Verslagen en mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Taal- en Letterkunde 1933
(1933)– [tijdschrift] Verslagen en mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Taal- en Letterkunde– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Brieven van Hendrik Conscience aan Melchior Baron von Diepenbrock, prinsbisschop van Breslau, uit het Erzbischöfliches Diözesan-Archiv te Breslau,
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naal verheven. In het aartsbisschoppelijk Diozesanarchiv aldaar bevinden zich de zeven hiernavolgende in 't Fransch geschreven brieven van Conscience, dagteekenend uit de jaren 1847 tot 1849, en een brief van Alexander von Humboldt aan Conscience. Zij werden alle te Antwerpen geschreven. | |
I.
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A l'occasion du jour de l'an toute ma famille et moimême (sic) nous nous sommes souvenus avec reconnaissance du bien que V.E. nous a fait dans ma personne, et nous avons adressé à Dieu des voeux sincères pour qu'il daigne vous réserver des jours longs encore et surtout exempts de contrariétés. Qu'il vous accorde la santé, ce plus précieux des biens terrestres! M. Wappers se joint à nos souhaits et se recommande au bon souvenir de V.E.
Monseigneur et cher Bienfaiteur
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II.
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paru une traduction allemande chez Marcus à Bonn; cette édition se ressent de la hâte que l'on y a mise, car elle me semble pleine de fautes typographiques. Il est dit sur la couverture: Unter mitwirkung des verfassers, quoique cela ne soit pas le moins du monde; mais comme le traducteur, qui demeure à Bruxelles, rend des services à notre cause flamande, je ne pense pas qu'il convienne que je me brouille avec lui pour si peu de chose et que j'ouvre peut-être avec lui une polémique désagréable. La misère est si grande dans nos pauvres Flandres (le pays le plus riche de l'Europe cependant) que je ne me sens pas le courage d'en essayer la moindre description; la bienfaisance quoique générale est impuissante à combattre le fléau de la famine. Notre Société de Littérature a tenu dernièrement une Séance Solennelle, j'y ai prononcé un discours en faveur des Flandres, et, sous l'influence de mes douloureuses paroles, j'ai fait une collecte avec la demoiselle de notre Gouverneur de la province. Le lendemain nous avons adressé à divers curés des Flandres une aumône de 1200 francs. C'est beaucoup dans les circonstances actuelles, car la charité publique est réellement épuisée. Monseigneur et cher Bienfaiteur, vous devez avoir des chagrins, vous si bon et si généreux! Le peu que les journaux m'apprennent sur ce qui se passe dans le diocèse de Breslau suffit pour me plonger dans la tristesse, chaque fois que par l'esprit je me transporte auprès de Vous. Je vois V.E. luttant de bonté et de patience avec la misère qui frappe le pauvre, avec les dissensions qu'on cherche à semer dans l'Eglise, avec l'immoralité qui se produit au grand jour. L'homme qui combat pour le bien trouve sans doute la force et le courage dans la sainteté de sa mission; mais il y a aussi des moments où, dans la solitude, le plus fort laisse pencher la tête et éprouve du regret de devoir user sa vie dans cette lutte éternelle contre l'esprit du mal, qui se reproduit sous mille formes et reste toujours debout pour éprouver les bons. Vous, Monseigneur, qui aviez besoin de paix et du bonheur que l'on trouve à faire le bien, vous avez accepté une lourde croix, je le comprends maintenant. Puisse le Seigneur donner à V.E. la santé du corps et la force de l'esprit; puisset-il vour préserver si ce n'est de la douleur, que ce soit au moins de ses effets. J'ai bien souffert aussi de mon cóté. Une maladie grave m'a tenu d'abord au lit et dans la chambre pendant trente jours. C'était une inflammation violente des intestins. Peu de jours après ma guérison il m'est arrivé une chose étrange, qui m'a ôté une dizaine d'années de ma vie, j'en ai l'inébranlable conviction. Je | |
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demeure près du chemin de fer dans le faubourg; de mon jardin je vois de cent pas sur le chemin. Ce jour-là, en revenant de la ville, je remarquai près de la route ferrée un chardon d'une espèce qui m'était inconnue et je priai mon beau-père, qui est un vieillard, de l'aller déplanter pour le mettre dans mon jardin. En y allant il emmena mon fils, qui a quatre ans (rassurez-vous Monseigneur; avant de continuer je dois prévenir V.E. je n'ai eu qu'une peur non fondée) je poursuis: Mon enfant et son grandpère pouvaient être rendus à l'endroit désigné. Un convoi passe et s'arrête avec violence; les lamentations remplissent l'air; j'entends crier sur la route: un enfant tué, un enfant écrasé. Je monte sur un banc de mon jardin, je vois emporter un cadavre mutilé... grand comme mon enfant, habillé comme mon enfant. Je renonce à vous peindre ce que j'éprouvai alors. Je suis resté pendant cinq minutes (tout un siècle) dans la conviction intime que je venais de voir emporter mon enfant. Je préparais mon épouse défaillante à recevoir ce coup terrible, lorsque le grandpère est accouru avec mon fils. Le malheur avait frappé une autre famille. Je suis resté quatre jours sans dormir, j'ai visiblement vieilli, et maintenant encore mon sommeil est souvent troublé par des terreurs inexplicables et des tressaillements sans motif. Le corps et l'âme ont subi en moi une rude atteinte, et il me faudra une grâce particulière et beaucoup de temps pour recouvrer la plénitude et l'énergie de mes facultés. D'un autre côté, je souffre d'une persécution incessante de la part des personnes qui voient en moi un obstacle à la réalisation de leurs désirs anti-nationaux ou anti-conservateurs. La politique est ici la lutte la plas déloyale, la plus hargneuse et la plus cruelle qu'il soit possible d'imaginer. Amour du bien, patriotisme, talent, modération, rien n'y fait. Avec ce (?) nom public il n'est même pas permis de rester dans la neutralité; on en serait toujours violemment arraché, fût-ce même par les bons. Ajoutant à cela que ma place est insuffisante pour l'entretien de ma famille et que je fais de vains efforts pour obtenir quelque avancement, il sera facile de comprendre que les moments de tristesse et de chagrins sont nombreux dans ma vie. Votre bonté m'a acquis une place exceptionnelle dans la littérature de mon pays; cela ne m'empêchera pas de traîner une existence inféconde et précaire, et de laisser mes enfants dans le dénuement le plus complet lorsqu'il plaira à Dieu de m'appeler à Lui. Je remercie la noble Dame von Bonstetten de son aimable souvenir. Je lui adresserai mon ouvrage dès que j'aurai l'occasion de le faire par voie de libraire. J'espère que Mademoiselle von | |
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DiepenbrockGa naar voetnoot(1) se porte bien et est aussi heureuse qu'Elle peut l'être dans ce temps d'épreuve. Que Votre Eminence me pardonne la longueur de cette lettre et daigne croire à mes sentiments d'inaltérable gratitude.
Monseigneur, de Votre Eminence,
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III.
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contre moi sans savoir dire au juste pour quelles raisons. D'abord l'on a attaqué mon caractère, puis mes ouvrages, puis l'académie parce que je m'y trouve; on m'a tout contesté, tout décrié. C'est un système organisé de longue main par les partis extrêmes, qui voudraient ravir au peuple flamand ses sentiments de paix et ses moeurs pures, au profit d'idées creuses et de théories subversives. Je suis le premier obstacle à cette corruption; ils croient que derrière moi se trouve la porte par où il leur faut passer - et de là les efforts inouïs qu'ils font pour me déplacer. Ils m'ont fait beaucoup de mal sans doute; mais en ce qu'ils recherchent comme but ils n'y ont pas réussi le moins du monde. Je suis encore debout et tant que je le serai ils ne parviendront pas à mettre le Voltairisme (sic), le communisme etc. à l'ordre du jour chez les Flamands. Ici je suis obligé de m'oublier moi-même, de négliger ma défense individuelle pour veiller à l'esprit que l'on tend à introduire parmi les habitants des communes flamandes. Loin de moi l'idée d'empêcher que la civilisation fasse son chemin jusque dans la dernière hutte, j'y aiderai de toutes mes forces, mais je refuse d'accepter sous le nom de civilisation ces mille formes de l'esprit de mécontentement avide et égoïste, qui tend à briser tous les liens de la société actuelle. Je souffrirai encore beaucoup avant que cette nouvelle lutte ne soit terminée, mais quelque puisse en être l'issue, il me restera toujours plus que je n'aurais osé espérer d'obtenir jamais. En présence de tant d'ennemis qui me dénigrent, la lettre de M. Von Humboldt est comme tombée du ciel pour m'inspirer du courage et de la confiance. Dans cette marque de sympathie de l'homme que je vénère, avec une espèce d'adoration pour l'esprit de la haute science dont nul ne semble rempli comme lui, je dois voir une faveur particulière de la providence, laquelle, comme V.E. me l'a déjà dit, semble visiblement me protéger. Cette lettre sera le plus beau joyau que je pourrai léguer à mon fils; et à cette fin je la conserverai réligieusement avec quelquesuns des témoignages de la bienveillance de V.E. J'ai envoyé une copie de la lettre à Berlin à un ami de Mr. CorneliusGa naar voetnoot(1), qui m'aime beaucoup et qui voit souvent Mr. Von Humboldt; j'ai fait cela pour savoir de Berlin si je pouvais faire un usage public de la lettre. J'ai été poussé à cette démarche par Mr. Wappers et par Mr. le Consul Général de Prusse, qui prétendent que la lettre est visiblement écrite et arrangée pour | |
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me faire du bien, si je jugeais utile de la publier. Comme je n'ai pas pu refuser ici d'en laisser prendre des copies par des personnes très haut placées, qui tenaient à en avoir le texte, et même à quelques amis, je craignais des indiscrétions que l'on aurait pu commettre dans le dessein de me servir. J'ai voulu demander à Mr. Humboldt lui-même la permission de faire usage de sa lettre; mais les mêmes personnes me l'ont déconseillé en disant que ce serait tenter la délicatesse de l'illustre personne. J'attendrai maintenant l'avis de Berlin. J'écrirai aujourd'hui à Mr. Humboldt, qui est à Paris, pour le remercier, et je lui ferai comprendre qu'il serait possible que mes amis fissent usage de sa lettre. Je lui demanderai pardon d'avance. S'il tenait à ce que cela n'eut pas lieu, il aurait encore tout le temps de me le faire savoir. En ce cas je me garderai bien de lui désobéir - et l'on ne saurait rien de la lettre, à moins que l'on ne la publie à Berlin avant que j'aie eu le temps de l'empêcher. Et cela pourrait être, car les personnes qui possèdent la copie sont les mêmes, en préférence de qui Mr. von Humboldt a dit qu'il allait m'écrire et à qui il doit avoir laissé entendre quel était son but. C'était à une grande fête que Mr. Cornelius a donné (sic) à Mr. Wappers. J'ose espérer, Monseigneur et cher bienfaiteur, que vous excuserez cette longue lettre. Le ciel vous donne le bonheur et la santé! Monseigneur, de Votre Eminence
Copie.
4 Monsieur Hendrik Conscience, à Anvers,
Monsieur,
Un grand artiste, qui s'honore de votre amitié et que l'Allemagne envie à votre noble patrie, veut bien se charger de ces lignes. Elles sont l'expression d'un sentiment d'admiration dû au caractère d'originalité native, de simplicité touchante, d'aménité vertueuse, qui sont la source des impressions que vous savez produire, et dont le reflet ne se perd même pas dans des traductions plus ou moins heureuses. En portant ce jugement de vos ouvrages, surtout de ce boek des natures qui répond si bien à | |
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son titre, je me fais l'interprête de cette Allemagne trop longtemps dédaigneuse envers les idiomes, d'une même parenté, mais modifiés par des différences d'organisation intellectuelle et physique difficiles à saisir. J'ai eu le plaisir de lire moi-même au Roi et à la Reine, au haut de la colline historique de Sans-Souci quelques-unes des nobles productions de votre sensibilité, interprêtées par un Prince de l'Église, digne de vous comprendre. On est sûr de plaire dans une soirée dont vous faites les frais, Monsieur. J'ai appris avec une vive satisfaction que S.M. le Roi Léopold, appréciateur éclairé du vrai mérite, vous ait donné une marque de sa haute confiance en vous rapprochant de ce qu'il a de plus cher. Agréez, je vous prie, Monsieur, l'hommage des sentiments affectueux du voyageur préadamite de l'Orenoque et des steppes d'Asie. (signê) Al. Humboldt | |
IV.
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D'abord ils ont crié et écrit contre moi de manière à faire croire, que c'est faire acte de libéralisme que de me persécuter, et un titre à la protection de l'opinion dominante. Ensuite ils ont effrayé mes amis par des menaces les plus affreuses. C'est presqu'en pleurant que beaucoup d'entre eux viennent me demander de ne pas les suspecter parce qu'ils s'éloignent de moi: des raisons de famille, la perspective d'être enveloppés dans la persécution qui m'enveloppe leur en fait un devoir. Mais tout ceci n'est rien encore. Mr. Wappers, notre plus grand peintre, est mon protecteur et mon ami. A cause de cela ils ont juré de détruire sa réputation. Lui aussi doit être brisé et quitter Anvers. Un journal radical de notre ville a été chargé d'ouvrir le feu contre l'académie de peinture; il a dit contre ce glorieux établissement les choses les plus absurdes; mais comme le prétexte était attendu, le Ministère s'apprête maintenant à réorganiser l'académie, de manière à ce que Mr. Wappers doive donner sa démission de directeur. Quant à moi, l'on supprimera la place que j'occupe; c'est-à-dire on nommera un secrétaire au lieu d'un greffier. Ce changement de nom leur permettra de me mettre dehors, sous prétexte de suppression d'emploi. Tous les honnêtes gens savent ce qui se fait et dans quel but on le fait; mais il règne dans notre pays une espèce de terreur qui rend tout le monde muet. Notre bon Roi lui-même est impuissant; on a déjà sacrifié grand nombre de ses plus dévoués serviteurs; il en souffre sans doute, mais fidèle aux lois constitutionnelles du pays, il doit laisser faire les ministres responsables. Ainsi de tous mes amis, Mr. de LaetGa naar voetnoot(1), un de mes plus anciens compagnons d'armes, était chargé par le Gouvernement d'écrire l'histoire des travaux publics de Belgique. Au milieu de ce travail, et lorsqu'un volume de 600 pages est fait, on lui dit que le Gouvernement renonce à ce travail, sans donner le moindre motif Il est père de trois enfants et reste sans pain. | |
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Il paraît que c'est dans peu de jours que paraîtra l'arrêté ministériel qui me privera de mon emploi. Cela me cause du chagrin, de devoir quitter une institution que j'aimais avec ferveur et à la splendeur de laquelle j'ai sacrifié mon temps et mes veilles. Quand j'y suis arrivé, l'académie comptait 400 élèves - aujourd'hui elle en compte 1300. Mes ennemis mêmes ont cent fois avoué que l'on devait en grande partie ce succès à ma sollicitude et à mon travail. Mais il ne s'agit pas de cela. Personne au monde ne formule contre moi le moindre reproche qui ne soit du domaine de la politique et cela leur suffit. On a été jusqu'au Roi pour me ravir sa faveur et l'emploi honorable qu'il m'a accordé. Je n'ai pas encore été appelé auprès de LL. AA.; mais, j'ose toujours espérer que S.M. me laissera la jouissance de la petite pension attachée au titre qu'Elle a daigné me conférer. Mon parti est pris. Dès que je serai destitué j'irai demeurer dans un village, à une dizaine de lieues de ma ville natale; je tâcherai de retrouver le repos dans la solitude. Mes ennemis ne me laisseront pas tranquille pour cela; ils me craignent toujours. Je voudrais qu'ils puissent m'oublier. J'ai bien des difficultés à vaincre pour pouvoir jouir de l'ostracisme, auquel je me soumets. Issu d'une famille pauvre, j'étais le soutien matériel et moral de beaucoup de personnes, de vieillards. Maintenant les moyens me manqueront pour mon propre soutien. Que puis-je encore pour eux? Cependant la responsabilité qui m'incombe de ce chef est difficile à secouer, et peut-être devrai-je me soumettre à des sacrifices impossibles. Voilà, mon cher et honoré bienfaiteur, les épreuves que; j'ai à subir, souffrant non seulement de mes propres malheurs. mais des malheurs que mon amitié a attirés sur d'autres personnes On veut m'écraser comme chef d'une cause, et pour me ravir mes appuis on frappe audessus et audessous de moi tous ceux qui partageaient mes idées. Nous ne sommes soutenus d'aucune part; ce que nous mêmes et nos amis faisons pour nous défendre tourne contre nous, parce que c'est le pouvoir même qui veut nous atteindre. Pardonnezmoi, Monseigneur, d'avoir entretenu Votre Eminence de cette triste position; mais savoir que Vous, mon cher bienfaiteur, aurez connaissance de ce que je souffre est déjà une grande consolation pour moi. De Votre Eminence
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V.
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a été mon bienfaiteur et mon ami, j'étais moi son confident, son fait-tout, son défenseur, son frère. Nous étions sincèrement attachés l'un à l'autre, et aujourd'hui nous nous aimons encore d'une vive affection. Eh bien, par intimidation exercée par tous les moyens possibles, jusqu'à des menaces anonymes d'assassinat par surprise, au moyen des terreurs de sa famille, on est parvenu à l'isoler de tous ses amis. Il lui est défendu de me parler de sa situation et de la mienne, et il souffre comme moi et pour les mêmes motifs que moi! Je le vois tous les jours, mais il doit rester muet et moi, respectant sa douleur, je me tais également. Je ne vais plus jamais chez lui, pour lui éviter les reproches de ses ennemis. A moi on voudrait imposer l'obligation de haïr Mr Wappers comme la cause de la persécution, et à lui on dit la même chose de moi. Les autres amis et défenseurs de Mr Wappers sont frappés d'un interdit plus rigoureux encore, c'est à peine s'il ose les saluer. Si Votre Éminence voit quelqu'invraisemblance à de tels faits qu'Elle veuille se souvenir de la pauvre et malheureuse Suisse, où les passions ont pu montrer ce que pour eux signifient les mots de liberté, de justice et de tolérance. Pour ce qui est de notre position à l'Académie, on n'y a encore rien changé pour le moment, si ce n'est que l'on nous fait subir mille petites persécutions. Il paraît que le Gouvernement, c. à. d. le Ministère, attendra la fin des séances de la Chambre pour toucher à cette institution. Quant à moi, j'ai bien pris mon parti. Je laisse faire et écrire et ne me défends ni par actes ni par écrits. J'ai cherché ma consolation dans le travail, et viens de commencer un ouvrage en 3 volumes qui sera intitulé Jacob Van Artevelde (1340).Ga naar voetnoot(1) J'ai un plan superbe, du courage et de l'énergie en abondance, et si mon espoir n'est pas trompé, je ferai mieux que jamais cette fois. En attendant que je puisse apprendre à V.E. qu'un changement notable s'est fait dans ma position, j'ose La prier de vouloir me pardonner mon extrême confiance dans sa bonté et d'excuser la hardiesse, que je prends de L'entretenir des détails de mes contrarietés et malheurs.
Monseigneur, de Votre Eminence,
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VI.
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l'imagination frappée, et la terreur est au coeur de tous. Voilà deux mois, que du matin au soir, des populations entières suivent en priant le chemin de la Croix (les stations), qui chez nous contournent la ville par les boulevards intérieurs). Les églises ne cessent d'étre remplies, et l'on chante trois services du soir différents, tellement la pensée du peuple s'est élevée vers Dieu en présence du fléau. - On signale aujourd'hui une décroissance dans la marche de la maladie. Puisse cet espoir se réaliser. Mon ouvrage Artevelde a été reçu avec enthousiasme par les Flamands. J'ai été une fois à Gand pour affaires et j'y ai été l'objet de chaudes ovations. Hélas, je suis devenu presqu'insensible à tout ce qui pourrait me réjouir, ingrat envers le bonheur, je n'ouvre mon âme qu'aux impressions les plus noires, les plus désespérantes. Ma raison, mon énergie, se révoltent contre cette disposition d'esprit inexplicable; mais c'est comme une seconde âme qui est en moi et que je ne puis vaincre ni fléchir. Fasse Dieu que je me trompe, mais il est en moi un sentiment, qui me dit que la vie, la vie d'action et de courage, se retire de moi et avec elle s'éteint le peu de moyens qui m'avait été donné. Peut être encore que ces sombres prévisions ne sont que l'effet d'un mal physique, que le temps peut guérir. Si je pouvais voyager pendant quelques semaines, cela me ferait du bien, je pense; mais bien des obstacles s'opposent à ce que j'obéisse à cette aspiration vers un changement de climat et de vues. Mes fonctions me retiennent à Anvers, surtout maintenant que l'on est officiellement aux aguets pour me trouver en défaut. D'un autre côté, dans ces temps critiques je ne puis quitter ma femme ni mes enfants. Je bénis le Seigneur de ce qu'il ait accordé à V.E. et à sa bonne soeur la santé. Que Votre Eminence veuille excuser mon griffonage et la tristesse qui règne dans cette lettre. Dans mon malheur je me souviens chaque jour de celui qui éclaira ma vie d'un éclat de bonheur et de joie, que je n'avais pas connu avant et je ne dois plus connaître désormais, ma gratitude envers Lui doit être éternelle.
Monseigneur et cher Bienfaiteur
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VII.
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a fait hausser les épaules. Il est même parvenu à Bruxelles des dépêches de Paris au Gouvernement provisoire de Belgique!!! Voilà la situation actuelle; nous avons l'espoir de voir passer l'orage au-dessus de nos têtes sans être atteints. Si la France voulait nous conquérir, nous défendrions notre territoire avec énergie. Tous nos journaux sont unanimes dans ce sentiment. La Belgique a pris la résolution de ne pas provoquer la France, ni par son langage ni par ses actes; elle admet que la France est maîtresse de faire chez elle ce qui lui plait; mais elle emploiera tout son énergie pour la conservation de ses libertés, qui aujourd'hui sont encore aussi étendus que ceux (sic) de la république nouvelle. Fasse Dieu que notre Patrie ne soit point trompée dans son attente. Aujourd'hui elle espère à bon droit; mais dans des temps comme ceux qui se passent tout est changeant comme le flot des mers. Si quelque chose de nouveau se produisait, je me ferai un devoir de vous en informer, car tout le monde doit être aujourd'hui curieux de savoir jusqu'où le changement, qui menacent (sic) les idées, les états et les peuples, peuvent s'étendre. J'ose espérer que V.E. jouit d'une bonne santé et qu'elle daignera excuser la hâte que j'ai mise à écrire la présente lettre.
De Votre Eminence,
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