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Dégout
O sombre Vie Humaine, infâme courtisane,
Qui, le fard étendu sur ton front de basane,
A travers les détours de ton noir labyrinthe,
Où j'allais palpitant d'espérance et de crainte,
Et jusqu'en ton boudoir, dont tes laches mensonges
A ma crédulité comme un lieu plein de songes
Parmi des corridors obscurs, où, comme un râle,
L'air fétide exhalait une odeur sépulcrale,
Puisque, te saisissant d'une main franche et rude,
O mon beau domino, j'ai, malgré ton air prude
Et tes cris de Vestale, arraché ta toilette,
Mis à nu la hideur de ton maigre squelette,
Et sous tes faux cheveux,
Tes fausses dents, ton fard, décorum irascible,
Fouillant, scrutant le tout, comme un juge impassible
Rien découvert, au fond de ta piètre nature,
Qu'un spectre grimaçant, morne caricature
Puisque, pour me guérir de ma folle chimère,
Le Désenchantement, avec sa coupe amère
Assis à mon côté comme l'Homme de pierre,
Fait de mon coeur navré monter à ma paupière
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Maintenant que je sais, et qu'en plein je regarde
Les souillures qu'en moi de ton contact je garde,
Je contemple, en pleurant de honte et de colère,
L'abjection profonde où mon coeur, pour te plaire,
Ah! plutôt que, pareil à l'ivrogne aux yeux ternes
Que le pied du passant, la nuit, sous les lanternes,
Heurte au bord du ruisseau,
Que l'aube vengeresse éveille et qui, livide,
Se recouche en collant à sa gourde qu'il vide
Plutôt que, sot convive, à tes noces brutales
Je m'en retourne encor, de voluptés fatales
Revenu pour jamais d'un instant de délire,
Je te tourne le dos, et j'ajoute à ma lyre
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Un soir, je vis combattre, au fond de la nature,
Deux lutteurs, deux géants de la même stature,
C'etaient l'Ange et la Bête. Effroyable bataille!
De l'Ange tout à coup je vis fléchir la taille,
Et l'autre eut le dessus.
Et le sombre Animal, comme une hydre étouffante,
Le beau vaincu sous lui, d'une voix triomphante
Et l'Ange convulsif, la paupière éperdue,
Sanglotait en voyant dans la fange étendue
Mais alors vint la nuit auguste et solennelle
Où la Bête s'endort, où l'Ange ouvre son aile
Et, pareil à Jacob, j'ai, dans mes insomnies,
Vu l'échelle divine où montaient les Génies
Vers les palais des cieux.
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Et la voix d'une bouche invisible, pareille
A la voix d'une soeur, penchée à mon oreille,
Me dit: ‘En ce combat, ô penseur au front blême
Qui cherches ton chemin, tu peux voir un emblême
L'homme est double; sa chair, impudente sirène,
Suborne son esprit, l'ensorcelle et l'entraîne,
Vers un gouffre où sa force, en proie à l'âpre orage
Des sens tumultueux, à jamais fait naufrage
Pour quelques vains plaisirs.
Malheur à qui se livre à cette magicienne!
De Samson quelque jour la catastrophe ancienne
La Dalilah perfide, aux lascives caresses,
L'abrutit à ce point en de lâches ivresses
Et quel réveil terrible après le court délice!
Comme autour du héros lié pour le supplice
En foulant à leurs pieds le trèsor de ses tresses
Qu'avaient coupé pour eux, entre des mains traîtresses,
Tous les démons, pressés en Géhenne vivante,
Sur sa tête épandant l'horreur et l'épouvante,
Aveugleront son âme en d'affreuses bruines,
Et lui feront trouver sous ses propres ruines
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Tais-toi donc, coeur infâme; et toi, chair obstinée,
Fais silence! - Là-haut fleurit ma destinèe.
Je m'en vais vous ouvrir, implacable ministre,
Dans quelque Thébaïde effrayante et sinistre,
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Et, fermant ce cachot qui pour vous deux s'apprête,
Je vous flagellerai comme un anachorète,
Si longtemps qu'à la fin, dans mes saintes envies,
Je n'entendrai de vous, Bêtes inassouvies,
[La Revue Belge 15-10-1891]
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