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Masque et visage
Non, tu n'as pas aimé, puisqu'au jour de l'orage
Tu pus m'abandonner en repoussant ma main;
Puisque ta lâcheté, trahissant mon courage,
M'a laissé tout sanglant tomber sur le chemin;
Puisque tu restas sourde à mes cris d'agonie,
Au devoir t'ordonnant de me prêter secours,
Cependant que la haine et que la calomnie
Ont trouvé ton oreille ouverte à leurs discours.
Non, tu n'as pas aimé, puisque ta main fatale
M'a pu sonner le glas de l'éternel adieu;
Puisque l'autel sacré dont tu fus la Vestale,
De ta désertion a vu pleurer ton dieu;
Puisqu'après tant d'amour, ineffable délice,
C'est toi, foulant aux pieds nos sacrés compromis,
Toi qui de plus d'absinthe as rempli le calice,
Et remporté la palme entre mes ennemis.
Moi qui t'avais donné ma jeunesse et ma vie,
Humble mais vrai trésor dans l'or pur enfermé,
Jusqu'au fond du malheur moi qui t'aurais suivie,
Tu m'as beaucoup menti, tu ne m'as pas aimé.
Mensonges tes regards, mensonge ton sourire,
Mensonges tes baisers et tes embrassements,
Et tous ces mots d'amour que ta main put m'écrire,
Marqués, fausse monnaie, au coin des faux serments.
Ta passion n'était qu'une ferveur charnelle,
Qu'une ébullition passagère du sang,
Rien qu'une comédie infâme et criminelle,
Puisque sous ces dehors le coeur était absent.
Du masque de l'Amour habile à faire usage,
Par ses enchantements tu m'avais enivré;
Mais lorsqu'à mes regards parut ton vrai visage,
J'ai douté de Dieu même, et j'ai désespéré.
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J'ai pu croire un instant que toute la nature
A la clarté du jour a tort de se fier,
Que le soleil aussi n'est rien qu'une imposture
D'un être qui se plaît à nous mystifier.
Dans mes plus noirs chagrins, comme un heureux présage,
Ton sourire étoilé toujours me secourut;
Une ombre de l'enfer passa sur ton visage,
Quand le masque enchanteur de ses traits disparut.
Quoi! ces yeux dépouillés de leur flamme divine,
Ce beau front de sa grâce à jamais défloré,
Cette bouche où déjà le néant se devine,
C'est là ce que j'avais si longtemps adoré!
Stupéfaite, en voyant cet objet funéraire,
Ma raison de sa main laissa choir son flambeau,
Comme au temple d'Isis le prêtre téméraire
Qui, dévoilant l'autel, n'y trouva qu'un tombeau.
Tout ce que peut souffrir d'angoisse et d'épouvante,
En des moments pareils, un coeur pur alarmé,
De quelle horreur on sent frémir sa chair vivante,
Comment le saurais-tu, toi qui n'as pas aimé!
Qui te l'aurait appris, comment quelqu'un frissonne
Qui se dit: ‘A jamais je vais être tout seul’!
Quand soudain s'éveillant, à l'heure où minuit sonne,
Dans tout ce qui l'entoure il croit voir un linceul!
Quel découragement nous saisit aux entrailles,
Quel vide immense emplit notre coeur abattu,
Quand de l'espoir suprême on suit les funérailles,
Toi qui n'as pas aimé, comment le saurais-tu!
Grâce à ta trahison, implacable ennemie,
Qui brisas de mon coeur jusqu'au dernier morceau,
La nuit, j'ai pu crier à ma mère endormie:
‘Que ne m'as-tu laissé mourir dans mon berceau!’
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J'ai vu dans mon chemin, m'ouvrant sa gueule avide,
Le gouffre du néant brusquement m'arrêter:
Le Suicide affreux, à la face livide,
M'a saisi dans ses bras pour m'y précipiter.
J'ai senti sur mon front passer sa froide haleine;
L'acier de son poignard a glissé sur mon coeur;
Ma lutte avec ce spectre a sillonné la plaine,
Et je ne sais comment j'en pus sortir vainqueur.
Dix fois en ce duel, jouet aléatoire,
Je fus près de rouler dans l'abîme inconnu:
J'ai sur mon ennemi remporté la victoire,
Lorsque de mon passé je me suis souvenu.
Au plus fort du combat tout à coup je t'ai vue,
Jeune fille charmante au regard innocent,
Telle qu'en ta beauté tu fascinas ma vue,
Le jour où je t'offris mon coeur adolescent.
Te souvient-il encor du portail de l'église?...
Je tremblais devant toi, comme un jeune roseau
Dont le rêve chéri soudain se réalise,
Quand la première fois y vient chanter l'oiseau.
Il ne me souvient pas quels mots empreints de flamme
En ce moment t'a pu bégayer mon émoi;
Je sais bien que j'avais le paradis dans l'âme,
En te voyant rougir et trembler avec moi.
Et que t'aurais-je dit, si ce n'est que la grâce
De tes jeunes attraits m'avait ensorcelé!
Que de tes pieds chéris j'aurais baisé la trace,
Tant l'amour agitait mon pauvre coeur troublé!
Tu t'éloignais sans dire une seule parole,
Mais je vis sur ta bouche un sourire affleurer;
Je crus voir une rose essayant sa corolle,
Et, te suivant des yeux, je me mis à pleurer.
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Te souvient-il du jour où, tremblante et furtive,
Ne pouvant soutenir plus longtemps tes combats,
Tu vins à moi, si pâle, et de bonheur plaintive,
Me prendre les deux mains et me parler tout bas?
Je vois encor tes yeux pleins d'une flamme humide,
Sous l'enivrant parfum qu'exhalaient tes cheveux,
J'entends encor ta voix sur ta bouche timide,
Et dans un doux sanglot expirer tes aveux.
Le jardin, au soleil, étalait son prestige
De fleurs, de rossignols, d'arbres profonds et verts;
Dans un nimbe splendide, ébloui de vertige,
Et ne voyant que toi, j'oubliais l'univers.
Comme une onde azurée, où le cygne sauvage
Baigne son aile blanche et son cou de satin,
D'un poids de volupté se plaint à son rivage,
En berçant le nageur dans l'or du frais matin,
Sous mes regards d'amant tu faiblissais d'ivresse;
Je croyais voir le ciel devant moi s'entrouvrir;
Tout mon être en bonheur se fondait de tendresse,
Et c'est en ce moment que j'aurais dû mourir.
Sur la harpe, à la main d'un archange ravie,
Si j'avais pu chanter ce qu'alors je sentais,
Chaque femme à genoux m'aurait donné sa vie:
J'étais sincère alors, et toi, tu me mentais!
Tu mentais! - L'amour vrai, du temps bravant l'atteinte,
Sort du malheur, plus pur, comme du feu l'airain:
Le tien ne m'a laissé, sitôt sa flamme éteinte,
Qu'un peu de cendre morte et beaucoup de chagrin.
Rien que pour assouvir un frivole caprice,
T'abritant sous les plis du plus noble étendard,
Tu te fis de mon coeur la lâche usurpatrice,
O perfide Lakmé dont je fus le Cédar!
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Tu n'étais qu'un mirage, une ombre mensongère,
De celle dont j'aimais l'idéale beauté;
Tu t'en vas, - mais j'ai vu la céleste étrangère
Qui conserve sur moi sa chaste royauté.
Ta démarche imitait sa gracieuse allure,
Je l'entendais parler en écoutant ta voix,
Sur ta tête ondoyait sa brune chevelure,
Dans ton portrait c'est elle, elle encor que je vois!
Elle, avec son regard langoureux de créole,
Sa taille aérienne et prête à s'envoler,
Et son front si suave où, dans une auréole,
La pudeur et la grâce aimaient à s'assembler.
Hélas! tu m'as volé ma joie et ma jeunesse;
Le mal que tu m'as fait ne se peut réparer;
Mais l'orgueil du malheur cher à mon droit d'aînesse,
Ta noire trahison ne saurait l'altérer.
Vainqueur des jours d'épreuve et des sombres alarmes,
Au destin désormais j'oppose un front guéri;
Car le ciel m'accorda l'heureux bienfait des larmes,
Dont la source divine en moi n'a pas tari.
Le sort qui me frappa de sa verge sacrée,
Sous ses coups n'en a fait qu'élargir le bassin;
En chants mélodieux, sur ma bouche enivrée,
Je le sens comme un fleuve affluer de mon sein.
En pleurs délicieux il monte à ma paupière,
Où vient ma soif d'amour à longs traits s'abreuver;
De ma fierté meurtrie il amollit la pierre,
Et toi-même au besoin tu pourrais t'y laver!
Que m'importent ces temps envolés comme un songe,
Puisque je me réveille au souffle du printemps!
Les oiseaux et les fleurs ignorent le mensonge,
Et dans mon coeur toujours je garde mes vingt ans!
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Ce que j'aime à jamais, ce n'est plus toi, c'est Elle,
Elle qui rend la paix à mon être agité,
Mon rêve, ma Psyché, qui survit, immortelle,
Au charme évanoui de ta réalité.
Son regard me sourit, à l'heure matinale,
Dans le premier rayon de l'aube sur les eaux;
Le soir, je vois glisser sa robe virginale
Comme un cygne furtif à travers les roseaux.
La nuit dans mon sommeil, elle s'en vient, charmante,
Par ses tendres baisers effacer tes affronts;
Elle me prend la main, douce et plaintive amante,
Et me dit: ‘Quelque part nous nous retrouverons!’
N'importe où vont mes pas je me sens auprès d'elle,
Je m'enivre partout de son souffle embaumé;
Quel que soit l'avenir, je lui reste fidèle,
Et c'est toi que je plains, toi qui n'as pas aimé!
[La Revue Belge 1-2-1892]
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