Poésies
(1995)–Charles Beltjens– Auteursrechtelijk beschermd
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Ode sur le XXVme anniversaire de l'indépendance
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IQuand l'artiste inspiré que la beauté tourmente,
Dans son âme, Vésuve où s'agite et fermente
Un rêve audacieux,
Vaincu par les accès de l'amère insomnie.
Ne peut plus contenir de son fougueux génie
L'enfant séditieux;
Fixant dans la matière une empreinte de flamme,
Du chef-d'oeuvre divin que l'avenir réclame
Sauvant la vanité,
Au colosse pétri de gloire ou d'anathème,
Dans l'airain bouillonnant, il donne le baptême
De l'immortalité.
Pareille à la Sibylle en travail d'un oracle,
La fournaise en courroux s'ouvre... l'ardent miracle,
Furieux d'avenir,
S'élance, et revêtu d'un signe ineffaçable
Elève jusqu'au ciel du mortel périssable
L'immortel souvenir.
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IIEt tu croyais ainsi qu'un peuple se façonne?
Et tu croyais couler la lave brabançonne
Dans ton moule capricieux?
De ce métal pensant captif dans ta fournaise,
Hardi réformateur de l'oeuvre de Farnèse,
Tu croyais, sans danger, fabriquer à ton aise
D'un règne suranné le rêve ambitieux?
O Salomon du Nord, quelle était ta pensée!
Au festin de l'orgueil, quelle ivresse insensée
Avait donc troublé ta raison
Pour croire que des rois un stupide conclave
A ton sceptre, à jamais, eût vendu comme esclave
Ce peuple qui toujours avec ses flots de lave
Sur le front des tyrans fit crouler sa prison!
Ce peuple ainsi, malgré deux mille ans de victoire,
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Trop jeune encor, devant ton antique prétoire,
Pour l'âge de la puberté,
Par ses drames fameux, poèmes de l'histoire,
Par les affreux tourments de son long purgatoire,
Par ses fleuves trempés de sang expiatoire
N'avait pas assez cher payé la liberté!
Et tu croyais encor qu'étouffant sa colère,
Indigné dans son lit, le volcan populaire
Du gouffre n'aurait point surgi
Entonnant furieux l'hymne à la délivrance?
Et ce lion vengeur qui regardait la France,
A ce bruit de courroux, de gloire et d'espérance,
Aurait dormi tranquille et n'aurait point rugi?
Non! - nos pères l'ont vu; - lassé de sa détresse,
Terrible, échevelé, sous sa dent vengeresse,
Un jour il broya le baillon;
Ses yeux étincelants défiaient les mitrailles,
Il regarda son ongle, il rugit, ses entrailles
S'émurent, quand soudain le vent sur nos murailles
Roula des trois couleurs le sublime haillon!
Où sont-ils maintenant? - sentant trembler la terre,
Le satellite armé qui gardait le cratère,
A fui, pâle et déconcerté; -
Allons, que ferez-vous de ce bronze en furie?
Chaque onde est un guerrier armé pour la patrie,
C'est un tombeau vivant, c'est un peuple qui crie
Aux quatre vents du ciel, Liberté, Liberté!
Liberté! Liberté! les enfants et les femmes,
Les vieillards expirant sous vos glaives infâmes,
- Oh! l'histoire sait bien les noms -
Quand vos lâches boulets, déchirant leurs entrailles
Dans nos cités en deuil semaient les funérailles,
Les toits et les pavés, les débris des murailles
Ont crié: Liberté! plus haut que vos canons!
Et tu la croyais morte? Elle était endormie;
Mais, au sourd grondement de ta foudre ennemie,
Elle a fui le sommeil glacé;
A travers l'ouragan du mousquet sanguinaire,
Comme un éclair a lui son glaive centenaire,
Et la foule aussitôt, d'une voix de tonnerre:
Flandre au lion! Victoire! et ton régne est passé.
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IIIC'est que l'heure est venue - et c'est Dieu qui la sonne,
Pour avertir les royautés,
Dans ces craquements sourds du trône qui frissonne
Se disloquant de tous côtes;
Dans ces bruits des faubourgs, sombres ménageries,
Dont les monarques imprudents
Vont toujours davantage agaçant les furies;
Et dans ces grincements de dents
Qu'on entend ricaner sur les grabats de paille,
Quand, de leur cour environnés,
Au gala du budget dansent et font ripaille
Ces belluaires couronnés;
Dans ces rappels à l'ordre, ainsi que des tonnerres,
Jetés par la foule en émoi,
Quand chez les souverains, mauvais fonctionnaires,
Elle entre et dit: ‘l'Etat c'est moi!’
Dans la voix du vieillard, qui maintenant gourmande
Les grands aigles qu'il a suivis;
Dans la voix de l'enfant qui, le soir, lui demande:
Combien de rois as-tu servis?
Dans ce bruissement profond qui se répète
Si souvent, sans vous effrayer,
Sinistre avant-coureur de la grande tempête
Qui doit un jour vous balayer;
Dans ce bruit de verrous que font les amnisties,
Dans le murmure des roseaux
Qui n'ont pas eu, pour voir mourir trois dynasties,
Le temps de croître aux bords des eaux.
Et dans la voix du cygne, au parc des Tuileries,
Où, régalé de leurs bonbons,
Il vit se promener sur les feuilles flétries
Un Empereur et trois Bourbons;
Et dans l'adieu de Rome après l'adieu de Sparte,
Dans la voix des prêtres vieillis;
Chantant le Te Deum, deux fois pour Bonaparte
Et deux fois pour les fleurs de lis;
Dans l'echo des palais pleins d'ombres sépulcrales,
Dans le silence des beffrois
Qui ne daignent plus, même aux tours des cathédrales,
Accompagner l'exil des rois;
Dans les vagissements de tous ces fils de France
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Qu'on emporte dans leurs berceaux,
Où des doigts ont écrit: ‘laissez là l'espérance’
Avec les fanges des ruisseaux;
Dans les chuchotements du passé dont l'haleine
Mêle le soir, au fond des airs,
Les brises d'Holyrood aux vents de Sainte-Hélène
Pour se raconter leurs déserts;
Et dans les claquements des girouettes funèbres
Qui sur le Louvre, au toit mouvant,
Ont montré, mais en vain, aux rois dans les Ténèbres
Le côté d'où soufflait le vent;
Et dans ces cris d'assaut des foules intrépides
Qui par le veto des pavés,
Ont mis à la raison ces vieux cerveaux stupides,
Par la couronne dépravés;
Et dans l'écroulement de ces vastes cascades
Où - pour jamais enseveli -
Le Niagara français, du haut des barricades,
Roula le vieux monde à l'oubli! -
C'est que l'heure est venue où, sur les consciences
Plane l'Idée au front serein,
Où, de leurs grandes voix, les augustes sciences,
Du haut de leurs trépieds d'airain,
Aux vieilles nations qui mènent en lisières
La vaste et forte humanité,
Vont criant sans relâche, en levant leurs visières
‘Egalité, Fraternité!
En avant, parias, en avant les ilotes,
Nous avons compris vos sanglots!
Levez-vous, espérez, vous serez des pilotes,
Vous dont on fait des matelots!’
C'est que l'heure est venue où l'aurore nouvelle
Du grand soleil de la raison
Par-dessus les sommets que notre âge nivelle,
Va flamboyer sur l'horizon.
Et déjà l'Espérance, alouette divine,
Faisant trembler tous les tyrans,
Aux bornes de la nuit, où son aile devine
Ce jour qui va luire aux souffrants,
S'élance, et de sa voix, malgré les cris funèbres
Des hiboux dans leur noir séjour,
Nous appelle et nous chante, à travers les ténèbres:
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‘Voici le jour, voici le jour!
J'entends se lamenter les chouettes obliques,
J'entends les corbeaux croasser:
Peuples, c'est le matin des grandes républiques
Où vous allez vous embrasser!’
Et ce gazouillement, cette voix de prophète,
Nous y croyons, rois triomphants,
Et si ce n'est pas nous qui viendrons à la fête,
Du moins ce seront nos enfants!
Car Lui, ce demi-dieu, ce prince de la guerre
Que, pour tout rebâtir à neuf,
A vos prédécesseurs ont député naguère
Les Titans de quatre-vingt-neuf,
Cet homme, devant qui toute grandeur s'efface,
Dont vous perdez le souvenir;
Qui, fermant le passé, Janus à double face,
Rayonne au seuil de l'avenir,
Qui saisit au collet vos pères en ribote
Et, sans peur de leur faire affront,
Sans gêne, les mit tous par terre, et de sa botte
Laissa l'empreinte sur leur front;
Napoléon le grand, fléau plein de mystère,
Lui-même n'a pu conjurer
L'esprit de nouveauté qui traverse la terre
Pour démolir et pour murer;
O Rois, c'est qu'aujourd'hui, mieux qu'au temps de Virgile,
Où circulait ce même Esprit,
La foule immense apprend à lire l'Evangile
Scellé du sang de Jésus-Christ;
C'est que la Vérité jusqu'au fond des chaumières
Va recruter ses bataillons,
Cet ange ne craint pas en jetant ses lumières
De se salir à des haillons. -
C'est qu'à travers la nuit où hurle en ses repaires
Le Loup-garou du genre humain,
Les sinistres clartés des bûchers de nos pères
Nous ont montré le vrai chemin!
Nous marchons; maintenant au fond des coeurs bouillonne
Le désir de tout révéler:
Le peuple est fatigué de voir qu'on le baillonne,
Quand il a dit: je veux parler!
Ses arguments à lui ne sont ni l'Encyclique,
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Ni l'impôt du pain et du sel;
Un jour il a crié: Vive la République,
Vive l'amour universel!
Bientôt il reprendra la parole, il contemple
Ce formidable Mirabeau;
Saint Pierre peut donner au fossoyeur du temple
La mesure de son tombeau.
Car elle a fait son temps, l'époque décrépite
De Luther et du Vatican;
Ce n'est plus de nos jours qu'avec de l'eau bénite
On peut éteindre le volcan.
Et puis, forcer la porte à nos lois souveraines
C'est lâcher les rébellions;
Lorsque, pour gouverner, on a saisi les rênes
Dans l'héritage des lions,
On fait mal en mettant leurs petits en nourrice
Chez la louve aux étroits tétons,
Qui ne garde son lait, dans sa basse avarice,
Que pour ses propres rejetons;
On fait mal de laisser ces fils de noble race
Traîner leur faim dans les égouts,
Tandis qu'à leurs côtes les louvetaux voraces,
Bien repus des plus fins ragoûts,
Dans leur tanière impure, où le gibier se dresse
Tous les jours en plus grands morceaux,
S'endorment sans vergogne, engraissant leur paresse
De la sueur des lionceaux! ...
Tandis que le Batave assis devant sa porte,
Et calant son ventre éhonté,
Et sourd aux cris du Beige, en disant: que m'importe!
Fume sa pipe et boit son thé,
On a tort de servir des restes de cuisine
Aux bons Flamands, aux francs Wallons,
Et de les exploiter, comme on fait d'une usine
Ou d'un haras plein d'étalons;
Et l'on a tort de faire ainsi la sourde oreille
A leurs justes rugissements,
Guillaume, de noyer dans le jus de la treille
Le remords de ses faux serments;
Et lorsque de la sorte, à sa guise, on arrange
Un peuple pareil comme un chien,
Ce peuple dit: va-t-en! le Belge au due d'Orange,
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Comme le Suisse à l'Autrichien.
Car ce qu'il faut à nous, ce n'est pas la gamelle
Qu'on fait manger sous les verrous;
Ce qu'il nous faut toujours c'est la large mamelle
De la lionne aux cheveux roux
Qui, jeune encor, n'ayant que le quart de sa taille,
Pour montrer ses premiers essais,
Un jour s'en vint broyer sur un champ de bataille
Six mille chevaliers français.
Jadis des porte-sceptre aidés par des Nonottes,
Ont essayé de l'enchaîner,
Mais sa forte croissance a rompu les menottes,
Elle a grandi sans se gêner;
Et lorsqu'on l'agaçait... rugissante et jalouse,
Lorsqu'elle avait flairé du sang,
Nos aïeux se levaient: un général en blouse
Les conduisait, un contre cent;
C'étaient quelques valets d'une maison princière,
Eperons d'or, casques, plumets;
Eux n'avaient qu'un bâton, ils mordaient la poussière,
Mais se courber? Jamais, jamais!
Eh bien! Ce souvenir nous parle sans relâche,
Honte au Belge qui l'oublierait!
Si le soleil voyait qu'un vrai Belge fut lâche,
C'est certain qu'il en rougirait.
O Lionne indomptée, ô nourrice attendrie
De ces martyrs de bon aloi,
Plutôt que de souffrir, ô lionne chérie
Qu'un étranger sans foi ni loi
Vienne au milieu de nous, te faisant prisonnière,
A ta bouche imposer le mors,
Avant qu'il ait porté la main sur ta crinière,
Tous nous mourrons, comme ils sont morts!
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IVO ma patrie, enfin mets ta robe de fête!
Courage, des grandeurs tu vas gravir le faîte,
Souris, lève ton front, pour défendre tes droits,
Vingt siècles glorieux attelés par l'histoire
Déployant au soleil l'étendard de la croix,
Traîneront ton char de victoire
Devant le tribunal des rois.
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Trop longtemps l'ignoble férule
Frappa tes nobles passions,
Enfin sur la chaise curule,
Dans le sénat des nations,
Prends place! A ta métempsychose
Les peuples ont battu des mains;
Viens, la France a plaidé ta cause;
La France aplanit tes chemins.
O peuples, levez-vous, place pour l'immortelle;
La gloire et ses malheurs réclament votre accueil.
Quand on a mis tant de rois au cercueil,
On n'a plus besoin de tutelle.
Prends place, ô notre mère; et si quelqu'ennemi
Outrageait sur le trône à jamais raffermi
Ta jeune royauté digne des jours d'Athène,
Il est là, Léopold, celui que tes enfants
Ont appelé d'une rive lointaine,
Pour soutenir tes destins triomphants:
Il l'a dit devant Dieu dans ta joyeuse entrée,
Si l'ennemi jaloux de ta gloire sacrée
Levait la main pour la tenir,
Fils aîné parmi nous d'une mère adorée,
Son épée à la main, il saura le punir.
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VGloire aux martyrs! Sans eux nous fussions nés esclaves.
Jeunes amis, chantons sur la tombe des braves,
De ceux qu'a moissonnés la foudre des canons.
Eh quoi? Leurs beaux linceuls auraient sauvé nos langes,
Nos berceaux seraient teints du sang de leurs phalanges,
Et ces soleils couchés n'auraient pas de Memnons?
Oh! Sur les ailes du délire
Egarant mes transports naissants,
Si des grands maîtres de la lyre
Ma voix retrouvait les accents,
Disciple harmonieux d'Horace,
J'irais, rajeunissant la trace
D'un sang par la gloire effacé,
Dans les murs, cadavre de Rome,
Réveiller l'ombre d'un grand homme
Sous les vieux débris du passé.
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J'irais, au pied des sept collines,
Dans ces déserts, où le lézard
Courtise seul dans les ruines,
La poussière qui fut César,
Brillant héraut de deux histoires
Mêlant à nos jeunes victoires
La bataille des Epérons,
Rival du chantre d'Ausonie,
Venger la sublime agonie
Du peuple entier des Eburons.
Que dis-je, ô vainqueur de Pompée?
Non, ta vengeance fut trompée:
Ambiorix dans le tombeau
Sans héritiers n'a pu descendre;
Le Phénix renaît de sa cendre,
Le sol féconde un sang si beau.
Viens voir dans les champs du carnage,
Si, dignes de ce témoignage
Que les siècles ont avéré,
Enfin libres de leurs entraves,
Du grand courage de ces braves
Les Belges ont dégénéré!
Oui! Tandis que l'enfant des hommes de Pharsale,
Nous disputant le soin de nous venger,
En chantant nos héros sur sa lyre vassale
Vend son soleil à l'étranger,
Les Belges amoureux d'un autre Capitole,
Sous un roi citoyen, fidèle à sa parole,
Suspendant, vainqueur des hasards,
A l'autel de la Paix le laurier militaire,
Avec les descendants des maîtres de la terre
Partagent le sceptre des arts.
Oh! La gloire chez nous coule des jours prospères;
Vous n'avez point trahi le culte de vos pères,
Artistes généreux, prêtres de l'art flamand;
L'art superbe, immortel, grâce à vos nobles veilles,
Dans votre heureux pays peuple de vos merveilles,
Comme un produit du sol devient un élément.
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De Rubens votre aïeul, que l'univers acclame
Vous avez hérité la palette de flamme,
Et votre ardent pinceau, noblement irrité,
D'un exploit criminel consolant la patrie,
Sait fixer d'un tyran la mémoire flétrie
Au pilori vengeur de la Postérité.
De nos preux chevaliers, colosses de l'histoire,
Dans le bronze ennobli coulant le souvenir,
Montrez-nous ces héros, l'oeil tourné vers la gloire,
Un pied dans le passé, l'autre dans l'avenir
Enjambant, glorieux, ce double promontoire,
Indiquant sur la mer l'écueil aux matelots
Et si grands et si forts se dressant sur les flots
Que le vaisseau des temps, sans courber sa mâture
Puisse toujours passer sous leur haute stature!
Vous, poètes, chantez nos stoïques Catons;
Sur vos luths, à l'envi, chantez les Marathons
De nos modernes Miltiades;
Fiers de ce noble sang dont vous êtes issus,
Dans vos chants déployez les superbes tissus
De nos civiques Iliades.
La gloire à nos héros donna plus d'un festin
Dont la Grèce homérique envierait le destin
Nous eûmes six cents Spartiates!
Au vampire espagnol, à l'Attila des Francs,
Pour l'homme et pour ses droits, toujours aux premiers rangs
Notre patrie est apparue.
Nos aïeux étaient forts, nos aïeux étaient grands;
Lorsque de nos cités en proie à des tyrans
Ils avaient balayé la rue,
Chacun dans son foyer ramenant le bonheur,
Nouveaux Cincinnatus, joyeux, du champ d'honneur
Ils retournaient à la charrue.
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VIBelges, vous avez fait comme eux! Sous les verrous,
De vos coeurs de lions épanchant le courroux
Comme un fleuve entassant vos colères viriles,
Vous avez renversé les digues puériles
Sur le sol paternel de vos flots inondé,
Mais semblable au Nil, vous l'avez fécondé;
Et fixant à jamais, par un sacré partage,
L'équilibre puissant des lois et du pouvoir,
Vous avez reconquis votre antique héritage,
La liberté pour droit, le travail pour devoir.
Eh! Qui dira jamais cette cité fameuse,
Reine de ces vallons, où la paisible Meuse,
Reculant tout à coup, comme au bord d'un enfer,
S'effraie en écoutant ces Cyclopes de cuivre
Qui forgent les coursiers que la vapeur fait vivre,
Se débattre en hurlant dans leurs antres de fer!
Réveillant du passé la magique chimère,
Le rêveur ébloui croit, aux accents d'Homère,
Voir, comme les dragons d'un Titan souverain,
De l'Etna merveilleux les fables mugissantes
Apporter à ses pieds de terreur bondissantes,
Les éléments captifs dans leurs gueules d'airain!
O peuple favori de Dieu, de la nature,
Mon orgueil te compare, en voyant ta stature,
A ces chênes sacrés, nobles géants des airs,
Qui plongeant dans les monts leurs puissantes racines
Elèvent en vainqueurs, au-dessus des ruines,
Leurs fronts tout débardant de célestes concerts.
La foudre gronde au loin: du ciel des harmonies
Ton sommet toujours vert balance les génies;
Du doux printemps de l'art mélodieux oiseaux,
De leurs divins ils fascinent l'orage,
Et l'aquilon charmé sous ton paisible ombrage,
S'endort, comme un zéphyr qui rêve sur les eaux.
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VIIGrand Dieu, protège-nous à l'ombre de tes ailes!
Souviens toi de Bouillon, de ces guerriers fidèles
Qui, ralliant l'Europe à leurs cris généreux,
Pour Toi venaient mourir où Tu mourus pour eux.
Toujours de nos héros la cause fut la tienne;
Veux-tu que de leur sang le prix nous appartienne.
Que l'univers entier avec nous soit heureux!
Des peuples égarés sur le gouffre des guerres,
Jehovah Sabaoth, fais un peuple de frères,
Et rouvre enfin les yeux à tous les matelots
Qui voguent avec nous sur l'abîme des flots.
De notre guide aimé que ta sainte clémence
Conserve encor longtemps la force et la prudence.
Et nous, de tes bontés gardant le souvenir,
Sur ta foi nous jetons l'ancre de l'espérance
Dans les vagues de l'avenir!
[1850-1855; Gemeentearchief Sittard, archief Charles Beltjens] |