De Zeventiende Eeuw. Jaargang 12
(1996)– [tijdschrift] Zeventiende Eeuw, De– Auteursrechtelijk beschermd
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IntroductionLorsque Christiaan Huygens reprend, en 1690, les éléments du Mémoire présenté à l'Académie Royale des Sciences sur la cause de la pesanteur, plus de vingt années auparavant, il est en demeure de faire entendre, pour la dernière fois dans ce siècle, la voix de la philosophie mechaniste. C'est donc consciemment qu'il écrit son Discours de la cause de la pesanteur, acte conscient et original de résistance et non pas l'effet d'une pensée affaiblie et sénile: voilà ce que j'aimerais montrer ici. La pesanteur est une qualité qui est encore posée, au milieu du XVIIe siècle, dans une alternative décevante. Soit on la saisit à travers la réduction en ‘figures et mouvements’ à la façon du Descartes de la Seconde Partie des Principia Philosophiae. Soit on s'en remet à une détermination interne de la pesanteur, supposant en chaque corps l'existence d'une vertu, quelle qu'elle soit, qui engendre l'effet qualitatif global. Roberval, dans une communication à l'Académie des Sciences datant de 1669, résume le problème ainsi: ‘ç'a estè jusqu'icy une question dans les escoles, sçavoir si la pesanteur résidoit dans le seul corps pesant; ou si elle estoit commuine et reciproque entre ce corps pesant et celuy vers lequel il est porté, ou si elle estoit produite par l'effort d'un tiers qui pousse le corps pesant.’Ga naar eind1. Aucun de ces systèmes ne parvient réellement à justifier et à déduire les lois de la chute des corps à partir d'une nature, d'une définition ou d'une cause de la pesanteur. La pesanteur n'est qu'un effet, décrit dans le langage analogique des qualités irréductibles ou compris, dans l'équilibre, à partir d'un rapport non immédiat. La statique elle-même n'est pas plus explicite à ce sujet puisqu'elle considère les pesanteurs comme des quantités insérées dans des rapports, c'est à dire comme des nombres dont on ne rend pas raison immédiatement.Ga naar eind2. Huygens connaît assurément l'analogie cartésienne entre la tensio qui s'exerce sur une corde et l'effort de la pesanteur. Mais Descartes en reste au niveau qualitatif de l'image.Ga naar eind3. Huygens est donc mis en demeure, pour rester dans les limites du discours intelligible, de repousser avec une égale force les attractions occultes, ainsi que les fictions imaginatives de Descartes. Loi et cause doivent être pensées ensemble, tant pour confondre les tenants des qualités internes (celles de Roberval ou FrenicleGa naar eind4.) que pour formuler une théorie cohérente du mouvement face aux nouvelles formulations, bien plus redoutables, des qualités occultes chez un Newton. La ‘vraye et saine philosophie’ selon Huygens (Discours de la cause de la pesanteur), qui impose des normes au discours savant, relève sur la question de la pesanteur un défi que le cartésianisme strict n'est pas en mesure d'affronter. Certains ont voulu séparer chez Huygens ‘métaphysique générale de la nature’ et ‘méthodologie’ (HallGa naar eind5.). Huygens serait cartésien et réactionnaire lorsqu'on peut le surprendre à ‘bricoler’ les causes (DugasGa naar eind6.), mais il ne le serait plus lorsqu'il s'agit | |
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d'en venir aux lois elles-mêmes (une abondante littérature exploite cette distinction, à mes yeux sans force: MM. Hall, Dugas mais aussi Mouy, ElzingaGa naar eind7., WestmanGa naar eind8. et en certains endroits, KoyréGa naar eind9. et WestfallGa naar eind10.). Conserver une philosophie naturelle intelligente ou intelligible, c'est distinguer la physique mathématique de la philosophie des Docteurs d'une part, mais aussi de la pure axiomatique où elle s'engage à la fin du siècle. Voilà le projet de la mechanique selon Huygens. Par ‘mechanique’ on entendra alors l'explication du monde à la façon des rapports assignables qui se rencontrent aussi dans une machine où la force est transmise au moyen d'un vecteur connu. Ce n'est pas le moindre avantage de cette hypothèse que de permettre la compréhension nouvelle de l'entêtement où se tient Huygens: on sait en effet que Huygens, deux ans avant l'impression du Discours de 1690, avait clairement situé son projet, à la fois contre Descartes et contre Newton, négociant sa place entre deux systèmes antagonistes: ‘Tourbillons détruits par Newton. Tourbillons de mouvement sphérique à la place. Rectifier l'idée des tourbillons. Tourbillons nécessaires, la Terre s'enfuirait du Soleil, mais fort distants l'un de l'autre et non pas comme M des Cartes, se touchant.’Ga naar eind11. Le Discours de 1690 a été séparé, dans les Oeuvres Complètes, du Traité de la Lumière. C'est là un point de vue largement interprétatif qui fait de la cause de la pesanteur une investigation annexée aux ‘lubies’ cosmogoniques d'un Huygens vieillissant. A bien y regarder, ce Discours est un chef-d'oeuvre du rationalisme classique en général. | |
La loi de la pesanteurLorsque Huygens entreprend, le 21 octobre 1659,Ga naar eind12. d'étudier la force centrifuge, il n'a certes pas en vue la recherche de la ‘cause’ de la pesanteur. Il s'agit seulement de parvenir à une relation quantifiée de cette propriété qu'a le mouvement circulaire: produire une tension qui force les corps à s'éloigner du centre. Cette recherche est contemporaine de la reprise empirique,Ga naar eind13. puis démonstrative, des travaux de Mersenne visant à trouver la constante d'accélération gravitationnelle. L'intution d'une parenté de la pesanteur, de la force centrifuge, et de la notion d'accélération en général sont assurément les motifs décisifs qui expliquent l'orientation infléchie des travaux de Huygens vers le mouvement des corps en rotation. C'est la complétude de l'étude du mouvement qui semble imposer cette recherche puisque dans le contexte de la relativité du mouvement local, l'accélération centrifuge permet d'apprivoiser le mouvement circulaire et les questions qui se rapportent à sa ‘réalité.’Ga naar eind14. Mais il ne faudrait pas s'abuser sur cette ‘parenté’ de la force centrifuge et de la pesanteur. Il existe un texte permettant d'étayer l'affirmation d'une inféodation des présentes recherches de Huygens à la pensée de Descartes. Mme YoderGa naar eind15. en signale l'existence et critique l'obstination d'une interprétation traditionnelle affirmant que ce brouillon de Huygens, antérieur selon elle à la date du 21 octobre 1659, poserait les linéaments d'un ‘programme de recherche’ cartésien: ‘La pesanteur d'un corps n'est pas autre chose que le conatus d'une matière, de même quantité que lui et mue très rapidement, à s'éloigner du centre. Celui qui le retient suspendu empêche cette matière de s'éloigner, mais celui qui l'abandonne à sa course | |
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donne par là précisément la faculté à la même matière de s'éloigner du centre suivant un rayon; mais puisque, au début, elle s'éloigne du centre selon la suite des impairs comptés depuis 1, il ne se peut faire qu'elle ne presse le corps pesant à s'approcher du centre par un mouvement identiquement accéléré; à ce point que, nécessairement, au début du mouvement, ce sont des choses égales que l'éloignement de la matière par rapport au centre, et le rapprochement du corps vers le centre.’Ga naar eind16. Huygens est au fait, en 1659, de la théorie cartésienne des tourbillons. Il sait aussi que Descartes n'a pas justifié l'engendrement, par le tourbillon, d'une égale augmentation des vitesses dans des intervalles de temps égaux. S'il reste possible, mais improbable, de voir dans ce brouillon de Huygens une interférence entre la mechanique du tourbillon et la recherche de la constante de gravitation, il n'en reste pas moins que l'affirmation décisive de Huygens, en ce texte, est celle de la réciprocité des forces engagées dans la pesanteur et dans la chute libre. Ajoutons que cette réciprocité dynamique est saisie très soigneusement comme étant vraie initio motus ou encore a principio c'est-à-dire dans une portion de temps suffisamment étroite pour qu'on la juge instantanée.Ga naar eind17. On ne peut nier que l'on se trouve devant une prise en charge de la seule loi, sans détermination précise de la ‘cause’ et l'on peut affirmer avec Mme Yoder, en guise de jugement sur l'ensemble des recherches de l'automne 1659: ‘disparu, le vortex Cartésien (...), et à sa place gravité et force centrifuge sont liées ensemble par leur effet similaire sur une corde résistante.’Ga naar eind18. Exit, Descartes, mais c'est en un autre sens que je l'entendrais: c'est pour mieux situer encore la naissance du système de la pesanteur propre à Huygens, système dont il aura pu avoir l'intuition quelques années après ces recherches légales. L'idée d'un tourbillon propre à Huygens est réellement une idée neuve (peut-être fausse) tant elle bouscule la classification traditionnelle. Le vortex serait une forme d'aberration chez Huygens, pensée de la causalité inessentielle au regard de la loi descriptive. Mais les faits sont là: Huygens ne fait que revenir, sans cesse, à cette image du monde, à un système qui permet de déduire du mouvement centrifuge ici déterminé, le mouvement uniformément accéléré vers le centre. Les travaux d'octobre 1659 ne constituent pas immédiatement une recherche de la cause de la pesanteur, mais ils se présentent médiatement comme un jalon dans une recherche qui occupera Huygens jusqu'à sa mort. C'est le point de départ, saisi rétrospectivement, du tourbillon selon Huygens. Dans le De vi centrifuga, remanié en 1703, la première étape consiste précisément dans l'identification de la force centrifuge à la quantité de matière, gravitas, des corps considérés. Le but que Huygens se propose est annoncé comme suit: ‘Mais ce qui paraît à première vue difficile à comprendre, c'est pourquoi le fil AB (voir la figure) est si fortement tendu alors que le globe a la tendance de se mouvoir suivant la droite BH qui est perpenduculaire à AB.’Ga naar eind19. La démonstration se prolonge alors selon une méthode dont Huygens est coutumier: imaginer, en B, la présence d'un homme dont l'expérience, il tient un morceau de plomb tendu à un fil, sert de fil directeur à l'argumentation.Ga naar eind20. Le principe de la démonstration est de réduire l'analyse à des segments de courbes dont les longueurs sont prises aussi petites que l'on voudra. De cette assimilation, initio motus, Huygens déduit une première proposition: | |
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‘D'où nous concluons aussi que les forces centrifuges de corps mobiles inégaux, mais mus suivant des circonférences égales et avec la même vitesse sont entre elles comme les gravités ou quantité solides de ces corps.’Ga naar eind21. L'implication immédiate de l'identité démontrée pose que, tout étant par ailleurs égal, les forces centrifuges sont entre elles comme les pesanteurs. La variabilité est introduite à partir de la vitesse: ‘mais tandis que le conatus à tomber est toujours le même pour un même globe toutes les fois qu'on le suspend à un fil, celle d'un globe tournant avec une roue est au contraire plus petite ou plus grande selon que la roue tournera plus lentement ou plus rapidement.’Ga naar eind22. La variation, liée à la vitesse, est par conséquent liée aussi au diamètre du cercle considéré. La découverte est consignée dans une série de fragments rédigés à la suite du dessin initial daté du 21 octobre 1659: ‘2. De là il suit que, s'il advenait que par la suite nous voulons une révolution deux fois plus lente qui soit telle qu'elle conserve la même force de traction, il faut augmenter quatre fois la longueur du fil. On ne peut suivre ici dans le détail le cheminement de la pensée de Huygens. Pour cela, on consultera l'ouvrage de Mme YoderGa naar eind15. où l'ensemble des brouillons concernés est magistralement exposé. C'est, si l'on veut, l'examen de l'effet, de la tensio, exercée sur une corde évoluant à vitesse uniforme et en un certain temps donné autour du cercle de circonférence d qui permet de passer à l'algorithme de décision. Dans le même temps, ce même corps soumis à la chute libre ou au mouvement accéléré dû à la force centrifuge pourrait parcourir 2d. La distance 2d, en bonne cinématique galiléenne, est proportionnelle au carré du temps t donné. Doubler le temps de révolution, pour obtenir une même tension, exige un facteur 4 multipliant le diamètre. Les rapports de vitesse le long de la circonférence sont alors déduits et la formule F = v2/r, en notation actuelle, se dégage dès la huitième proposition du De vi centrifuga de 1659. | |
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La cause de la pesanteurC'est une lettre du 2 décembre 1667 adressée à son frère Constantijn qui marque le passage de l'examen de la loi à celui de la cause: ‘je suis maintenant à des expériences sur le mouvement circulaire pour lesquelles j'ai fait faire une table ronde qui tourne sur un pivot et est percée dans le milieu. Je crois avoir trouvé par ces spéculations la cause de la gravité, qui est de conséquence.’Ga naar eind24. Ce propos de 1667 annonce la prise en charge du modèle tourbillonnaire en tant que modèle expérimental, lorsque le tourbillon strictement cartésien était l'application stricte, dans la Troisième Partie des Principia Philosophioe, des déterminations particulières déduites, dans la Seconde Partie, de la constitution métaphysique de la matière. Il faut distinguer, chez Huygens, deux moments dans l'affirmation du modèle tourbillonnaire. D'une part la poursuite des indications relatives à l'équivalence initio motus de la force centrifuge et de la pesanteur. C'est, jusqu'en 1687, date de la publication de l'ouvrage de Newton, l'indication d'une simple volonté de corriger les inconséquences de Descartes en réaffirmant la validité d'un système mechanique du monde. Par suite, Huygens est sommé d'affronter un autre système du monde et c'est un enseignement suffisamment riche que de constater qu'il maintient mot pour mot une hypothèse qui accorde la raison et les lois, la cause véritable et les expériences (détermination de la forme de la terre, calcul de la variation de l'accélération centrifuge qui menace l'universalité de la mesure du temps par les horloges battant la seconde, dont la longueur varie et n'est pas la même à Paris et en Guyane). Correction puis défense qui signalent Huygens comme attaché au mécanisme plutôt qu'à Descartes. Le Discours de la cause de la pesanteur de 1690 est la reprise quasi textuelle, augmentée d'une analyse des propos de Newton du Mémoire de Huygens du 28 août 1669, Pièce C,Ga naar eind25. suivi de la Réplique de Huygens du 23 octobre 1669 aux objections de Roberval et de Mariotte, Pièce E.Ga naar eind26. Métaphysiquement, Huygens a déjà écarté son propos de celui de Descartes et c'est une constante qu'il maintiendra tout au long de sa carrière. Le refus porte précisémentGa naar eind27. sur la définition du corps par la seule étendue et la conséquence que Descartes en tire quant à l'absence de vide dans l'univers. Cette conséquence est essentielle pour le vortex cartésien, elle n'est en aucun cas nécessaire à l'hypothèse de Huygens. Les particules du tourbillon selon Huygens se meuvent en tous sens afin de remédier à l'absence de cohérence d'un tourbillon dont les particules ne sont déterminées que dans un seul sens: ‘Que si l'on voulait que la matière céleste tournât du même coté que la Terre, mais avec beaucoup plus de vitesse, il s'ensuivrait que ce mouvement rapide, d'une matière qui se mouvrait continuellement et toute d'un même côté, se ferait sentir, et qu'elle emporterait avec elle les corps qui sont sur la Terre; de même que l'eau emporte la cire d'Espagne dans notre expérience; ce qui pourtant ne se fait nullement. Mais outre cela, ce mouvement circulaire, autour de l'axe de la Terre, ne pourrait en tous cas chasser les corps, qui ne suivent pas le même mouvement, que vers ce même axe; de sorte que nous ne verrions pas les corps pesants tomber perpendiculairement à l'horizon, mais par des lignes perpendiculaires à l'axe du monde, ce qui est encore contre l'expérience.’Ga naar eind28. | |
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Référence est faite à la fonction de représentation manifeste qui est celle de tout ‘modèle’. Huygens fait à Descartes le pire reproche que l'on puisse adresser à une pensée cohérente: elle peint un monde absurde où les corps ne tombent vers le centre qu'au niveau de l'Equateur. Huygens tombe, de ce fait, sous les coups des véritables cartésiens, s'excluant réellement de la communauté cartésienne: ‘C'est pour éviter la difficulté dont nous avons donné la solution dans cet autre Memoire, que M. Hughens abandonne en ce point le systême cartésien (...) car les differens mouvemens circulaires qu'il donne à la matière fluide, n'ayant tous qu'un même centre, qui est celui de la Terre, ce n'est que de ce point-là que doit partir l'effort centrifuge dans tous les plans des cercles décrits; & par consequent ce n'est aussi que vers ce pointlà que doivent être poussez les corps pesants. La supposition de M. Hughens satisfait donc en cela parfaitement au phenomene de la Pesanteur.’Ga naar eind29. Huygens ‘quitte’ le système cartésien tout en satisfaisant au ‘phenomene’ de la Pesanteur. C'est qu'en bonne méthode, la congruence avec la seule expérience n'est pas recevable: ‘Mais quand on établit une Hypothèse pour rendre raison de quelque effet, il ne sufit pas qu'elle réponde exactement à l'effet qu'on veut expliquer. Il faut de plus 1o- Qu'elle soit conforme aux loix de la nature. 2o- Qu'elle soit plus simple que toutes celles qui ont d'ailleurs le même avantage. 3o- Qu'elle s'accorde avec tous les autres effets connus.’Ga naar eind30. Ces préceptes méthodologiques ne sont, à bien y regarder, que la synthèse de la doctrine cartésienne, telle qu'on la trouve dans les articles 44 et 45 de la Troisième Partie des Principes. Il s'agit de montrer que la théorie de Huygens, sa divergence fondamentale quant à la structure du tourbillon, est contraire, à tout le moins, aux deux premières de ces regulae philosophandi: ‘La premiere et la plus simple de toutes les suppositions qu'on puisse faire en commençant cette recherche, est sans difficultés celle que ce Philosophe a faite, d'une immense etenduë de matiere divisée en une infinité de petites parties, qui ont toutes reçû d'abord une impression de mouvement en ligne droite selon differentes determinations. Or dans cette supposition, soit que l'on reconnoisse la necessité du plein, soit que l'on admette, avec M. Hughens, de petits vuides entre les parties de la matiere ainsi agitées (ce que je crois d'ailleurs très-absurde) il n'est pas possible de concevoir ce nombre infini de mouvemens directs, ou plûtôt d'efforts, pour se mouvoir en toutes sortes de determinations imaginables, qu'en mêrne tems (...) l'esprit ne voïe naître un nombre infini de mouvemens circulaires autour de differents centres.’Ga naar eind31. L'agitation en tous sens, ‘cause’ nouvelle prônée par Huygens, est ici posée comme contraire aux lois de la nature (précepte 1) et passablement complexe, pleine de ‘confusions’ (précepte 2) puisque, correctement analysée, elle se rapporte à la configuration cartésienne. Huygens donne pourtant le moyen de comprendre statiquement le point de vue de l'agitation en tous sens, par une allusion aux règles du choc: ‘la loi de nature, que j'ai rapportée ailleurs, est telle dans la rencontre des corps qui sont diversement agités, qu'il s'y conserve toujours la même quantité de mouvement vers le même côté.’Ga naar eind32. Huygens met dans son tourbillon, outre la loi de la force centrifuge, toutes les règles du choc. En confinant, par ailleurs, les tourbillons dans une portion de matière Huygens n'a pas seulement introduit la possibilité | |
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du vide, mais il a encore contredit la conséquence cosmologique principale du tourbillon de Descartes: la création d'innombrables tourbillons entre lesquels ne subsiste aucun vide. Chez Huygens la possibilité du tourbillon n'est conditionnée que par sa faculté de restituer une représentation mechanique de la pesanteur, lorsque cette possibilité apparaît liée, chez Descartes, à une conséquence interne au système.Ga naar eind33. L'expérience, assurément, doit être informée par ces lois dont Huygens est, bien souvent, l'auteur. Mais s'il n'existe pas, des lois aux faits, une structure formant le lien mechanique, c'est la rationalité elle-même qui perd toute crédibilité. Loin d'être la façade d'un empirisme non avoué de Huygens, son tourbillon est ce par quoi la philosophie naturelle garde encore le nom de philosophie, c'est-à-dire une certaine relation où elle s'achève et totalise son expérience en accord avec la recta ratio acquise si durement sur des savoirs que l'on croyait, avant 1687 et le système du monde qui paraît alors, abolis. | |
ConclusionHuygens introduit son tourbillon, en 1690 de même qu'en 1669, par l'examen des seules propriétés connues du mouvement, ainsi que par l'affirmation préliminaire consistant à ne rien poser en dehors de ce qui se présenterait comme une ‘cause intelligible’. Le mouvement de la chute des corps, effet visible de la pesanteur, ne peut être réellement expliqué et engendré que par un autre mouvement. Les expériences et calculs de 1659, l'élaboration progressive de la théorie tourbillonnaire à partir de 1667 et sa réaffirmation franche en 1690 militent en faveur d'une révision de tous les jugements de valeur qui se sont fort injustement greffés à la représentation mécaniste du monde selon Huygens. Les tourbillons de Huygens ne jouent pas le rôle de loi par rapport aux mouvements des corps, mais ils permettent d'intégrer toute la dynamique naissante dans un système rationnel qui confère à la mechanique une expression intelligible. Ces tourbillons jouent alors le rôle d'un modèle théorique complet. Cette représentation n'est ni vraie ni fausse, de même que la physique d'Aristote doit pouvoir échapper à ces qualifications. Ces deux physiques sont intelligentes et pour tout dire: philosophiques. Huygens, pour la postérité, a subi le sort de cette physique cartésienne que, par bien des aspects, il dépasse. Huygens, contrairement à l'école cartésienne orthodoxe, admet et admire les lois newtoniennesGa naar eind34. dont il récuse seulement les suppositions. Huygens peut donc passer pour dépassé, lui qui n'admet pour principes que ceux qui sont reçus dans la ‘vraye et saine philosophie’, victime jusque dans la déduction mathématique des ellipses keplériennes de son attachement au clair et au distinct. Mais le besoin d'introduire la bona mens en physique n'est pas, à bien y regarder, une préoccupation appartenant à un passé révolu. |
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