Poésies(1995)–Charles Beltjens– Auteursrechtelijk beschermd Vorige Volgende [pagina 194] [p. 194] Fragilité J'ai revu la maison, j'ai revu la fenêtre Où ma belle autrefois si souvent m'a souri: Ainsi le naufragé s'en revient reconnaître La côte et le récif où sa barque a péri. La maison couleur d'ocre est d'aspect fort maussade; Mais je me priverais de mon dernier écu, Rien que pour en avoir au bas de sa façade, La croisée et la chambre où ma belle a vécu. C'est là que la sirène épiait mon passage; Toujours, sans le vouloir, j'allais de ce côte; Entre des pots de fleurs émergeait son corsage, Les roses faisant mieux ressortir sa beauté. Sa brune chevelure aimait ce voisinage; Les oeillets curieux jalousaient son fichu; Un grand lys en extase admirait son visage; Mon coeur disait tout bas: quel trésor m'est échu! O sourire charmant, doux yeux, chastes étoiles, Dont les anges du ciel auraient été ravis! Greuze n'a rien laissé de pareil sur ses toiles: Du moins en ces beaux jours c'était là mon avis. Pour conquérir la chambre et sa belle habitante, Contre tous les démons, moi seul, j'aurais marché; J'aurais donné le monde et tout ce qui nous tente, Avec le paradis par-dessus le marché. O les belles amours et la chère folie Que notre èloignement ne faisait qu'attiser! La nuit, lorsque tout dort, sur la vitre polie, Souvent, comme un voleur, j'allais mettre un baiser. Elle savait la chose: à l'heure convenue, Tous deux au rendez-vous nous venions nous poser; Elle me souriait dans sa grâce ingénue, Et d'un geste enchanteur me rendait mon baiser. [pagina 195] [p. 195] Les lieux n'ont pas changé; la même treille enlace L'embrasure, où si bien s'encadraient ses attraits; La vitre préférée est toujours à sa place, C'est la même; - partout je la reconnaîtrais. Car un soir, le coeur plein de chansons nuptiales, Retraçant sur le verre un doux songe d'amant, Je nouai dans ses coins nos deux initiales Que ma bague entailla de son fin diamant. O jeunesse du coeur, que notre esprit rebelle, Froid stoïcien, gourmande et morigène en vain, Dans l'ombre du passé tu nous parais plus belle Aux magiques reflets du souvenir divin! J'ai revu la maison, et, m'arrêtant près d'elle, Par un rayon furtif de la lune éclairé, En cherchant de la main, sur le carreau fidèle, J'ai retrouvé mon chiffre, et j'ai longtemps pleuré. O femme, qu'as-tu fait? - N'était-il que d'argile, Ton sourire si jeune et frais épanoui? La vitre est toujours là, cette vitre fragile. Ton sourire? - A jamais il s'est évanoui! [La Revue Belge 1-5-1891] Vorige Volgende