beaucoup de peine, aussi bien, qu'à son neveu. Il faudroit ordonner au gazettier de La Haye de mettre dans sa gazette un article, que vous lui donneriez tout dressé, pour dire que ce que les gazettes de Cologne et les gazettes de Hollande et d'ailleurs ont dit làdessus est faux et qu'il n'est pas vrai, que le prince a été déclaré maréchal au service de la République, sans rien de plus, et point de réflexions, ni de raisonnemens de sa part. Ce seroit du moins quelque réparation et quelque justification du silence, que l'impératrice-mère a gardé sur les lettres, qu'on lui a écrites de plusieurs côtés et sur celui, que le prince Louis a gardé, même à l'égard de sa mère, jusqu'à son arrivée à Brunswic comme nous en étions convenus. Cela me fera grand plaisir et je suis sûr, que cela en fera aussi ici. Je vous prie de dire au greffier, que quand il apprend, que je m'intéresse pour quelqu'un, il ne doit pas venir à la traverse, sans du moins concerter avec vous. CrapGa naar voetnoot16), bourgemaître de Horn, m'écrit, que l'on disoit, que je m'intéressois pour CommelinGa naar voetnoot17), mais que le greffier Fagel disoit, que j'avois été mécontent de Commelin à Amsterdam et que BinkhorstGa naar voetnoot18) s'intéressoit pour un autre (son parent) pour lui faire avoir la place de fiscal et non à Commelin. Je vous prie de redresser cela, d'aider Commelin et de dire au greffier, que ce n'est pas comme cela, qu'on soutient un parti. J'espère, que le greffier ne me jouera pas le même tour avec Gimnich. Je l'en prie très fort. Je suis las d'écrire. |
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